Kader est d’accord…

Acte III, Scène 3 : L’audience.

Comme toujours en tout début d’audience, notamment en comparution immédiate, la salle est comble et, bien que vaste et nantie de moult bancs, des gens, membres des familles et amis des veinards qui ont la joie d’y comparaître aujourd’hui, s’alignent déjà  contre le mur du fond, obligeant les nouveaux arrivants à  jouer des coudes pour avancer vers les juges -ce qu’à  part les avocats, personne ne souhaite faire, curieusement …

L’audience vient de commencer, avec son lot habituel, pour l’instant, de renvois d’autres dossiers plus anciens ; je vais saluer la substitue procureure procureuse (déjà  tenté, mais non) Madame le Procureur, c’est à  dire le membre du parquet qui est chargée ce jour-là  de cette audience, le plus souvent un substitut. J’ai de la chance, c’est quelqu’un de bien, entendez d’une part, qui n’a pas l’excès dans le sang et fait usuellement la part des choses, en y adaptant ses réquisitions, et d’autre part, qui est sympa et avec laquelle on peut discuter gentiment -et ce n’est pas toujours le cas. Elle est en plus jolie, ce qui ne gâte rien1 ; classiquement, par souci du respect du contradictoire, et pour tâcher de jauger un peu vers quelles réquisitions on s’achemine a priori, je lui remets toutes les pièces de personnalité dont je ferai usage tout à  l’heure, et nous avons une petite conversation off, à  voix évidemment basse, nous sommes à  quelques mètres des magistrats du siège, moi debout contre son estrade en béton, elle assise derrière icelle, ça donne un côté “siège médiéval” très symbolique à  la chose.

Nous apprenons alors, mon camarade Gildas m’ayant rejoint entre-temps, qu’elle est un peu surprise que nous envisagions de plaider cette affaire, dans laquelle, compte tenu de sa gravité, elle était persuadée que nous demanderions un renvoi, le temps de préparer la défense de nos clients. C’est nous qui sommes un peu surpris du fait qu’elle se soit ainsi mise dans nos souliers par avance, et, en la détrompant et lui assurant que nous sommes fin prêts à  plaider “pour de bon”2, nous finissons par comprendre qu’elle a bien cru entendre le Président, qui n’a eu lui aussi le dossier que tardivement, indiquer tout à  l’heure que pour lui, le renvoi ne faisait pas un pli, et qu’il n’avait aucune envie de juger cette affaire sur le fond aujourd’hui -ne vous méprenez pas, pas parce qu’elle serait mal préparée, mais parce qu’il estime apparemment qu’elle est trop grave pour subir un traitement en urgence …

Si je comprends désormais mieux pourquoi mon adversaire n’a donc pas réellement préparé le dossier, je n’en suis pas moins surpris, et pour tout dire pas content-content … Ce qui vient de nous être dit, donc, en-dehors du fait d’ailleurs qu’elle demandera le placement en détention si l’affaire est renvoyée, et trois ans fermes si elle est finalement retenue, en tout cas qu’elle l’envisage pour l’instant avant les débats, c’est, d’abord, que le parquet a discuté, hors la présence de la Défense, en off, de cette affaire avec le Tribunal, ce qui est toujours désagréable même si on sait tous que c’est très souvent le cas ;  et c’est, ensuite, qu’il n’est pas envisagé de juger ces deux hommes, auxquels pourtant on va tout à  l’heure donner le droit de “choisir” ou pas de l’être, étant en conséquence probable que personne n’ait réellement travaillé le dossier, ce qui évidemment pose problème -il y a braquage correctionnalisé et braquage correctionnalisé, et celui-ci est édifiant de ce qu’on y a affaire à  deux pieds-nickelés, à  condition d’en maîtriser tous les éléments …

Nous nous concertons derechef après ce charmant entretien, mon vaillant confrère et moi-même, et décidons de maintenir notre position : il n’y a pas de parties civiles présentes (le patron du magasin a dit sur procès-verbal que personne ne se constituerait partie civile, son personnel, choqué, étant pris en charge par une cellule psychologique interne et voulant apparemment “tourner la page”, le butin ayant par ailleurs été restitué), nous disposons tous les deux de tous éléments utiles pour éclairer le tribunal sur les personnalités de nos clients respectifs, et un report ne ferait que nous voir revenir dans quelques jours sans nouvelles pièces, avec entre-temps, plus que probablement, une détention provisoire inutile pour Kader et son comparse …

En outre, la composition du tribunal nous semble bonne, des magistrats habituellement attentifs et mesurés, capables nous semble-t-il de faire la part des choses dans cette affaire -et bien sûr, cette considération d’opportunité compte également -en CI, la composition du tribunal change d’une audience sur l’autre, et nous pourrions plus mal tomber, tant au niveau du parquet que des magistrats du siège3 .

