Escapade civiliste

Il n’y a pas que des histoires noires, tristes et abominables sur ce blog1 . Bien sûr, il y en a, et sans vouloir pratiquer outre-mesure l’art du “teaser”, quelque chose me dit que mon prochain article, s’il voit le jour avant 2013, ne devrait réjouir personne. Pour aujourd’hui, place à un petit article anodin, dans la série “fiches pratiques” que Maître Mô décidera peut-être un jour de créer entre deux séances de dédicace.

Malgré sa dominante pénale assez marquée, quelque chose me dit que ce blog compte parmi ses lecteurs un nombre relativement réduit de condamnés aux Assises, mais une proportion probablement plus élevée de personnes ayant eu affaire à la justice civile. Je ne peux pas vous parler du contentieux des affaires familiales, qui touche vraisemblablement le plus grand nombre parmi nous mais m’est complètement étranger – c’est même la seule fonction civiliste que je n’aie jamais exercée, je crois. Mon idée du jour est de mettre fin comme je peux à un silence de plusieurs mois ainsi qu’aux subtiles relances adressées par le Maître (“Dis donc, tu ne fous rien en ce moment, toi !”) vous permettre d’imaginer quelque peu à quoi peut ressembler votre parcours, ou plutôt celui de votre dossier, si vous venez un jour à être assigné devant une juridiction dans le cadre d’un contentieux relevant du droit civil “classique”2 .
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  1. Je vous vois déjà venir : “en ce moment, il y a aussi du rien du tout …” ; oui, on sait, mais comme le disait l’autre jour avec sagesse son auteur principal : “quand ça vient pas, ça vient pas.” []
  2. Précision : les indications qui suivent sont à peu près valables pour un Tribunal provincial de taille petite ou moyenne, mais non pour les juridictions parisiennes. []

Ils disent tous ça…

Je serai bref, exceptionnellement, et tape ceci à la volée, sous le coup de la colère, principalement dirigée contre moi-même pour l’instant, plongé que je suis dans un dossier criminel qui n’est pas encore jugé, mais est en attente d’audiencement, ce qui signifie que l’instruction en est terminée : on m’a demandé il y a quelques jours seulement de prendre la défense de l’accusé, je n’étais malheureusement pas à ses côtés auparavant.

Cette affaire concerne des faits de viols, assez anciens, commis par ascendant sur mineure de quinze ans, et aurait pu en avoir les tristement banales caractéristiques “habituelles”, même si je répugne à employer ce terme, ressemblant beaucoup à tant d’autres de ces authentiques ou supposés faits incestueux qui remplissent les cours d’assises…Lire la suite“Ils disent tous ça…”

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A moi, contes de Mô !

Hop, celle-là, elle est faite.1

Bien, nous y voilà : en ce fastueux jour du 17 novembre de l’An de Grâce 2011, un livre que j’ai écrit sort en librairies2 .Au Guet-apens, chroniques de la justice pénale ordinaire. Chronique judiciaire.

J’avais, la petite note ci-dessus en est l’indice, l’intention de marquer cet évènement, repris avec force par la plupart des médias internationaux ou français mais qui croient qu’ils sont lus dans d’autres pays, par un texte drolatique en Diable à ma façon, renouant d’ailleurs en cela avec d’anciennes habitudes autrefois en vigueur en ces lieux, et que ça faisait du bien de sourire n’importe comment de n’importe quoi, mais finalement, je n’y suis pas arrivé, pour deux raisons : le temps, qui me manque de plus en plus et s’écoule entre mes doigts de mains comme du sable fin le ferait entre mes doigts de pieds3 ; et le fait qu’au fond, même si mon intention première était de vous parler des quarante bonnes raisons de ne pas acheter ce livre, dans un de ces exercices d’auto-dérision dont j’ai le secret, l’auto-dérision étant à l’humour ce que l’invention de la couche jetable est au bébé moderne, un doit-avoir4 , force m’est en réalité de constater que ça ne me donne pas très envie de plaisanter.Lire la suite“A moi, contes de Mô !”

