Pourquoi faire compliqué..?

Vu l’autre jour à  la Cour le prononcé des délibérés, en début d’audience, et notamment ceux des personnes détenues, amenées là  une par une par leurs escortes de gendarmes et de policiers…

Arrive Samir, menotté dans le dos, tenu en laisse (c’est le vrai terme…) par son escorte, l’un des deux gendarmes le “posant” devant la barre, et entreprenant de lui ôter ses menottes, comme il se doit.

La Présidente avait cependant commencé à  lire sa rafale de délibérés du jour, et le concernant en arrivait, déjà , à  la peine, tandis que Samir se contorsionnait en essayant de l’écouter, tordu qu’il était par le gendarme porte-clé qui ne parvenait pas à  lui enlever ses poucettes, et manifestement lui faisait un peu mal, le tout sur fond de brouhaha général…

Elle lève un oeil de la feuille qu’elle lit, s’agace de la scène, et s’écrie, à  l’attention du besogneux gendarme : “Mais enfin, Monsieur, laissez tomber, ce n’est pas la peine, c’est fini !”, et baisse à  nouveau les yeux vers sa feuille pour finir d’indiquer à  Samir que ” … en revanche, sur la peine, la Cour a estimé devoir réformer le jugement déféré, et en conséquence vous condamne non plus à  2 ans d’emprisonnement dont six mois assortis de sursis, mais à  deux ans fermes.”

“Voilà , vous voyez, c’est fini, vous pouvez l’emmener”, dit-elle au gendarme, qui de fait obtempère, et repart avec son collègue et Samir, lequel est encore en train de râler parce qu’on lui a fait mal en essayant de lui enlever ses entraves, et n’a pas entendu un mot du délibéré.

Lequel, on s’en doute, a été parfaitement intégré et compris…

Je ne suis même pas certain que son avocat l’ait rejoint ensuite, il discutait lui-même avec une consoeur, il est vrai très jolie…

C’est beau, le droit d’appel.

Histoire Noire II

II L’ENQUÊTE

Dalila est en état de choc, elle a une sorte de barre qui lui traverse le front, et elle sent bien qu’elle ne parvient pas à  réfléchir ; mais ça va, elle ne pleure plus, et se sent étrangement calme, maintenant. Elle n’est pas soulagée, mais elle ne ressent plus non plus de pression, pour la première fois depuis bien longtemps …

Lorsqu’ils l’ont amenée ici, qu’ils lui ont expliqué qu’on était à  la Brigade des Mineurs, que ce qu’elle venait de dire aux “collègues” était grave, qu’il fallait qu’elle s’explique, qu’elle raconte, elle était dans un tel état d’agitation qu’elle avait vingt pensées contraires qui la traversaient toutes les secondes : elle devait se taire, elle devait dire sa vraie histoire, elle devait dire qu’elle venait de mentir, elle devait continuer à  mentir, elle devait parler, elle devait se taire, elle devait…Lire la suite“Histoire Noire II”

Histoire Noire

I LE CONTEXTE

Jean-Marc est prof de français, catégorie “dur mais juste”, apprécié de ses élèves pour sa culture, son humour et sa façon de faire cours, un peu à  l’ancienne, craint en même temps pour sa sévérité et le haut niveau qu’il exige de ses élèves de Seconde – à  l’écrit, notamment, où il n’est pas rare que des copies comportent un “2”, assorti d’un commentaire ironique de type “Il faut absolument que vous cessiez de (ne faire que) regarder la télé, ou alors impérativement sous-titrée, histoire de lire quelque chose quand même de temps en temps…”.

Mais les élèves l’aiment bien : il annote énormément les copies, de vraies corrections, après lecture desquelles on progresse; et il réussit à  passionner en classe y compris sur des textes unanimement ressentis comme “trop chiants”, parce qu’il reste, à  quelques années de la retraite maintenant, manifestement passionné.

Dalila a des problèmes, depuis toujours.

Elle est mignonne, et s’en veut de l’être, trop de garçons essayent de lui parler, elle n’a jamais supporté ça. Et puis, elle voit bien que ses parents travaillent beaucoup et ne s’en sortent pas, et elle ne veut pas avoir la même vie, mais ses études sont moyennes, elle a un peu de mal, notamment a l’écrit, il faut dire qu’il y a du monde à  la maison, et que ce n’est pas facile de vraiment travailler le soir après les cours.

Et puis il y a “l’intégration” : elle n’en peut, littéralement, plus, de tous ces discours autour du racisme et du non-racisme, de la religion, de la couleur de peau, des étrangers qu’on reconduit et des étrangers qu’on valide : elle ne se sent absolument pas “spéciale”, elle voudrait juste qu’on lui foute totalement la paix là -dessus, qu’on oublie juste que ses grands-parents sont venus d’ailleurs, qu’on ne lui en parle jamais ni en bien ni en mal – que plus jamais on ne la traite de “sale bougnoule”, comme c’est arrivé l’année dernière à  la sortie du bus ; mais que plus jamais non plus ses copines ne lui demandent si elle fait Ramadan, ou ce qu’elle pense du racisme “ordinaire”, qu’est-ce qu’il y aurait à  en penser, et pourquoi lui demander à  elle ? Toujours elle..?

Et puis il y a eu la “saloperie”, l’année dernière.

L’un de ses oncles lui a fait du mal, beaucoup de mal, il a abusé d’elle, une nuit où elle dormait là -bas, violemment, méchamment, il lui a pris tout ce qui faisait qu’elle était encore une petite fille, il l’a giflée quant elle pleurait, et il l’a laissée, si seule et si sale, en la menaçant de la frapper à  mort si jamais elle disait un mot de cette nuit effroyable à  qui que ce soit …

La femme de son oncle, le lendemain matin, a bien vu qu’elle n’était pas bien et que ses yeux étaient rouges, mais elle n’a rien demandé – Dalila est certaine qu’elle sait, mais qu’elle ne dira jamais rien.

Et elle a essayé de parler à  sa mère, malgré la peur, en tout petit, parce qu’elle en avait un besoin hurlant : sa mère ne l’a pas crue ; elle avait juste commencé à  lui dire “qu’il avait fait une caresse” la nuit dans sa chambre, les larmes aux yeux, mais elle n’a pas pu en dire plus, sa mère l’a coupée, “Arrête de dire n’importe quoi Dalila, tu as rêvé, ça va plus la tête ?” …

Ça ne va plus, la tête.

Elle ne peut plus penser à  cette nuit-là , jamais, elle n’y arrive pas, lorsque le souvenir lui en vient, elle tremble et elle sait seulement qu’elle doit vomir, tout de suite, mais que les images et les odeurs de cette nuit-là , la “saloperie”, resteront loin dans sa tête, à  tout prix.

Et elle n’en parlera plus jamais, à  personne.

_____________

Ce matin là , en cours de français, le prof rend les copies, elle a “2”, il a marqué “Je ne mets pas 0 parce que vous avez utilisé plus d’encre que la dernière fois”. Elle a déjà  eu des mauvaises notes en français, et elle savait bien que son devoir était mauvais, et en-dessous de sa phrase assassine, le prof a fait une longue observation qui lui donne “plus sérieusement” de vrais conseils, assez gentils, mais aujourd’hui elle est fatiguée, elle ne va pas très bien, alors elle prend ça comme une baffe, et elle pleure.

Jean-Marc s’en aperçoit, et il s’en veut, une fois de plus : il se souvient très bien avoir été ironique sur la copie de Dalila, il est persuadé que c’est à  coups d’aiguillon de ce type qu’on peut obtenir de réelles avancées, mais c’est parfois mal pris, et c’est manifestement le cas de la petite – il l’aime beaucoup, Dalila, elle s’exprime très bien et souvent intelligemment, de façon sensible; mais à  l’écrit c’est une catastrophe, il voudrait vraiment l’aider…

Il décide de ne rien remarquer, ne pas lui “foutre la honte” devant les autres, et fait son cours normalement. Mais à  la sonnerie, il lui demande de rester deux minutes, pendant que les autres élèves (qui n’ont rien remarqué de spécial, Dalila est depuis longtemps assise au fond de la classe, seule) sortent.

Il ferme la porte, et lui parle : il lui indique d’abord qu’il a bien vu que son humour n’était pas très intelligent, et qu’il s’en excuse. Il lui dit tout le bien qu’il pense d’elle, et que c’est justement pour ça qu’il est sévère, parce qu’il veut absolument qu’elle progresse à  l’écrit, qu’il est persuadé qu’elle peut y arriver, que sur le fond ses idées sont bonnes, sa sensibilité évidente, et qu’elle peut devenir une vraie bonne élève – il lui propose même de l’aider “à  part”, comme il le fait souvent, quelques heures de temps en temps et des devoirs personnels…

Dalila est d’autant plus émue qu’il essaye d’être gentil et de la consoler, elle pleure de plus belle, et lui se méprend et croit devoir la consoler un peu plus : il s’est assis sur sa table à  elle, dont elle n’a pas bougé, et il tend le bras et lui tapote l’épaule et le haut du dos, “allons, allons, pas de quoi se mettre dans cet état, tu vas y arriver ..!”.

Dalila fait littéralement un bond en arrière au contact de la main de cet homme, un sursaut de toute sa personne, tellement violent que sa chaise bascule, et qu’elle tombe contre le mur du fond, en s’y heurtant le front. Elle est en larmes et émet une sorte de plainte sourde en continu : elle se relève d’un autre bond, arrache littéralement son sac de cours du sol, et s’enfuit en courant, en claquant la porte de la salle tellement fort que Jean-Marc à  l’impression que le mur va tomber.

Il a la bouche ouverte mais n’a pas eu le temps de dire quoi que ce soit, il est stupéfait, il comprend tout à  coup que Dalila ne va pas bien, qu’il y a un problème autre que sa façon d’écrire, et il rassemble ses affaires de cours en se disant que dès lundi, il signalera la difficulté à  l’administration, il faut que cette petite soit suivie et aidée, il faut qu’elle puisse parler à  un psy – il se dit qu’il n’a manifestement pas les qualités d’écoute qu’il faudrait, avec un petit sourire contrit, il est bien désolé de cet incident…

_____________

Dalila est sortie du bahut en courant, elle y a bousculé plein de monde, et elle continue à  courir dans la rue, elle veut être chez elle, dans sa chambre, et mettre sa tête dans son oreiller, elle veut que “ça” s’arrête.