Nous attendons donc dans la salle, et irons voir le président dès que l’affaire en cours sera terminée, au comptoir, pour lui faire part de notre position.

Ceci ne prend que quelques minutes, et nous venons donc lui confirmer que nous plaiderons … Et apprenons alors, micro présidentiel fermé, tout debout comme deux idiots au pied du massif bloc de béton, dos à  la salle et à  “nos familles”, lors d’un rapide échange à  mi-voix, qu’il n’est pas question pour les magistrats qui nous font face d’accepter la correctionnalisation choisie par le Parquet, que le tribunal ne veut pas être un “distributeur” de grosses peines, que la nature des faits est criminelle, point barre, qu’on fait désormais tout passer en CI, au risque de devoir vite et mal juger, qu’une affaire de ce type est forcément complexe et mérite qu’on s’y attarde, d’autant que la peine encourue est lourde, et que le Tribunal, pour faire bref, va donc soulever d’office son incompétence ratione materiae4, et renvoyer le parquet (deux textes le lui permettent, l’article 469, applicable à  tout jugement, et l’article 397-2, spécifique aux comparutions immédiates, qui ne vise pas l’incompétence au sens propre mais la “complexité de l’affaire”, ce qui en l’occurrence revient au même, et c’est ce texte qui sera invoqué.)  “à  mieux se pourvoir”, selon la formule consacrée, c’est-à -dire en clair à  requalifier les poursuites en vol avec arme, faits criminels, et donc à  requérir l’ouverture d’une information judiciaire, dans la foulée de l’audience …

Bref, le tribunal, pour des motifs de fond avec lesquels au surplus les deux défenseurs sont parfaitement d’accord, et qu’ils plaident souvent, va renvoyer Kader et son camarade à  ce qui aurait dû être la case départ, dès ce matin -même si ici et en pure opportunité, ça ne les arrange pas trop, les défenseurs, mais ils ne peuvent strictement rien y faire, le moyen juridique, soit la compétence correctionnelle/criminelle, est d’ordre public, et s’impose s’il est soulevé, de même que la décision de renvoi prise en application du texte précité l’est en vertu du pouvoir souverain d’appréciation des juges …

Si vous avez bien lu ce même texte, il ne vous aura pas échappé que dans un tel cas, “le tribunal statue au préalable sur le maintien du prévenu en détention provisoire jusqu’à  sa comparution devant un juge d’instruction” : en clair, pas question de lâcher Kader dans la nature, même deux heures, le temps que le parquet change son fusil d’épaule et rédige ses nouvelles réquisitions, afin qu’il se présente “libre” devant le juge d’instruction, qui déciderait ou pas de demander son incarcération provisoire …

Je tourne mon petit visage, un tantinet désabusé, vers mon adversaire du parquet, qui bien entendu s’était jointe à  ce petit aparté d’audience, et je lui dis petitement, avec un petit sourire, que je suppose qu’elle ne requerra pas le maintien en détention, puisque le parquet avait souhaité correctionnaliser, estimant donc quant à  lui les faits suffisamment peu graves pour ce faire, et que je trouverais donc ça… Petit. Elle me répond qu’elle admire la naïveté toute enfantine de certains avocats, mais que si, elle va demander que nos deux lascars restent dans les geôles encore quelques heures … Tout le monde sourit finement, car nous sommes entre gens civilisés, même si tout ceci procède tout de même de la gestion presque matérielle de deux personnes humaines, le président indique que du fait du renvoi, on va évoquer l’affaire immédiatement, nous demandons quelques minutes pour aller avertir nos clients de la nouvelle situation, et chacun regagne sa place -il n’y a bien entendu aucune chance que les deux hommes soient libérés.

Je descends dans les geôles expliquer à  Kader ce qui finalement va lui arriver, à  savoir une mise en examen, avec ou pas placement en détention provisoire, et, dans un premier temps, un jugement l’envoyant se faire mettre en examen, avec ou pas lui aussi détention provisoire de quelques heures … Vous imaginez je suppose parfaitement comme, épuisé et non juriste, il comprend la situation, mais il est comme moi, en pire : il fait avec …

Je remonte, explique la même chose à  la famille, qui n’y comprend absolument plus rien, sauf qu’elle va devoir s’armer de patience, la journée n’est pas finie, elle n’est en fait, quant au sort provisoirement définitif de Kader, même pas commencée …

