Au Guet-apens

[Avertissement : ce récit est très (trop) long, il comporte 17089 mots (!), j’en ai conscience, mais je n’ai pas su faire autrement, je ne voyais pas comment vous emmener avec moi là-bas en en supprimant des passages : tant pis (Au moins, je peux espérer qu’il vous “fera de l’usage”, comme on dit dans le Nord..) ! J’ai pensé un temps le publier en plusieurs fois, mais j’aurais forcément dû le couper à des endroits qui auraient obligé le lecteur potentiel à attendre la suite, ce que j’ai supposé être désagréable -d’autant qu’il y a plusieurs suites… Bref, donc, le voilà, en un seul tenant. D’autre part, statistiquement et me connaissant, il y a sûrement des fautes, d’accord notamment : je vous prie par avance de bien vouloir m’en excuser… Enfin, il s’agit, plus que jamais, d’un récit subjectif, comme toujours (je ne trompe personne, c’est indiqué au fronton du blog) : certaines considérations sont le reflet de mon ressenti, pas forcément de l’objective réalité, dont je me demande d’ailleurs si, finalement, vieux et vaste débat, elle existe vraiment …]

Ahmed entre dans le box des accusés, toujours aussi minuscule, particulièrement entre ses deux grands flics d’escorte, toujours aussi mal fagoté, comme s’il sortait d’un film des années 70, avec sa masse de cheveux crépus, son costume crème, pantalon pattes d’éléphant et veste cintrée à larges revers, chemise grise et large cravate à gros nœud, crème et grise évidemment.

Comme d’habitude, il a l’air de sourire – ça n’est ni l’endroit, ni le moment, mais de cela, je ne m’inquiète pas : la Cour et les jurés s’apercevront rapidement que c’est en fait une mimique, qui ne le quitte jamais, et qui ne signifie rien, même si parfois, comme maintenant, on aimerait la lui ôter.

Dans un instant, la greffière va lire l’arrêt qui a renvoyé Ahmed devant la Cour d’Assises, énumérant ce faisant les charges que la Chambre de l’Instruction a estimé suffisantes pour qu’il soit accusé d’avoir assassiné sa femme, avec la complicité de Roger.

Juste après, la Présidente, bien que la procédure française ne le prévoie pas, lui demandera seulement, avant que le procès, prévu sur trois jours, ne démarre effectivement, s’il reconnaît les faits ; elle sait, comme moi, qu’Ahmed répondra que non, qu’il est innocent – c’est ce qu’il affirme depuis son arrestation, trois ans plus tôt.

Je le regarde, assis en contrebas par rapport à lui, tandis qu’il décline son état civil, un micro grotesque emmanché sur un fil de fer roulé autour de son cou, et je serre la main gauche, celle qui est posée devant moi sur le bureau en bois de la Défense, en m’apercevant qu’elle tremble : Ahmed est innocent, je le sais depuis trois ans, je le crois – et je suis celui qui doit le défendre devant la Cour d’Assises : je suis terrifié.

C’est une chose de plaider un acquittement parce que rien dans le dossier, selon vous, ou en tout cas aucune preuve formelle ou inéluctable, ne permet de condamner un homme, parce qu’il y a place au doute, lequel doit profiter à celui que vous défendez, coupable ou innocent ; c’en est une toute autre d’être l’avocat d’un homme dont vous êtes totalement persuadé de l’innocence, la “vraie”, dont vous êtes certain qu’il ne ferait ni n’a jamais fait le moindre mal à personne, dont vous ressentez, cruellement, lourdement, depuis plusieurs années, qu’il est victime de ce qui, déjà, ressemble à une erreur judiciaire … Non pas que, dans les deux cas, vous n’ayez pas en charge sa défense, et ne deviez pas y consacrer tout ce que vous pourrez ; mais, dans le second, une peur viscérale pèse sur vous : vous n’avez plus seulement cette obligation de moyens, mais celle d’un résultat, à tout prix, l’échec serait trop énorme, trop injuste …

