Lundi, ça fera sept mois. Je crois qu’il ne s’est pas passé un jour sans que je ne te parle, je sais que j’ai pensé à toi chaque jour. Autant dire que si c’est moi qui ai raison1 sur l’Après, tu ne t’es guère débarrassé de moi et tes oreilles doivent bourdonner. Si c’est toi qui avais raison, eh bien au moins ça ne peut pas te gêner.
Je pourrais tenter de faire l’éloge de toutes les qualités qui manquent à tes proches depuis sept mois, et Dieu sait que ce serait mérité et que ça ferait un long billet. D’un côté, je me dis que tu aurais fait mine de bougonner “Pfff, c’est pas avec ça que tu vas nous faire 40000 vues sur le blog, la naine”. D’un autre côté, ça aurait pu te faire marrer qu’on parle tous de toi ici, même si tu aurais probablement ajouté un tas de commentaires autodérisionnants pour éviter à tes chevilles d’enfler.
Donc on aurait largement pu évoquer ici ta voix magnifique, ton talent oratoire et littéraire2 , la sensibilité avec laquelle tu abordais tes dossiers pros, la gentillesse fondamentale qui transparaissait à travers toutes tes interactions sociales, virtuelles ou IRL, ton amour infini pour tes enfants et le champagne, ta loyauté absolue envers tes amis (et ce n’est pas qu’une formule toute faite, en ce qui me concerne), ta conviction de la nécessité de se moquer de tout, tout le temps, et d’abord de soi-même. Mais finalement, ces qualités, tout le monde les connaît déjà, n’est-ce pas ?
“Mais, vrai, j’ai trop pleuré ! Les Aubes sont navrantes.” Je sais, ce n’est pas Musset, c’était ton truc à toi, Musset.
Je crois que ce qui me manque le plus terriblement depuis le 20 février, c’est ton rire, en fait, ton rire qui était en général tonitruant et lent à la fois, qui prenait son temps pour remplir la pièce et vers lequel toutes les têtes se tournaient. La première fois que je l’ai entendu, c’était au téléphone, quand tu m’as appelée pour une longue séance de prise en main des fonctionnalités du blog où tu venais de me proposer d’écrire. Tu as insisté sur le fait que “sur Internet, des cons, il y en a partout, même si chez moi pas tant que ça” et qu’il fallait que je fasse attention à me préserver. D’ailleurs, tu m’as clairement dit ce jour-là “Tu écris ce que tu veux, c’est important que tu te sentes quand même libre, donc ce que je te propose, c’est que si un jour un imbécile vient te faire des ennuis, je dise que tu n’existes pas et que “Marie” n’était qu’un personnage que j’avais créé pour me rendre intéressant. Comme ça, tu peux balancer que ton Procureur général est un vieux slip, ça passera !” avant de partir de ton gros rire tranquille (entrecoupé des “pfff, pffff” d’expiration de fumée de clope).
Il y a eu ce matin où tu m’as appelée, un peu en panique – enfin, autant en panique que tu pouvais l’être à propos de ton jouet, auquel tu passais ton temps à ajouter des extensions mystérieuses et des mises à jour auxquelles je ne comprenais rien : “Putain je crois que le blog est devenu fou : il me met d’anciens billets à jour sans que je n’aie rien demandé, et sans rien y changer. Je ne comprends pas ce qui se passe, j’ai passé la nuit dessus sans trouver ce qui lui prend…” avant d’exploser de rire quand je t’ai appris, penaude, que j’avais en réalité entrepris de corriger les fautes de frappe sur le blog en commençant par tes anciens billets. “Mes fautes de frappe ?! Non mais tu peux le dire que j’ai une orthographe merdique, ça fait longtemps que je le sais, hein ! Non mais quand je pense à ce que tu m’as coûté en heures de sommeil, t’as pas honte ?”
On s’est aussi parlé le jour où tu as découvert le lipdub des jeunes UMP, qui t’avait durablement et bruyamment mis en joie – à juste titre, il faut dire, c’était du lourd... On en avait pleuré au téléphone !
Je me rappelle aussi la blague que tu m’as ressortie à chaque fois qu’on s’est retrouvé sur un quai de gare ou un lieu un peu populeux “Ah mais tu es là ! J’avais peur de te louper, rapport, tu sais, à ta taille de naine…”, les derniers restos qu’on avait faits en septembre, avec Padre Pio, notamment celui où tu avais ri (gentiment mais vigoureusement) de la mine déconfite du restaurateur qui m’avait apporté ma grenadine avec une paille parce qu’il avait pensé servir une tablée de deux adultes et d’un enfant. Au passage, tu restes la seule personne à avoir pu me faire boire deux coupes de champagne en une soirée, record jamais retenté depuis.
Je me souviens aussi de cet échange il y a plus d’un an, où tu m’avais parlé de ta maladie, des ravages qu’elle faisait sur tes os, de la douleur, et que tu avais conclu par un “Mais tu sais, au bout du compte, ça se surmonte, et tout ça m’aura permis de réaliser que c’est finalement à de petits détails qu’on peut prendre conscience de l’existence de Dieu.
- (Moi, la gorge nouée) Ah ?
- (Toi, ravi de ton effet) Eh oui, il a bien fait les choses en définitive : le zizi n’est pas un os, donc tout baigne !”
Depuis sept mois, je n’arrête pas de l’entendre dans ma tête à chaque fois que je pense à toi, ce rire – souvent, donc. J’ai même la chance de pouvoir l’écouter encore sur un enregistrement où tu devais lire un texte et où tu te marrais à chaque plantage. Etant toujours en plein déni, même si ça s’amenuise avec le temps, j’ai souvent une milliseconde de réaction de type “Tiens, ça fera rire Jean-Yves, ça !” en lisant un tweet ou le dernier Jaenada3 , avant de me souvenir que tu n’auras malheureusement pas la chance de le lire. J’en suis toujours au stade des larmes qui montent quand je pense à toi, même si j’essaye autant que possible de pleurire le plus souvent. Vivement que les larmes cessent et que le rire l’emporte enfin définitivement, je crois que c’est le plus bel hommage que je, et que l’on puisse te rendre.
Mô, que ton rire éclate ! Allez, on va voir la mer.4
(Avec un peu de chance, j’aurai réussi à respecter toutes tes exigences en termes de mise en page et de signes invisibles, là. Quelque chose me dit cependant que non. T’avais qu’à pas entasser les gadgets dans l’arrière-boutique, voilà.)
- Et tu sais que c’est mon métier d’avoir raison. [↩]
- Je signale au passage que “Mô, le livre de Maître Jean-Yves Moyart” ressort aujourd’hui aux éditions des Arènes, nouvelle édition enrichie d’ “Au guet-apens” née par la grâce de Laurent Beccaria, Mme Mô et Eric Morain, courez l’acheter. [↩]
- Au Printemps des monstres, qui est très bien, je vous le recommande, sauf si vous êtes allergiques aux quintuples parenthèses imbriquées. Allez donc le lire une fois que vous aurez fini “Mô, le livre de Maître Jean-Yves Moyart”, qui sort aujourd’hui aux éditions des Arènes, je le redis au cas où. J’aime beaucoup cet auteur (Jaenada, je veux dire. Enfin Mô aussi mais c’est différent), dont je dois là encore la découverte à Mô. [↩]
- Rimbaud à peu presque, désolée. [↩]
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