Mesdames, Messieurs, j’ai l’honneur d’avoir l’honneur de publier, à titre tout à fait exceptionnel et en forme de scoop pas ordinaire, le texte que m’adresse mon excellent confrère Romain Boucq, avocat au Barreau de Lille, lequel, audacieux comme tous les avocats dudit Barreau, avait eu l’occasion de soulever l’une des premières Questions Prioritaires de Constitutionnalité, vous savez, la fameuse QPC, mais surtout, et de plus fort, comme on dit chez nous, a eu le privilège d’être partie à la toute première audience de la Cour de Cassation consacrée à une telle question…
Autant vous dire que je l’ai harcelé pour qu’il accepte de m’en réserver l’exclusivité écrite (même si bien entendu la primeur de l’information avait auparavant été transmise en temps réel à notre Bâtonnier adoré, qui suivait et pour cause l’affaire de très près…), me passant même de repas pour vous la livrer illico, c’est dire…1
Il s’agissait donc, je vous le rappelle, de la toute première occasion qu’avait la Cour de Cassation, la plus haute juridiction française, de statuer sur ce type de question (c’est à dire à son niveau de décider ou pas de la transmettre à l’examen du Conseil Constitutionnel), issue d’un droit magnifique, désormais offert à tout justiciable, de contester la conformité d’un texte avec la Constitution : rien que du haut de gamme, donc, et une audience dont par conséquent on pouvait énormément espérer, et tout particulièrement l’avocat qui l’avait générée…
Je tiens à remercier Romain, à la fois pour son travail2, et plus narcissiquement pour me permettre de publier son compte-rendu d’audience -Romain, j’ai tout lu évidemment, avec avidité, et je te confirme3 que tout est conforme selon moi au caractère public de ladite audience, d’une part, et à l’immunité offerte par l’article 41 de la loi de 1881 sur la Liberté de la Presse non seulement aux avocats, mais encore aux auteurs d’un “compte rendu fidèle fait de bonne foi des débats judiciaires”, ce que ton texte est sans conteste -et bravo pour ça aussi, j’aurais à ta place sûrement été moins intelligent, vu la déception qui a dû être la tienne…
Ce qu’il va dire ci-dessous, soyons d’ailleurs parfaitement clair, n’est pas une remise en cause de l’audience elle-même ou de l’attitude des magistrats qui y ont siégé, mais bien celle du droit lui-même : procédure avec représentation obligatoire, ou pas ? Et, même si oui, possibilité légale pour l’avocat d’origine, le simple avocat, de plaider, ou pas ?
En général, mais d’autant plus, ici, que ce n’était pas n’importe quels débats, tout de même. Explications, puisqu’ici, en tout cas, mon confrère a la parole.
“Générique du début”
Date : Vendredi 16 avril 2010, 14 heures.
Lieu : La Cour de Cassation.
La procédure : Examen d’une question prioritaire de constitutionnalité.
La question : L’article 78-2 du Code de procédure pénale est-il conforme à la liberté d’aller et venir garantie par notre Constitution, compte tenu du fait que l’article 67 du Traité de Lisbonne de 2007, entrée en vigueur le 1er décembre 2009, est maintenant constitutionnalisé par le biais de l’article 88-1 de la Constitution ?4
Les personnages : Les membres de la juridiction suprême, le ministère public, Maître X5, avocate aux conseils et Me Romain Boucq, Avocat au Barreau de Lille ayant initié la question prioritaire de constitutionnalité devant le Juge des Libertés et de la détention de Lille le 25 mars 2010.
“Rappel des épisodes précédents”
Messieurs Melki et Abdeli étaient à bord d’une voiture régulièrement immatriculée en France, conduite par une personne en règle au regard des règles du code de la Route et de la détention de son titre de séjour. Ils sont contrôlés sur l’unique fondement d’être dans un véhicule circulant dans la “bande des 20 kilomètres” avec la frontière belge (article 78-2, alinéa 4, du code de procédure pénale).
Je soulève la nullité du contrôle au regard de la liberté constitutionnelle d’aller et venir garantie par notre Constitution.
Au terme d’une audience relativement longue (4 heures si mes souvenirs sont bons), le Juge des Libertés et de la Détention de Lille avait considéré que la mise en œuvre procédurale de la question prioritaire était régulière et que la question méritait d’être transmise à la Cour de Cassation, pour renvoi au Conseil constitutionnel.
Phase 1 : Les préalables procéduraux devant la Cour de cassation
Par une procédure qui me laisse toujours dubitatif, les mêmes conditions procédurales doivent être à nouveau vérifiées par la Juridiction suprême – ce qui est en soi presqu’insultant pour les juridictions de fond, sont-elles si incompétentes pour que leur travail soit intégralement refait par la Cour de Cassation ? C’est sûrement un présupposé législatif
Ainsi en tout cas, l’avocat qui soulève devant une juridiction de fond une question prioritaire de constitutionnalité a deux examens de passage : l’un devant la juridiction du fond devant laquelle la question est soulevée, l’autre devant la Juridiction suprême où on reprend les mêmes acteurs ou presque, la nuance est d’importance et où on recommence.
Ainsi, le mémoire transmis à la Cour de cassation est déjà rédigé (et examiné par un juge du fond) lorsqu’il arrive dans la Juridiction. Les conditions de recevabilité ont déjà été étudiées par un juge. Les conditions de fond sont établies et ne sont plus susceptibles d’être véritablement modifiées. Pour preuve, j’en appelle à l’article 126-9 du Code de procédure civile, qui laisse la possibilité aux parties d’apporter des éventuelles “observations” au mémoire dans un délai d’un mois, sauf réduction des délais pour cause d’urgence, à la Cour de cassation. Si simples “observations” il y a, c’est bien qu’il n’y a pas de changement de fondement juridique, ou quelque chose de semblable de possible C’est du moins mon interprétation.
C’est là que la première difficulté de taille se pose.
A la lecture de la procédure on l’imagine difficilement, mais l’examen concret de la situation pratique la révèle rapidement. L’article 126-9 du Code de procédure civile prévoit que “Les parties disposent d’un délai d’un mois à compter de la décision de transmission pour faire connaître leurs éventuelles observations. Celles-ci sont signées par un avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, dans les matières où la représentation est obligatoire devant la Cour de cassation.” Les observations, pour être valablement transmises, doivent être “signées” par un avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, appelé “avocat aux conseils”, dans les matières où la représentation est obligatoire devant la Cour de Cassation6 .
