Monsieur Bertrand est un instituteur d’à peu près cinquante ans, le visage assez marqué sous des cheveux mal peignés, et un désespoir assez profond lorsque je le rencontre, il y a plus d’un an : il est convoqué devant un juge d’instruction pour mise en examen, parce qu’il a commis, il y a de nombreuses années, des attouchements sur plusieurs des enfants qui étaient dans ses classes.
Il m’explique, les yeux baissés, les mains tremblantes, qu’il l’a effectivement fait, et son désespoir est profond non pas parce que pour lui, les ennuis judiciaires vont commencer, mais parce qu’il est conscient d’avoir fait du mal aux gosses, et qu’il en éprouve un véritable remords.
Je sais que ça ressemble à un argument d’avocat, mais peu importe, dans son cas, c’est vrai, et je n’ai jamais vu quelqu’un d’aussi malheureux d’avoir fait ce qu’il a fait il est d’ailleurs persuadé qu’il va aller en prison, et ne s’en soucie pas, il est presque demandeur d’une sentence lourde et immédiate.
Je le calme et l’apaise comme je peux, je lui explique ce qu’est une instruction, et les critères de la détention provisoire, en lui indiquant que s’il n’a pas immédiatement été présenté à une juge d’instruction après sa garde à vue, mais seulement convoqué plus tard, c’est qu’il est probable qu’on n’envisage pas de le détenir, compte-tenu je suppose de l’ancienneté des faits, et de ses garanties de représentation de ses aveux sincères, aussi…
Nous parlons des faits, et il s’est en réalité surtout permis des “gestes déplacés”, jamais directement sur la peau des enfants : je lui explique que ceci aussi jouera, qu’il arrive malheureusement que l’on voie bien pires faits, et que, très probablement, le préjudice subi par les enfants sera moindre.
Nous irons ensemble à son audition, et effectivement il sera placé sous contrôle judiciaire, astreint notamment à un suivi psychologique et psychiatrique qu’il a de toute façon déjà engagé.
Il a été suspendu par l’Éducation Nationale, avec un salaire réduit – vous en serez choqué ou pas, de ce maintien de salaire, mais c’est ainsi, et sa vie va s’organiser à nouveau, dans une grande fragilité : il trouvera un emploi de distributeur de journaux gratuits, sera extrêmement demandeur de ses psychologue et psychiatre, qu’il rencontre au moins une fois par semaine chacun, vivra seul, marié il y a longtemps et divorcé depuis plusieurs années, n’ayant aucun contact avec ses filles depuis un peu moins longtemps, mais des années tout de même, et n’ayant qu’un ou deux amis, et pas d’autre famille.
Il prendra avec moi beaucoup plus de rendez-vous que n’en nécessitent en principe nos rapports, je le verrai douze fois en tout, parfois pour préparer ensemble une audition, ou lire le dossier, ou à la suite d’une notification du magistrat instructeur notamment les rapports d’expertises psychologiques de ses anciens élèves et victimes, aujourd’hui devenus grands, et qui pour la plupart ne conservent que peu ou pas de souvenirs précis de ses gestes, et n’ont, heureusement, pratiquement pas de séquelles, en tout cas apparentes : ce fait le réconfortera beaucoup.
Mais parfois, nous nous rencontrerons seulement pour parler, pour qu’il me parle, en fait. De sa culpabilité, dont je vois bien qu’elle est dévorante et l’obnubile totalement, devant à chaque fois lui redire tout l’espoir qu’il faut garder quant à une nouvelle vie, après le procès, qu’il a fait ce qu’il fallait vis-à -vis des enfants, et qu’il doit être fier d’assumer au moins ses actes, dans un domaine où ce n’est souvent pas le cas, qu’il fait encore ce qu’il faut en se soignant, intensément, c’est-à -dire en travaillant à découvrir ce qui a déconné, pourquoi il a eu ces gestes, pourquoi il a oublié ou dévoyé à ces moments-là l’amour sincère qu’il portait par ailleurs à ses élèves.
Je vois bien, et ce sera confirmé par les rapports des expertises ordonnées par ailleurs, qu’il est rongé de remords, au sens réel de l’expression, et qu’il a plongé dans une dépression dont je mesure les pics et les gouffres au fil de nos entretiens comme si souvent, ces suivis seront pour lui l’occasion de revenir sur un passé douloureux et pénible, lui aussi ayant été agressé sexuellement étant enfant, et de fouiller dans les rapports anormaux qu’il a eus et a encore avec ses parents, aujourd’hui décédés, son père ne lui évoquant que craintes et froideur, sa mère étant la prunelle de ses yeux, dont le décès l’a laissé comme un nourrisson sans lait Traumatismes divers, blessures enfouies, des liens à faire, des comptes à régler, tout un chemin de compréhension qui ne se fait qu’avec un volontarisme à l’épreuve de tout, et la vraie volonté de “réparer”, de la position où on se trouve, et comme on peut.
