Ils disent tous ça…

Je serai bref, exceptionnellement, et tape ceci à la volée, sous le coup de la colère, principalement dirigée contre moi-même pour l’instant, plongé que je suis dans un dossier criminel qui n’est pas encore jugé, mais est en attente d’audiencement, ce qui signifie que l’instruction en est terminée : on m’a demandé il y a quelques jours seulement de prendre la défense de l’accusé, je n’étais malheureusement pas à ses côtés auparavant.

Cette affaire concerne des faits de viols, assez anciens, commis par ascendant sur mineure de quinze ans, et aurait pu en avoir les tristement banales caractéristiques “habituelles”, même si je répugne à employer ce terme, ressemblant beaucoup à tant d’autres de ces authentiques ou supposés faits incestueux qui remplissent les cours d’assises…

Une jeune-femme, qui a quitté le domicile familial depuis longtemps, se présente auprès des services de police et dénonces des faits d’agressions sexuelles et de viols qui auraient été commis par son père et se seraient déroulés plusieurs années plus tôt, depuis ses dix ans jusque ses seize ans environ.

Elle n’en a jamais parlé auparavant, personne n’a rien vu ni détecté de particulier, famille nombreuse, gens simples : à part ses proches actuels, a qui elle s’est confiée et qui l’ont finalement incitée à déposer plainte, vu notamment son mal-être profond, et les policiers, puis la magistrate en charge de l’instruction, personne ne semble trop la croire dans sa famille et l’entourage de l’époque, d’autant que, gamine, d’une part elle racontait beaucoup de mensonges, et d’autre part aux yeux de tous elle semblait aimer son père “normalement”…

Bref, vous l’avez compris, c’est, principalement, parole contre parole – comme si souvent.

C’est encore plus vrai ici que mon client aime sa femme, avec laquelle il a des relations banales, en ayant connu d’autres avant sans anomalie ni frustration particulière donc, n’a jamais rien fait à aucun de ses autres enfants ni à personne, aucun antécédent, unanimement apprécié, rien dans son comportement (il travaille, a des amis, ne boit pas…) ou sa psychologie ne pouvant servir d’indice de quoi que ce soit d’autre que d’une vie normale, usuelle, la votre et la mienne.

Mais ce n’est pas cette histoire que je veux vous raconter, pas cette fois, d’autant que je n’en connais pas la fin.

Depuis un certain nombre d’heures, j’accomplis le premier travail qu’il faut faire avant toute chose, en particulier selon moi avant de rencontrer une première fois l’accusé : je lis tous les procès verbaux, volumineux, dans l’ordre chronologique du dossier : ceux de l’enquête préliminaire, d’abord, puis ceux de l’instruction.

L’homme, placé en garde à vue très rapidement après le dépôt de plainte, a formellement nié les faits, de façon argumentée, lors de plusieurs auditions successives. Je pense même que l’enquêteur en charge du dossier a pu avoir un doute sérieux à un moment donné, puisqu’il a cru devoir réentendre la plaignante et lui soumettre, point par point, les dénégations de son père – ce qui est loin d’être toujours le cas. Elle a quoi qu’il en soit maintenu l’ensemble de ses accusations, reconnaissant seulement parfois des erreurs, mais argumentant elle aussi en réponse, autant que faire se pouvait.

Bref, ce qui devait être tenté dans un tel cas de figure l’a ensuite été : une confrontation.

Sauf que j’ai froncé les sourcils en en arrivant à la lecture du procès-verbal de cet acte, singulier : au lieu de la presque habituelle, elle aussi, retranscription de la réitération par la plaignante de ses accusations face à celui qu’elle accuse, puis de la confirmation de ses dénégations par ce dernier, cette fois le policier a seulement lu les déclarations de la jeune-femme, en présence de cette dernière et sans lui donner la parole une seule fois, puis fait réagir mon client, qui a encore confirmé ses dénégations formelles, devant sa fille silencieuse.