  1. Aux jeunes : ce titre est un subtil pastiche du vers célèbre de l’illustre Pierre Corneille : “À moi, comte, deux mots”, que nous traduirons en langage plus moderne par “Vas-y, ramènes-toi, bouffon”  lequel nous a également laissé le célébrissime “À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire” (“Trop facile, comment tu t’fais pas iech”), dans le même ouvrage, Le Cid (une sombre histoire de supporters de foot qui s’entretuent parce qu’ils ne sont jamais d’accord sur le score du match en cours, ils passent leur temps à demander “Qui mène, qui mène ?” Corneille y hurle sans cesse sa haine du football, et du sport en général.), de même, plus marquants encore pour un avocat, que [le gardé à vue] “Je deviendrais suspect à parler d’avantage“, contra [l’enquêteur] “À raconter ses maux souvent on les soulage” (ça rime mais c’est un hasard, c’est dans deux trucs différents…), et le superbe “À les défendre mal je les aurais trahis“. Pourquoi je vous dis ça comme un gros crâneur ? Juste pour vous expliquer mon titre, sinon il n’est pas rigolo, et parce que sur U-Tube, on ne trouve pas ces vers de Corneille, qui ne les a pas inclus dans son remix, et c’est dommage je trouve. []
  2. Toutes les fautes et tournures dézinguées sont de moi, et autant vous dire que c’est pas le jour à me chipoter. []
  3. Ben oui, hein, je suis auteur, maintenant, je me creuse avec des phrases stylées qui interpellent. Ici, par exemple, qu’on m’explique pourquoi on dit couramment “doigt de pied”, et jamais “doigt de main” ? Eh oui, le sexisme, encore et toujours, évidemment… []
  4. Un auteur parisien aurait écrit “must have”, mais j’habite quelque part dans ce que les parisiens nomment “la Province”, et que les gens normaux appellent “une autre ville”, et que les lillois appellent “Lille” []

Rien n’est jamais juste.

[Avertissement : ce récit peut être dur.]

Barbara “pousse” une avant-dernière fois, de toutes ses forces, elle est rouge brique, elle serre la main de Xavier à la lui broyer, elle l’entend vaguement qui lui parle, au milieu des encouragements des sages-femmes, “Allez ma Chérie, allez, elle est là, on voit sa tête, elle est là, bravo ma Chérie, c’est bien…

Elle a eu mal, les contractions initiales ; puis ils ont posé la péridurale, assez vite et avec succès, et ça s’est calmé, jusqu’à il y a dix minutes, où elle a bien senti que cette fois-ci, on y était : elle allait mettre au monde leur petite fille ! Elle a respiré, poussé, bloqué, bien tout fait, comme les séances de préparation à l’accouchement lui avaient appris – elle s’était appliquée, studieuse et impatiente, parce cette grossesse, ils l’attendaient depuis combien ? Six ans ? Hors de question de se rater, ils avaient tout fait pour que tout se passe le mieux possible, Barbara, même si elle n’avait que trente-deux ans, avait bénéficié d’attentions médicales toutes particulières, tout irait bien : ils l’avaient tellement voulue, cette petite fille qui allait naître…Lire la suite“Rien n’est jamais juste.”

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Histoire Noire V

S’en aller“… Non, vraiment, il n’allait pas en être question, ni cette nuit, ni demain, apparemment – on était d’ailleurs sans doute déjà demain, il n’avait plus de montre…

Jean-Marc avait fini par réussir à s’endormir, si on peut considérer que sombrer dans des rêves peuplés de cauchemars, en se sentant crasseux et profondément blessé, seul, sur une sorte de planche de bois épais scellée au mur, et en grelottant tant de fatigue nerveuse que de froid, puisse ressembler en quoi que ce soit à “s’endormir”…

Ils l’avaient réveillé, d’autres policiers que Christelle, au bout de deux ou trois heures de ce “repos”, pour lui faire signer des papiers concernant le déroulement de sa garde à vue, apparemment – l’avocat, Maître Mussipont, lui avait bien dit de tout lire soigneusement avant de signer, mais il ne l’avait pas fait, trop abruti de fatigue et de peur ; et ce n’était que de la paperasse, avait indiqué l’un des flics, assez sympa – qui lui avait aussi dit qu’il avait “de la chance”, il y avait relativement peu de monde, cette nuit-là, il avait une cellule pour lui tout seul. Bien de la chance, oui…Lire la suite“Histoire Noire V”

Aiguillage

8 heures 30, Louise enfile son blouson en jean et se prépare à  sortir. Elle ne sait pas encore ce qu’elle va faire de sa journée – probablement marcher sans but dans le froid de décembre, explorer les ruelles de sa presque nouvelle ville, dans laquelle elle a emménagé il y a trois mois seulement. Elle va peut-être chercher aussi un petit boulot, qui l’occupera quelques heures ou quelques jours, mais ce n’est pas pour cela qu’elle sort tôt : elle aime être matinale, elle aime marcher, elle déteste rester enfermée.