Ahmed est seul, devant la Cour : Roger, qui devait y être jugé à ses côtés sous la prévention de complicité d’assassinat, est mort en détention, il s’est mis une nuit à cracher du sang, entre l’arrêt de renvoi et le procès, l’action publique est éteinte à son encontre – j’aurai l’occasion de plaider mon espoir qu’il était coupable …

Ahmed comparaît devant une Présidente qui n’a jamais, depuis deux ans qu’elle exerce cette fonction, jamais acquitté personne, à l’unique exception du frère d’une victime qui avait, mais malgré lui, participé à sa mort, et pour lequel l’acquittement était si évident qu’il avait été requis, avec force, par l’avocat général, qui lui avait même à l’audience présenté les excuses de la société – je le sais, j’étais l’avocat de cet autre homme, de cet autre innocent.

Mais ça a été la seule fois : la Cour d’Assises, sous cette présidence, hasard ou main de fer, a, selon la rumeur, condamné strictement tous les autres accusés qu’elle avait à juger.

Et Ahmed encourt la réclusion criminelle à perpétuité.1

LE CRIME – L’ENQUÊTE

On a retrouvé le corps de Geneviève, l’épouse d’Ahmed, mère de leurs six enfants, un samedi matin, trois ans auparavant, dans le fossé d’une forêt située à quelques kilomètres de leur domicile, la gorge tranchée d’une oreille à l’autre, baignant dans une mare de sang – les gamins qui étaient venus jouer à faire une cabane à cet endroit et ont découvert le cadavre doivent encore en faire des cauchemars …

On s’est immédiatement intéressé au mari, arrêté le jour même : il ressortait rapidement des premiers éléments de l’enquête que la veille, en milieu de soirée, le couple, une fois de plus, s’était sérieusement disputé – le bon terme étant “engueulé”, les voisins témoignant que Geneviève et Ahmed, comme d’habitude, hurlaient tour à tour, s’insultaient copieusement, et que, comme d’habitude, Ahmed était sorti du domicile en furie, en claquant la porte après une dernière bordée d’injures croisées, moitié en arabe moitié en français, “comme chaque fois qu’il est vraiment en colère” ; peu de temps après, Geneviève était sortie à son tour, laissant allègrement les six enfants se garder eux-mêmes, et était partie à pied vers le centre du village, manifestement ivre, comme souvent, titubant et invectivant les fantômes de la nuit à grands coups de moulinets dans le vide.

Plus personne du village ne l’avait jamais revue.

Il faut dire que Geneviève ne passait pas inaperçue, avec ses cent vingt kilos et son mètre quatre-vingts, et son incapacité à parler bas et autrement qu’avec un langage de charretier – le couple, découvrait-on rapidement, était un peu le phénomène de foire du village, les tendres époux étaient aussi peu assortis qu’on peut l’être, à la fois physiquement – Ahmed faisait un mètre soixante et devait peser soixante kilos tout habillé – et moralement – il ne buvait jamais alors qu’elle passait pour une poivrote, parlait habituellement gentiment et d’une voix douce, sauf dans leurs crises, et souriait à tout le monde, s’occupant apparemment à merveille et avec beaucoup d’affection des enfants, seul la plupart du temps, on les croisait allant en forêt ou au parc de jeux, joyeusement …

Geneviève et Ahmed ne travaillaient pas et vivaient des allocations familiales, dans la maison que Geneviève avait hérité de son père – mort prématurément d’une cirrhose, évidemment.

Ils s’étaient rencontrés au cours d’une ducasse, dix ans auparavant, et, pour les gens du village, la cause était entendue : lui avait vu en elle un moyen de se sédentariser, petit et arabe “un bon arabe, un gentil, hein ; mais enfin, arabe tout de même” ; et elle, vu ses défauts et son physique, “euh, pas facile non plus”, était trop contente d’avoir trouvé un homme qui semblait s’intéresser à elle, et s’était empressée de lui mettre le grappin dessus, d’où mariage six mois plus tard, et six enfants en neuf ans.