C’est une méthode particulière, dans la mesure où l’intérêt d’une confrontation, surtout dans le domaine des délits et crimes sexuels, est surtout de permettre à celle qui se dit victime de parler devant son agresseur, de vérifier que sa présence à lui ne modifie pas son récit, et d’espérer, à l’inverse, que ce récit et cette présence pourront toucher au cœur l’homme qui est accusé et nie tout, ce qui est sans doute plus facile à faire seul dans un bureau devant un policier qu’en face de sa propre fille en larmes – car l’une des intenses difficultés de ces affaires est que, souvent, malgré les faits qui ont pu être commis et les accusations, de vrais sentiments d’amour filial et paternel subsistent : c’est aussi ce qui rend la parole si compliquée, pour chacun…

Quoi qu’il en soit, ici, l’homme a maintenu ses dénégations. Alors, le policier acte, pas méchamment d’ailleurs, plutôt comme en désespoir de cause, et par une mention assez rare, qu’il indique à mon client qu’il pense qu’il ment, et qu’il le supplie, “au nom de son amour pour sa fille et pour la sauver et lui permettre d’aller mieux, de dire ce qui s’est réellement passé.

Face à cette injonction pleine d’émotion, il est indiqué sur ce bref procès-verbal, censé je vous le rappelle retracer l’exacte réalité des échanges, spécialement celle des questions posées, (et la confrontation n’a malheureusement pas été filmée, ce qui était illégal déjà à l’époque mais n’a été soulevé par personne, et s’est déroulée hors la présence d’un avocat, ce qui en revanche était encore permis), que mon client “baisse la tête“, puis indique : “Je vais vous dire la vérité, mais pas devant elle, je veux vous le dire dans une déclaration, seul. Mais je reconnais les faits“.

Fin de cette singulière “confrontation”, à laquelle ont assisté, comme noté au bas du document, deux policiers et la plaignante, qui n’aura pas dit un mot.

S’ensuit, comme il l’a si gentiment et si spontanément proposé lui-même, une nouvelle et dernière audition de mon client en garde à vue, dans laquelle cette fois il reconnait une large part des faits, en disant essentiellement qu’il a précédemment menti par honte.

 

A ce stade, j’en suis à la fin de la garde à vue, et, un peu habitué, je sais d’une part, que la tirade que le policier a bien voulu reproduire, ce qui n’est parfois même pas le cas, a dû en réalité être un peu plus insistante, voire musclée, que ce qui est mentionné ; et que la suite va être soit, que notre homme, devant le magistrat instructeur, va continuer à reconnaître l’essentiel des faits en validant son ultime déposition auprès des policiers, soit va rebrousser chemin en arguant probablement des pressions qu’on lui aura fait subir pour qu’il avoue.

Et ça ne rate pas : en première comparution devant le magistrat, juste à l’issue de sa garde à vue, et avec cette fois un avocat, celui de permanence, il continue à reconnaître certains faits, mais en nie maintenant la plupart, et par la suite, incarcéré, tant par courriers que lors d’auditions, il niera désormais tout, indiquant qu’en garde à vue on lui a dit qu’il n’irait pas en prison s’il avouait, que le juge en tiendrait compte, que sinon il risquait dix ans et que ça énerverait tout le monde s’il persistait à mentir – et tout ceci n’est bien sûr indiqué nulle part dans la procédure…

De la même façon, il dira avoir pensé, et les conseils de “son” avocat, à son arrivée au Palais, allaient dans le même sens indique-t-il, qu’il n’irait pas en détention provisoire, demandée par le parquet, s’il maintenait le principe d’un aveu, même si, épuisé, il avait quand même su commencer à rectifier la réalité…

Ce genre d’histoire et ce déroulement chronologique des choses, et ces indications, qu’on peut résumer par la phrase lue si souvent “c’est les policiers qui m’ont dit de dire ça“, vous en avez entendu parler cent fois, et les magistrats et avocats des centaines d’autres fois…