Elle est presque aux portes de son immeuble lorsqu’elle croise la voiture de patrouille, qui ne peut pas la rater puisque son conducteur a dû piler sec pour ne pas la heurter, alors qu’elle traversait sa dernière rue comme une folle.

Les deux policiers, un homme et une femme, sortent de la voiture, et lui crient de s’arrêter, ce qui cette fois la stoppe net, sur le trottoir de chez elle. Elle se retourne vers eux, et leur offre le spectacle d’une jeune femme totalement affolée, son visage est plein de larmes, elle a une bosse légèrement saignante au front, elle est dépenaillée et elle tremble, hors d’elle, incapable de répondre quoi que ce soit à  cet instant ; le flic a ouvert la bouche pour l’engueuler d’avoir traversé comme ça sans regarder, mais il la referme tout de suite en voyant son état, et c’est la policière qui lui parle, gentiment : “Et bien, qu’est ce qui se passe dis-moi, tu as l’air complètement… Tu as eu des ennuis ?”.

Dalila ne réfléchit pas, elle ne peut pas, et ça sort tout seul, entre deux énormes hoquets :

“Il m’a violée”.

[A suivre…]

Un an ferme (suite) : non !

Les trois lecteurs de ce blog ne peuvent que se souvenir de la petite Elodie, invraisemblablement emprisonnée pour rien, ou presque, en tout cas de façon particulièrement inique : j’ai le plaisir de vous indiquer que la Cour a mis fin hier à  cette énormité, et qu’Elodie, cette nuit, enfin, a dormi chez elle, avec les siens.

J’avais hier, outre le plaisir de cette libération lui-même, l’impression que nous revenions enfin, tout simplement, à  la réalité : l’avocate générale a requis sa libération, la Cour s’est scandalisée de la décision attaquée, et a immédiatement ordonné sa remise en liberté, sur le siège et sans délibérer : ouf, il reste des gens normaux dans le monde judiciaire !

Et le cadeau supplémentaire était la présence de toute la famille à  l’audience : tout le monde pleurait, Elodie pleurait, son avocat avait les yeux qui piquent… Et je ne suis pas près d’oublier l’émotion de la salle, et par-dessus tout celle du jeune papa de l’enfant qu’elle porte depuis trois mois : à  l’issue de l’audience, l’escorte de gendarmes l’a laissé (Heureusement : elle est LIBRE ! Même s’il lui fallait encore effectuer les formalités de levée d’écrou…) s’approcher d’elle : il était en larmes lui aussi, il n’a rien dit, ils se souriaient, il a posé une main sur le ventre de sa compagne …

Un temps de bonheur pur dans le malheur et la complexité du monde : j’adore décidément ce métier !

Dame (ou homme) de fer…

Retour d’audience de ce jour, encore une fois l’amertume, rien que de très banal, j’ai choisi d’avoir souvent ce goût moyennement suave dans la bouche…

En revanche, la façon m’importe toujours autant (le fond aussi, à  vrai dire, mais c’est un autre débat, et qui pouvait ici se trouver valablement discuté… On en reparle !)…

Les faits sont, comme souvent, d’une simplicité enfantine : il y a un mois, un homme, apparemment sans histoire, a le malheur de se trouver dans la Rue du Drame, à  LILLE (je lui décerne ce titre au vu du nombre de délits et crimes de sang que l’on y trouve, au fil des ans, j’ai nommé la rue Solférino, emplie de cafés et bars et surtout, les vendredi et samedi soirs, de gens qui vont dedans, et en sortent comme ils le peuvent…), où une altercation, qui va mener à  son procès de ce matin, va survenir…

D’origine algérienne, sans histoires et travaillant en France depuis longtemps, titre de séjour régulier en poche, l’heureux homme, il passe donc dans cette rue, fort longue, jusqu’à  se faire héler par des relations siennes, de même origine, pour partager un peu de ces canettes de bière qui jonchent la place où vont se tenir les faits…

Il opine, et boit avec eux.

Survient un tiers, la victime, manifestement encore plus ivre, qui les apostrophe, et surtout mon client : première bagarre avec celui-ci, et un partout : un nez explosé du côté du mien, du sang partout ; Monsieur Lavictime au sol, plusieurs coups de poing l’ayant invité à  y demeurer.

Rixe de gens ivres, jusque-là , la routine.

Lavictime cependant se relève, et, comme il a provoqué la castagne, n’entend nullement en rester là  : il sort un cran d’arrêt, dont le bouton de la lame cependant n’est semble-t-il pas actionné, et revient furieusement vers mon client, que l’on va à  ce stade appeler Legentil, au hasard, disons Mohamed Legentil (la facilité n’étant point un recours interdit, quant elle aide à  la compréhension générale).

Mohamed, qui avait rompu l’assaut, se retourne, attrape le bras armé, ou putativement armé, arrache l’arme dont s’agit, et en frappe, du manche (dixit Lavictime elle-même dans un rare détail de la narration dont elle se souviendra plus tard devant les forces de l’ordre, ils ont 2 grammes tous les deux d’alcool dans le sang…) d’abord, sa future partie civile, avant d’en dégainer la lame (en appuyant sur le bouton ad hoc ?), et de faire de même à  trois reprises, lame incluse cette fois, vis-à -vis du même, qui, blessé au visage, reste tout debout, tandis que mon dangereux client… Cesse immédiatement son action de parade, et va tranquillement s’asseoir sur des marches toutes proches pour attendre la police.

Je l’ai vu le jour même, ou plutôt le lendemain, après garde à  vue : couvert du sang de son nez, explosé lors de la première scène, et racontant exactement l’histoire qui précède…

Le Parquet choisit ce jour-là  de le faire convoquer, et nous voilà  à  aujourd’hui, avec ces éléments, savoir les quelques pièces de personnalité (travail, famille, alcoolisme zéro) recueillies par votre serviteur, et au dossier ses déclarations, et celles de la victime, radicalement inverses (“Je me souviens pas, on était ivres, je les ai provoqués je sais plus pourquoi, le couteau c’est à  lui, pas à  moi”) résumées stricto sensu dans la parenthèse qui précède, Lavictime absent à  l’audience.

Peu importent ici les faits : j’y soutiens en tout cas, à  cette audience, la légitime défense, argumentée par ce que je viens de vous raconter rapidement, outre le fait que Lavictime présente en réalité trois traces de coups de couteau au visage, toutes bénignes, son Incapacité Temporaire de Travail étant fixée à  deux jours, et qui ressemblent bien plus à  des lésions issues de gestes de défense, tels des moulinets avec le fameux couteau, qu’à  des traces d’une véritable attaque, qui eussent été selon moi bien plus marquées et profondes…

Re-bref : ce qui m’insupporte, ce n’est pas le fait que la légitime défense n’ait pas été retenue, il y avait largement matière à  en discuter.

Non, c’est l’outrecuidance du “juge unique” (inique ?), qui, ce matin :

1/ n’avait pas, ou mal, lu le dossier – ceci n’est pas une affirmation d’avocat aigri, c’était transparent dans le rapport qu’il en a fait à  l’audience (“Oui, euh… Alors Monsieur, c’est une bagarre… Euh… Vous avez reconnu, heueh… D’ailleurs on vous arrête non loin de là …), et c’est un fait;

2/ constate qu’il existe une contestation sérieuse, réellement, l’avocat lui remettant à  la barre pièces de personnalité, mais surtout jurisprudence relative à  la légitime défense, et qui lui a lu le dossier jusqu’à  le connaître par coeur, lui rappelant en plaidant que la “victime” reconnaît être l’agresseur d’origine, que son client était ensanglanté, qu’il a pu valablement avoir peur, que rien ne dément sa version, vu l’indigence du dossier(*), et que légitime défense, encore bref, il y a pu valablement avoir;

3/ entend une Procureur relever (*) elle-même lesdites indigences (on n’entendra pas les témoins, nombreux ; pas de renseignements concernant la victime, et notamment pas son casier, etc…);

4 / Et… rend immédiatement après la plaidoirie son jugement, “sur le siège”, sans même avoir la courtoisie d’apparence de le mettre en délibéré à  la suspension d’audience, histoire de lire -enfin- les dossiers, celui de l’avocat, d’accord on s’en fout, mais aussi, celui qui le lie, celui qui le saisit, celui dont tout le monde vient de parler et qui est la base de son audience : LE dossier, sans parler de carrément le mettre en délibéré à  une autre date : relire à  froid, se demander réellement ce que le dossier contient, et surtout ce qu’il prouve, et rendre ainsi une décision éclairée.

Non, là , pas de faux-semblant, les mots de l’avocat résonnant encore dans la salle, la discussion qui n’en est pas une à  peine close, les deux dossiers, l’officiel et celui de la défense, entrouverts pour la forme et refermés par méforme, le jugement tombe, de suite, sans la moindre réflexion digne de ce nom, sans le moindre recul, et sans la moindre once de (re)connaissance réelle des faits de l’espèce, juste tels qu’ils figurent à  la procédure : “Coupable, dix mois d’emprisonnement avec sursis et mise à  l’épreuve d’une durée de deux ans, obligation de justifier du fait que vous continuez à  travailler” …

C’est la moitié des réquisitions prises à  l’audience, c’est de toute façon désormais une tache énorme sur l’existence de cet homme, et peut-être n’était-il pas strictement dans les conditions légales de l’application du fait justificatif de légitime défense…

Peut-être : je n’ai cessé de poser cette question au “Tribunal” ce matin (c’est à  dire au juge seul qui le composait) : “Qu’auriez-vous fait, vous, à  sa place, êtes-vous capable de le dire ?” …

Manifestement, oui.

En dix secondes.

