PLAIDOIRIE
Un temps de silence, puis j’eus, enfin, la parole – et ma voix tremblait, mais plus de peur à présent, mais de colère : “Prouvez-le !”, criai-je presque, attrapant d’un coup toute l’attention de la salle. “Prouvez votre histoire. Ne dites pas que les preuves recueillies peuvent correspondre à votre histoire : dites qu’elles la démontrent, de façon certaine. Et si ça n’est pas le cas, cessez de tenir cette histoire pour vraie.” Et je plaidai, près de trois heures.
Je suppose que ça ne se fait pas, de dire de soi-même qu’on a été bon ; je ne le fais presque jamais, parce que je ne le ressens presque jamais, je suis plutôt du genre à toujours penser que ça aurait pu être mieux, que ça aurait dû l’être. Mais là, franchement, je sais que j’ai été bon – je l’ai senti dès la première seconde, et ça n’a jamais diminué, pendant tout le temps que je plaidais, qui pourtant était long.
“Bon”, aux assises, on peut y apporter les nuances qu’on voudra, mais ça veut surtout, et peut-être seulement, dire une chose – comme d’ailleurs pour tout le pénal : ça signifie “convaincant”.
Et je sais que je l’étais, parce que, au-delà du silence, au delà de l’attention des jurés, que je n’ai jamais vue diminuer, malgré les minutes et les heures qui passaient, au-delà de la maîtrise que j’avais de mon discours, ce jour-là, j’étais profondément convaincu de l’innocence d’Ahmed, de sorte qu’en réalité je ne plaidais pas, je n’ai d’ailleurs pas eu une seule fois recours à mes notes ou au dossier ; en fait, je défendais Ahmed comme s’il avait été mon frère, et avec autant de sûreté que si j’avais assisté moi-même au déroulement de ces heures qui avaient entouré le drame : je ne plaidais pas, je savais que ce que je racontais était vrai.
J’ai tout repris, à nouveau, et deux fois : une première, parce qu’une piste pouvait toujours s’envisager, celle de coupables tiers, jamais identifiés, repartis comme ils étaient venus, que le hasard aurait mis sur la route de Geneviève ce soir-là ; non, je n’y croyais pas vraiment non plus, mais, dis-je aux jurés, l’un de vous peut-il me jurer sur la tête de ses enfants ou de ses parents que ce n’est pas arrivé, que ce hasard n’était pas survenu ? J’avais moi l’impression que personne n’en prendrait le risque, et ce motif d’acquittement me suffisait en lui-même.
Mais au-delà, je repris, surtout, l’ensemble des éléments, sans en laisser aucun de côté, au soutien de la thèse qui me paraissait la plus vraisemblable, la plus logique, la plus simple, celle qui, comme celle de l’avocat général, recoupait toutes les charges du dossier, ou en tout cas n’était formellement contredite par aucune, et pour autant n’impliquait en rien Ahmed : moi aussi, j’avais mon histoire, et la mienne aussi tenait debout, celle évidemment d’un crime commis par Roger seul, après le départ d’Ahmed, et sans qu’il ne le sache.
D’abord, le mobile : “Néant. Rien n’indiquait qu’Ahmed, calme, pondéré, qui ne buvait pas, ait réellement été à bout, ce soir-là ou un autre, ni moins encore qu’il ait eu quelque bonne raison que ce soit de passer à l’acte – pour quoi faire ? Encourir perpétuité aux Assises ? Alors que, et il le savait, on le lui avait dit, un divorce, facile, lui était possible – si réellement c’est bien ce qu’il voulait … Car, en outre, je le croyais, moi, lorsqu’il parlait de son amour pour Geneviève, et qui était-on pour juger de cela, qui serais-je moi pour trouver que tel ou tel couple dont l’un des membres était dans cette salle était mal assorti, incompréhensible par moi, et pour décider d’autorité qu’en conséquence, le véritable motif de cette union ne pouvait être sentimental ? Qu’est-ce qu’on savait de cette chose-là ? J’affirmai qu’il n’y avait aucun mobile, ni humain, ni rationnel, aucune explication cohérente à ce qu’Ahmed soit en quoi que ce soit mêlé à la mort de sa femme – et qu’on ne me parle pas de sa pseudo absence de réaction, le lendemain, qui ne signifiait ni ne prouvait rien, chacun dans un cas semblable en aurait une, différente – ou apparemment pas du tout, j’avais tout vu en ce domaine, en fréquentant cette salle d’audience notamment …”