Et là , comme ça arrive parfois au pénal, en voyant Kader et les siens si désemparés, je pète un petit câble personnel, et décide que je vais plaider “vraiment” la libération immédiate, comme si je la croyais possible : ça n’est pas parce qu’elle est déjà  écrite qu’on est autorisé à  la rendre facile, et puis tous ces revirements commencent à  me chauffer sérieusement …

C’est donc ce que je fais quelques minutes plus tard, lorsque le Tribunal évoque l’affaire pour en soulever la complexité et s’en défaire, devant Kader et son ami qui clignent des yeux dans la pleine lumière des néons, cherchant surtout à  entrapercevoir des visages amis ou familiers dans la foule, après que Madame le Procureur a requis le maintien en détention en confirmant qu’elle remontait immédiatement le dossier à  son collègue pour demander sans désemparer, comme dit la police, l’ouverture immédiate d’une information judiciaire : je plaide, en colère, contre la correctionnalisation, pour les pièces qui toutes indiquent un accident de parcours, même s’il est lourd, bien plus qu’un parcours, pour les garanties, contre la détention en général et celle-là  en particulier, je m’engage à  me présenter librement avec Kader tout à  l’heure devant le magistrat instructeur, je dis que je comprends l’ire du Tribunal qu’on a saisi légèrement de faits en principe trop gros pour lui, mais que dès lors il serait royal d’aller au bout du raisonnement en libérant ces deux hommes …

Je me suis presque convaincu, comme ça arrive parfois itou au pénal, mais je n’ai pas le temps de me rassoir,  après avoir déposé mon paquet de pièces de personnalité sur le comptoir devant le Président, le tribunal se concerte à  voix basses pendant dix secondes environ, et renvoie le parquet à  mieux se pourvoir en ordonnant le maintient en détention, ledit paquet de pièces demeurant, inviolé, posé devant lui …

Kader repart dans son trou, sous escorte.

Sa famille retourne attendre sur un banc, dans la Salle des Pas Perdus, qui aujourd’hui encore va mériter son nom. Ma plaidoirie inutile aura au moins servi à  les rassurer sur le point de savoir que Kader a un avocat.

Je retourne boire un coup avec mon confrère : nous savons qu’il va falloir nous armer de patience, le parquetier de permanence est débordé, là -haut, on n’est pas encore devant le juge d’instruction …

  1. Madame, si vous vous reconnaissez, ne perdons pas de vue naturellement que ce récit est romancé pour les besoins de sa publication, je dis ça pour vous éviter toute gêne intempestive … []
  2. donc, pas seulement un renvoi et sur le placement ou pas en détention qui serait alors subséquemment envisagé -oui moi aussi je peux parler comme un procès-verbal. []
  3. … Même si bien entendu tous les magistrats sont exceptionnels et que c’est un plaisir, et même un honneur, de plaider devant eux dans tous les cas, et je ne dis évidemment pas ça parce que j’ai plein d’autres affaires à  venir prochainement en correctionnelle … Comment ? Qu’est-ce que je voulais dire, alors ? Euh, rien du tout, voyons … []
  4. “En fonction du fond”, par opposition à  l’incompétence”ratione loci”, en fonction du lieu -un tribunal lillois ne peut pas juger un délit commis à  Paris par une personne arrêtée à  Paris itou, par exemple. []

161 Commentaires

  1. Nicolas
    « étant probable qu'il sera difficile à un Juge des Libertés et de la Détention de renvoyer quelqu'un chez lui juste après avoir braqué les employés d'un commerce, et d'adresser ainsi un signal un peu moyen aux dizaines de jeunes idiots qui pourraient avoir le même genre d'idées ... »

    Mais quel signal, que diable ?! Il ne faut pas tout mélanger, comme le faisait allègrement une certaine procureuse de Grenoble de sinistre mémoire. La détention provisoire n'a qu'une visée pratique, ce n'est pas une peine. En dehors de ces quelques considérations pratiques — l'oiseau ne doit pas s'envoler, ne doit pas détruire les preuves, les victimes, les témoins, ni se faire dézinguer par un chasseur… —, le mis en cause doit être libre tant qu'il n'est pas condamné, il est présumé innocent. Cette liberté provisoire ne signifie en rien que la justice l'absout, elle pourra fort bien, le jour du jugement, le condamner à de la prison ferme.
  2. vpo
    Quand la réalité dépasse la fiction.