Il s’en tient là par la suite au fil du temps et des auditions, soutenu d’ailleurs par sa famille qui n’y croit pas non plus, il est au centre d’une erreur judiciaire, largement provoquée par l’enquêteur, et je sais par avance qu’il réaffirmera tout ceci à la barre, à l’audience, que le policier y sera convoqué comme témoin, et que lui jurera que certes la garde à vue n’est pas une réunion de douairières prenant leur thé, qu’évidemment il a “mis la pression”, il l’a d’ailleurs acté dans le procès-verbal de confrontation, persuadé que l’homme mentait, et pour son bien et celui de la recherche de la sainte Vérité, mais en aucun cas de façon déloyale, ni évidemment dans les termes qu’aura évoqués mon client : “Vous savez, Madame le Président, on a l’habitude, ils disent tous ça, on doit faire avec…”, dira-t-il probablement en substance, ce à quoi la Présidente acquiescera sûrement avec un sourire las…

Aveu pour aveu, pourquoi ne pas le dire : le même genre de sourire fatigué que le mien, à ce stade de ma découverte du dossier, tant c’est effectivement souvent le cas, tant on entend souvent cette rengaine et souvent alors que les aveux s’avèrent finalement être ceux de faits réellement commis, tant il est difficile, confortablement installé dans son bureau bien chauffé, rompu à la procédure pénale, et sans subir aucune situation de stress, de comprendre -même avocat, même encore maintenant, après tout ce temps- comment un homme peut en arriver à s’accuser lui-même d’actes horribles, s’il ne les a pas commis…

Tant il arrive que je sois indigne.

Parce que je ne sais pas si les faits sont réels ou pas, si mon client les a réellement commis ou pas – une Cour d’Assises va le dire, plus tard.

Mais ce que je sais, pour avoir continué à lire mon dossier, et être revenu entre temps à ce qui ne devrait jamais nous quitter, même l’espace d’un instant, la culture du doute, le refus de croire ou ne pas croire a priori…

 

Ce que je sais, à présent, c’est qu’une personne a, aussi, longuement été entendue de nouveau par le magistrat instructeur, et a maintenu d’ailleurs tout ce qu’elle avait pu indiquer dans le cadre de l’enquête préliminaire, sauf quelques variantes mais peu importe ici.

Et qu’à la fin de cette audition, la magistrate lui a posé la question suivante : “En garde à vue, et partiellement lors de son interrogatoire de première comparution, le mis en examen a reconnu l’essentiel des faits qui lui sont reprochés. Cependant depuis il ne cesse de clamer son innocence, par courriers et lors de ses auditions devant nous. Il explique que ce sont les policiers qui l’ont obligé à reconnaître les faits, lors de la confrontation, en lui disant que comme ça il ressortirait et qu’il serait libre. Qu’en pensez-vous ?

Et que Je ne suis pas certain qu’elle se soit attendue à la réponse, que je ne peux faire mieux que de reproduire telle-quelle, in extenso :

C’est vrai qu’au début, il disait: “Non, non, non, c’est pas vrai”. Il trouvait toujours des prétextes. Il disait que je disais ça parce que le me vengeais et qu’on ne s’entendait pas, que j’avais quitté la famille et lui en voulais… Et après il a demandé aux policiers: “Quand est-ce que je sors, j’en ai marre”. Et c’est là que les policiers lui ont dit que c’était simple, qu’il n’avait qu’à dire la vérité. D’abord pour qu’il n’ait pas de trop de remords sur sa conscience. Ils lui ont dit aussi: “Si vous avouez ce que vous avez fait, on en tiendra compte, on pourra vous aider à vous faire soigner et vous relâcher tandis que si vous n’avouez pas, vous pouvez rester en prison au moins 10 ans”. Mais ils ne lui ont pas dit de dire oui juste pour qu’il sorte. Ils lui ont dit de dire la vérité. La Police ne lui a jamais dit qu’il fallait qu’il dise ça pour être tranquille. Ils lui ont juste tendu un piège pour qu’il crache le morceau car ils ont vu que c’était vrai. Et à la fin, ils lui ont dit: “Est-ce que vous avez fait des manières à xxx ?”, et il a dit oui. Et Là tout le monde s’est tu, et la Police a sorti le P.V. Pour moi, quelqu’un qui n’a rien fait, même si on lui dit que s’il veut sortir, il n’a qu’à avouer, il dira toujours qu’il n’a rien fait. Quelqu’un qui n’aurait rien fait, si on lui dit: “Si vous avouez, vous sortez alors que si vous niez, vous allez en prison”, moi je me dirais, si je n’ai rien fait, que c’est n’importe quoi et qu’on ne peut pas me mettre en prison si je n’avoue rien.