Le facteur “temps”, dans la profession d’avocat, est un facteur non négligeable. Mes confrères et consoeurs apprécieront, de ce fait, d’apprendre que la Cour de cassation avait estimé qu’une réduction des délais était opportune (ce qui est incontestable) et que j’avais jusqu’au 15 avril 2010 pour présenter mes éventuelles observations, ce qui, compte tenu de mon emploi du temps, était relativement court pour organiser mon travail…
Bref, des observations complémentaires étaient nécessaires puisqu’ayant réalisé mon mémoire dans d’une procédure où la contrainte “temps” est importante, ce dernier souffrait d’un laconisme qui pouvait être préjudiciable à l’intérêt porté à ma question et aux intérêts de mes clients. Je ne doutais pas que les débats de l’audience avaient été transmis avec le mémoire, ce qui le complétait utilement ; toutefois, leurs imprécisions dans la retranscription ne reflétaient qu’une partie de ce qui avait été dit…
La première difficulté de base à surmonter, pour ma part, était de savoir si l’application de l’article 78-2 du code de procédure pénale, dans le cadre d’un contrôle d’identité réalisé sur un étranger, était une matière dans laquelle la représentation était obligatoire devant la Cour de cassation. Pour faire simple, je commence par m’enquérir de cette question auprès de la Cour de cassation qui m’a assez rapidement (1h30) répondu qu’il lui semblait que c’était le cas. On m’indiquait, par ailleurs, que je n’aurais pas le droit de plaider le dossier, puisque justement la représentation était obligatoire.
Pendant ce temps, j’avais pris contact avec un avocat aux conseils qui, au terme d’une discussion d’une quinzaine de minutes, m’a indiqué qu’il ne lui semblait pas que c’était une matière dans laquelle il y avait une représentation obligatoire (matière pénale). Il reste à savoir si le droit des étrangers faisait partie de la matière pénale pour la partie qui consiste à débattre devant le Juge des Libertés et de la Détention de la prolongation de la rétention administrative d’un étranger. C’est une véritable question juridique où des avis différents peuvent être soutenus avec force.
Le point fort de mon entretien avec l’avocat aux conseils était surtout qu’il ne signerait pas un mémoire qui ne venait pas de lui. Je lui faisais donc remarquer qu’en dehors d’une question prioritaire de constitutionnalité évoquée lors d’un pourvoi en cassation, il serait toujours tenu par un mémoire déjà rédigé, contraint par une argumentation juridique qui ne serait pas la sienne. C’est une réalité procédurale qui a son importance. Question de principe, il ne signerait pas.
Et là apparaît dans toute sa splendeur l’aberration de la phrase précitée, “Celles-ci sont signées par un avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, dans les matières où la représentation est obligatoire devant la Cour de cassation.”, qui fait entrer en scène un acteur étranger à la procédure en cause : l’avocat aux conseils.
Il me “réconforte” en m’indiquant qu’à son sens, je n’avais pas besoin de lui dans cette matière et que je serai à même de mener à son terme la procédure sans difficulté. Je tiens à préciser, ne serait-ce que pour le remercier du temps passé avec moi au téléphone, que la discussion était intéressante et courtoise, à aucun moment je n’ai rencontré d’ironie de la part de mon interlocuteur (dont je tais le nom pour lui laisser la liberté de sa pensée et de ses propos, sans que le Président de son ordre ne puisse venir lui reprocher son approche du dossier).
Sachant que la Cour de cassation considérait qu’un avocat aux conseils était nécessaire, dans le doute, pour justement ainsi dire, il fallait donc que j’en trouve un pour transmettre mes observations, sur lesquelles je travaillais déjà . Je ne souhaitais pas que mes observations soient écartées pour un problème de régularité de procédure, d’autant plus qu’il ne semble pas y avoir de voie de recours. Lors de mon déjeuner du 14 avril, je rencontre un de mes confrères “pénalistes”7,à qui je demande s’il peut me recommander un avocat aux conseils qui pourrait m’aider à surmonter les difficultés que je rencontre. Un nom m’est donné et, quelques heures plus tard, je téléphone.
Maître X, avocate aux conseils, me reçoit avec chaleur et s’intéresse immédiatement à ma problématique. Compte tenu de l’urgence, de la matière et du fait que je suis recommandé de la part de mon confrère lillois, elle accepte, à titre purement exceptionnel, de signer mes observations complémentaires et de les transmettre à la Cour de cassation “en l’état.” Elle me précise que, compte tenu des délais, elle n’aurait probablement pas le temps d’en prendre connaissance et ne pourra peut-être pas les soutenir véritablement devant la Cour de cassation. Je lui précise que j’entends me déplacer et soutenir mes écritures personnellement.
Elle reçoit mes observations complémentaires (c’est-à -dire mon mémoire corrigé de fautes diverses et argumenté de manière plus étoffée, avec les décisions du Conseil constitutionnel idoines) et les transmet dans l’après-midi du 15 avril. Elle me précise qu’elle pense que l’on ne me laissera pas prendre la parole devant la Cour de Cassation…
Phase 2 : Préliminaires avant l’audience
Le matin du 16 avril, j’envoie un fax à l’intention du Premier président de la Cour de cassation pour lui indiquer que je serai présent à l’audience et que j’entends faire des observations personnellement. Je lui précise que cela va dans le sens de la loi puisque, si la question devait être transmise au conseil constitutionnel, j’y serais le seul à devoir soutenir ces écritures.
Ne souhaitant pas faire d’incident, ni de scandale pour la “première” audience de cette procédure, je fais preuve de la plus élémentaire des courtoisies. Conscient de la position de la Cour de cassation et voulant m’assurer de la régularité de la procédure, j’étais assisté de mon avocate aux conseils.
Pressentant une difficulté dès la veille quant à ma prise de parole, j’avais alerté mon Bâtonnier. Grâce à son intervention, je suis donc arrivé accompagné par un membre du Conseil de l’Ordre du Barreau de Paris pour que l’on puisse soulever un incident8 le cas échéant,et vider cette difficulté. Mon confrère parisien avait préparé l’audience. Ainsi “armé” d’une avocate aux conseils qui couvrait l’éventuelle irrégularité de la procédure en cas d’interprétation restrictive des textes par le Premier Président, et d’un membre du Conseil de l’Ordre pour appuyer ma demande de prise de parole en cas de refus, j’étais relativement serein lorsque l’audience a débuté…
Phase 3 : L’audience devant la Cour de cassation
L’ensemble des juges pénètre dans la salle et prend place. Le rapporteur prend la parole et retrace de manière synthétique la problématique posée. Mon avocate aux conseils prend la parole et expose en quoi les différentes conditions de transmission de la question par la Cour de cassation au Conseil constitutionnel sont remplies. C’est au tour du ministère public d’exposer son avis. Il conclut au rejet de la transmission de la question au Conseil constitutionnel dans la mesure où celui-ci a déjà tranché la question dans sa décision n° 93-323 DC du 5 août 1993 en prenant en compte la convention de Schengen de 19909 . J’ai indiqué rapidement, par écrit, à mon avocate aux conseils les points qu’il me paraissait primordial qu’elle ajoute, à la suite de l’intervention du ministère public. Un léger échange s’est réalisé, quoiqu’insuffisant à mon sens car il n’était pas possible d’expliquer par écrit à mon avocate aux conseils toute l’évolution des décisions du conseil constitutionnel depuis 1993, ce qui rend une nouvelle décision nécessaire.