    Marrant, l'histoire que vous racontez ressemble au début du synopsis du Telefilm qui passe ce soir sur France 2:
    Le 3e jour
    Bon sauf que Kader se rend à  la police au lieu d'être entraîné dans une spirale de violence comme indiquédans le résumé...
  3. Fassbinder
    Perso, ce que je retiens dans ce récit c'est lorsque, la parquetière vous soutient naturellement qu'un des prévenus (en l'occurence le votre) peut être libéré sous conditions, mais pas son complice !
    Les c...., ils les ont faites ensemble, je ne vois pas pourquoi lui aurait pu bénéficier de clémence et pas son "co-équipier" ?
    N' y aurait-il pas comme une injustice flagrante,non ?

    Si demain mon avocat, acceptait cela sans broncher et d'autant plus si j'en suis la bénéficiaire, eh bien je serais choquée et déçu de sa part !
    La Justice doit être la même pour tous le monde et non pas parce que l'un des deux est mieux nanti que l'autre ! :(
  4. Temps des Cerises
    Parmi les "blogs de flics" vous pouvez aller voir les deux suivants : http://moreas.blog.lemonde.fr/ et http://police.etc.over-blog.net/. Personellement je les classerais dans les bons, mais je vous laisse vous faire votre propre avis :lol:
  5. Cédric
    Comme beaucoup de vos lecteurs, j’apprécie votre blog, comme celui de votre confrère Eolas d’ailleurs. J’aime la qualité de votre rédaction, toujours teinté d’humour, et la richesse du fond juridique que vous nous apportez.
    J’ai évidement dévoré ce récit d’un trait, n’en déplaise à  Madame Mô. Je porte un intérêt particulier à  ce genre de thème car je suis fonctionnaire de police et suis amené de par mes fonctions d’enquêteur (OPJ) à  côtoyer ce que vous nous avez décrit avec tant de passion.
    En effet, tout les palais de justice de France, ne possèdent pas leurs « petit dépôts » ou leur « souricière » et il arrive régulièrement qu’en province, dans de petits TGI, ce soit les enquêteurs - ayant eux même rédigé la procédure - qui assurent les missions de présentation devant les magistrats du parquet ou du siège et même la conduite en Maison d’Arrêt, si la Détention Provisoire est décidée par le JLD.
    A ce titre, je viens apporter ma vision des choses. Dans l’histoire que vous nous avez narré, vous vous efforcez de nous décrire les émotions, le stress, la fatigue et les passions vécues par les différentes parties du procès pénal lors de cette journée de comparution, le tout romancé à  la « sauce Maitre Mô », ce qui rend l’ensemble extrêmement plaisant à  lire et fort en émotion. Les commentaires de vos lecteurs l’attestent, ils réclament désormais la rédaction de votre premier livre. (Dépêchez-vous, il ne vous reste plus que quelques mois. Après la mise en place de la réforme de la GAV, vous passerez une grande partie de vos journées dans les commissariats et gendarmerie du Nord à  assister vos clients).
    Si effectivement dans cette histoire, je partage la peine de la famille du prévenu, l’agacement des avocats face à  une situation judiciaire aussi rocambolesque qu’ubuesque, je n’arrive pas à  éprouver de compassion pour « Kader », même s’il parait être un garçon sincère et sympathique comme vous nous l’avez répété bien trop de fois. Les faits qu’il a commis y sont sans doute pour beaucoup et les éléments atténuants que vous lui avez trouvés n’ont que peu d’effet sur moi. Heureusement que tous les futurs pères de famille en difficulté financière ne s’attaquent pas aux commerces avec des armes (même factices) car j’ai bien peur que toutes les situations ne se finissent pas aussi bien que celles vécues par Kader et son ami, surtout s’ils sont aussi « guignols » que nos deux compères. Encore bravo à  mes collègues intervenants.
    Je conçois que cette journée à  été harassante pour sa famille et son défenseur mais s’il se retrouve confronté à  cette journée usante s’est uniquement de sa faute et à  personne d’autre. Il est donc responsable d’avoir exposé sa famille à  cette « parodie de justice ». On ne peut pas toujours renvoyer la faute sur la mauvaise organisation de la justice ou critiquer le comportement de son escorte, l’ayant soumis lors de tous ses transfèrements, au port des entraves.
    Je ne sais pas quelle sanction prendra le Tribunal Correctionnelle ou la Cour d’Assises contre « Kader » mais la journée qu’il à  vécu au Tribunal, à  vos côté, est déjà  une forme de sanction, qui certes n’est pas prévu par la loi mais qui d’un point de vue psychologique aura sans doute des effets porteurs et positifs sur son avenir de père, car je suppose qu’il n’est pas pressé de re-soumettre sa famille à  pareil stress ou pareille peine.
    D’autre part, dans votre billet vous avez mis fermement l’accent sur la longueur de votre journée, ainsi que celle des magistrats. Je vais donc me permettre d’expliquer le travail des policiers car vous ne vous y êtes que très peu attardé, même si j’apprécie le fait que vous ayez venté les qualités humaines des procéduriers.