Il ne s’est jamais trouvé aucun témoin pour penser que ces deux-là avaient pu réellement s’aimer, les gens sont comme ça, ils pensent que tout peut s’expliquer logiquement, ou ne le peut pas ; Ahmed soutiendra toujours être tombé amoureux de Geneviève, et n’avoir jamais cessé de l’être – même le juge d’instruction le questionnera sur les “raisons” de cet amour prétendu, à quoi il fera la seule réponse admissible : toutes et aucune, que voulez-vous répondre d’autre …

Les gendarmes apprenaient très vite également – c’était un petit village – qu’Ahmed, à peine sorti de chez lui, s’était directement rendu au café du village, vous devrez me croire si je vous dis qu’il s’appelait “Au guet-apens”, tenu par son meilleur et en réalité unique ami, Roger, avec l’aide de sa femme Monique.

Du témoignage unanime des quelques consommateurs qui se trouvaient dans l’établissement à ce moment, il ressortait qu’Ahmed était arrivé furibond, et s’était largement épanché auprès de Roger sur sa salope de Geneviève, cette grosse vache qui l’avait encore gravement fait chier, et l’avait à moitié mis à la porte une fois de plus … Comme souvent, car ces témoins avaient maintes fois assisté à la même scène entre les deux amis, Roger avait abondé dans son sens quant au peu d’intérêt qu’avait son épouse, tonitruant et radical, ce d’autant plus qu’il avait déjà bien picolé à cette heure un peu avancée de la soirée, et, une fois de plus, reproché à Ahmed de ne pas “être un homme”, de ne pas s’en “débarrasser une fois pour toutes”, avec son aide s’il le fallait, “il n’était pas ancien légionnaire pour rien, bordel de Dieu, et Ahmed, le sourire kabyle ça devait pourtant le connaître, hop, un coup de lame et on n’en parlerait plus”, accompagnant ses paroles d’un geste de la main en travers de sa gorge …

Roger s’était servi au moins quatre grands verres de whisky pendant qu’il prodiguait, en boucle et sur tous les tons, ces conseils hautement philosophiques, et Ahmed avait bu la même quantité de … verres de lait, comme toujours, en se calmant progressivement, en ne disant pas grand chose.

De guerre lasse, et parce que les invectives de Roger finissaient par couvrir le son de la télé, les habitués étaient rentrés chez eux, laissant les deux hommes à leurs projets de massacre, sans en croire évidemment, pas plus cette fois-là que les autres, un traître mot : paroles d’ivrogne de cette grande gueule de Roger, ancien militaire ne ratant jamais une occasion de le clamer haut et fort, voilà tout.

Sauf qu’évidemment, cette fois-ci, les gendarmes ne pouvaient pas être du même avis.

Ils le pourraient encore moins, après avoir procédé, vers midi, à l’interpellation de Roger, qu’ils trouvaient ronflant en travers du lit conjugal, encore ivre de la veille, et incapable dans l’immédiat de s’expliquer de façon cohérente sur sa fin de soirée, mais surtout en procédant à l’audition, avant la sienne donc, de son épouse Monique, laquelle indiquait en substance avoir entendu, d’en haut, étant couchée tôt, Ahmed arriver dans le café, et son mari vociférer pendant un moment, puis n’avoir plus rien entendu, avoir supposé que les deux hommes discutaient en bas, s’être endormie, et avoir été réveillé dans la nuit par Roger qui venait se coucher, très manifestement ivre, en marmonnant “putain j’lai fait, putain j’l’ai fait”, avant de tomber sur le matelas la bouche ouverte et tout habillé.

Avait-elle regardé l’heure ? Oui, il était dans les trois heures sur le radio-réveil, même qu’elle s’était demandé, dans un demi-sommeil, ce qu’ils avaient bien pu foutre et se dire pendant tout ce temps en bas, Ahmed était arrivé vers vingt-et-une heures. Était-elle certaine des mots employés par son mari ? Absolument, elle lui avait même demandé “Quoi, qu’est-ce que t’as fait ?”, mais en vain, il était trop ivre pour répondre. Confirmait-elle que les vêtements que portait Roger étaient ceux qu’il avait hier soir ? Oui, il ne s’était pas changé, il n’aurait pas su …