Au moment où je souhaitais prendre la parole, en vue de simplifier le discours et d’éclairer la Cour de cassation sur l’opportunité de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil Constitutionnel, j’ai rapidement indiqué à mon avocate d’introduire cette demande de prise de parole auprès du Premier Président.
Pour ceux qui me rétorqueraient qu’il suffisait de la prendre, je tiens à préciser que la bienséance qui présidait lors de cette audience très solennelle ne permettait pas, sans être foncièrement impoli, rustre et grossier, de prendre directement la parole. Par ailleurs, la station assise, la distance (une dizaine de mètres) entre le Premier président et la place où j’étais situé, l’utilisation nécessaire d’un micro, rendaient la réaction difficile à réaliser10 .
Mais j’avoue que je regrette amèrement, maintenant, de ne pas l’avoir fait, quitte à le générer, cet incident potentiel…
En tout cas, mon avocate aux conseils avait l’habitude de travailler devant cette juridiction, et m’avait indiqué qu’elle relayerait ma demande le cas échéant, sans la soutenir en cas de refus de la Juridiction. Elle m’a répondu, au moment où je la sollicitais, qu’ “on ne vous donnera pas la parole.” Ce “on” signifiait, dans ce contexte, la Juridiction et non pas qu’elle ne me laisserait pas prendre la parole.
Bref, les deux secondes pendant lesquelles j’évoquais cette difficulté avec elle et écoutais sa réponse ont suffi pour que la Cour, nécessairement alertée par notre comportement du fait de l’agitation qu’elle avait en face d’elle, et préalablement informée par mon fax…
Mette l’affaire en délibéré.
L’audience était levée.
Pour être complet, voici sur le fond les éléments que j’aurais souhaité ajouter, à savoir :
1/ qu’au moment où le Conseil constitutionnel avait statué sur l’article 78-2, alinéa 4, du Code de procédure pénale, il ne pouvait que se baser sur un texte susceptible d’adaptation puisque non encore entré en vigueur ;
2/ que dans l’intervalle, il avait été transcrit dans un règlement européen, ce qui le faisait passer à un texte ayant qualité d’engagement international soumis à la condition de réciprocité de l’article 55 à du droit communautaire dérivé, dont les portées normatives respectives peuvent être appréciées différemment ;
3/ que le Traité de Lisbonne est entrée en vigueur le 1er décembre 2009, avec deux décisions antérieures du conseil constitutionnel qui précisent : “que le constituant a ainsi consacré l’existence d’un ordre juridique communautaire intégré à l’ordre juridique interne et distinct de l’ordre juridique international ;” (Décisions n°2004 505 DC du 19 novembre 2004; et n° 2007 560 DC du 20 décembre 2007 ) ;
4/ enfin, que le Traité de Lisbonne est le premier Traité inclus “nommément” dans la Constitution.
Au vu de cette évolution, il apparaît évident11 que la question qui se pose n’est pas de savoir si la convention de Schengen a évolué depuis le 5 août 1993, mais bien de savoir si l’introduction du Traité de Lisbonne dans l’article 88-1 de la Constitution n’a pas, depuis son entrée en vigueur le 1er décembre 2009, bouleversé l’appréciation qui doit être portée sur la hiérarchie des normes françaises : seul le Conseil constitutionnel peut répondre à cette question.
Mon avocate aux conseils, qui a remplit son rôle du mieux qu’elle pouvait, compte tenu de la situation d’urgence et du peu de temps disponible pour préparer cette audience (elle n’avait pas que ce dossier à gérer, comme tout le monde peut s’en douter), n’avait pas la possibilité d’exposer tous ces éléments bout à bout, avec un souffleur, comme au théâtre, qui la guiderait pour répéter un texte. Bref, il était nécessaire, dans une perspective d’une bonne justice, que je prenne la parole, tout considération égotiste pouvant être écartée. Si les Hauts Magistrats craignaient, sur ce point, un quelconque “numéro d’avocat”, il aurait été facile que je les rassure, que ce soit par un bref entretien téléphonique ou un échange de fax… Vu le peu de temps offert par la procédure, et un emploi du temps des membres de la Cour que l’on ne peut que supposer chargé, il faut penser que cette possibilité ne s’est malheureusement pas présentée…
Au vu du déroulement de l’audience, en tout cas, deux théories sont envisageables, au vu :
– du fait que ma présence n’a fait l’objet d’aucune prise en considération de la part de la Cour, avant (aucune réponse à mon fax) ou durant l’audience (ne serait-ce que pour m’indiquer que je n’aurais pas droit à la parole) ;
– de la position de principe adoptée par le Président de l’Ordre des avocats au Conseil d’Etat et de la Cour de Cassation (spécialement appelé par le Premier président pour pouvoir assurer ma représentation au cas où j’aurais voulu présenter mes observations personnellement)
– d’une volonté apparente du Premier Président de clore les débats le plus rapidement possible (par deux fois mon avocate aux conseils lui a presque “coupé la parole” pour pouvoir ajouter une observation à ce qui venait d’être dit par le ministère public -mais peut-être est-ce toujours ainsi que ces audiences-là se déroulent, même si celle-ci n’était pas une audience tout à fait ordinaire…).
Soit la possibilité de m’indiquer, d’une manière officielle, que je n’avais pas droit à la parole, ce qui n’aurait pas manqué de faire débat, a volontairement été éludée.
Soit personne ne s’est aperçu de ma présence dans la salle, n’ayant pas été présenté à la Juridiction, et le fait qu’un avocat assis près de l’avocate aux conseils présentant le dossier, et à qui sont transmis des documents en cours d’audience, occasionnant à chaque fois une nouvelle prise de parole, pouvant peut-être passer pour une étrangeté ponctuelle, ou bien qu’il fallait désormais s’habituer à ce que le public, en l’occurrence un seul avocat, se mêle des audiences à tort et à travers…
Considérations procédurales
La constitution d’avocats aux conseils est obligatoire dans certaines matières devant la Cour de cassation. Cette constitution se justifie légalement pour des raisons procédurales pratiques évidentes. Dès lors, l’article 126-9 du Code de procédure civile qui impose la signature d’un avocat aux conseils pour les observations avant l’audience devant la Cour de cassation s’explique.