Elle sort de son minuscule appartement, jette un dernier regard à  l’intérieur et referme simplement la porte derrière elle, sans la verrouiller. Il n’y a strictement rien à  voler dans son deux pièces. Rien d’intéressant. Lire la suite“Aiguillage”

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Au Guet-apens

[Avertissement : ce récit est très (trop) long, il comporte 17089 mots (!), j’en ai conscience, mais je n’ai pas su faire autrement, je ne voyais pas comment vous emmener avec moi là-bas en en supprimant des passages : tant pis (Au moins, je peux espérer qu’il vous “fera de l’usage”, comme on dit dans le Nord..) ! J’ai pensé un temps le publier en plusieurs fois, mais j’aurais forcément dû le couper à des endroits qui auraient obligé le lecteur potentiel à attendre la suite, ce que j’ai supposé être désagréable -d’autant qu’il y a plusieurs suites… Bref, donc, le voilà, en un seul tenant. D’autre part, statistiquement et me connaissant, il y a sûrement des fautes, d’accord notamment : je vous prie par avance de bien vouloir m’en excuser… Enfin, il s’agit, plus que jamais, d’un récit subjectif, comme toujours (je ne trompe personne, c’est indiqué au fronton du blog) : certaines considérations sont le reflet de mon ressenti, pas forcément de l’objective réalité, dont je me demande d’ailleurs si, finalement, vieux et vaste débat, elle existe vraiment …]

Ahmed entre dans le box des accusés, toujours aussi minuscule, particulièrement entre ses deux grands flics d’escorte, toujours aussi mal fagoté, comme s’il sortait d’un film des années 70, avec sa masse de cheveux crépus, son costume crème, pantalon pattes d’éléphant et veste cintrée à larges revers, chemise grise et large cravate à gros nœud, crème et grise évidemment.

Comme d’habitude, il a l’air de sourire – ça n’est ni l’endroit, ni le moment, mais de cela, je ne m’inquiète pas : la Cour et les jurés s’apercevront rapidement que c’est en fait une mimique, qui ne le quitte jamais, et qui ne signifie rien, même si parfois, comme maintenant, on aimerait la lui ôter.

Dans un instant, la greffière va lire l’arrêt qui a renvoyé Ahmed devant la Cour d’Assises, énumérant ce faisant les charges que la Chambre de l’Instruction a estimé suffisantes pour qu’il soit accusé d’avoir assassiné sa femme, avec la complicité de Roger.

Juste après, la Présidente, bien que la procédure française ne le prévoie pas, lui demandera seulement, avant que le procès, prévu sur trois jours, ne démarre effectivement, s’il reconnaît les faits ; elle sait, comme moi, qu’Ahmed répondra que non, qu’il est innocent – c’est ce qu’il affirme depuis son arrestation, trois ans plus tôt.
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Sur le fil…

[ Octave Hergebel, fidèle lecteur et commentateur occasionnel de ce blog rutilant, déplorant sans doute que votre serviteur n’arrive à  publier qu’à  un rythme d’escargot anémique, a fait le choix, plutôt que de m’en faire le reproche, de m’adresser un texte qu’il a écrit lui-même, petite histoire ordinaire1 exemplaire de ce qui, parfois, peut transformer un quidam en criminel -ou pas …  C’est bien volontiers que je le publie, en le remerciant de ce récit, dont on sent bien qu’il aurait parfaitement pu appartenir à  la catégorie “Histoires vraies” … Bon courage, en ce lundi ensoleillé, à  tous les martyrs de la Sainte Cause “Travail”, telle du moins qu’on la vénère de nos jours, en y permettant que certains hommes puissent en broyer d’autres, que leur médiocrité ne leur aurait pas permis d’atteindre autrement. ]

“Bonjour !…”