A sa connaissance, Roger possédait-il une arme ? Oui, un pistolet démilitarisé, hors d’état de marche, et un couteau de combat, avec un poignet américain en guise de manche : souvenirs de la Légion, ils étaient emmaillotés dans un linge, dans un carton avec les anciens effets militaires de son mari, au grenier. On pouvait voir ? Bien sûr, il n’y avait qu’à la suivre …

Trois gendarmes avaient accompagné Monique au grenier, l’avaient vue ouvrir un carton, en retirer un linge roulé, qu’elle leur avait tendu : “C’est là-dedans”. L’adjudant-chef, ganté, avait déroulé le tissu, et découvert un pistolet sans percuteur … Et rien d’autre, pendant que les sourcils de Monique se faisaient circonflexes … “Bon, il n’est pas là, le couteau … On va faire une perquisition, si vous êtes d’accord ?”

Vingt minutes plus tard, l’un des militaires découvrait, en bas, au-dessus du grand frigo qui se trouvait juste derrière la salle du café, emballé dans un sachet plastique un couteau de type poignard, dont la poignée était constituée d’un poing américain en métal, et dont la lame faisait vingt-cinq centimètres, une lame crantée …

Non, Monique ne s’expliquait pas ce qu’il faisait là, ni non plus pourquoi on l’avait manifestement lavé récemment, puisqu’il y avait encore de l’eau sur l’arme et dans le sachet …

On avait placé Roger en garde à vue, en dégrisement pour l’instant, Monique aussi, et, au vu de ces premiers éléments, on avait évidemment placé sous scellés le couteau, d’une part, les vêtements de Roger, comportant des traces de boue sur les chaussures et le pantalon, rien d’autre de visible, d’autre part on était évidemment parti chercher Ahmed.

Les gendarmes, assez contents je suppose, à ce stade, de constater que l’enquête allait être facile, s’étaient ensuite rendus au domicile de Geneviève et d’Ahmed, et y avaient trouvé ce dernier en train de préparer le repas du midi pour la marmaille et pour lui.

Ils l’avaient arrêté.

Une perquisition avait été immédiatement effectuée, au cours de laquelle on avait saisi ses vêtements de la veille, encore jetés en boule au pied du lit, l’un de ses éternels costumes démodés, bleu celui-ci, ainsi que les chaussures qu’il portait. Il y avait de la boue sur elles et son pantalon, pas d’autres taches suspectes apparentes.

On avait interrogé les plus vieux des enfants, qui avaient confirmé la dispute de leurs parents la veille, entendue depuis leurs lits, les départs de leur père puis de leur mère, confirmant aussi que ça arrivait souvent, et que ça se terminait souvent de la même façon, leur père partant dans ces cas-là au Guet-apens, chez Roger, leur mère allant marcher dans le village ou s’asseoir sur un banc de la petite Place du Marché, ou d’autres fois prenant la voiture familiale pour aller faire un tour et “calmer ses nerfs”. Non, ils n’avaient pas entendu leur père rentrer, ils dormaient. Oui, parfois maman n’était pas encore rentrée le lendemain, ces fois-là : il lui arrivait de trouver refuge chez sa sœur, qui n’habitait pas très loin, et d’y rester, au moins la journée suivante – ils supposaient que c’était encore le cas aujourd’hui, et je plains le gendarme qui avait dû les contredire – peut-être qu’il ne l’avait pas fait, d’ailleurs, laissant ce soin aux services sociaux, mandatés sur le champ pour prendre en charge les enfants …

Ahmed, qui bien sûr demandait aux gendarmes ce qui se passait, avait été informé de l’assassinat de son épouse ; sa réaction était consignée par écrit, parce qu’il n’en avait pas eu d’apparente, s’étant contenté de ne rien dire, son éternel rictus de sourire sur la face, et n’avait posé aucune autre question, ni laissé échapper aucune larme ou aucune attitude de chagrin …