    La mission des policiers soumis à  l’exercice de la Police Judiciaire est lourde, stressante et fatigante. La vigilance et la clairvoyance sont de rigueur. Gare à  ne pas oublier une signature et attention de ne pas se tromper d’horaire sur un PV, l’avocat de la défense est là  pour veiller à  ce strict respect des règles et on sait qu’il n’hésitera pas à  détruire le travail de plusieurs mois. Vigilance aussi face à  la personne que l’on doit garder à  vue. Même s’il est gentil et parait sincère on ne le connait pas plus que ça. Nombreux sont ceux qui, derrière est un beau sourire et des paroles mielleuses, n’attendent que la bonne opportunité pour vous fausser compagnie. Les menottes, bien que très peu populaires chez les avocats, permettent au moins de limiter ce risque.
    Pour ma part, il m’arrive d’effectuer des missions bien plus longues que celle à  laquelle vous avez été confronté ce jour là , mais n’y voyer pas là  une attaque contre votre corporation. Je respecte les avocats.
    D’ailleurs, dans les mois à  venir, nous allons être amenés à  partager une grande partie de notre emploi du temps. Comme je l’ai déjà  dit, vous passerez bientôt plus temps avec les policiers qu’avec les magistrats et peut être qu’à  terme cette situation aura des conséquences sur votre vision des choses. Wait and see !!!
    Lorsque nous agissons dans le cadre d’une commission rogatoire, il nous arrive d’effectuer tous les actes de l’enquête policière, de l’interpellation jusqu'à  la mise à  exécution du mandat de dépôt, en passant par la phase des auditions, des perquisitions, des saisies et des présentations devant les magistrats (Proc, JI et JLD). Vous comprendrez alors aisément que le temps passé avec le prévenu est bien supérieur à  celui que vous avez passé avec « Kader ».
    Récemment, lors d’une mission, des collègues et moi-même avons été amené à  interpeller un individu à  PARIS, perquisitionné son domicile et l’entendre sur les faits reprochés dans une salle crasseuse d’un commissariat que nos collègues parisiens avaient consenti à  nous mettre à  disposition. A l’issue de ces investigations classiques, nous prenions la route en direction de la Province à  500 km de là , pour présenter notre gardé à  vue au magistrat mandant. Après plusieurs heures de route et à  l’issue de cette présentation, le JLD décidait de faire écrouer l’intéressé vers une Maison d’Arrêt situé à  60 km du siège de son TGI.
    Le nombres d’heures passés avec ce prévenu et les kilomètres réalisés en sa compagnie ont évidemment permis de créer un climat extrêmement serein, sein et j’irais même jusqu'à  à  dire presque d’amitié, tant une proximité s’était créer entre lui et nous.
    Si l’intéressé s’est retrouvé dans cette position, « bringbalé » pendant plus de 2 jours aux 3 coins de France, c’est uniquement de sa faute !!! Évidement, je n’ai pas éprouvé non plus de plaisir à  l’éloigner de ces proches ou à  le soumettre au port des menottes lors de nos déplacements, mais j’estime le port de celles-ci nécessaires et j’ai expliqué pourquoi. A ce titre, je regrette trop souvent dans vos billets, comme dans ceux de Maitre Eolas, que vous reprochiez aux policiers de menotter des prévenus, en accentuant ce reproche par l’utilisation d’un vocable fort : « laisse », alors que cet objet porte le nom de « chaine de transfèrement ».
    J’agit comme un professionnel et évite autant que faire se peu de m’alourdir de fardeaux dont je ne peux rien. Je me comporte envers les gardés à  vue avec la dignité que m’impose ma fonction et ma qualité d’homme, comme grand nombre de policiers soit dit en passant. Il m’arrive régulièrement de partager avec ceux-ci un sandwich, une boisson ou un café, le tout financé par mes soins. Ce comportement me parait normal et même logique surtout si j’ai à  faire à  une personne respectueuse, comme ce fut le cas lors de cette mission.
    Lorsque l’individu a été « déposé » à  la Maison d’Arrêt, c’est toujours avec une poignée de main franche et sincère que je salue celui qui a été plus proche de moi que les membres de ma famille lors des dernières heures. J’accompagne cette poignée de main, les yeux dans les yeux d’un aussi sincère « BONNE CHANCE POUR LA SUITE », laquelle parole se voit retourner un : « MERCI T’ES SYMPA ». Pas de haine
    Nous ne faisons que notre travail, bien que celui-ci soit de moins en moins populaire. La faute à  qui ?? Le débat est ouvert.
    En tout cas, merci de nous permettre d’avoir une tribune sur votre blog. J’aimerais que dans nos rangs, des gens est votre talent pour rédiger aussi régulièrement des billets passionnants sur le quotidien des policiers. Ils pourraient nous permettre de nous réconcilier avec la population. Nous en avons tant besoin, elle en a tant besoin !!