Un vieil avocat, aujourd’hui décédé, mais que j’ai beaucoup entendu plaider, et Dieu sait que c’était un régal, finissait ses plaidoiries d’Assises, systématiquement, d’une voix gravissime saisissant les jurés de l’ampleur de leur tâche, par la phrase suivante :

” Mesdames et Messieurs les jurés, J’ai dit. Vous avez entendu. Jugez !”

Ce n’était pas pompeux, c’était juste la mesure du devoir à  accomplir – solennellement.

Juges, uniques ou pas… N’oubliez jamais de juger. Quitte à  perdre du temps. Je ne sais pas si cela changera vos décisions, si la mienne, ce matin, en eût été modifiée.

Mais ce délai, cette attention, susciteront deux marques de respect : celle du justiciable, condamné mais qui peut comprendre pourquoi ; et celle de l’avocat, entendu, mais n’ayant pas convaincu, et qui peut l’admettre, à  la seule condition d’avoir le sentiment que l’on y ait réellement réfléchi – exactement comme lui a pu le faire en amont, en partie du fait du respect qu’il vous doit.

Si le respect est l’antithèse du mépris, deux personnes au moins ce matin n’ont pas été respectées, même pas pour faire semblant …

La décision intervenue n’est dans ces conditions pas juste ; vous comprenez, Monsieur le Président : elle ne peut, par nature, pas l’être.

PS personnel : d’autant que c’est une de ces audiences où tout le monde présent, avocats dans la salle, greffière d’audience, huissier, flics d’escorte, TOUS… vous regarde sidéré en constatant que la culpabilité et la peine sont prononcés tout de go, tout de suite, et qu’on n’a servi à  rien malgré la sueur et les mots. Je ne me plains pas, je pleure juste un peu, en constatant que je ne suis pas totalement fou.

“Il se prend pour Dieu le Père..!”

Camille est ce qu’il est convenu d’appeler une bonne citoyenne, mariée, deux enfants, un bon travail, évidemment inconnue de la police ou de la justice.

Elle est, incidemment, blonde et très jolie, ce qui n’a rien à  voir avec la suite – encore que…

Elle est si bonne citoyenne qu’en ces temps électoraux, et ne pouvant pas être dans sa ville, en région parisienne, pour voter, elle a décidé de remplir une procuration, au commissariat de police, auquel elle se rend en conséquence ce jour-là  avec son fils; elle n’est pas la seule, il y a du monde, mais la jeune femme de l’accueil est sympa comme tout, et tout se passe bien, elle a déjà  rempli les deux tiers de ce très rébarbatif document (qui comporte trois volets identiques, à  compléter chacun à  la main, truffés de demandes de renseignements d’état civil, et n’a été conçu que pour dégoûter les bons citoyens de faire leur devoir, mais c’est un autre sujet…), lorsque son garçon se casse la figure et, plus exactement, se blesse assez gravement à  la main en tombant.

Panique au commissariat, où très gentiment l’on appelle immédiatement les pompiers, qui emmèneront Camille et son enfant aux Urgences pour dix-huit points de suture – la jeune policière la rassure au passage : “Je mets votre procuration de côté, ne vous en faites pas, vous repassez demain la terminer quand vous voulez”.

Après une nuit captivante passée à  l’hôpital, Camille, fatiguée mais conservant son sens du devoir, revient donc le lendemain en fin de matinée au commissariat, pour terminer de remplir la fameuse procuration…

L’accueil n’est plus assuré par la dame de la veille, mais par un jeune homme, Adjoint de Sécurité (ADS), vers qui elle se dirige directement, et avec lequel s’engage alors ce dialogue kafkaien :

– Je suis la dame qui a commencé à  remplir une procuration hier, et je…

– Bonjour !

– Heuh… Oui, excusez-moi, bonjour. Donc, j’ai commencé à  remplir ma procuration hier, mais je n’ai pas pu finir, mon fils a eu un accident, et…

– C’est quand même mieux quand on dit bonjour !

– Heuh… Oui, c’est vrai, désolée, mais j’ai passé la nuit à  l’hôpital, comme je vous le disais, et je souhaite pouvoir finir de remplir la procuration que j’avais commencée hier, votre collègue m’a dit de repasser, elle a dû la mettre de côté pour moi…

– Impossible.

– Ah, si, je vous assure, elle…

– Impossible, je vous dis : d’abord, elle n’est pas là  [ il soulève deux feuilles placées devant lui ], et ensuite vous savez lire je pense [ il pointe du pouce un feuillet d’instructions épinglé au mur derrière lui, qui indique que les procurations sont personnelles, doivent être recueillies en présence de leur auteur, rédigées en une seule fois, etc… ] ! On ne peut les faire qu’en une fois, c’est les ordres !

– Heuh, non, je ne savais pas, mais là  c’est un cas spécial, mon fils a eu un accident, et votre collègue m’a bien dit…

– Impossible, Madame, je vous l’ai déjà  dit. [ Le ton monte ]

– Mais enfin c’est incroyable, vous n’avez même pas cherché à … Bon, OK, d’accord, j’ai compris, donnez-moi une nouvelle procuration s’il vous plaît.

– Oui, mais il va falloir vous calmer d’abord.

– Mais enfin je suis calme ! Bon, on a déjà  perdu assez de temps, donnez-moi une procuration vierge !

– Calmez-vous Madame !

– Donnez-moi une procuration !

– Taisez-vous maintenant !

– [ Elle tape du poing sur le comptoir ] Vous n’avez pas à  me parler comme ça ! Je veux juste une procuration, et je vais recommencer ce que j’ai déjà  fait hier !! Mais enfin, c’est invraisemblable, vous vous prenez pour Dieu le Père ou quoi ..!??! “

A ce moment un policier, qui occupait un bureau voisin et a entendu des éclats de voix, intervient, en demandant à  tout le monde de se calmer, dit à  son collègue qu’il prend sa suite, donne une procuration vierge à  Camille, qui la remplit sans un mot au comptoir, pendant que le jeune ADS s’assoit un peu à  l’écart, prend tout le monde à  partie quant au comportement scandaleux de “la dame”, et indique qu’il dépose plainte pour outrage, en commençant effectivement à  taper rageusement sur un clavier d’ordinateur…

Camille remet sa procuration au policier, sort du commissariat, totalement ahurie par l’incident, fait quelques pas dehors… Et puis se dit que ça n’est pas normal, que ce type l’a maltraitée, et que puisque paraît-il il dépose plainte, elle va faire de même, il n’y a pas de raison, c’est elle qui s’est sentie insultée, il n’a pas cessé de la provoquer, elle n’a rien fait de mal : elle fait demi-tour et pénètre à  nouveau dans le commissariat, et indique à  une autre policière qu’elle souhaite déposer plainte.

Celle-ci la reçoit effectivement dans son bureau, et recueille sa déposition (elle sortira à  trois reprises pour consulter le collègue concerné, ce qui évidemment ne sera jamais mentionné sur le procès-verbal), pendant une paire d’heures, Camille y témoignant de ce qui vient de se passer, et signant ce qu’elle croit être sa plainte, avant de s’en aller, cette fois définitivement, vidée, et avec un réel sentiment d’injustice, en ayant l’impression d’avoir été violentée, mais pensant avoir fait ce qu’il fallait faire, à  la fois pour elle-même, mais aussi pour que ce genre de conduite ne se produise plus à  l’avenir…

Les mois passent, l’incident est oublié, mais Camille a un matin l’énorme surprise de recevoir une citation d’huissier sur papier bleu, la convoquant devant le Tribunal Correctionnel local, pour des faits d’outrage à  personne chargée d’une mission de service public, en l’espèce “avoir outragé l’ADS Danino en disant : mais pour qui il se prend ce con, pour Dieu le Père ?” …

L’audience est prévue un mois plus tard, à  9 heures. Camille est scandalisée, et pas mal effrayée, aussi : le Tribunal Correctionnel…

_____________

Elle m’appelle, c’est une amie de ma femme, bien que je sois lillois, pour me demander simplement ce que j’en pense, au départ, et je lui propose de l’assister, une fois n’est pas coutume (il faut toujours, pour un avocat, éviter de défendre des proches, on est trop impliqué et on peut manquer de recul, et la relation risque d’être altérée, surtout évidemment en cas de mauvais résultat, l’avocat n’étant pas celui qui en décide, malheureusement…), tant elle ressent cette histoire comme une injustice, notamment parce que jamais, jamais, elle n’a injurié le plaignant, à  aucun moment (et puis elle et son mari nous ont offert un super cheval de bois pour notre fils, un jouet pour une fois pas en plastique vert pomme et orange vif, ce bon goût mérite bien un service !)…

Je me procure donc la copie du dossier, où nous découvrons, sans grande surprise en ce qui me concerne, les outrages étant malheureusement très souvent bâtis sur les mêmes grosses ficelles, que :

– alors que l’incident s’est achevé vers midi, la plainte de Monsieur Danino, deux pages bien serrées, est de… Midi dix, plainte recueillie par le policier Untel, mais évidemment pas rédigée par lui-même; il y indique avoir constamment gardé son calme, que la Dame était très énervée, qu’il l’a constamment renseignée en essayant de l’apaiser, mais que rien n’y a fait, qu’elle s’est brutalement emportée, en le traitant de “con”, il est formel, avant de le comparer à  Dieu…

– loin d’avoir déposé plainte, comme elle le croyait, Camille a en réalité signé une simple déposition, une audition, évidemment postérieure à  la plainte de Monsieur Danino, qui commence ainsi : “Constatons que se présente spontanément Madame Camille …, qui tient à  être entendue sur les faits qui lui sont reprochés “, recueillie à … Midi vingt (d’ailleurs illégalement : elle aurait dû être placée en garde à  vue, étant paraît-il nommément citée dans la plainte, antérieure, de l’ADS, mais peu importe en l’occurrence, soulever cette difficulté n’aurait entraîné l’annulation que de son audition à  elle, sans intérêt – mais ça connote évidemment les choses…).