En revanche, aucune disposition n’interdit à un avocat de plaider son dossier devant la Cour de Cassation, à moins que celle-ci ait totalement échappé à mes recherches, desquelles elle est demeurée inaperçue, nul n’étant à l’abri d’une erreur.
La disposition la plus importante relative aux audiences devant la Cour de cassation est l’article 1018 du Code de procédure civile qui précise : “Les avocats sont entendus après le rapport s’ils le demandent. Les parties peuvent aussi être entendues après y avoir été autorisées par le président.” Il n’y est nullement indiqué qu’il s’agisse des avocats “aux conseils”, sauf interprétation restrictive de ce texte
D’autant plus que si l’on compare l’article 899 du Code de procédure civile, prévoyant la constitution d’avoué obligatoire devant la Cour d’appel pour certaines procédures, on obtient, par une parfaite symétrie avec l’article 973 du Code de procédure civile relatif à la constitution d’avocat aux conseils devant la Cour de cassation. Dans la mesure où tout avocat peut plaider devant une Cour d’appel (et même plus simplement devant le Tribunal de grande instance), il paraît surprenant que ce droit de plaider, sans aucun texte précis le formalisant, soit supprimé devant la Cour de Cassation.
Dans la mesure où la question prioritaire de constitutionnalité est amorcée, en dehors de sa première évocation dans le cadre du pourvoi en cassation, devant une juridiction au fond, il paraît naturel que la plaidoirie devant la Cour de Cassation soit de la responsabilité de l’avocat ayant initié la procédure, qu’il y ait ou non représentation obligatoire d’un avocat aux conseils. Maître de son argumentaire juridique, il est plus à même de répondre, en temps réel, à toutes les observations du ministère public.
L’article 4 de la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971 : “Nul ne peut, s’il n’est avocat, assister ou représenter les parties, postuler et plaider devant les juridictions et les organismes juridictionnels ou disciplinaires de quelque nature que ce soit, sous réserve des dispositions régissant les avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation et les avoués près les cours d’appel”, ne permet pas de justifier l’absence de droit à la parole, quelque soit la matière, d’un avocat présent devant la Cour de cassation.
De surcroît, ce même avocat retrouve le droit à la parole pour plaider sa question prioritaire de constitutionnalité devant le Conseil Constitutionnel !
Dans ces conditions, on comprend d’autant plus mal pourquoi ce droit serait mis entre parenthèse à une étape de la procédure.
Enfin, s’il fallait “justifier” l’intervention, pourtant légitime par nature, de tout avocat devant la Cour de cassation, j’ajouterai que “même dans les cas où la représentation est obligatoire les parties, assistées de leur représentant, peuvent présenter elles-mêmes des observations orales” (article 441 du Code de procédure civile) En conséquence, l’avocat ayant un mandat pour représenter ses clients, il ne devrait pas être possible pour la Cour de cassation d’interdire à un avocat de présenter des observations orales au nom de ses clients, serait-ce à titre complémentaire d’une présentation faite par un avocat aux conseils.
Rien dans les textes ne rendrait irrégulière cette façon de procéder, dès lors qu’un avocat, ayant régulièrement constitué avocat aux conseils dans les matières où la représentation est obligatoire devant la Cour de cassation, interviendrait pour plaider ou, simplement, présenter des observations.
Comme a pu l’énoncer elle-même très clairement la Cour de cassation, “Aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n’en est pas expressément prévue par la loi, sauf en cas d’inobservation d’une formalité substantielle ou d’ordre public et la nullité ne peut être prononcée qu’à charge pour l’adversaire qui l’invoque de prouver le grief que lui cause l’irrégularité, même lorsqu’il s’agit d’une formalité substantielle ou d’ordre public ; constituent des irrégularités de fond affectant la validité de l’acte le défaut de capacité d’ester en justice, le défaut de pouvoir d’une partie ou d’une personne figurant au procès comme représentant soit d’une personne morale, soit d’une personne atteinte d’une incapacité d’exercice, et le défaut de capacité ou de pouvoir d’une personne assurant la représentation d’une partie en justice.”
Le fait qu’un avocat, ayant régulièrement constitué avocat aux conseils, plaide lui-même son dossier, ne me semble pas pouvoir, simplement pouvoir, générer quelque grief que ce soit, pour qui que ce soit…
J’aurais dû, sans doute, prendre la parole. Mais elle aurait dû m’être donnée.
Mon sentiment, lourd, à cette heure, est qu’une fois transmise à la Cour de Cassation, la question prioritaire de constitutionnalité devient presqu’autonome, et n’intéresse plus “que” la société.
Les parties (re)deviennent des citoyens face à la Loi, des hommes face à la machine étatique.
Priver un avocat du droit à la parole devant la Cour de cassation, dès lors qu’il a introduit lui-même la question prioritaire de constitutionnalité devant une juridiction du fond, revient de facto à l’empêcher de “conduire jusqu’à son terme l’affaire dont il est chargé.” Ce qui, évidemment, ne me semble être ni dans l’intérêt des justiciables, ni dans l’intérêt d’une bonne justice -ni sans doute à la hauteur de cette brillante et haute possibilité légale, la Question Prioritaire de Constitutionnalité, récemment offerte… Aux justiciables.
Affaire à suivre..?
Romain Boucq
Avocat au Barreau de Lille, Maître de conférence associé, Professionnel de la parole frustré.
Un, non, deux, derniers Mô, avant de clôturer ce récit d’un avocat qui pensait pouvoir verbalement étayer devant la plus Haute Juridiction de France la première Question Prioritaire de Constitutionnalité dont elle avait à connaître.
D’abord, mon analyse à moi tout seul comme un grand, c’est d’une part, que rien ne vient rendre la représentation obligatoire en la matière, c’est à dire ni pour la QPC elle-même (aucun texte ne l’impose, au contraire), ni pour la matière (nous étions en droit des étrangers et devant un JLD) ; et que d’autre part, même lorsqu’elle l’est, rien n’interdit à un avocat “de base” de plaider, nulle part, ce même si ce n’est semble-t-il pas l’usage devant la Cour de Cassation.
Ensuite, pour les amateurs, voici l’arrêt (en fait deux, identiques, un par demandeur) rendu par la Cour de Cassation dans cette affaire, le tout premier du genre, un arrêt nécessairement historique, donc, et où effectivement mon confrère n’apparaît nulle part…
Par lequel la Cour, avant dire droit,… Pose deux questions préjudicielles à la Cour de Justice de l’union Européenne.
Juristes ou pas, et en me gardant évidemment du moindre commentaire sur le fond, que d’ailleurs je maîtrise mal, je vous le dis : cette affaire n’a même pas commencé à être terminée !