Seul un murmure mécanique émis par mes collègues me répond. Ils n’ont même pas tourné leurs regards vers moi. Dans le grand bureau collectif, aménagé façon “open space”, que nous partageons, je perçois viscéralement le choc du changement d’ambiance. Une chape de plomb semble s’être abattue sur la pièce, seul le bruit des claviers est perceptible, les regards sont rivés sur les écrans ou des piles de documents, les dos sont courbés, les visages fermés, les corps crispés …

Ça y  est, “il” est de retour

Je me tourne vers ma gauche : là , dans l’emplacement stratégique du bureau, cet angle mort invisible du couloir, mais permettant d’observer chacun des autres occupants, se tient P., notre chef de service …Lire la suite“Sur le fil…”

  1. Racontée sans fioritures ni états d’âmes, moins de deux mille mots, à  quoi on verra définitivement que ça n’est pas de moi ! []

Qui veut juger des larrons ?

Une question jugée urgente et prioritaire, puisque tel est le bon plaisir présidentiel et qu’il faut en conséquence nous voter une loi à  son propos, et plus vite que ça, je vous prie, devrait sous peu être évoquée au Parlement, un projet de loi en ce sens ayant été enregistré au Sénat au mois d’avril dernier, débattu et adopté il y a quelques jours seulement : je veux bien entendu évoquer la nécessité proclamée de faire siéger aux côtés des juges correctionnels et de l’application des peines des assesseurs issus de la société civile, aux motifs affichés que les décisions judiciaires en tireraient davantage de légitimité, et qu’une telle pratique rapprocherait les citoyens de leur justice.

En soi, l’idée ne me paraît pas particulièrement choquante. Coùteuse, assez irréaliste, c’est certain, mais choquante, non. Après tout, la participation des citoyens à  la justice est déjà  effective dans de nombreux domaines : les Assises, bien sûr, mais aussi les tribunaux pour enfants, les conseils de prud’hommes, les chambres de l’application des peines des Cours d’appel, les tribunaux des affaires de sécurité sociale, les tribunaux paritaires des baux ruraux1 sans oublier la création, en 2003, des juges de proximité. La collaboration avec les magistrats professionnels au sein des juridictions concernées s’effectue de façon efficace et sereine, selon l’expérience que j’en ai eue, du moins. Les juges ne méprisent pas les  jurés-assesseurs-échevins-proxijuges, ceux-ci se montrent intéressés et motivés par leurs fonctions juridictionnelles, et lorsque ça se passe mal, c’est davantage, pour ce que j’en ai vu, une question de personnes que de statut.

Je suis tout de même étonnée du présupposé, inscrit dans la présentation du projet de loi, selon lequel les juridictions comprenant des citoyens assesseurs rendraient des décisions nécessairement plus sévères que les vilains juges laxistes qui n’en feraient qu’à  leur tête, et dont la principale activité serait de déterminer chaque jour quel dangereux criminel ils vont libérer/ne pas condamner, histoire de lui permettre de reprendre au plus vite ses sinistres occupations. A moins que je n’aie mal interprété la phrase précisant que ce projet de participation citoyenne à  l’œuvre de justice “assure que les décisions juridictionnelles ne sont pas déconnectées des évolutions de la société”. Lire la suite“Qui veut juger des larrons ?”

  1. Si, si, ça existe, et croyez-moi, on n’y rigole guère, et on n’y prend pas son rôle ni le droit applicable à  la légère. []

Deux secondes…

[ Mot d’excuse : non, cette fois ce n’est pas une blague, c’est bien une nouvelle histoire … Je ne suis pas tout à  fait mort -irradié, comme tout le monde, même si plus personne n’en parle déjà  plus, mais pas mort. C’est juste que je fatigue plus vite qu’avant, que j’ai recollé à  mon véritable travail -si, vous savez, avocat de gens- comme un forcené, ces derniers temps, et que mes deux adorables bambins prennent de la place non seulement dans nos vies, à  ma Belle et moi, mais encore dans mes nuits1, celles qu’avant je mettais à  profit pour “tenir” ce blog … Bref, je n’abandonne pas, au contraire, même, j’ai une liste inépuisable de choses à  écrire, et j’enrage souvent de frustration de ne pas pouvoir le faire comme je le voudrais : mes plus sincères excuses, vraiment, à  ceux qui me font la gentillesse d’espérer mes petits écrits. Je vous dédie cette histoire-là , qui justement raconte en fait quelques secondes d’une vie …]

Cette boîte de nuit a mauvaise réputation, même si Omar ne le sait pas : située en plein Vieux-Lille, à  deux pas du Palais, dans une espèce de cave sous un immeuble vétuste, il ne se passe pas une semaine sans qu’il ne s’y déroule une bagarre ou qu’un incident quelconque n’éclate devant, à  la sortie des poivrots qui y traînent encore à  la fermeture.