– un “témoin” a été entendu, cinq mois après : il s’agit d’un enseignant, qui lui-même remplissait une procuration, et qui se souvient bien de la personne hystérique que le “policier” tentait de calmer – même si, ah ouf ! Il ne se souvient pas des propos exacts qui ont été tenus – il indiquera tout de même que “le ton était monté des deux côtés”, le brave homme…

En revanche, un élément, important et inhabituel, figure également, et heureusement, dans la procédure, pour solde de celle-ci d’ailleurs : le témoignage de l’autre policier, celui qui est intervenu à  la fin, et qui pour une fois, extraordinairement, ne consiste pas en un simple “copié-collé” des termes de la plainte de son collègue, mais atteste, lui aussi, de ce que le ton était pareillement monté chez la jeune femme et chez l’ADS, et, surtout, qu’il a bien entendu ” Vous vous prenez pour Dieu le Père”, mais rien d’autre, et aucune injure..!

Nous sommes bien tombés à  l’audience, on peut croire encore à  la Justice de son pays : une Procureur intelligente et d’ailleurs agréable qui, tout en soutenant l’accusation, reconnaissait d’une part, que cette histoire n’avait rien à  faire en correctionnelle, et un Président qui a bien voulu écouter l’avocat venu du Nord, dans une audience pourtant tumultueuse par ailleurs, et relire les témoignages : contrairement à  ce que l’on croit souvent, le témoignage d’un policier ne vaut pas preuve absolue, mais ne vaut que “jusqu’à  preuve contraire” ; et le bon sens commande aussi, évidemment (mais cette évidence-là  n’est pas souvent évidente…), lorsque ce policier possède aussi la casquette de plaignant, de le prendre avec recul et discernement ; et nous détenions plusieurs éléments de preuve de l’existence de mensonges dans la plainte : son auteur n’était nullement resté “calme et courtois”, comme il ne craignait pas de l’écrire sans ironie, les deux témoins et Camille attestant au contraire de son ton; et personne d’autre que lui n’avait entendu le mot “con”, qui évidemment s’il avait été prononcé aurait, lui, constitué un outrage sans discussion possible – ô combien mérité -, ne restant plus dès lors que l’emploi de l’expression ” Dieu le Père”, sur laquelle je suis revenu avec un peu d’humour à  l’audience en démontrant qu’elle n’était pas outrageante en elle-même, dans le contexte de l’incident moins encore…

A cet égard, en effet, la jurisprudence considère que tout citoyen a le droit de critiquer, même vertement, l’administration ou tel ou tel acte, à  la condition que ceci soit fait dans des termes non injurieux ou outrageants en eux-mêmes – ce qui n’était pas le cas de cette expression de français usuel – “un peu comme si je me demande en finissant de plaider “ce qu’on fout là “, Monsieur le Président, termes crus et critiques des poursuites du Parquet, mais certainement pas outrageants !” (sourire de Madame le Procureur, bien d’accord avec moi in petto …).

Camille a donc, enfin, été relaxée, et en a terminé avec cette histoire…

Monsieur Danino ?

Vous voulez dire, LE Monsieur Danino qui a accueilli Camille comme une chienne, qui a ensuite rédigé lui-même une plainte bourrée de mensonges flagrants, tellement d’ailleurs qu’ils n’ont pas même été soutenus pas son collègue ? Celui qui a dérangé au moins trois fonctionnaires pour recueillir les différentes auditions, qui a souillé le nom de Camille d’abord au sein de “son” commissariat, puis auprès du Parquet, puis jusqu’au banc d’infamie de la correctionnelle ? Celui qui a fait que Camille, désormais, craint les contacts avec les policiers ? Qui a occupé le temps d’audience de deux magistrats, qui a empêché Camille de travailler une demi-journée, qui lui aurait fait payer des honoraires d’avocat si on n’était pas copains, et ses déplacements en tout cas ?

Je pense qu’il va bien, et qu’il est en fonction – tellement blessé dans son amour propre que lui n’avait pas fait le déplacement à  l’audience, bien sûr…

J’ai dissuadé Camille de déposer une plainte à  son encontre pour dénonciation calomnieuse, ce qu’elle serait en droit de faire, pour un tas de raisons, dont la principale est que, même en étant de bonne foi, dans un conflit entre deux êtres humains quels qu’ils soient, il y en a un, toujours, qui s’arrête le premier.

Le moins… Con.

La vie a repris son cours dans la famille, dans laquelle mon prestige déjà  immense a encore augmenté de quelques points, cette affaire ayant au moins eu ce côté positif…

Mais en attendant, souvenez-vous : ça peut vous arriver.

Ceci est ma robe…

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… Ceci est mon habit professionnel, ceci est mon armure, et je tiens à  cette chose ici négligemment posée sur le parquet de mon bureau, en une pose volontairement un tantinet négligée et alanguie, plus qu’à  toute autre composante de ma vie professionnelle.

Ce n’est pourtant que la deuxième, la première, exsangue, en lambeaux, trônant néanmoins toujours fièrement dans mon cabinet – ne serait-ce que pour me rappeler constamment les efforts fournis, les batailles livrées (les nombreuses portes accrochées involontairement avec les manches aussi, il faut bien le dire…), et aussi pour sourire, parfois, au souvenir des larmes de ma grand-mère paternelle, le jour de ma prestation de serment, assise dans la grande salle du Parlement des Flandres de la Cour d’Appel de Douai : c’est elle qui me l’avait offerte, et je crois bien qu’elle était fière, même si bien souvent par la suite, à  l’occasion de tel ou tel article dans la presse mentionnant son petit-fils, elle avait un peu tendance à  me confondre avec le procureur (” Tu n’as pas demandé une grosse peine pour ce voleur, tss, tss…”).

Mais c’est MA robe.

Qui s’est avec le temps un peu voùtée parce que je me tiens mal à  l’audience, qui pue bien souvent au sortir de celle-ci, remplie de ma sueur et ointe de l’effort, dont on ne racontera jamais assez l’ampleur, que représente toujours une plaidoirie, quelle qu’elle soit, que je porte constamment dès que je suis dans mes fonctions (c’est forcément vieillot, mais je déteste que la pratique ait parfois autorisé son absence, et par exemple que les juges d’instruction ne la revêtent pas lorsqu’ils sont “en acte”), et qui se souvient de chaque personne qu’elle a eu la chance d’approcher aussi bien que moi-même.

Je ne l’ai jamais dénaturée, et n’y épingle aucune médaille (“Ne pas les demander, ne pas les porter“), autre pratique qui ne me convient pas, n’en trousse jamais les grandes manches, quand bien même il fait quarante degrés dans la salle d’audience (ce qui à  LILLE survient assez peu tout de même, c’est vrai), et je déteste plus encore que les confrères la laissent parfois ouverte jusqu’au col, pendouillante et liquide, le rabat à  l’envers tombant sur le côté; et par dessus tout, qu’un sac à  main ne la bariole tout à  coup, tout ce noir soudain défiguré de façon saugrenue (ma veste à  moi, qui me sert de contenant-à -portefeuille, demeure posée sur un banc ou un pupitre quand je plaide, on peut concevoir que les sacs des consoeurs fassent de même, non ?)…

L’hermine, en peau de lapin, probablement synthétique, me sert à  distraire les petits enfants que j’assiste parfois, le rabat (la sorte de bavette pendant au col, que par superstition et oubli je lave le moins souvent possible, il est immonde de crasse, mais c’est MON rabat) cache le stylo que j’épingle dessous, sur l’ouverture, et tout ce noir étrange (attention, la mienne est en microfibre quand même, il y a rire et rire…) me protège, fait de moi un confrère parmi les confrères, un enrobé devant d’autres enrobés dont rapidement j’oublie le pan de soie qui figure sur la leur, signalant par là  un juge plutôt qu’un avocat ou un greffier, et est à  mes yeux le rappel constant de la noblesse de mon métier.

Le serment, méconnu, prêté par l’avocat est :

” Je jure, comme avocat, d’exercer mes fonctions

avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité. ”
Sacré morceau de phrase, non ?

Voilà , c’était, dans une journée de travail un peu folle et très dense, mon moment d’intensité avocaturale – petit hommage à  Saint Yves, aussi, notre grand Patron, dont c’était la fête hier…

Lorsqu’il n’y a plus rien à  plaider, ou qu’il n’y a rien à  plaider tout court, il nous reste la robe, et tout ce qu’elle symbolise – et les mots viennent, le coeur gonfle, et l’on plaide !

Un an ferme

Élodie a vingt-et-un ans depuis peu et, si la vie n’a pas été spécialement tendre avec elle les années précédentes, la fin 2007 et le début 2008 sont en revanche assez heureux et chargés d’espoir : elle a continuellement pu travailler, petits boulots certes, mais en continu, ses relations avec ses parents se sont normalisées, elle a rencontré un homme – le bon cette fois, Patrick, qui travaille lui aussi, et a connu les mêmes galères autrefois, n’en étant que plus gentil maintenant.

En avril 2008, c’est un peu l’apothéose : Patrick a hérité d’une maison, ils pourront y emménager dès leur retour de la “saison” qu’ils ont tous deux, courageusement, été faire dans les Alpes, en tant que serveurs; mais ce qui la rend plus heureuse encore, c’est qu’elle vient de découvrir qu’elle attend leur enfant.

Il n’y a qu’un minuscule point noir : à  l’âge de dix-huit ans, elle a commis un délit, une unique erreur, un vol, qualifié de “simple” par la loi et parce qu’il l’est : sa vie était mouvementée à  l’époque, un type l’avait “ramassée” avec deux copines dans une boîte et tout le monde s’était retrouvé chez lui – il a essayé de draguer, est devenu “lourd”, et les filles sont reparties, mais pas les mains vides : il était ivre et n’a pas vu grand-chose, et elles en ont profité, Élodie ayant quant à  elle cru pouvoir lui voler une console de jeu et quelques CD.