- Et son cadeau vous épargne, provisoirement, un -long- article de ma pomme qui revient sur les fameux propos raciaux de Monsieur Hortefeux, respirez… Je note que ce blog se juridicise (néologisme, je crois…) à mort, je vais faire attention à revenir rapidement au rire et aux larmes, mais après ! [↩]
- Et vous allez voir que c’en est un ! La QPC, surtout pour une première, c’est pas de la gnognotte. en terme de boulot d’avocat : il faut la vouloir ! [↩]
- Publiquement, histoire de calmer toute éventuelle envie d’action judiciaire, vouée à l’échec puisque je serais en défense, mais par les temps qui courent on n’est jamais suffisamment prudent ! [↩]
- NE PARTEZ PAS ! Ca a l’air un peu technique, comme ça, mais en fait c’est fastoche, vous allez voir… [↩]
- Je ne cite pas son véritable nom car je n’ai pas pris le temps de lui soumettre ce texte, au temps pour moi ! Mô [↩]
- Dans la série “Mô vous aide” : en droit, il y a des matières où vous pouvez vous faire laminer présenter sans avocat, en gros le pénal et les Prud’Hommes, pour faire très simple, et d’autres où l’avocat est obligatoire, tout le reste, pour faire encore plus simple. Et si cette “représentation” est obligatoire au départ, elle le reste en principe jusqu’au bout, donc en appel et le cas échéant en cassation… [↩]
- C’était moi, Mô ! Non, je le dis, pour que l’Histoire Judiciaire française retienne, non pas que je déjeunais au restaurant ce jour là , mais que j’ai participé, bien humblement certes, mais quand-même… [↩]
- “Mô vous aide” : “Incident” n’est pas à prendre ici au sens commun, c’est le nom qu’on donne à un débat qui survient relativement à la tenue de l’audience elle-même, ou sur une difficulté annexe en dehors du fond. [↩]
- “Mô vous aide” : pour faire simple, l’un des critères de recevabilité de la QPC est qu’elle n’ait pas déjà été tranchée précédemment. [↩]
- Romain, n’importe qui te comprendra aisément : personnellement, je me serais fait dessus, je crois, alors prendre la parole sans la demander, n’en parlons pas… [↩]
- “Mô vous aide” : enfin, évident surtout pour les juristes, et encore… Mais bon, ce n’est pas directement le propos ici… [↩]
Pourriez-vous me dire où je peux trouver un ‘modèle formel’ de QPC (mentions obligatoires?) afin d’éviter une irrecevabilité facile ?
avec mes remerciements
Denis Bigeard
Par cette décision , tout juge administratif ou judiciaire de tout degré ,est maintenant compétent ,lorsqu’il a à examiner un grief dans lequel il est demandé l’application d’un traité européen ou un droit de l'Union européenne .
La Question prioritaire de Constitutionnalité ne concernera ainsi donc ,que les litiges où seules sont posées les questions en matère du droit interne.
Oui, merci, je l’ai découvert peu après avoir posté hier. Mais le blog est si long à charger sans ADSL que j’ai hésité à y repasser:cry:
Oui encore ! La situation dans laquelle s’est enferré le CC est intenable. Les plaisantins qui disaient que la CJUE avait « validé la QPC », qu’elle proposait « le calumet de la paix » (pas moinsse !) en sont pour leurs frais.
J’ai soutenu ici que le CC devait revoir sa jurisprudence sur le contrôle de conventionnalité et que voit-on ? La Cour de cassation, qui chargée par la CJUE de donner son interprétation du texte considère que la QPC, dès lors que la norme européenne est en cause, est conforme au droit européenmais pour peu que l’on ne s’en serve pas !
On notera au passage qu’elle ne déborde pas de confiance dans l’aptitude du CC à devenir une vraie Cour souveraine.
Ainsi nous allons nous trouver avec des textes contraires au droit européen, non abrogés, mais que les juges n’appliqueront pas !
Devant ce champ de ruines il ne reste plus qu’à espérer une évolution rapide (renversement de la jurisprudence dite IVG, intervention du législateur).
.
Je pense quand même que le législateur devra se transformer en toiletteur, en supprimant du droit interne tout ce que la norme européenne interdira après QP.
Ce qui me surprend c’est que son président, JL Debré, semblait ouvert à aller vers le contrôle de conventionnalitéMême son prédécesseur, dont on sait l’hostilité au supra-national, reconnaissait qu’il était dans la logique d’en arriver là . Fortes tensions internes, donc. Un VGE, par exemple, n'est pas enthousiasmé par l'existence de la QPC.
Bon, je vous souhaite bien du plaisir si vous arrivez avec une QPC devant le CC, on vous verra venir.
Il prétend que la norme française est tout autant protectrice.
J’attends avec impatience ce qu’il va ne faire, par exemple si on exploite devant lui le point 9 du Préambule de 1946 lors d’une QPC.
Moi je regrette qu’il n’y ait pas eu transmission car le CC soit se pliait en pratique à l’arrêt de la CJUE (même sur une motivation affectant d’être étrangère au contrôle de conventionnalité, cela pouvait se faire, la France étant une et indivisble), et alors il risquait de glisser doucettement vers le contrôle de conventionnalité (le premier pas étant le plus difficile), soit il validait le texte, et alors nous aurions eu cette situation de perte de sa crédibilité, les juges ne l’appliquant pas malgré tout. Absurde.
Pas moi pour la raison qui précède.
Voir un peu plus haut.
Mais bon courage !
Au fait, n’êtes-vous pas surpris du petit nombre de QPC arrivant devant la Cour de cassation ? Les barreaux ne pourraient-ils pas mettre en place sur le Net un suivi des QPC posées devant les juges du fond, faisant ressortir le pourcentage de non-transmission ?
Il faudrait même créer un site spécialisé sur la QPC, analysant les décisions disonssurprenantes. Par exemple quand la Cour de cassation écarte celles reposant sur l’interprétation qu’elle fait d’une loi, alors que la Cour EDH assimile la jurisprudence à la loi ?
Il me semble qu’elle juge ainsi les QPC :
- si la question lui semble sérieuse, elle ne dit rien sur sa nouveauté ;
- si la question ne lui semble pas sérieuse, elle juge de sa nouveauté, mais ce terme de l’alternative sans doute abordé en dernier devient le premier jugé dans l’arrêt.
Rappel : cette nouveauté est différente du fait que la disposition n’ait pas déjà été examinée par le CC, elle vise un droit, une libertéqu’il n’aurait jamais eu à utiliser (il risque de ne pas y en avoir beaucoup !).
http://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/questions_prioritaires_constitutionnalite_3396/12132_29_16765.html
Toutefois, je ne peux que me réjouir de cette non-transmission au vu de la motivation de cet arrêt qui aura finalement une portée bien plus grande que la plaidoirie que j'avais préparée. Le Conseil constitutionnel va devoir revoir son interprétation de l'article 88-1 de la Constitution s'il ne veut pas voir se réduire comme peau de chagrin le contentieux de la question
prioritairede constitutionnalité.Cette disposition législative (article 78-2 du CPP) est maintenant inappliquée sur le territoire nationale : le Conseil constitutionnel ne pourra donc plus être saisi de cette disposition qui restera dans notre droit national, vestige d'une bataille juridique qui n'est pas terminée...