Voilà ce que la fille de mon client, désormais partie civile, avait retenu de la “confrontation”.

Non, je ne connais pas la fin de l’histoire. Mais ça, en tout cas, qui ne figurait jusque là nulle part ailleurs que dans les déclarations de l’accusé… C’était vrai.

 

[ [EDIT] : Plusieurs commentateurs m’ayant indiqué leur incompréhension, je me suis relu, pour une fois, et dois effectuer un gros et honteux mea culpa : ce texte est très mal écrit, je le dis piteusement…

Ça m’apprendra à vouloir faire vite, et à me contenter de peu – même si ces remarques font sans doute du bien à mon manque d’humilité.

Ce que je voulais raconter, en tout cas, c’est qu’il est extrêmement fréquent, voire banal, qu’un accusé, qui s’est rétracté par la suite, indique avoir avoué sous des pressions policières en garde à vue, pressions dont évidemment d’habitude on ne dispose pas de la moindre preuve au dossier, alors que là, pour une fois et par extraordinaire, leur réalité est démontrée, étant décrite par la partie civile elle-même… Ce qui établit deux choses : le client ne mentait pas en affirmant les avoir subies ; et le procès-verbal censé raconter la façon dont il est passé aux aveux est erroné, lacunaire, et, pour tout dire et partant, mensonger : une chose est d’avouer sincèrement, une toute autre de ne le faire que parce qu’on croit que des aveux prétendus vont permettre d’être remis en liberté.

Mô-ralité : à mes yeux ces aveux sont nuls, extorqués ; et j’ai eu grand tort, par usure, de douter des affirmations du client sur ce point, et de ne pas douter par principe de la réalité des termes du procès verbal.

Désolé de vous avoir décrit cette situation aussi mal, j’essaierai de faire mieux la prochaine fois. ]

 

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68 Commentaires

  1. J'avais lu quelque part ou entendu dire un jour par quelqu'un que le respect des procédures et les techniques employées correctement protègent le système des erreurs judiciaires, c'était il y a longtemps et il m'a semblé que cette remarque était bonne à être notée.
    En lisant le déroulement de cette affaire, cette remarque m'est revenue à l'esprit. C'est vrai que plus les procédures sont respectées quitte à paraître tatillons aux yeux des profanes dont je suis plus la vérité apparaît facilement.
    Il n'en reste pas moins qu'il ne faut jamais avouer quelque chose qu'on n'a pas commis!
    (plus facile à dire qu'à faire j'imagine)
  2. Jeannot L'alpin
    On en pensera ce qu'on veut, mais cette affaire illustre un paradoxe de la récente réforme des "jurés correctionnels" : il se pourrait bien que ces jurés, au lieu d'équilibrer le supposé laxisme des juges qui est à l'origine de leur présence, commencent à poser de plus en plus souvent la question qui fâche.
    Et qui est : mais que vaut ce procès-verbal, en réalité, et n'est-il pas possible que les policiers/gendarmes aient menti/fait erreur ?
    Et d'autant plus souvent qu'ils auront eux-mêmes été contrôlés d'identité, témoins de contrôles ou d'interpellations plus ou moins faciles, ou connu des personnes dans ce cas, ce qui fait désormais pas mal de monde.
  3. Mich.
    Bonne année maître.

    Je trouve que ce qu'il manque dans ce texte c'est la confrontation devant le juge d'instruction. J'imagine bien qu'elle n'a rien apporté sinon vous en auriez parlé, mais enfin...
  4. Niels BOHR
    (...) et d'autre part que je ne voulais, et ne veux d'ailleurs toujours pas, mélanger ce qui se passe ici et ce qui se passe dans mon cabinet (...)
    Oups!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
  5. Charlie k Dod
    Moralité 1: plutôt que d'écrire si tôt les matins d'hiver à l'ombre de tels appendices, mieux vaut prendre le temps de manger avant un œuf.
    Moralité 2 : umbrella...

Fin des commentaires


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