Évidemment il s’en est aperçu le lendemain et a porté plainte, Élodie a été entendue, et a reconnu son méfait sans difficultés, en expliquant qu’elle avait agi ainsi par bêtise, et aussi un peu par colère parce que le type était devenu grossier et ne pensait qu’à  ça…

Mais tout ceci se passait en 2005, Élodie n’en a d’ailleurs qu’un vague souvenir, et elle a été très surprise, en février ou mars dernier, de recevoir une convocation à  comparaître devant le Tribunal Correctionnel; elle a aussitôt été voir un avocat, qui a consulté le dossier et l’a rassurée : elle ne risquait pas grand chose pour des faits bénins, anciens, uniques dans sa jeune vie, et au vu aussi de son parcours et de sa bonne insertion actuelle ; si la victime se présentait à  l’audience, il faudrait simplement l’indemniser – ce qu’Elodie trouvait effectivement normal – moyennant quoi il était impossible qu’on lui inflige autre chose qu’une peine de principe, voire plausible qu’on la dispense de peine purement et simplement, comme la loi le permet parfois.

Élodie avait trop de revenus pour qu’un avocat puisse la défendre sous le bénéfice de l’aide juridictionnelle, et trop peu pour le rémunérer elle-même : dans ces conditions, l’avocat consulté lui concédant d’ailleurs qu’un défenseur ne lui était probablement pas indispensable (elle est adorable et “présente” très bien, et il lui avait indiqué de quelles pièces justifier, et à  peu près quoi dire), elle décidait d’aller seule à  l’audience, prévue le 25 avril 2008 – ce qui tombait assez bien, son contrat de travail dans les Alpes se terminant le 24.

Elle rentrait effectivement à  LILLE le 24, et se présentait le 25 à  l’audience correctionnelle de la Chambre concernée, où il lui était indiqué que si son nom ne figurait pas sur le “rôle” (le listing des affaires affiché à  l’entrée de la salle), c’est qu’elle faisait erreur, que ce n’était pas la bonne date : terrifiée, Élodie, qui reste une petite fille, s’emparait de la feuille pliée en quatre depuis deux mois dans son portefeuille, pour bien montrer à  l’huissier qui lui indiquait cela que c’est lui qui se trompait… Et ne pouvait que constater qu’elle avait effectivement confondu : son audience se tenait la veille, le 24, et elle n’y avait pas été…

Elle pleurait en rentrant chez elle, ne sachant absolument pas quoi faire, et s’en voulant à  mort d’une erreur aussi stupide : sa mère, femme simple, la rassurait en lui disant que de toute façon et puisqu’elle avait raté l’audience, on ne pouvait plus rien y faire, et que la décision allait sûrement arriver par la poste; et sinon, on irait demander à  un avocat ou au Tribunal pour savoir ce qui s’était passé.

Élodie était au beau milieu de son emménagement avec Patrick, et allait commencer un nouveau travail : elle laissait passer quelques jours.

Le 30 avril à  sept heures, trois gendarmes se présentaient chez elle, la menottaient et l’emmenaient, en larmes, en Maison d’Arrêt, informant sa mère du contenu de la décision, qu’ils venaient de signifier à  Élodie et mettaient immédiatement à  exécution : le Tribunal, statuant à  juge unique, l’avait condamnée en son absence, et pour les faits précités de vol simple commis en 2005, à  la peine d’une année d’emprisonnement ferme, avec mandat d’arrêt.

Elle est incarcérée depuis.

J’ai reçu sa mère immédiatement après son arrestation, dans l’état que vous pouvez imaginer; nous étions encore, fort heureusement, dans le délai de dix jours à  compter de la venue des forces de l’ordre dans lequel nous pouvions faire appel, ce qui a été effectué immédiatement, tandis que je déposais le jour même auprès de la Cour une demande de mise en liberté, qui sera “exceptionnellement” jugée “rapidement”, à  la suite d’une démarche écrite que j’ai également effectuée, c’est à  dire… En fin de mois (Élodie aura effectué un mois de détention le jour de l’audience).

La loi permet, dans notre pays, dans ce cas-là  comme dans maints autres, qu’une telle demande de remise en liberté, dans l’attente d’un nouveau jugement, alors que l’on est encore présumé innocent, et en tout cas absolument pas condamné définitivement, qu’on ne le sera, en appel, que dans de nombreux mois, et que de toute évidence la peine n’a été d’une telle incroyable lourdeur qu’à  raison de l’absence d’Élodie, soit examinée dans un délai de deux mois – une éternité pour la petite fille concernée, une aberration en droit – exactement comme elle permet de décerner un mandat d’arrêt SI une lourde peine, d’un an au moins, est prononcée, ce que la loi, enfin, permet de faire dans tout dossier de vol simple, même ancien, même sans précédents judiciaires, même en l’absence de toute victime…

Je revois Élodie cette semaine, je lui dirai que j’ai écrit cette histoire, à  elle qui ne peut pas la lire encore, et je vous dirai évidemment si elle redevient libre…

Je rappellerai (entre autres !) à  la Cour à  cette occasion (entre autres !) ce qu’elle-même, parfois, a heureusement pu écrire à  ce sujet :

“Le condamné bénéficie de la liberté fondamentale de contester le jugement qui le frappe en exerçant une voie de recours. Les décisions de maintien ou de placement en détention peuvent avoir pour effet de réduire ce droit à  néant, notamment lorsque le délai d’examen du dossier par la Cour d’appel est plus long que la peine prononcée. Cette considération doit ou devrait conduire les juges répressifs à  s’interroger sur la ” raisonnabilité ” de ce type de décision” ( CA DOUAI, 23 avril 1992 ).

Mais en attendant, souvenez-vous : ça peut vous arriver.

[Épilogue à lire ici]

Prends tes grands airs, France…

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Je retombe (en rangeant mon ordinateur professionnel, car je travaille aujourd’hui, dans “libéral” il y a “râle”), en ce long week-end tout de jaune nimbé, sur une lettre authentiquement adressée à  Air France il y a moult années déjà , mais qui me fait rire encore aujourd’hui, de sorte que je vous la livre in extenso, en vous indiquant tout de suite n’y avoir jamais reçu la moindre réponse, non plus que le moindre chèque…

C’est bon, parfois, d’être le commandant de bord !

Messieurs,

Nous avions naïvement pensé, en achetant deux billets aller-retour pour le week-end dernier, concernant une liaison qui n’a apparemment rien à  envier au plan de sa complexité à  celles internes à  certains pays africains, c’est à  dire LILLE-BORDEAUX et retour, que pour une fois il n’y aurait pas d’incidents, comme nous en avons presque systématiquement connu lors de précédents trajets – nous le pensions au regard du prix payé, 3.192 F au total, soit 1.596 F pour chaque, qui sans être totalement ruineux n’est vous en conviendrez tout de même pas absolument négligeable…

Nous voulions désespérément le croire, parce qu’à  l’aller, très tôt samedi matin, il nous fallait être à  l’heure à  une messe de baptême située à  une heure de voiture de MERIGNAC, lors de laquelle j’avais l’honneur d’être le parrain; et qu’au retour, un peu tard le dimanche soir, il nous fallait atterrir à  une heure décente à  LESQUIN, aéroport où attendait notre voiture, qui nous permettrait d’être relativement tôt rentrés à  LILLE, de façon à  y passer une nuit normale avant de reprendre le travail lundi matin…

Ayant déjà  précédemment été victimes de ce que vous appelez le surbooking, pratique dont vous expliquez sans sourire à  vos clients qu’elle est en vigueur dans leur seul intérêt, lequel nous avait cette fois-là  valu six heures (et non pas l’heure prévisible) de trajets divers en avion, bus et train via PARIS, nous avions décidé de prendre la précaution d’arriver très tôt à  l’aéroport, bien avant l’heure limite d’enregistrement…

Or donc nous levâmes-nous ce samedi 25 novembre 2000 vers 4 heures, et arrivâmes-nous ainsi à  l’aéroport vers cinq heures trente, pour entamer sereinement notre périple, l’avion LILLE-BORDEAUX étant prévu pour décoller une heure après de mémoire.

Las ! Votre si sympathique panneau lumineux, si poli et explicite vis-à -vis des bestiaux que vous acheminez, clignotait fatalement : “vol annulé”.

N’écoutant que notre courage et, petit couple amoureux et déjà  si fatigué, nous promettant bien de ne pas nous énerver, nous nous adressâmes aussitôt à  la personne en poste à  cette heure-là , qui, évidemment sans le moindre mot d’excuse non compris dans le forfait et finalement bien inutile, nous apprit en regardant gentiment ailleurs le motif de cette difficulté: “l’avion n’est jamais arrivé, donc il ne peut pas partir”.

Je me permets ici de faire une pause, en hommage à  la pertinence absolue de cette explication, qui nous laissa un temps sans voix : indiscutablement, sans avion, pas de vol, et nous étions désormais parfaitement éclairés.

Mais AIR France veille sur nous: la dame nous expliquait ensuite que nous ferions en réalité LILLE-LYON, puis LYON-BORDEAUX, ce qui devait nous ravir positivement puisque nous allions ainsi avoir la grande chance de visiter l’aéroport de LYON, vœu secret enfoui en nous de longue date, et doubler au minimum notre temps de trajet (en réalité nous le triplerions, mais nous étions encore jeunes et naïfs à  ce stade de l’aventure), de sorte que nous atterririons à  MERIGNAC aux alentours d’un peu plus de dix heures “sauf retard”, ce qui évidemment m’interdisait complètement de remplir mon rôle de parrain lors d’une messe fixée à  onze heures à  une heure de l’aéroport.

Je sens que je vous lasse, on n’a jamais vu du bétail parler : j’abrège, vous passant les appels téléphoniques, décalage de la messe, report du rendez-vous avec belle-maman à  l’arrivée, et surtout inconfort total de la situation et énervement subséquent malgré bonnes résolutions, qu’un simple mot gentil que nous attendons encore eût suffit à  tempérer, etc… Qui présidèrent ainsi à  notre arrivée en catastrophe à  la cérémonie – beau bébé, tout va bien, je vous remercie.

Nous étions relativement chanceux, à  ce stade, et, sots que nous sommes, ne le savions pas encore…

Retour prévu le dimanche soir, décollage vers LILLE à  20 heures 30, arrivée chez nous après avoir repris la voiture à  LESQUIN prévisible vers 22 heures, parfait – comme tous les rêves.