On l’avait interrogé, et pas dix minutes, évidemment, sur son emploi du temps de la veille : il avait confirmé en tous points la dispute, avec une importante précision : elle l’avait même griffé dans le cou, dans l’engueulade, en faisant un geste comme pour lui mettre une claque – et effectivement il portait une petite griffe, récente, à la base du cou ; l’arrivée chez Roger, la discussion animée contre son épouse, des mots, comme d’habitude, Roger s’en prenait à elle verbalement, la vouait aux Gémonies, et ça réconfortait Ahmed, qui ne l’avait pas facile avec elle, elle buvait beaucoup, elle l’insultait souvent, elle ne faisait rien à la maison, mais qu’il continuait pourtant à aimer, ne serait-ce que parce qu’elle était la mère de ses enfants ; ensuite, les deux hommes s’étaient calmés, avaient continué à discuter de tas de trucs, puis Ahmed était reparti chez lui, bien certain d’ailleurs que comme d’habitude, sa femme n’y serait plus. Non, il était sobre, il ne buvait jamais. L’heure ? Il ne savait pas trop, il devait être minuit/une heure, mais il n’avait pas fait attention, il disait surtout cela parce que c’était l’heure de fermeture habituelle du café de Roger, maximum, sinon il se fait sermonner par Monique. Oui, il était rentré directement.

Non, bien sûr que non, mille fois non, il n’avait pas tué sa femme, ni aidé Roger à le faire, ni été aidé par lui : tout ça, c’était des paroles en l’air, maintes fois répétées, jamais appliquées ; et puis, pour quoi faire, Mon Dieu ? Si Ahmed l’avait voulu, il aurait pu très facilement divorcer ; pour tout dire, il avait, six mois plus tôt, consulté une avocate, qui lui avait confirmé que compte tenu de l’attitude de Madame, non seulement le divorce ne poserait pas problème, mais il obtiendrait sûrement la garde des enfants, dont il s’occupait si bien. Il n’avait pas donné suite, parce qu’il voulait donner une chance à Geneviève : certainement pas pour la tuer six mois plus tard, sans aucune raison donc …

Avait-il été question d’un couteau, la veille, entre les deux hommes ? Non. Roger lui en avait-il montré un ? Non. Ahmed savait que Roger en possédait un, une arme impressionnante, il l’avait déjà vu, une fois que Roger, ivre comme souvent, braillard sur son passé militaire comme toujours, l’avait exhibé devant lui et d’autres, au bistrot ; mais hier soir, pas du tout.

Roger, enfin entendu, taux d’alcool redescendu, confirmait en substance lui aussi le déroulement de la soirée ; il affirmait qu’au départ d’Ahmed, il avait fermé le café, bu encore un ou deux verres devant la télé, traîné un peu pour ce qu’il s’en souvenait, rangé trois conneries, sans bien se souvenir ni de ses faits et gestes, ni de l’heure, puis avait dû finir par aller se coucher. Était-il sorti ? Non, pas qu’il se souvienne, ou alors pour aller pisser, peut-être. Non, en aucun cas en voiture – heureusement d’ailleurs, il était rond comme un Polonais.

Son épouse ayant confirmé qu’il s’était couché vers trois heures du matin, et Ahmed étant parti entre minuit et une heure, comment pouvait-il expliquer être resté seul de deux à trois heures en bas, à ne rien faire ? Il ne le pouvait pas, il ne souvenait pas de grand chose, il avait dû glander, ranger des trucs …

Et, bien sûr et surtout : savait-il par hasard où était son couteau ? Ah, oui ! D’accord, il voyait bien où le gendarme voulait en venir ! Bon, il ne s’en souvenait pas tout à l’heure, mais puisqu’il lui en parlait, ça lui revenait : à un moment il était parti au grenier, regarder ses souvenirs militaires, comme ça, par nostalgie alcoolisée – il avait même, là-haut, coiffé son béret ; il se souvenait avoir pris son couteau en main ; il ne se souvenait plus bien de la suite, mais il se pouvait qu’il ne l’ait pas rangé ensuite … L’avait-il lavé ? Non, pas qu’il se souvienne … Ah, il était plein de flotte ? Alors, c’est qu’il avait dû le faire …

Évidemment non, il n’avait pas tué ni aidé à tuer Geneviève, ils étaient fous ? Il n’aurait d’ailleurs pas été en état, même si l’idée lui avait sérieusement traversé l’esprit … Il y a un monde entre dire des conneries avec un pote malheureux, et les faire, non ?