    Cédric
    1. Cédric, d'abord merci, et ensuite, croyez que je suis conscient de la charge qui est la vôtre, et partage totalement ce que vous dites ici.

      C'est vrai que j'insiste peu sur le boulot des policiers, mais c'est parce que, bien sûr, je connais mieux la phase judiciaire, et je pense effectivement que la réforme à  venir fera évoluer ça aussi (quoi que si le projet de réforme passe tel quel, je vais me retrouver des nuits entières muet sur une chaise à  côté de vous qui mènerez vos auditions tout seul comme avant : je sais où et quand je vais l'écrire, mon livre !).

      Croyez aussi que j'entretiens les meilleurs rapports du monde avec tous les enquêteurs que je connais -dont d'ailleurs plusieurs à  Lille ont été assis dans les mêmes amphis que moi, il y a déjà  un petit moment...

      Je parlais hier soir tard avec un procureur de l'époque, à  Lille, où ce sont les OPJ qui amenaient les suspects, époque que j'ai connue (et à  laquelle, pendant les temps d'attente, on avait des échanges passionnants ; une fois, une collègue à  vous amenait un pédophile récidiviste, à  mon sens pas dangereux en termes d'évasion ou de geste inconsidéré. Comme je la connaissait comme étant une enquêtrice particulièrement teigneuse, me voilà  parti dans une grande diatribe mi-chambreuse, mi-sérieuse, sur les menottes inutiles... Elle m'a répondu qu'elle ne voulait pas les lui enlever, pour les raisons que vous exposez, mais que si je voulais, elle pouvait m'attacher à  lui, ça lui ferait une main libre, puisque j'y tenais... Coincé, le Mô, j'ai dû dire chiche, et poireauter à  trente centimètres du bonhomme tout le reste de l'attente... C'était le bon temps !) : il s'avère qu'en fait un rapport à  décidé que les OPJ n'avaient pas que ça à  faire, et surtout qu'ils coûtaient en heures sups', bien plus cher que le policier de base... (Ce qui fait qu'hier on a attendu trois heures qu'un "équipage se libère, bref...).

      Il y a des "blogs de flics", sinon, un peu partout : ne désespérez pas !

      En gardant à  l'idée que ceux d'entre vous qui viennent me faire le plaisir de me lire, ou Eolas évidemment et d'autres confrères, ne sont à  mon avis pas ceux qui sont les plus radicaux ni les moins ouverts d'esprit...

      Si vous voulez, je vous raconterai un jour comment les policiers m'ont sauvé la vie, en pleine Cour d'Assises, et contre... Mon client ! Juré ! :lol:
      1. Cédric
        Merci d'avoir lu mon commentaire et surtout d'avoir pris le soins de le commenter à  votre tour. Lorsque l'on "post" en 175ème position, on craint toujours de ne pas être lu, ou du moins pas par le Maitre des lieux...

        Vous nous reparlez de votre livre et je sens que cette idée commence à  murir dans votre tête. J'ai bien compris aussi que lorsque vous me dites que vous envisagez de l'écrire à  mes côtés, pendant que j'auditionne votre client dans un silence forcée m que m'auront accordé les nouvelles dispositions du CPP, c'est une façon détournée de me proposer d'écrire la préface de votre ouvrage. Et bien, après avoir réfléchi longu ...... J'ACCEPTE !!

        Je savoure déjà  à  l'idée de connaître les circonstances qui ont permis à  des policiers de sauver la vie de Maitre Mô en pleine Cour d'Assises.

        Si vous avez des noms de bons "blogs de flics" , je suis preneur car je n'en connais point.
          1. Cédric
            - Commentaire n° 71.1.2.1.1
            Merci c'est flatteur !!

            Je crois malheureusement n'en n'avoir ni les compétences, ni les moyens intellectuels.

            Je me contenterais dans l'immédiat de quelques commentaires sur les blogs d'Eolas et de Mô....mais, comme pour ce dernier, laissons l'idée murir.
        1. Temps des Cerises
          Oupss, j'avais posté au mauvais endroit :? :? :?