La griffure, très légère, que portait Ahmed au cou, et le fil bleu sous l’ongle ? Je dis que j’étais persuadé que cela s’était passé comme il l’avait dit, lors de l’engueulade ; je dis que “l’avocat général avait écarté cette possibilité d’un revers de manche au nom d’un seul facteur : la logique apparente et raisonnable – le pire ennemi de l’historien, et être juge au pénal, avocat aussi d’ailleurs, c’est prétendre être l’historien d’un moment de vie précis. Et que cette logique-là, c’était en fait une probabilité, seulement. Je ne parlais pas de la griffe, vraiment infime, qui pouvait parfaitement avoir été causée par un geste de colère ou une tentative de gifle, comme Ahmed l’avait toujours dit, alors que le couple était encore chez lui – et qu’avait décrit d’autre l’accusation, en transposant seulement le même geste à deux heures plus tard, sans le justifier en rien ? Mais oui, le fil avait logiquement plus de chance de provenir de la veste que du pantalon, il était moins probable que la main de Geneviève ait effleuré celui-ci que cette saloperie de veste de costume, vu la scène décrite ; et alors ? On allait condamner un homme pour ça ? Parce qu’il était “plus probable” que ? Avait-on démontré, sans erreur possible, la main à couper, que ce fil bleu venait bien de la veste, et en avait été arraché lors du crime ? On avait effectué des tests sur la durée de vie d’une particule de coton sous un ongle ? Quelqu’un était-il capable d’affirmer qu’une heure avant la dispute, Geneviève n’avait pas déplacé la veste de son époux, en y prélevant ce qui deviendrait la preuve accablante, la prétendue seule preuve de la présence physique d’Ahmed sur les lieux de l’assassinat ?”
Ici j’avais pris un petit risque : “Regardez tous vos ongles, très soigneusement, maintenant ou en délibéré, et vérifiez s’il ne s’y trouve pas une petite saleté quelconque, trois fois rien ; demandez-vous ensuite, s’il y en a, d’où elle vient, quand votre doigt l’a ramassée … Si vous vous apercevez qu’elle vient de chez vous, demandez-vous encore si c’était ce matin, dans la nuit, hier …” La Logique, l’apparence, étaient les ennemies de cette salle, n’avaient rien à y faire, s’opposaient, par leur faiblesse, à la rigueur nécessaire que contient le mot “preuve” : de preuve, nous avions celle que la main de Geneviève avait à un moment touché un élément du costume porté ce jour-là par son mari ; en aucun cas celle de ce que c’était arrivé à deux heures du matin, point barre. Il y avait mille explications possibles, mais une seule, autre que celle de l’accusation, me suffisait.
“D’ailleurs, on n’avait pas recherché l’ADN d’Ahmed sur les vêtements de Geneviève, parce qu’on estimait qu’il était probable qu’on en trouve, mais que ça ne signifierait rien, le couple vivant ensemble et ayant eu des contacts toute la journée : comment ce fil infinitésimal, dès lors, pouvait-il ne pas suivre la même voie, en tant que preuve, celle de la poubelle ?
Que restait-il ? Deux choses, en tout et pour tout – et l’absence d’éléments plus tangibles, plus nombreux, plus pertinents, était en elle-même, bon sang, un élément à décharge : quoi, pas de sang, du tout, sur l’homme qui, selon l’accusation, est à la fois tellement proche de Geneviève qu’elle le griffe et lui vole une parcelle de tissu, et tellement loin que, malgré les “giclées” de sang, souvenez-vous, c’est le terme que l’expert a employé, causées par la blessure, il n’en reçoit rien, pas une goutte, pas même sur les chaussures ? Nous venions de parler de logique : qui, ici, admettra cette logique-là, la tolérerait une seconde s’il s’agissait de l’accuser, lui, avec ce type de fondements ?