Mais Omar, trente-trois ans, comptable, marié, qui n’y a jamais mis les pieds et ne boit jamais, doit ce soir-là  retrouver un ami, pas vu depuis longtemps, qui travaille dans un restaurant voisin, arrivé du pays africain d’origine des deux hommes cette semaine : il a été convenu que s’il n’avait pas encore fini son service vers minuit ce vendredi soir, Omar l’attendrait au bar de la boîte d’à  côté.

C’est pour cela qu’il s’y trouve, dans la cave bondée, debout, accoudé au comptoir -sans savoir encore que cette attente ne va pas être de quelques minutes, mais va au contraire l’entraîner dans un périple judiciaire kafkaien de plus de six années …Lire la suite“Deux secondes…”

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  1. Comment ça, “Papaaaa … Veux faire cacououou !” Mais enfin, il est cinq heures du matin, Mômette, c’est pas une heure ! Bon, pardon, j’y vais, elle beugle comme un stentor, et ça résonne sec dans le loft à  cette heure-ci, elle va réveiller Madame Mô, et ça, croyez-moi, faut pas … Voilà , changée et recouchée, comme Petit Mô, venu aux nouvelles pour savoir s’il pouvait “avoir du saucichon” ! Te les ai terrorisés avant de les repieuter manu militari, moi, pas traîné ! Bon, n’empêche, ça n’aide pas à  la création intellectuelle, parler de caca et de saucisson à  cinq heures du mat’ avec des Minuscules de deux ans et demi et bientôt-quatre-ans … Enfin bref, où j’en étais ..? []

Petites violences entre époux

A l’appel de son dossier, Michel s’avance à  la barre. La presque quarantaine, souriant, bien habillé, respectueux dans son attitude, il paraît assez sûr de lui, et finalement plutôt moins incommodé de se retrouver à  la barre que les autres prévenus du jour. Je pense savoir pourquoi.

Il m’écoute vérifier son identité, précisant d’emblée que l’adresse figurant au dossier est provisoirement celle de son épouse Adeline, puisqu’il a été placé sous contrôle judiciaire il y a six semaines, à  l’issue de son défèrement devant le Procureur. Il vit depuis lors en foyer, respecte son obligation de pointage et a suivi des soins, même s’il m’indique d’ores et déjà  qu’il n’en voit pas trop l’utilité.

Je donne lecture de la prévention le concernant : Michel a été convoqué suivant procès-verbal du Procureur de la République, qui lui reproche d’avoir par deux fois commis des violences sur son épouse n’ayant pas entraîné d’incapacité totale de travail1 supérieure à  huit jours – en l’occurrence sept jours, pour chaque fait. J’ai à  peine fini d’énoncer les articles du Code pénal y afférents que Michel intervient pour me faire observer qu’Adeline n’a pas souhaité être présente, qu’elle lui a révélé avoir inventé toute cette histoire pour se venger d’une dispute, “un truc pas méchant, comme dans chaque couple, vous voyez” et qu’elle a normalement dû m’adresser un courrier confirmant n’avoir en réalité été victime de rien.
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  1. ITT, dans notre jargon. []

Denis

[ Avertissement : l’affaire que j’ai hésité à , puis voulu, vous raconter ici, a été la plus dure de ma carrière. Elle m’a obnubilé de nombreux mois, à  l’époque, et littéralement possédé pendant les dix-huit jours qu’a duré le procès, à  l’issue duquel j’avais perdu huit kilos… J’ai souffert, encore, près de trois semaines, pour parvenir à  l’écrire, et je suppose donc, non, je sais, qu’elle sera extrêmement dure à  lire, bien plus encore que l’histoire de Noël, pour laquelle on m’a parfois reproché de ne pas avoir prévenu mes lecteurs -ce que je fais donc cette fois : certains passages de ce texte peuvent choquer. ]