          Parmi les "blogs de flics" vous pouvez aller voir les deux suivants : http://moreas.blog.lemonde.fr/ et http://police.etc.over-blog.net/. Personellement je les classerais dans les bons (intéressants sur le fond et bien écrit), mais je vous laisse vous faire votre propre avis. :lol: :lol:
  6. Motus
    Encore un texte écrit de main....de Maître.
    Toutes mes félicitations (avec une pointe de jalousie dedans, parce qu'écrire aussi vite relève de l'exploit...et qu'épouser une femme aussi compréhensive force le respect).
    1. Compréhensive, compréhensive... Elle m'interdit quand-même de me connecter au blog quand je suis chez nous et qu'elle ne dort pas ! Surtout à  vrai dire si les enfants ne dorment pas non plus... :mrgreen:

      Moralité : pourquoi croyez-vous que je me lève vers 3 heures 30/quatre heures tous les jours, dimanche inclus ? :x :D

      M'en fous, j'ai entrepris d'apprendre à  Petit Mô (3ans) à  se servir d'un clavier : il se trouve que je le fais en me connectant au blog, et que j'ai une pédagogie à  base de démonstration essentiellement... :P

      Un bon truc à  ceux qui sont dans le même cas : en partie droite de l'écran, tapez "comptines enfants" sur U-Tube ; asseyez l'impétrant sur vos genoux, il fixera les trucs qui défilent ; partie gauche, ce que vous avez à  faire sur le Ouaibe, évidemment, héhé... ;) :lol:
  7. Horse
    "la nécessité de relativiser un "trouble persistant à  l’ordre public" qui n’a pas tant persisté que ça, au fil de la journée, dans l’esprit du demandeur à  la détention".

    J'aime beaucoup la formule qui résume assez bien les errances de la justice pénale et du parquet en particulier durant cette journée.

    Je me permets une toute petite observation que je formule d'autant plus humblement que je m'en suis rendue compte il y a peu: il convient d'écrire "par acquit de conscience" et non par "acquis de conscience", il s'agit en effet du verbe acquitter, terme ô combien cher à  notre profession!
  8. Petite question Maître (courte, c'est promis !) : vous finissez en disant que le dossier va surement finir en correctionnel. Euh, d'accord, parfois la machine d'état est un peu lourde et aime tourner en rond, mais pourquoi ? Et surtout, comment sera justifiée (si elle l'est ...) la perte de temps, les aller-retours idiots entre étages, les ordres et contre-ordres donnés, tout ce joyeux cirque, quoi ! J'avoue avoir du mal à  saisir là  ...

    A part ça, bel exploit. D'ailleurs, pour arrondir vos fins de mois, vous pourriez tenter de vous faire sponsoriser par des fabricants de clavier. Je vois bien un logo indiquant "ce clavier a résisté à  la saisie d'un article par Maître Mô" ! :mrgreen:

    PS : les "an arrêt-maladie" des greffiers, c'est une faute ou c'est pour indiquer la durée moyenne des dits arrêts ? :mrgreen:
    PS2 : vous avez bien fait de ne pas publier ce texte en plusieurs fois ... Je ne voudrais surtout pas sous-entendre que, parfois, vous publiez des textes en plusieurs fois et qu'on attend la suite, hein, c'est pas du tout mon but :lol:
    PS3 : Le jour ou vous écrirez des livres et ou vous serez encore plus connu, je vous propose "oussel" comme prénom pour le comparse ... En plus, chanter des chansons sur des gens dont les maisons n'ont pas de murs, en prison, c'est original non ? :? (ok je sors ;) )
    1. Pour répondre à  ta question qui ne rencontre qu'indifférence de la part de l'Auteur (je dis ça, je dis rien) et te prouver que contrairement à  tes insinuations à  domicile, je te lis toujours, je pense que la justification ressemblera à  ça : "Attendu que les faits initialement poursuivis sous la qualification criminelle de vol avec arme sont en réalité constitutifs du délit de vol avec violences et en réunion ..." et hop, disqualification.
      1. Merci Marie de te substituer à  l'avocat ... C'est un entrainement pour ta future reconversion ? :mrgreen:

        Ceci dit, c'est quand même un peu limite non, comme argument ? Parce que, dans ce cas, la question suivante qui me vient à  l'esprit c'est "comment le proc (euh, c'est bien le proc, hein, qui poursuit, je dis pas de bêtises ?) arrive t'il à  justifier qu'il se soit gouré (y'a pas d'autre terme) entre vol avec arme et vol avec violence ?" C'est quand même pas pareil :x
        1. Eh bien, en fait, on ne justifie pas davantage que ça, car personne n'a intérêt à  soulever le caractère criminel de la qualification réelle. Toutes les parties doivent être d'accord pour correctionnaliser.
  9. Elo
    Lu en entier et d'une traite !!! (désolée de donner tort à  Madame mô) Bravo, très beau récit, merci de nous avoir fait partager votre expérience, on s'y est cru, on y a cru... vous avez fait tout ce que vous pouviez pour Kader
  10. Janger
    Bravo Maître..lu en entier itou...sur un portable en salle d'audience de Conseil de Prud'homme en attendant d'être appelé pour plaider le dossier du salarié que je représentais ce jour...(non, non, je ne suis pas avocat...juste un humble défenseur syndical...mais j'apprécie au plus haut point tout vos billets...Merci encore...)
    J'espère lire votre prochain article avant que ne "tombe" le délibéré de l'affaire qui m'a conduit devant le CPH... ;) (et qu'icelui soit favorable au salarié que je représente :? ....Je sais, je sais, "icelui" est un plagiat...C'est de la langue de Mô, pardon Maître :!: )
  11. Robert
    Maître, vous me donneriez presque envie de devenir avocat ...

    Et vous feriez un piètre délinquant, tant vous semez (volontairement ?) les indices (et les aveux) à  droite et à  gauche dans vos interventions et sur la toile.

    Je nous ai trouvé un nouveau point commun à  ajouter à  nos origines (avec cette différence que j'ai quitté le 59 et ai renoncé à  danser sur les tables chez Mademoiselle Fifi) , faute d'ENM : le marchfeld de l'ESM.

    N'auriez vous pas été un cijas du de génie ?
      1. Robert
        Non, non, rassurez vous, vous êtes bien trop vieux :mrgreen:

        Et puis j'avais vraiment été sélectionné pour mes aptitudes physiques et intellectuelles au combat . . .

        Et une fois affecté, je me suis pris la tête avec le cijas local, qui doit être avocat aujourd'hui (comme quoi il doit y avoir quelque chose de génétique ...)

        Quant à  ces soirées chez Mademoiselle Fifi, je suis sûr que c'était vous :P

        Ah , madame Mô n'est pas au courant, veuillez m'excuser :mrgreen: :mrgreen: :mrgreen:
  12. Nola
    Pour faire justice à  Mme Mô, j'avoue n'avoir pas réussi à  lire cet article en une fois.
    Bien malgré moi, j'ai dû m'arrêter au milieu lundi après-midi (débordée, pas le temps, toussa), et j'avais même complétement oublié de venir lire la suite jusqu'à  aujourd'hui!

    Mention spéciale à  "ledit ballet ressemble le plus souvent à  un ballet à  chiottes" qui m'a fait beaucoup rire, et à  "mon ami enrobé" qui m'a d'abord fait croire que Gildas avait de l'embonpoint, avant de comprendre qu'il avait uniquement une robe!

    Merci pour ce récit, une fois de plus poignant, instructif, et humoristique (ah oui j'oubliais, très bonne entracte!!).

    En tant que jeune avocate, j'avoue avoir failli faire la gaffe que vous mentionnez (solliciter la nullité de la garde à  vue au motif que tous les actes ne sont pas contresignés par l'OPJ ni par le gardé à  vue), fort heureusement d'autres confrères à  qui j'en ai parlé m'ont appris qu'on ne nous donne jamais la vraie "copie du dossier", mais en réalité on nous donne une copie imprimée par les services de police à  partir des fichiers informatiques des PV... par conséquent ils ne sont jamais signés (ce qui n'est pas du tout pratique pour vérifier la conformité des signatures...)

    Et je confirme aussi que pour les compa on n'a jamais le PV du parquet dans notre copie du dossier, ni le casier judiciaire, ni l'enquête sociale rapide, si bien qu'on les consulte lorsque l'audience débute, en urgence (comme tout ce qu'on fait en compa!).
  13. kuk
    Félicitations et merci, Maître, la longueur de votre prose n'a d'égale que son humanité
    La réaction de Kader, telle que vous la relatez, face au Juge des Libertés et de la Détention en est, par sa simplicité et son authenticité le bouleversant point d'orgue.
    Les petites notes de bas de page ne sont pas les passages les moins appréciés, je m'essaie à  la rhétorique juridique de l'euphémisme, notamment les 3, 4, 6, 8, 16, 19, 23, 24, 26, 29, 30, 31, 32, à  ce propos de 32, ne craignez vous pas que la dite procureur interprète mal l'affirmation que sa beauté est romancée ?, 33, 34, m'a bien fait rire la 34, 36, 38, 41, 42 et les autres aussi.

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