Voilà en substance comment les choses se présentaient au départ, dans les quelques heures ayant suivi la découverte du corps.

  1. Le meurtre est l’acte de donner volontairement la mort, puni de trente ans de réclusion. L’assassinat est un meurtre aggravé par la préméditation ou … le guet-apens. []

302 Commentaires

  1. Pingback : Quelques grains de droit | Quelques Grains

  2. Fatiha
    J'ai lu tout votre récit d'une traite et je suis absolument scotchée. Je m'attendais à une fin toute différente; l'aveu d'Ahmed, si inattendu, m'a totalement stupéfiée. Etonnamment, et en dépit de la noirceur du personnage, il semble qu'il vous ait fait cet aveu pour alléger le poids de votre désarroi, alors que vous seriez resté sans doute longtemps terriblement marqué par le poids de ce que vous auriez tenu pour une affreuse injustice, et votre impuissance à n'avoir pu l'empêcher. Etonnant criminel incestueux qui a pris son avocat en affection!
    Votre récit, écrit avec une verve remarquable et un ton d'une sincérité touchante, met le doigt sur l'extrême complexité de l'humain. Cet petit homme frêle a commis un crime horrible qu'on eût imaginé plus facilement perpétré par l'alcoolique ancien légionnaire, au passé violent. Cet homme capable d'actes terribles sur ses propres enfants n'a pas eu le coeur à dénoncer son ami décédé, alors même qu'il avait tout à y gagner.
    Drôle d'humanité, si pétri de contradictions.
    A propos, je sais que votre récit date un peu, et je ne sais si la personne qui a posé la question lit toujours ces commentaires, mais je pense savoir comment Ahmed a tué: se tenant au dessus du fossé, il a pu dominer la pauvre Geneviève et l'exécuter.
    D'ailleurs, si Roger a tenu les propos rapportés par sa femme, il n'a pas seulement assisté au crime, il s'en est fait complice. Malgré tout, Ahmed s'est senti seul coupable, ou peut être a t-il pensé qu'il devait être loyal envers celui qui l'avait soutenu contre sa femme.
    Les jurés eux, si le récit de celle qui s'est confiée à vous est à peu près vrai, auront accepté, par lâcheté et peur d'accuser un homme qu'ils pensaient innocent, pour ne pas affronter des magistrates, rompues à l'exercice de la pression psychologique. Et ces magistrates alors, si ce récit est juste, sont elles coutumières du fait ? Combien d'autres accusés (peut être innocents, eux) ont elles peut être injustement brisé l'existence?
    J'ai ressenti votre angoisse et l'extrême violence de ces moments que vous avez vécus.
    Quel avocat vous faîtes! Je suis admirative.
    Un moment fort d'humanité que vous rapportez là. Votre récit me touche, il donne à réflechir; je ne suis pas prête de l'oublier.
  3. Isabeau
    J'ai lu votre récit dans le magazine trimestriel XXI (que je conseille à tous : des reportages indépendants, sans aucune pub) ; et je découvre le blog seulement maintenant - auquel je me suis immédiatement abonnée. Du coup, j'ai commandé le livre chez mon libraire du coin ; il me faudra une semaine d'attente (toute petite ville). Et bien sûr, je suis désormais inscrite sur la page Facebook. Tout cela signifie-t-il que je suis en lice pour la présidence de votre fan-club ? Je suis néanmoins heureuse de constater que, même si c'est source de grosse frustration pour tous vos lecteurs - vous ne sacrifiez pas votre serment aux trompettes de la gloire, et les longs silences du blog ne sont que les témoins de votre temps passé à défendre les gens dans la vraie vie. C'est rassurant, finalement.
  4. Cha Boubou
    J´ai découvert votre site il y a maintenant trois semaines par ce récit (merci Rue89) et j´en suis devenue définitivement accro. Votre plume est géniale, dès que je commence une histoire je ne peux m´arrêter sans l´avoir fini ! C´est un réel plaisir de vous lire,
    Alors Un GRAND merci :)

    P.S : A quand la suite d´histoire noire ? :D

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