Il a choisi le 12 mai 2010 de prendre des considérants de "circonstance" pour ne pas se faire sanctionner par le Luxembourg. Peine perdue... Les juges luxembourgeois ne se sont pas laissés abuser par l'article 62 de la constitution qui donne l'autorité des décisions du Conseil constitutionnel. En transformant littéralement le sens de la loi organique, le CC a donc commis une double erreur :
1 - il a réécrit la loi - ce qui laisse penser quelles dérives sont envisageables;
2 - Il a démontré à la CJUE qu'il était capable d'avoir des revirements complets de jurisprudence en fonction des problématiques du moment, ce qui est contraire au principe de sécurité juridique.
Ainsi, en choisissant cette voie qui ne respecte pas le principe de la séparation des pouvoirs et contraire à toutes les libertés fondamentales, il a montré, par l'exemple, qu'il pourrait éventuellement reprendre une décision inverse une fois l'arrêt de la CJUE rendu.
Par ailleurs, en rédigeant la décision du 12 mai 2010, le CC a choisi qu'il ne serait pas le gardien des libertés tirées du Traité de Lisbonne (excluant de facto le recours aux textes de la Charte des droits fondamentaux et de la Convention européenne des droits de l'homme). C'est dommage : il avait l'occasion de montrer qu'une cour constitutionnel pouvait être "moderne" en étant plus protectrice que les autres Cours. En constitutionnalisant le Traité de Lisbonne, il n'y avait pas de difficulté pour articuler les recours avec ceux spécifiques liés à la CJUE... En effet, elle devenait une Cour "française" ayant une compétence exclusive pour une partie du droit interne que serait le Traité de Lisbonne.
Le choix du CC de ne pas être le gardien des libertés est parfaitement respecté par la Cour de cassation qui en a fait une stricte application : puisque les droits liés à ma qpc ne sont pas assurés d'être effectifs, conformément à l'arrêt de la CJUE, il n'y a pas lieu à transmission en vue de protéger l'exercice des droits. Qui sait ?, le CC aurait peut-être considéré que l'article 78-2, alinéa 4, était conforme à la Constitution, créant ainsi une véritable ambiguité dans notre droit.
C'est pourquoi je suis satisfait de cette non-transmission, dont la motivation est véritablement respectueuse des droits et libertés garantis par le droit de l'Union. Reste au Conseil constitutionnel à refaire un obiter dictum quant il sera prêt, pour signaler aux Cours suprêmes que le droit de l'Union l'intéresse quand même et qu'il compte le respecter...
Je vous laisse déguster cet arrêt de la Cour de cassation pour finir de préparer ma prochaine question de constitutionnalité où le Conseil constitutionnel aura un vrai rôle de gardien des libertés et sans référence au droit de l'Union cette fois, ce qui limitera les incompréhensions
- être à l'origine de 2 QP de la Cour de cassation à la CJUE qui, nous le savons, ont suscité des remous considérables (jusqu'à une modification du COJ en cours, qui elle-même a donné lieu à une réaction le 28 juin...);
- avoir démonté une disposition inconventionnelle qu'il reste à faire reconnaître comme étant anticonstitutionnelle: et là nous allons retrouver la problématique du refus si contestable du CC de s'avancer sur ce terrain. A quoi bon ne pas abroger un texte que les juges ne peuvent plus appliquer? Nous sommes ainsi dans la situation que j'analysais plus haut.
J'ajoute qu'un professeur de droit constitutionnel avait cru bon de ridiculiser cette seconde QP en n'en voyant pas la nécessité. Passons.
Sur l'autre QP, la plus explosive, l'arrêt de la CJUE me semble le plus souvent mal compris.On lui fait dire qu'il "validerait" la QPC alors qu'il définit une alternative aux termes de laquelle al QPC est soit conforme,soit contraire au droit européen.
Et surtout, in cauda venenum, pour ceux que la démarche de la Cour de cassation a scandalisés...c'est à elle que la CJUE confie le soin d'interpréter la loi organique afin de savoir quel est celui des deux termes de l'alternative qui vaut!
Nous attendons avec impatience la réponse sur la transmission, puis, s'il y a lieu, ce qu'il faut souhaiter, ce qu'en dira le CC.
Pingback : Contrariété de la bande des 20 km au droit de l’UE: une première ordonnance de JLD de remise en liberté (TGI Lille 24 juin 2010, M. S) - Combats pour les droits de l’homme - Blog LeMonde.fr
"Attendu qu'en l'état de la législation les dispositions de l'article 78-2 al4 du CPP en ce qui concerne la zone des 20 kms, n'ont pas été déclarées inconstitutionnelles par le conseil constitutionnel; que sans méconnaître la teneur et la portée manifeste à très court terme de l'arrêt de la Cour de justice de l'union européenne en date du 22/06/2010, le caractère toujours pendant de la QPC devant la Cour de cassation doit être soulignée et implique pour la présente juridiction le constat de la légalité du contrôle d'identité effectué sur le fondement de l'article 78-2 al4 du CPP."
Quand je dis que "le droit n'existe pas" à mes étudiants, certains rient. Demain, direction la Cour d'appel de Douai. Lundi 28 juin, 14h00, audience à la Cour de cassation sur la transmission de la QPC (dont la motivation juridique a été modifiée avec un nouvel argument purement constitutionnel: il y a encore du boulot...).
D'autant que je soupçonne, va savoir pourquoi, que tu es grassement rémunéré, pour l'ensemble de tes efforts...
Chapeau, on est fiers de toi.