C’est le Bâtonnier en personne, ce qui est très rare, qui m’avait appelé pour me demander si j’accepterais, à  compter du jour même, d’être commis d’office au soutien des intérêts de Denis, dont la mise en examen était prévue dans quelques heures, et j’avais compris immédiatement pourquoi il prenait cette peine en entendant le nom de mon éventuel futur client : Denis, ainsi que toute la presse le racontait depuis deux jours, était suspecté de vingt-deux viols accompagnés ou suivis d’actes de torture et de barbarie, souvent commis sur des mineures, et dans des conditions d’une atrocité inimaginable…

J’avais même lu, la veille, un article dans lequel, vue la multiplicité et la sauvagerie de certains actes, les enquêteurs indiquaient avoir d’abord été persuadés qu’il ne pouvait s’agir d’un seul criminel, même totalement dément -avant de se rendre à  l’évidence, en recueillant, dans la douleur, les froids aveux de Denis, qui avait fini par raconter chaque scène, avec une glaciale précision chirurgicale, et sans la moindre émotion apparente : il avait tout fait. Seul.

Un fou… Un fou assoiffé de sexe et de sang, qui avait, en dix ans, jeté vingt-deux victimes en Enfer. Vingt-deux  terribles victimes qu’il allait falloir affronter, à  terme, ou parfois leurs familles : certaines de ses proies, certaines de ces malheureuses petites filles, n’avaient pas survécu à  leurs blessures…

J’acceptais, sans réfléchir, immédiatement -comme sans doute on saute d’une falaise sans savoir s’il y a assez de fond, en bas, dans l’eau. Sans savoir encore que le plus extraordinaire, et le plus terrifiant, ne tenait pas même dans les incroyables douleurs infligées, dans le nombre de ces anges massacrés, mais que l’indicible, le plus inhumain, se trouvait en réalité dans un regard, deux yeux aux pupilles fixes qui vous transperçaient en permanence, et dans des mots : ceux dont allait, pendant de longs mois, m’abreuver en permanence, au point qu’il m’arrive encore parfois aujourd’hui de les entendre, celui qui, dans un instant, serait devenu mon client…Lire la suite“Denis”

Ce blog avait moins trois ans…

[ Allez : petit exercice de style, improvisé tôt ce matin et ça se voit, j’en demande d’avance pardon, pour fêter les trois ans du blog, que ni ma chère Marie, ni moi-même, n’avions vu venir -elle me l’a tout de même signalé hier soir, ayant, comme toutes les femmes, une perception du temps infiniment plus établie que la mienne…

J’avoue que je n’aurais rien fait du tout, étant crevé, si Mômette n’avait décidé de me réveiller en sursaut vers quatre heures en braillant à  vingt centimètres de mon oreille, après un parcours nocturne périlleux avec ses petites gambettes et dans le noir de son lit à  celui de ses parents : “PAPA, TU DORS PAS ? VEUX FAIRE CACOU !! IL EST OU MON DOUDOU ??” : quoi qu’il en soit de l’engueulade s’en étant suivie1, grâce lui soit rendue, puisque sans elle vous n’auriez pas le plaisir de lire ce chef d’œuvre…

Il va de soi que tout éventuel commentaire -mais franchement ça mérite pas, hein, c’est juste pour sourire et marquer le coup- devra être effectué en vers, pas de raison que je demeure le seul à  m’être fait chier !

Pour les jeunes avocats, donc illettrés, qui nous lisent, avidement je le sais : le poème d’origine est de feu Monsieur Victor Hugo, qui, non, n’est ni un joueur de foot, ni un candidat de la Nouvelle Star -mais il aurait pu, sûrement.

Et plus sérieusement : merci, lecteurs d’ici, avoir bien voulu parfois bien aimer ce qu’on y écrit ! On en a sous le coude, vous verrez !! ]

Ce blog avait moins trois ans ! Mô remplaçait le Maître,
Déjà  tous les clients passaient par la fenêtre,
Et de l’avocaillon, déjà , par maint endroit,
Le front du narrateur brisait le masque étroit.Lire la suite“Ce blog avait moins trois ans…”

  1. Puisqu’évidemment son putain de Doudou était dans son lit, et de cacou, en réalité, point… Je lui ai donc réexpliqué pour la centième fois, pédagogiquement hein, attention, que, le vendredi soir, papa boit souvent déraisonnablement, et que partant, c’est LA nuit de la semaine où il doit roupiller un peu… []