Il ne restait déjà plus que deux choses : les taches de boue sur les chaussures et le bas de pantalon, et les trois témoins qui … Ah, non, pardon, je dis les trois témoins, mais c’est stupide, je cède moi aussi, comme l’a fait sur ce point Monsieur l’avocat général tout à l’heure, à la facilité du manque de rigueur – et je le réentends à cet instant vous dire qu’il n’y avait pas un, pas deux, mais trois témoins … Ce qui, s’agissant d’Ahmed, est faux, archi-faux : UN témoin, peut-être et au plus. Oui, souvenez-vous : le jeune homme n’a vu personne, seulement la voiture ; la jeune femme a vu … Deux silhouettes, pas trois, jamais, rien d’autre : deux silhouettes, côte à côte, l’une “un peu plus petite” que l’autre – or Ahmed est petit, tout petit, très petit ; pas “un peu” plus petit que Roger ou que Geneviève, beaucoup plus petit ; et puis, on parle là de silhouettes entraperçues : s’il s’agissait d’Ahmed, fin et sec comme un clou, cette autre différence, de largeur cette fois, avec Roger ou Geneviève, ne l’aurait-elle pas également frappée ? Je dis que cette jeune femme a seulement vu Roger et Geneviève côte à côte, je dis que rien ne s’oppose dans ce témoignage à ce que je le dise, j’affirme que si cette personne a vu deux, et non pas trois silhouettes, c’est qu’il n’y en avait que deux ! Disposez-vous ici encore de la moindre preuve contraire ?
Oui, bien sûr, le témoignage du brocanteur. Tellement sûr de lui. Tellement fiable que ce témoignage, donc en réalité unique, puisqu’il est le seul à avoir vu trois personnes, est tenu d’office pour absolument vrai par le parquet, tandis que, nécessairement, celui de la jeune femme est lui sujet à caution, elle a forcément mal regardé, elle était plus distraite, ou ses yeux portent moins loin la nuit, passons : elle en tout cas n’a vu personne dans le fossé, mais comme c’est ennuyeux, elle a seulement probablement mal vu …
Et si c’est le brocanteur qui a mal vu ? Si par exemple, et ça expliquerait pourquoi, en apprenant le crime dans la presse le lendemain, il ne fait apparemment pas le rapprochement, et ne se précipite pas chez les gendarmes, alors que le rapprochement est évident, il n’a effectivement vu au départ que deux silhouettes, ou pour ce que j’en sais aucune, même, pourquoi pas ? Et que ça n’est qu’en découvrant dans le journal qu’il était censé y avoir trois protagonistes que son cerveau, à l’insu de son plein gré comme disait l’autre, a inventé la troisième silhouette ? Oh, je sais, il a dit qu’il n’avait pas été voir tout de suite les gendarmes car les articles décrivaient une victime dans le fossé et deux assassins “présumés” arrêtés, soit exactement ce qu’il avait vu, de sorte qu’il avait pensé qu’on n’avait pas besoin de lui. Soit, même si un coup de fil n’est pas cher et permettait d’en être certain, je veux bien, je ne veux pas accabler ce Monsieur. Et si, vous avez vu les photos de la reconstitution, nous sommes dans une forêt, le fossé la borde et est plein de souches et de branches : et si la silhouette en retrait était une branche ou un buisson, dans le noir, après une journée de seize heures, et dans la lumière de phares ?
Et si, allons plus loin, je vous dis qu’à nouveau, la fameuse logique contredit totalement ce témoignage ? Et qu’à mon sens, je détiens la preuve qu’il est erroné, et, je le pense sincèrement, en réalité le probable mirage d’une auto-suggestion effectuée a posteriori ? Ou si pas la preuve, car je n’ai pas cette charge, moi, au moins un sacré élément de réflexion … Vous vous souvenez de son témoignage, précis et carré ? Deux hommes en haut du fossé, une autre silhouette dedans, un peu sur le côté, et … Attendez … Comment ça, “un peu sur le côté” ? Effectivement, en passant sur la route, en parallèle à la ligne formée par les deux silhouettes côte à côte en haut du fossé, il était impossible, strictement impossible, à cet homme, de voir une autre silhouette en contrebas et exactement devant eux, ils auraient fait rempart à sa vue avec leurs corps : la victime, il n’a pu la voir que sur le côté, suffisamment d’ailleurs pour qu’elle se distingue d’eux dans la nuit mal éclairée … Mais alors, quand diable cette scène, dont je n’ai trouvé aucune trace dans l’histoire racontée tout à l’heure par Monsieur l’avocat général, a-t-elle bien pu se produire ? On supposera, encore, que la victime soit tombée ou ait été jetée dans le fossé, et qu’elle demande à remonter … Et que font nos deux imminents assassins ? Ils ne se placent pas en face d’elle, mais à côté, et ils regardent tous deux joyeusement on ne sait pas quoi, droit devant eux, dans le noir de la forêt, en attendant que le temps passe ..?
Cet homme, je l’affirme, ne peut pas avoir vu une telle scène.