En ce qui concerne les griefs relatifs au droit de l'Union européenne :
9. Considérant que les requérants soutiennent que « le droit communautaire n'impose nullement une telle ouverture à la concurrence puisque la Cour de justice de l'Union européenne admet au contraire le maintien des monopoles dès lors qu'ils sont justifiés par les objectifs de protection de l'ordre public et de l'ordre social » ; qu'ils invitent le Conseil constitutionnel à vérifier que la loi « n'est pas inconventionnelle » en se référant à l'arrêt de la Cour de cassation du 16 avril 2010 susvisé qui indique que le Conseil constitutionnel pourrait exercer « un contrôle de conformité des lois aux engagements internationaux de la France, en particulier au droit communautaire » ;
-
Quant à la supériorité des engagements internationaux et européens sur les lois :
10. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 55 de la Constitution : « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie » ; que, si ces dispositions confèrent aux traités, dans les conditions qu'elles définissent, une autorité supérieure à celle des lois, elles ne prescrivent ni n'impliquent que le respect de ce principe doive être assuré dans le cadre du contrôle de la conformité des lois à la Constitution ;
11. Considérant, d'autre part, que, pour mettre en œuvre le droit reconnu par l'article 61-1 de la Constitution à tout justiciable de voir examiner, à sa demande, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative méconnaît les droits et libertés que la Constitution garantit, le cinquième alinéa de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée et le deuxième alinéa de son article 23-5 précisent l'articulation entre le contrôle de conformité des lois à la Constitution, qui incombe au Conseil constitutionnel, et le contrôle de leur compatibilité avec les engagements internationaux ou européens de la France, qui incombe aux juridictions administratives et judiciaires ; qu'ainsi, le moyen tiré du défaut de compatibilité d'une disposition législative aux engagements internationaux et européens de la France ne saurait être regardé comme un grief d'inconstitutionnalité ;
12. Considérant que l'examen d'un tel grief, fondé sur les traités ou le droit de l'Union européenne, relève de la compétence des juridictions administratives et judiciaires ;
13. Considérant, en premier lieu, que l'autorité qui s'attache aux décisions du Conseil constitutionnel en vertu de l'article 62 de la Constitution ne limite pas la compétence des juridictions administratives et judiciaires pour faire prévaloir ces engagements sur une disposition législative incompatible avec eux, même lorsque cette dernière a été déclarée conforme à la Constitution ;
14. Considérant, en deuxième lieu, qu'il ressort des termes mêmes de l'article 23-3 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée que le juge qui transmet une question prioritaire de constitutionnalité, dont la durée d'examen est strictement encadrée, peut, d'une part, statuer sans attendre la décision relative à la question prioritaire de constitutionnalité si la loi ou le règlement prévoit qu'il statue dans un délai déterminé ou en urgence et, d'autre part, prendre toutes les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires ; qu'il peut ainsi suspendre immédiatement tout éventuel effet de la loi incompatible avec le droit de l'Union, assurer la préservation des droits que les justiciables tiennent des engagements internationaux et européens de la France et garantir la pleine efficacité de la décision juridictionnelle à intervenir ; que l'article 61-1 de la Constitution pas plus que les articles 23 1 et suivants de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée ne font obstacle à ce que le juge saisi d'un litige dans lequel est invoquée l'incompatibilité d'une loi avec le droit de l'Union européenne fasse, à tout moment, ce qui est nécessaire pour empêcher que des dispositions législatives qui feraient obstacle à la pleine efficacité des normes de l'Union soient appliquées dans ce litige ;
15. Considérant, en dernier lieu, que l'article 61-1 de la Constitution et les articles 23-1 et suivants de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée ne privent pas davantage les juridictions administratives et judiciaires, y compris lorsqu'elles transmettent une question prioritaire de constitutionnalité, de la faculté ou, lorsque leurs décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne, de l'obligation de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle en application de l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
16. Considérant que, dans ces conditions, il n'appartient pas au Conseil constitutionnel, saisi en application de l'article 61 ou de l'article 61-1 de la Constitution, d'examiner la compatibilité d'une loi avec les engagements internationaux et européens de la France ; qu'ainsi, nonobstant la mention dans la Constitution du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007, il ne lui revient pas de contrôler la compatibilité d'une loi avec les stipulations de ce traité ; que, par suite, la demande tendant à contrôler la compatibilité de la loi déférée avec les engagements internationaux et européens de la France, en particulier avec le droit de l'Union européenne, doit être écartée ;
Sur le fond, cela confirme assez mon analyse passée. Mais le neuf pour moi est dans la prise de position de JL Debré, président du Conseil constitutionnel, devant le comité Balladur :
- La décision du 3 décembre 2009 ne va pas aussi loin : signe de divergences au sein du Conseil ?
- on peut même s’étonner qu’il n’y ait pas eu une très forte réserve, ou plus, sur la ‘priorité’ : cela augure mal de la volonté du Conseil constitutionnel de faire de la transposition du droit communautaire en droit interne une ardente exigence constitutionnelle.
Mais je pense néanmoins que la force des choses, qui est au cœur des pratiques institutionnelles, fera que, nolens volens, le Conseil constitutionnel, par le biais du contrôle de constitutionnalité, se saisira du contrôle de conventionalité des lois au regard du droit de l'Union : c’est inévitable.
Décidément les parlementaires n’ont pas voulu tenir compte à temps des leçons de droit qui leur ont été données (V. Lamanda, Jean- Marc Sauvé, vice président du Conseil d'Etat etc.)
Il est vrai que la position de Mme Alliot-Marie, ministre de la justice (« si on laissait au juge le droit de choisir entre les deux avant l'avis du Conseil constitutionnel la norme internationale s'appliquerait parfois au détriment de notre Constitution»), pour venir d’une juriste, ne démontre pas non plus une claire perception de la hiérarchie des normes.
En revanche il me semble bien que la Cour de cassation, dans sa décision sur la loi Gayssot, a témoigné d’une certaine résistance face à la QPC, à moins qu’il ne s‘agisse d’une prise de position d’opportunité politique ( ?), ce qui ne serait pas mieux. Je déteste les négationnistes, mais ceux des juristes qui voient dans cette loi un problème n’ont pas tort : à tout le moins, le sérieux de la QPC semblait admissible, sauf à juger à la place du Conseil constitutionnel. C’est aussi toute la question de la nature des deux filtres successifs qui est ici posée : simple tri d’évidence, ou jugement ?
Le Conseil d’Etat n’est-il pas engagé dans une approche plus ouverte de la QPC ?
Bref, j'arrête de vous embêter sur ce sujet pour vous faire part d'une modeste reflexion par rapport à la représentation devant la Cour de Cassation, et le problème de la signature d'un avocat aux Conseils : il semblerait que la Chancellerie envisage à terme de suprimer tant la postulation que ces fameux avocats aux conseils, notamment pour des considérations de libre accès à la justice, dans ce cas le problème rencontré par Me Boucq n'en serait plus un (enfin sur ce point uniquement). Est-ce qu'il n'y aurait pas eu alors une simple "préméditation" - bien que maladroite- de cette évolution dans la rédaction des textes de la QPJ ?...