Un tantinet – comment l’écrire ? – suspicieux, nous prenions la précaution, avant de nous mettre en route vers MERIGNAC, soit vers 17 heures 30, de téléphoner à  l’aéroport pour confirmation du vol ; là , une dame fort sympathique m’annonçait que celui-ci était annulé, et me demandait de téléphoner tout de suite à  AIR France car “il n’y en a pas d’autres”. Effectivement, il y avait urgence, notre résistance physique ne nous permettant pas de faire huit cent kilomètres en jogging pour arriver le lendemain matin à  l’heure sur nos lieux de travail respectifs, où nous attendaient des obligations non évitables, que voulez-vous, certains métiers ne supportent pas eux le moindre accroc, la vie est mal faite.

Ainsi fis-je donc, pour obtenir, après une attente que je qualifierais d’ailleurs de parfaitement ruineuse pour le maigre forfait de mon portable (les veaux n’ont certes pas la parole lors du transport, mais peuvent en revanche sans problème la prendre à  leurs frais avant et après), une autre ” dame ” (je ne puis qu’utiliser des guillemets, car je pense qu’elle n’était pas tout à  fait humaine) à  laquelle j’expliquai (très posément, elle ne m’avait encore rien fait) mon souci, qui manifestement tombait mal dans la mesure où j’arrivais au beau milieu d’une conversation tenue avec une collègue à  quelques mètres de son téléphone que j’eus les dix minutes suivantes, pendant lesquelles j’attendais que l’on trouve “mon dossier”, le grand bonheur de suivre dans sa passionnante intégralité (avec un petit “bip” dans mon cellulaire me signalant les minutes qui passaient tandis que Josiane racontait la “bonne femme” qui voulait du “champagne”, “c’est dingue, et qu’est-ce tu lui as dit, bip, mais t’as raison y se croivent tout permis, bip” … ). Après ne m’avoir successivement pas trouvé, puis demandé au moins à  six reprises quel jour je voyageais (je ne savais plus comment dire “mais c’est aujourd’hui, je vous l’ai dit”, donc j’ai fini par dire “maintenant”, erreur fatale: il n’y avait aucun vol à  l’heure de cette édifiante conversation, d’où nouvelle incompréhension à  laquelle je mis finalement une fin provisoire grâce à  un splendide “en fait dans deux heures environ” dont je ne suis rétrospectivement pas peu fier !), avoir revérifié, avoir abordé la question délicate de l’horaire, et, je le reconnais bien humblement mais les batteries allaient me lâcher, et pas seulement celles du téléphone, avoir essuyé une leçon de savoir-vivre élémentaire courtoise mais ferme ab irato, le scoop tombait enfin, le Saint Graal m’était enfin promis: “Non, y a rien, pour moi votre dossier est maintenu, ils ont dû se tromper à  l’aéroport.”

Heureux et rassurés – quoiqu’encore étreints par une légère appréhension (et si c’était la martienne qui se trompait ?), nous prîmes la route pour MERIGNAC, et arrivâmes sans encombres dans ce riant palais de l’aéronautique française vers 19 heures, soit une heure trente en avance…

“Vol annulé”, clignotait le panneau, juste avant que je ne décide de tuer tout être vivant dans un rayon de cent mètres.

Après réflexion, je ne le fis pas, et provoquai alors une scène inédite dans mon couple : nous sortîmes, posâmes nos sacs, et nous promîmes mutuellement que quoi qu’il arriverait, et nous savions que désormais tout était possible, nous tâcherions à  tout prix de rester calmes.

Nous rentrâmes, et vécurent un second petit miracle: après avoir attendu un temps que je qualifierai au regard de vos pratiques habituelles de très raisonnable (vingt minutes), nous accédâmes à  un jeune homme très affairé mais courtois, et une jeune femme charmante et souriante, lesquels nous expliquèrent en quelques mots la situation (vol annulé car problèmes semble-t-il de sous-traitance par AIR France, rien compris mais l’intention y était) et surtout ce que nous allions devenir : un vol pour ROISSY partait à  la même heure que celle prévue initialement, puis AIR France nous offrait somptueusement un billet de train (seconde classe, je note au passage que votre compagnie considère elle-même que ses sièges ne valent pas ceux de la première classe SNCF, pourtant déjà  franchement fort laids et inconfortables, mais passons) pour un TGV ROISSY-LILLE, qui partait de ROISSY exactement à  23 heures 10, de sorte que nous arriverions à  LILLE à  minuit passé.

C’était ennuyeux, bien sûr, puisque nous ne nous coucherions ainsi que peu de temps, moi surtout puisqu’il me faudrait à  l’arrivée louer une patinette pour faire les 15 kilomètres me permettant d’aller récupérer ma voiture à  l’aéroport, mais au moins ces personnes (je regrette de n’avoir pas noté leurs identités, vous auriez pu les augmenter fortement, ils prenaient sur leurs instructions usuelles d’être clairs, polis et même sympas, ça me fait encore tout drôle) nous avaient orientés, et nous rentrions.

Ils nous enregistrèrent, et nous attendîmes en salle d’embarquement, nantis de délicieuses friandises que personne n’avait songé à  nous offrir mais que nous nous payâmes dans un geste de tendresse folle : un coca tiède à  quinze francs au distributeur, un café en poudre à  dix francs à  la buvette, que voulez-vous, quand on aime…

Mais le Malin guettait encore, tapi dans l’ombre des réacteurs: voilà  que vers les vingt heures, mon panneau préféré se mettait à  clignoter de nouveau, mais cette fois sur la ligne concernant notre vol vers ROISSY: ” trente minutes de retard “, une annonce simultanée sur haut-parleurs nous en expliquant de façon assez judicieuse le motif : “problème d’attente”.

Ainsi instruits, et après avoir commencé, par réflexe de survie, à  manger notre sac de voyage en plastique, nous finîmes par embarquer, l’avion ayant décollé non pas avec une demi-heure de retard mais un peu plus (suite je crois à  de légères échauffourées en cabine concernant les sacs de certains qui ne rentraient pas dans les rangements, tout le monde commençant à  perdre le peu de raison qui subsistait, je pense en particulier aux personnes qui risquaient de louper leur correspondance à  PARIS pour NOUMEA, embêtées car elles ne pouvaient décemment pas y aller en TGV insubmersible) – suffisamment en tout cas pour nous faire non pas atterrir mais émerger de l’avion (ce qui est très différent compte tenu du trajet invraisemblablement long effectué au sol par l’appareil avant arrêt) à  23 heures 10 ou 11 minutes.

Si vous suivez encore, vous savez à  la lecture de ces chiffres ce que nous fîmes alors : courir, de toutes nos désormais maigres forces, vers la gare TGV, espérant follement un tout petit retard du DERNIER train qui pouvait nous emmener à  LILLE…

Nous arrivâmes pour apercevoir le bout du dernier wagon s’éloigner dans la nuit…

Nous posâmes les sacs, et un grand moment de découragement s’abattit sur moi, lors duquel, je vous le confesse, je songeai sérieusement à  m’immoler par le feu dans un de vos salons VIP.

Après avoir repris les sacs et refait le trajet dans l’autre sens, nous finîmes par trouver les comptoirs de location de véhicule, et monter dans une splendide Punto pour effectuer vaillamment les deux cents kilomètres nous séparant de mon propre véhicule (coup de chance unique de cette nuit-là , LESQUIN est situé avant LILLE sur l’autoroute de PARIS), a proximité duquel nous arrivâmes sans que miraculeusement je ne me sois endormi au volant vers une heure.

Nous laissâmes notre sauveuse sur place, mais pas les clés et les papiers, parce que tout était fermé et qu’il n’existe pas de boîte prévue à  cet effet contrairement à  ce qu’annoncé au départ, mais bast : après avoir savouré les quatre heures de sommeil qui me restaient à  prendre généreusement après notre retour, je repartis avant le travail pour LESQUIN ou je remis ces éléments à  l’employé du matin.

Je ne me fais aucune illusion, vous ne ferez probablement rien pour nous indemniser au plan moral des multiples tracas, attentes, pertes de sommeil et d’énergie, et même dangers (je pense à  ce trajet crevant en voiture) etc… que votre incurie nous a fait subir, pour un trajet aussi simple et à  vos tarifs, qui le sont moins.

En revanche, vous trouverez ci-dessous copie des justificatifs de nos frais matériels, location de voiture avec essence, péage et prorata temporis de frais de parking de mon véhicule (j’aurais dû le récupérer à  22 heures le dimanche, je l’ai repris à  01 heure 04 le lundi matin, différentiel de trois heures, 8 F 2), pour un montant total de 858 F 18, dont je vous réclame par la présente, que vous voudrez bien de ce fait considérer comme valant mise en demeure, le remboursement (vous observerez que je vous offre avec largesse l’essence aller-retour du lundi matin et tous nos appels téléphoniques, ainsi que le coût de la présente), de même évidemment que le prix de nos billets qui jamais n’ont pu être utilisés, ni comme il était prévu, ni même tout court…

Si vous aviez à  cœur de compenser tout ceci, que j’ai choisi de vous décrire sur un mode un peu léger parce qu’à  défaut il n’aurait pu qu’être grossier, vous effectueriez un quelconque geste commercial à  notre profit, et nous indemniseriez en outre de ce qu’il faut bien appeler un préjudice moral ; à  défaut ou en plus, et outre le remboursement de frais matériels précité, nous accepterions de grand cœur qu’enfin de quelconques excuses nous parviennent, que nous conserverions religieusement dans l’album photographique familial du baptême, à  côté du fac-similé du texte que j’ai lu à  la messe en catastrophe et de la photo de ma tête de lundi dernier à  l’aube.

En cas d’absence de réponse positive de votre part, nous serions contraints d’agir en justice, parce que tout humour mis cette fois à  part, et même si vos billets comportent des clauses exonératoires rarement rencontrées même en république bananière, je pense que nous avions en tout état de cause droit à  un tout autre traitement qui, sans exiger l’impossible, pouvait avantageusement friser la simple correction.