Mais allons encore un peu plus loin, et réglons définitivement le sort de ces témoignages, non pas pour vous prouver qu’ils sont faux, mais simplement d’une fragilité extrême, défiant même décidément la logique : nos trois témoins, leurs véhicules n’avaient pas de moteurs ?
Oui, cette absence de bruit indiquant leur arrivée à hauteur de la scène de crime serait la seule explication rationnelle et logique au fait qu’apparemment, les deux personnes au bord de la route n’en ont pas été effrayées, et n’ont pas du tout cherché à se dissimuler, même pas en se baissant …
Ou alors … Si, il existe une explication logique : ces deux personnes étaient ivres, de sorte qu’ils ne prenaient plus garde au passage des voitures, et n’avaient pas spécialement au surplus de motif de se cacher – parce qu’éventuellement, rien encore n’était arrivé.
Ahmed ne boit pas. Et il n’était pas là. Et Roger, car c’était lui, tuera Geneviève, car c’était elle, quelques instants plus tard, en l’ayant poussée d’abord dans le fossé, en sautant dedans pour l’égorger, puis en repartant, toujours seul.
Non, je ne ne peux, ni n’ai à le prouver ; mais c’est en cohérence avec ce que l’on sait – et vous ne pouvez pas me prouver que ça s’est passé autrement.
Quant à la boue, ultime élément prétendument à charge, vous avez, comme moi, entendu les conclusions de l’expert : la boue, dans le village et sur la route, est la même, partout ; vous vous souvenez de sa longue audition, et des questions posées : c’est vrai, sur les prélèvements réalisés à l’intérieur du village, on trouvait dans cette même boue d’autres composants. Sur cet élément, dont je rappelle que c’est la défense qui l’a sollicité, pas l’accusation, qui ne s’y intéressait pas à l’origine, cette même accusation voudrait que tous les échantillons retrouvés dans cette affaire ne proviennent, exclusivement, que du fossé fatal, puisque tous ne comportaient que la boue, et pas les éléments de pollution supplémentaires. Mais vous vous souvenez de mes questions, et des réponses de l’expert ? – Se peut-il que les prélèvements d’échantillons aient “raté” ces éléments supplémentaires ? – Oui, on prélève sur un centimètre carré, le centimètre carré voisin pouvait en contenir, c’est le cas de tous les prélèvements scientifiques, sauf à analyser tout le matériel dont on dispose, ce qui est rarement ordonné, trop long, trop cher. – Pouvez-vous nous rappeler la date à laquelle les échantillons de boue ont été prélevés dans le village ? – Oui, c’est le yyy, un mois à peu près après les faits. Et pour anticiper votre question suivante, Maître, oui, il est parfaitement possible que les grains de pollution retrouvés ce jour-là résultent d’un phénomène postérieur à la date du crime ; il y a eu je pense trois prélèvements, tous le long de la voie principale du village, celle qui conduit du débit de boisson au domicile de la victime : il a suffi par exemple du passage récent d’un camion …
La voilà, la preuve accablante de la boue, le voilà, le lien fatal entre nos personnages : une énorme fragilité, pas même un fil de soie, que je casse à volonté en dix endroits, faute pour l’accusation de s’être donné les moyens d’accuser correctement – en ayant fait par exemple réaliser les prélèvements le jour même …
Des preuves ? Quelles preuves ? Ce n’est pas le couteau d’Ahmed, ce n’est pas la voiture d’Ahmed, si tant est d’ailleurs que ça ait été ceux de Roger – même cela n’est pas démontré …
Des preuves ? Il ne vous reste rien. Vous n’en avez, strictement, aucune.”
Ce récit est terriblement long, je vais vous épargner mes autres développements, notamment sur ce que doit être la preuve, et qui doit la rapporter, l’innocence et le doute, et son comportement à l’audience, aussi, la difficulté de témoigner, la difficulté de se défendre, et plus encore après trois ans de détention, lorsque forcément on n’a plus grande confiance en la justice … Ce qu’était Ahmed selon moi, c’est à dire un brave homme ayant porté le poids de la culpabilité du crime, parce qu’il l’avait provoqué, bien malgré lui, mais qui aurait été incapable de l’envisager un instant, et n’avait d’ailleurs aucune raison de le faire …
Je terminai, la voix mal en point, et le cerveau et le cœur guère en meilleur état, sur l’avertissement aux jurés, qu’on allait leur lire dans un instant, ce texte magnifique, qui leur dirait une fois encore, la dernière, qu’ils devaient se forger une intime conviction, c’est à dire, seuls et pour eux-mêmes, leur demandait “de chercher, dans la sincérité de leur conscience, quelle impression ont faite, sur leur raison, les preuves rapportées contre l’accusé, et les moyens de sa défense” ; c’est à dire, soyons simples, de condamner si, et seulement si, ils avaient une certitude, d’acquitter s’ils avaient un doute.