Un bien long message pour peu de choses, mais si toutefois cela pouvait alimenter la conversation ...
a) La Cour de cassation mettait déjà le ver dans le fruit bien avant le 16 avril en ouvrant la porte à une QP du juge du fond :
Présentation détaillée du dispositif de question prioritaire de constitutionnalité prévu par l’article 61-1 de la Constitution (étude de la loi organique par la Cour de cassation) :
http://www.courdecassation.fr/IMG/File/Prsentation%20dtaille%20Loi%20organique%20QPC%20final_250210.pdf
b) Ensuite l’article 23-2 de la loi organique ne concerne que le juge du fond, il n’est pas reproduit (simple distraction du législateur considérant qu’il était ‘évident’ que la situation était aussi verrrouilée en cassation par l’article 23-2?) dans l’article 23-4 !
Dès lors la Cour de cassation pouvait parfaitement poser la QP concernant le texte mis en cause à Lille en interprétant strictement le texte la concernant.
En revanche elle a assez innové pour la seconde demande, malgré la réserve ci-dessus qui lui enlève une bonne partie de son venin, en interrogeant la CJUE sur la loi organique elle-même. Toutefois cette question ne semble pas sortir de ses attributions si on accepte sa lecture de l’article 23-2 de la loi organique en référence à l’article 61-1 de la Constitution.
C’est finement joué, chapeau !
c) Enfin le Conseil constitutionnel lui-même dans son « Commentaire de la décision n° 2009-595 DC du 3 décembre 2009 » écrit :
Ne peut-on en déduire que dans ce cas (qui n’est pas celui du 16 avril) la Cour de cassation pourrait poser toute QP lui semblant nécessaire pour statuer ?
2) Dans quelle formation a statué la Cour de cassation le 16 avril ?
L’articles 23-6 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 met en place un circuit particulier des QPC au sein de la Cour de cassation en créant deux formations au sein de la Cour de cassation, toutes deux présidées par le Premier président de la Cour de cassation :
- une formation normale composée des présidents de chambre et de deux conseillers appartenant à chaque chambre spécialement concernée,
- une formation plus restreinte, pour statuer sur les questions dont « la solution paraît s’imposer » au Premier président.
Il me semble que cela ne saurait être que la formation normale, mais s’il s’agissait de la formation restreinte, ce serait un indice fort de la position de la Cour de cassation sur la loi organique et sur ses failles.
3) Je reviens quand même sur l’absence de faculté de prise de parole dont a été victime l’avocat par qui le ‘scandale’ constitutionnel est arrivé.
On lit, toujours dans le « Commentaire de la décision n° 2009-595 DC du 3 décembre 2009 » du Conseil constitutionnel, ceci qui est capital et me semble légitimer la mise en cause du monopole de la prise de parole des avocats au Conseil quand la Cour de cassation est réunie en formation traitant d’une QPC :
Je pense que les Barreaux devraient se saisir de la question : la parole de l’avocat du justiciable devant le juge du fond ne fait-elle pas partie du respect d’une procédure juste et équitable ? Il est inévitable que la question arrive un jour devant la Cour EDH. En effet il y aura bien des cas où un justiciable ne sera pas représenté par un avocat au Conseil, et pourra alléguer le coût supplémentaire pour lui de cette nécessité, pour signer un écrit pouvant être fait par l’avocat déjà choisi devant le juge du fond.
4) Des contributions importantes et indispensables dans les 2 derniers congrès de droit constitutionnel, bien qu’antérieurs à la loi organique :
Paris 2008 :
http://www.droitconstitutionnel.org/congresParis/acccongresP.html
et Montpellier 2005, dont cet atelier plus particulièrement :
http://www.droitconstitutionnel.org/congresmtp/atelier5.html
5) Cher Romain Boucq :
Mais dans le cadre de la QPC on peut légitimement soutenir que la Décision n° 2004-505 DC du 19 novembre 2004 du CC impose de vérifier constitutionnellement la compatibilité des normes : on a placé la constitution en haut dans la procédure de QPC, mais ce respect de la constitution impose bien d’en évacuer les textes contraires à nos engagements européens. Sinon on verrouille la situation de façon insupportable : aucune QPC ne pourrait faire détruire un texte de loi contrevenant à une norme européenne supérieure à la loi nationale.
Voir ci-dessus pour la QP antérieure de la Cour de cassation (laissons celle sur la loi organique de côté) et sur sa validité.
Mais le drame est que ce texte ne sera pas mis dehorsCertes les juges du fond ne l’appliqueraient plus, enfin, ne devraient plusmais cela laissera place à bien des contentieux inutiles. Donc il faut bien que le CC gomme ce type de textes.
Oui, mais si le juge du fond résiste, à chaque fois il faudra un bras de fer épuisant. La portée de la QPC est bien supérieure !
Il suffirait de modifier le texte auquel la Cour de cassation n’attribue pas de valeur constitutionnelle et de disposer que la C de cass ou le CE auront à poser à la CJUE toute QP nécessaire à la solution de la QPC préalablement à son examen par le CC.
OUI ! C’est le sens de mes développements, et parfaitement exprimé. Mais c’est aussi la position de la Cour de cassation, manifestement. En dehors de toute considération politique (on peut s’en féciliter, ou le déplorer, selon son degré d’adhésion à l’Europe) cela me semble juridiquement évident.
OUI.
Ce ne serait que pour la formeet on en arriverait bien à l’empilement suivant : sur les champs qui sont de compétence supranationale, la CJUE aurait le pas sur le CC, même si la Constitution n’en resterait pas moins sur son sommet (partagé).
C’est plus que formel.
Bien.
Il est vrai que votre question était, sous ce rapport, idéale, et j’imagine que la Cour de cassation, sous une urgence-prétexte (libération déjà intervenue, je crois), l’a bien utilisée comme telle.
Là j’en suis moins sûr, ses décision sur les inégalités qui restent un traitement égalitaire car de situations différentes sont disons assez politiques et ouvrent la voie à bien des casuistiques.
Nous verrons. J'espère me tromper. Mais ses membres ont un tropisme souvent peu favorable aussi bien à l’extension du rôle du CC (voir le livre de la fille de R. ARON sorti à son départ du CC) qu’à la supranationalité. Et certains sont très hostiles à la QPC, dont un membre à vie se disant dans Le Monde juriste de droit gallo-romain (Arverne plus que Gaulois?).
L’affaire est passionnante, et sa portée est encore difficile à mesurer, sans doute au-delà de ce que nous analysons déjà ici. Mais c’est le propre du droit constitutionnel, où les évolutions au-delà des textes sont la règle plus que l’exception.
Merci de l'avoir posée.
Il est accessible soit sur le site des Annonces de la Seine ( http://www.annoncesdelaseine.com/), soit directement à l'adresse suivante:
http://issuu.com/adls/docs/les_annonces_de_la_seine_22-2010_su_1273151089/11?zoomed=true&zoomPercent=100&zoomX=0.09482758620689657&zoomY=0.2654482158398607¬eText=¬eX=¬eY=&viewMode=magazine