Je vous prie d’agréer, Messieurs, l’expression de nos sentiments distingués.

Transfrontalier

On glose fréquemment, chez les justiciables comme chez les juristes de tout poil (je parle des hermines) sur les relations avocats/magistrats et/ou magistrats(siège)/magistrats(parquet) : or, il suffit à  mon sens pour résoudre ces équations de se souvenir qu’il s’agit, avant tout, d’êtres humains, travaillant ensemble à  l’œuvre de justice (waouh), et se côtoyant, par spécialités bien souvent, tous les jours…

Je fréquente, depuis que j’exerce, pas mal de magistrats, dont certains sont devenus des amis (même si je vous confirme qu’ils ne sont pas comme nous, notamment en matière de prise en charge d’additions au restaurant, mais c’est un autre sujet), et, là  comme partout en droit pénal, il suffit pour que rien ne pose jamais problème de se fixer sa propre ligne rouge : tout au long de ces années, aucun d’entre nous n’a, strictement jamais, abordé aucun élément d’aucun dossier en cours lors de conversations privées, sauf pour se chambrer mutuellement (“Bravo pour ton mec innocent dans l’affaire Duchmoll, j’ai vu qu’il avait pris trois ans, c’est qui son avocat ? ” …) et toujours après coup. C’est une question de comportement personnel, une fois de plus, et de rien d’autre. Ce critère est d’ailleurs efficace en tant que critère de sélection amicale : des deux côtés, il y a des gens qui ne souhaitent ce rapprochement que pour aborder au contraire tel ou tel dossier, et cela se sent très vite – et s’élimine de même.

En revanche, certes, croiser en ville tel ou tel type mis en examen par la juge d’instruction avec qui vous déjeunez produit probablement son petit effet sur ledit quidam : là  encore, rien de complexe, il suffit d’expliquer (“C’est une amie, mais on mélange pas, jamais”), difficulté qu’ici encore une règle de vie simple annihile dans le seul cas où elle pose réellement problème : les Assises, pendant lesquelles je ne fréquente plus les magistrats qu’éventuellement je connais et qui y siègent lorsque j’y suis – pour les jurés, à  qui c’est nettement plus dur d’expliquer (d’autant que nous n’avons, ni ne pouvons avoir, le moindre rapport avec eux, au moins pendant la durée du procès), et pour le Président, qui ne connaît pas toujours ses assesseurs.

Dernière règle enfin, qui va également de soi, le secret : des deux côtés, rien sur les affaires en cours ou les nouveaux dossiers, et même si l’on se raconte nos anecdotes, jamais aucun nom.

Moyennant ça, et c’est vraiment simple et de bon sens, il n’y a jamais eu aucun problème, la seule connivence éventuelle résidant dans l’émulation intellectuelle qui fait que lorsque le dossier est confié à  Mme. X, et que Me. Y intervient en défense, la juge et l’avocat vont encore plus faire gaffe, encore mieux travailler, histoire de ne pas déchoir aux yeux de l’autre – que du plus donc, me semble-t-il…

En ce qui me concerne, j’y ajoute le “vous” : je ne tutoie pas, ou très rarement, les magistrats, y compris en privé (ça donne des dialogues étranges chez moi lors de festivités arrosées, par rapport aux autres amis présents…), de peur que le réflexe ne m’en vienne dans un autre cadre plus gênant (les magistrats sont habitués à  se tutoyer entre collègues, nous moins), et ça n’engage que moi.

Restent évidemment les ragots, internes aux deux côtés, tous deux constituant des milieux bien petits parfois, notamment en cas de relaxe devant une Présidente amie (ou pas, d’ailleurs, même)… Rester constant et imprenable sur lesdites règles amicales, non écrites mais fondatrices, suffit avec le temps à  les écraser dans l’oeuf – pourri, et personne n’a plus rien osé me dire à  ce sujet depuis longtemps – heureusement pour eux…

C’est ce qui fait, par exemple, qu’un avocat pénaliste que je connais très bien a épousé une juge d’instruction en poste dans “sa” juridiction, sans que ça ne pose de problèmes apparents dans leurs deux milieux, sauf pour chacun des deux à  devoir subir un certain nombres de vannes plus ou moins structurées… Et sauf évidemment les engueulades internes à  ce couple remarquable sur des sujets tendres et amoureux, genre la détention provisoire..! Il ne vouvoie plus “sa” juge (dommage, c’était érotique), mais ils ne parlent jamais nominativement de leurs affaires, et n’utilisent jamais à  l’extérieur ce qu’ils s’apprennent mutuellement de la cuisine professionnelle interne de l’autre, c’est tout (Ah oui : il n’a plus aucun dossier chez elle, évidemment). Personne ne les prenant en défaut, et pour cause, les ragots se sont tassés (même si bien sûr tous les résultats qu’il obtient sont dus à  cette relation, les avocats sont parfois plus petits encore que les juges qu’ils vilipendent…).

Et ce terrible rapprochement, d’ailleurs concrétisé par un petiot (qui est donc né avec deux cerveaux : maman juge, papa avocat, on peut penser que le bambin optera le moment venu pour le troisième métier judiciaire possible : délinquant…), non seulement ne nuit pas à  leurs boulots, mais encore les rend tous deux bien meilleurs, du fait de la connaissance intime qu’ils ont de l’autre métier (ça lui a par exemple permis de constater qu’un magistrat (un bon en tout cas, sinon ils ne se seraient pas trouvés) qui emprisonne ne s’en fout pas, et ne dort pas forcément très bien ensuite, ce sur quoi il n’aurait pas forcément parié auparavant…).

C’est, comme dans tout le système, l’honnêteté qui compte, et rien d’autre (d’où la totale inutilité de bon nombre de “réformes”), le paraître étant laissé à  ceux que ça amuse…

Causons, sympathisons, bouffons et, plus rarement, tombons amoureux, entre amis et gens de bien, et plus si affinités : ça nous rend moins idiots, et ça ne fait causer que les pauvres d’esprit !

Plaider coupable ? Toujours pas…

(Commentaire d’un récent article de Maître Eolas , qui écrit et raisonne toujours joliment, même quand on n’est pas d’accord, mais/et a le don de donner envie de répondre…)

Je suppose que je suis définitivement ringard, mais la CRPC, je ne peux toujours pas…

Voir ici un exemple récent.

Lorsque ce”mode opératoire” (quel autre qualificatif ?) est sorti, j’ai “eu” une dizaine de dossiers dès les premières semaines : huit refus, audiences classiques derrière et huit sur huit avec une peine finale inférieure à  ce qui avait été proposé en CRPC.

Ça – et d’autres cas similaires – a d’ailleurs fait un petit peu de bruit à  l’époque dans mon ressort, et les substituts, c’est vrai, ont rapidement reçu pour consigne de diminuer les quanta de leurs “offres” … Pendant un temps.

Parce qu’évidemment, comme TOUTES les nouvelles formes procédurales modernistes, dont l’un des moteurs est surtout, à  chaque fois, de permettre de vidanger les rôles et de faire du chiffre, celle-ci a été rapidement étendue, rapidement normalisée et rapidement oubliée : aujourd’hui, les peines (c’en sont désormais…) proposées sont systématiquement élevées, les récidivistes désormais concernés eux aussi… Et à  l’évidence nous nous dirigeons tout droit vers une extension des cas de recours à  cette procédure, exactement comme elle a eu lieu pour les CI (comparutions immédiates), pour les délégués du procureur, etc…

Cette extension existe déjà  dans nombre de petits TGI périphériques au “mien”, où l’on “deale” des mois de prison ferme…

A l’époque encore, j’ai été le contradicteur du Procureur dans le cadre d’une conférence où des magistrats et avocats de New-York nous exposaient leur système de plaider-coupable, et surtout les dérives qui en étaient très vite résultées – étant admis et fréquent qu’un justiciable pauvre avoue tout pour éviter la peine maximale et contre promesse de réduction, plus personne ne s’intéressant à  la vérité, judiciaire ou pas, au profit de l’efficacité et de statistiques de chances de succès… Nous ne sommes bien sûr pas aux US, mais je fais confiance au législateur : on y va tout droit.

Souvenons-nous un instant des débuts de la Comparution Immédiate, initialement limitée quant aux cas d’application possibles, quant aux maxima légaux, quant aux atteintes aux droits de la défense – il fut un temps, pauvres de nous, où il était admis, plaidé et entendu que nous renonçions à  une défense complète en acceptant de comparaître, et qu’il devait en être tenu compte dans la peine..! O tempora…

Treize années récemment prononcées pour une CI stup’, plus aucune restriction à  l’utilisation de cette procédure, je ne donne pas quatre ans à  la CRPC pour suivre la même épineuse route.

Et puis, par-dessus tout, j’aime plaider, je veux plaider, j’y crois, je crois être parfois capable de convaincre, et je ne “perds” que d’égal à  égal avec le Parquet et sous l’arbitrage d’un magistrat capable d’évoluer – même, et peut-être surtout, dans un pauvre cas de CEA en récidive, sur le cas duquel l’on se sera vraiment penché à  l’audience – pour – par autre exemple récent – s’y apercevoir qu’un homme est dans un tel état de déchéance physique (hors alcool, mais non soignée ni déclarée) qu’il ne peut matériellement pas se tenir debout à  une barre – ce que sa position assise face à  un substitut pendant trois minutes n’aurait pas révélé, et lui non plus…

Et, allez, plaçons-nous donc, enfin, du côté des inventeurs de la chose, qui souhaitaient que ça aille vite et bien, mais soutenaient aussi que l’intimité du dialogue d’un bureau serait plus propice à  la rédemption que le poids solennel de l’audience : il y aurait un chiffre assez captivant, je pense : celui des taux de récidive derrière une CRPC. Manque de solennité total, justement, mais aussi et surtout absence totale, en réalité, de dialogue et de recherche des causes, aucune place à  discussion sur ce thème, pourtant évidemment fondamental en matière d’alcoolisme. Vu, pris, reconnu, condamné, point.