Je leur rappelai que ce texte visait seulement à leur interdire de se tromper, et j’affirmai qu’ici, toute condamnation ne pouvait que prendre ce risque ; mais, très au-delà, je dis aussi que, profondément, ce n’était même pas, pour ma part, au bénéfice du doute, que je leur demandais d’acquitter Ahmed, mais parce que j’étais certain de son innocence.
Je revins, pour m’arrêter, à ce que l’avocat général avait dit au sujet des enfants : “Je suis certain de son innocence. Parce que rien dans le dossier ne dit l’inverse, parce qu’Ahmed a nié depuis la première heure et constamment ensuite, parce que rien n’est inexplicable s’il est innocent, et au-delà, parce que tout en lui me convainc, parce que je l’ai cru dès que je suis devenu son avocat – peu m’importe que vous me pensiez en train de le dire parce que je le suis, je vous le dis quand même.
Ahmed est, aussi, innocent pour une autre raison … Je pense que chacun d’entre vous admet qu’il adore ses enfants, qu’il était un bon père, qu’il ne leur souhaitait que du bien et ne leur donnait que de l’amour – même les services sociaux, dans l’enquête de personnalité, l’ont constamment constaté, tout au long du suivi de la famille. Monsieur l’avocat général, tout à l’heure, vous a affirmé, sans plus le démontrer que le reste, que cette nuit-là, il avait cessé de les aimer. J’affirme, moi, aussi parce que j’en suis le témoin direct depuis trois ans, qu’il n’a jamais cessé de le faire, qu’il aimait, et aime, ses enfants plus que tout, et que s’il ne fallait qu’une raison au fait qu’il n’a pas pu tuer leur mère, une seule, on ne peut au moins pas lui enlever celle-là : jamais il n’a pu leur vouloir ce mal-là.
Rendez ce père à ses enfants. Acquittez-le, parce que ce sera juste.”
Je me suis rassis dans un silence de plomb, ruisselant et totalement épuisé. Je n’osais pas me tourner vers Ahmed, qui eut, après les quelques formalités finales, et la lecture du texte précité aux jurés, la parole en dernier, et dit la phrase convenue : “Je n’ai rien fait”.
La Cour et le jury se sont retirés pour délibérer.
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Votre récit, écrit avec une verve remarquable et un ton d'une sincérité touchante, met le doigt sur l'extrême complexité de l'humain. Cet petit homme frêle a commis un crime horrible qu'on eût imaginé plus facilement perpétré par l'alcoolique ancien légionnaire, au passé violent. Cet homme capable d'actes terribles sur ses propres enfants n'a pas eu le coeur à dénoncer son ami décédé, alors même qu'il avait tout à y gagner.
Drôle d'humanité, si pétri de contradictions.
A propos, je sais que votre récit date un peu, et je ne sais si la personne qui a posé la question lit toujours ces commentaires, mais je pense savoir comment Ahmed a tué: se tenant au dessus du fossé, il a pu dominer la pauvre Geneviève et l'exécuter.
D'ailleurs, si Roger a tenu les propos rapportés par sa femme, il n'a pas seulement assisté au crime, il s'en est fait complice. Malgré tout, Ahmed s'est senti seul coupable, ou peut être a t-il pensé qu'il devait être loyal envers celui qui l'avait soutenu contre sa femme.
Les jurés eux, si le récit de celle qui s'est confiée à vous est à peu près vrai, auront accepté, par lâcheté et peur d'accuser un homme qu'ils pensaient innocent, pour ne pas affronter des magistrates, rompues à l'exercice de la pression psychologique. Et ces magistrates alors, si ce récit est juste, sont elles coutumières du fait ? Combien d'autres accusés (peut être innocents, eux) ont elles peut être injustement brisé l'existence?
J'ai ressenti votre angoisse et l'extrême violence de ces moments que vous avez vécus.
Quel avocat vous faîtes! Je suis admirative.
Un moment fort d'humanité que vous rapportez là. Votre récit me touche, il donne à réflechir; je ne suis pas prête de l'oublier.
Alors Un GRAND merci
P.S : A quand la suite d´histoire noire ?
En tout cas, cette histoire m'a réellement captivée....