On fait des rêves étranges parfois, de ceux qui vous éveillent en vous persuadant pendant quelques minutes qu’ils se sont vraiment produits : ” Monsieur, je vous propose d’accomplir immédiatement huit mois de prison; si vous refusez, il y aura une audience, où franchement on peut penser que vous prendrez le double…”

“Maître, on fait quoi ?”

Sous les pavés la plage…

… Et, une fois de plus, sous la peine finale, la détention provisoire.

Un violeur innocent a été condamné il y a quelques jours par le Tribunal Correctionnel à  la peine de dix-huit mois d’emprisonnement ferme, peine requise par le Parquet, la personne niant les faits, graves, de viol, dénoncés par une partie civile constante en ses déclarations à  l’instruction, mais qui n’était pas présente, ni représentée, à  l’audience, la défense ayant plaidé la relaxe.

Le présumé innocent (jusque-là ) avait effectué… Seize mois de détention provisoire, au jour de l’audience.

Il s’agissait, aux termes des déclarations de la partie civile, d’un viol assez sauvage, dans la rue, et ce dossier avait été correctionnalisé – pratique, très courante, qui consiste à  “oublier” judiciairement que les faits constituent un crime, passible de la Cour d’Assises, et à  ne les faire juger “que” par un Tribunal Correctionnel, souvent par souci de rapidité et eu égard à  l’engorgement de la Cour d’Assises, ou parfois, comme ici selon mon confrère de la défense, que je crois volontiers car c’est un confrère, parce que le dossier ne “tenait” pas trop et que le Parquet préférait largement le voir soumis à  trois magistrats professionnels, supposés plus “durs” que trois autres flanqués de neuf jurés, comme dans une Cour d’Assises.

Bien entendu, et c’est l’une des tares majeures de cette pratique, il s’agit d’un artifice, et en réalité à  l’audience correctionnelle personne ne perd de vue qu’il s’agit bien d’un viol, donc d’un crime parmi les plus graves.

Et, d’évidence, si la personne jugée ce jour-là  comme tant d’autres était coupable, la peine encourue était lourde.

Dix-huit mois.

Seize de détention provisoire.

Dix-huit moins seize moins les remises de peine automatiques : libération immédiate le lendemain de l’audience, peine totalement purgée, dette payée…

Et surtout, un dossier totalement bancal (je l’ai lu) qui n’aurait jamais dû permettre la condamnation de personne, et une peine parfaitement incompréhensible… Sauf à  penser qu’elle satisfait tout le monde : la partie civile est bien victime, et le présumé innocent (ah non, plus maintenant, tiens…) condamné, mais libre aussitôt, et qui, partant, ne peut sérieusement prendre le risque de faire appel, sous peine de prendre celui de retourner en prison si jamais la Cour d’Appel aggrave sa condamnation au lieu de le dire innocent – et il est bien placé pour savoir que l’erreur judiciaire, ça existe au quotidien.

On ne dira jamais assez à  quel point la détention provisoire permet ce genre de calcul, par validation de ce qui a déjà  été accompli, et quel danger elle représente pour la présomption d’innocence, pour l’impartialité d’un procès, et pour le justiciable au final.

Ni quelle horrible pénibilité pèse sur l’avocat de devoir objectivement conseiller à  son client innocent d’en rester là , un bon “tiens” valant mieux que deux “tu l’auras”, à  la suite de ce genre de faux jugement, calcul nauséabond de pure opportunité aux antipodes de ce que doit à  tout prix demeurer un procès pénal.

Et, avant de dire que si vous étiez innocent, vous auriez fait appel, faites deux choses : purgez seize mois de détention provisoire (si possible dans une prison étrangère, dans un pays dont vous ne comprenez pas la langue, comme c’était le cas ici); et allez voir comment se passe une audience de Cour d’Appel à  Douai (je vous en reparlerai), en tenant compte de l’heure qu’on aurait consacrée à  ce dossier, au lieu des deux ou trois jours pendant lesquels il aurait captivé une Cour d’Assises…

Tais-toi quand tu parles !

Une magistrate indiquait, dans un message publié sur l’excellent site de mon excellent confrère Eolas (http://www.maitre-eolas.fr/, pour les quelques personnes qui reviendraient de l’Espace et n’auraient pas encore fréquenté ses pages), qu’à  force d’habitude, les magistrats devenaient capables d’écouter une plaidoirie et de faire autre chose en même temps, à  l’audience… (Il est vrai qu’il s’agissait d’une réponse à  un jeune avocat découragé du pénal…).

Les mutants, peut-être, et c’est une profession où il en existe beaucoup.

Mais sinon, non, je ne pense pas que ce soit vrai.

A l’audience, donc, tout récemment, je m’égosille à  démontrer, depuis déjà  trois ou quatre minutes, que la personne que je défends n’a en réalité détourné aucuns fonds, et que les dépenses effectuées sur le compte de l’association dont il était salarié au moment des faits l’ont aussi été pour le compte de cette association : aucun profit personnel, aucun dol pénal, relaxe.

A – l’unique – décharge de la Présidente, je suis très énervé par les poursuites, qui obligent mon client à  comparaître à  un banc d’infamie qu’il n’aurait jamais dû connaître, tout sauf un délinquant, ainsi que par les réquisitions (trois minutes pour conclure que puisque des chèques ont été émis sans autorisation, le délit est constitué, peu important l’intention !! Texto ! J’ai un peu répondu, je ne vous l’cache pas !!!), et suis donc parti le ton un poil trop haut et un peu trop fort, mais enfin rien d’inaudible je vous assure, et beaucoup de choses à  plaider notamment parce que je produis beaucoup de pièces qui ne figuraient pas à  la procédure.

Quatre minutes donc, et voilà  que ma Présidente et ses deux assesseurs entament un conciliabule, en se penchant les uns vers l’autre.

Je suis très gentil, mais je déteste ça, c’est impoli : pour les gens dans la salle, pour le pauvre type debout devant eux qu’ils sont en train de juger, et pour votre serviteur, qui ne provoque que très rarement d’incident, mais qui déteste se mettre en sueur comme un crétin devant un mur (essayez au détour d’une conversation privée de vous mettre à  parler à  voix basse avec quelqu’un d’autre devant votre interlocuteur, vous verrez, ça ne lui plaira pas), et ça arrive fréquemment. Quand c’est à  moi, je m’arrête net, et j’attends.

C’est donc ce que je fais ce jour là . Au moins 20 secondes, ce qui est très long. S’ensuit un dialogue captivant :

La Présidente, relevant finalement enfin la tête : ” Mais nous vous écoutons, Maître”

Moi : “Non, je ne crois pas”

LP : ” Je vous assure que si ”

M : ” Madame, vous pouvez me faire confiance sur un point, vu mes appendices auriculaires et leur taille : il est scientifiquement impossible, même lorsqu’on est ainsi doté, de parler et d’écouter en même temps – c’est en fait tout le principe d’un dialogue, par exemple, à  opposer à  un brouhaha… ”

LP : ” Maître ça suffit, on se passera de vos réflexions. Continuez ”

M : ” C’est que… Je me suis interrompu tellement longtemps avant que vous ne vous en aperceviez que je ne sais plus où j’en étais : peut-être pouvez-vous me dire..? ”

LP : ” J’ai dit que ça suffisait. Nous vous écoutons.”

Je laisse tomber à  ce moment-là , et reprends, désormais persuadé qu’elle ne sait même pas ce que je suis en train de démontrer – ce qui, je vous le confirme, ne désénerve pas.

Dix minutes plus tard (de plaidoirie dans un silence religieux cette fois, faut reconnaître), les trois mêmes, mes juges, sont tous les trois en train d’écrire des trucs chacun de son côté !!

Re-silence total.

Levage de tête de la Présidente, qui ne dit rien et me regarde, alors j’en fais poliment autant, debout à  cinq mètres de leur estrade, à  côté de mon client assis qui n’ose pas regarder autre chose que le bout de ses godasses.

LP : ” Oui ? Vous avez terminé ? ”

M : ” Au milieu d’une phrase, c’est pas mon genre !”

LP : ” Qu’est ce que j’ai encore fait ? ”

M : ” Madame, s’il est scientifiquement prouvé qu’on ne peut pas parler et écouter en même temps, des études américaines ont également démontré qu’il est tout aussi impossible d’écrire et d’écouter en même temps…”

LP : ” Je n’écrivais pas ! ”

M : ” Pas seule, Madame le Président, puisque tous les membres de ce Tribunal étaient en train d’écrire il y a quelques secondes, ce qui inéluctablement me donnait le sentiment de ne plaider que pour Madame le greffier, qui m’écoutait je crois, mais malheureusement ne décidera pas de la culpabilité de Monsieur… ”

LP : ” Nous vous écoutions, que vous le croyiez ou non, et je n’ai pas à  subir votre susceptibilité… [pris d’une inspiration subite, et le moi profond oscillant toujours dans ces cas rares d’incidents détestables entre l’outrage et l’ironie, je me suis retourné, penché sur mon pupitre et mis à  écrire quelque chose sur la première feuille venue]… Maître ! Je ne vous dérange pas ? ”

M : [je relève la tête, petit sourire sardonique mais modeste à  la commissure des lèvres] Je vous écoutais, Madame le Président…”

LP : [Après un temps, où elle ouvre la bouche pour dire quelque chose mais où rien ne vient -là  elle est gênée, enfin, yark-yark…] ” Poursuivez, finissons-en ”

M : ” C’est le mot. Je disais donc… ”

Mon client n’a pas été relaxé, mais les réquisitions ont été divisées par deux. J’ai fait appel, il n’a pas à  être condamné, pour peu qu’on prête trois minutes d’attention à  un dossier évidemment tordu – ce que le Procureur m’a confirmé après l’audience, autre usage de Prétoire détestable, qui toujours se solde par un ” Vous auriez peut-être pu le dire avant, et pendant… “.

Et je maintiens que tout ceci était de la dernière impolitesse, et qu’il n’est pas possible d’écouter et de parler ou lire en même temps : essayez, vous verrez, ça passe nécessairement par le même endroit, parfois curieux et semblant inexploré : le cerveau.