J’aborderai, une fois, ma crainte qu’il n’attente à ses jours, et il réfutera catégoriquement cette idée : il priverait en agissant ainsi les victimes de leur procès, au cours duquel il tient par-dessus tout à tenter de leur demander pardon, ainsi qu’à leurs familles, et à se présenter en ayant ses explications pas des excuses, mais des explications, pour que ses victimes les entendent, et qu’elles sachent, définitivement, qu’elles n’y étaient pour rien, que toute la culpabilité, la seule qu’il faille avoir, est pour lui, et pourquoi.
On s’en est gentiment moqué, parfois, avec les filles, au cabinet : elles le surnomment “le saule”, parce qu’il pleure beaucoup, Monsieur Bertrand, au téléphone et quand il vient, et en audition chez le juge, aussi, qui doit lui-même parfois le rassurer un peu.
A la fin de l’une de ces auditions, la dernière, une sorte de “récapitulatif” portant aussi bien sur les faits que sur les éléments de contexte et de personnalité recueillis depuis l’ouverture de l’information judiciaire, il va pleurer beaucoup, Monsieur Bertrand : une enquête de personnalité avait été ordonnée, le rapport est revenu au dossier tout récemment, et ne m’a pas été notifié, de sorte que nous n’avons pas connaissance de son contenu.
Pour éviter une nouvelle convocation, je demande au magistrat de suspendre quelques minutes, le temps pour mon client et moi de le lire, et acceptant ensuite qu’il puisse être interrogé sur ces éléments.
Et, au détour de quatre lignes, dans ce document de personnalité somme toute relativement annexe, nous découvrons ensemble, dans le couloir de l’instruction, que ses filles, qui demeurent loin, entendues par l’enquêtrice, non seulement, ont à cette occasion révélé qu’elles auraient elles-mêmes été victimes d’attouchements, et bien plus gravement encore, de viols, lorsqu’elles étaient petites, de la part de leur père, mais encore qu’elles ont déposé plainte à son encontre, là où elles habitent.
Il est au désespoir en apprenant ces accusations, qu’il niera quelques instants plus tard devant le magistrat, lequel n’est pas saisi de ces faits, et a lui-même découvert à la seule lecture du même rapport qu’une autre enquête est apparemment en cours.
Il dit n’avoir jamais rien fait à ses filles, il me le redira pendant plus de deux heures après l’audition, en étant totalement anéanti.
Je lui indique que ce ne sont pour l’instant que des déclarations dans un document, que rien ne prouve qu’elles soient réelles, ni même que plainte il y ait réellement.
Par un de ces mystères propres au parquet et que je ne comprendrai jamais (peut-être, ici, a-t-on voulu permettre au premier juge de clôturer son affaire pour la faire juger plus vite que la seconde, admettons), un autre juge du même ressort sera saisi de ces nouveaux faits supposés, pour lesquels Monsieur Bertrand recevra une nouvelle convocation pour mise en examen, cette fois-ci de nature criminelle presque le même jour que nous recevrons l’avis de fin d’information dans la première affaire.
Nous nous rendrons ensemble à cette nouvelle convocation, dans le cadre de laquelle, cette fois, Monsieur Bertrand contestera totalement les faits.
Comme précédemment, le parquet et le nouveau juge d’instruction ne souhaiteront pas son incarcération, mais un nouveau contrôle judiciaire.
D’un côté, il y a les accusations, assez circonstanciées même si un peu imprécises, de ses filles, mais qui n’avaient jamais été formulées auparavant, et ne sont intervenues qu’à l’occasion des questions qu’on leur posait dans un cadre où elles apprenaient que leur père avait commis des agressions sexuelles sur des enfants, sur fond de divorce puis d’éloignement géographique et de séparation conflictuelle ; de l’autre, les dénégations de Monsieur Bertrand, mais en quelque sorte “abîmées” par la douleur générale qui affleure constamment chez cet homme – et, bien sûr, les faits reconnus commis sur ses anciens élèves, de même nature, même si pas de même ampleur. Cette dernière circonstance sera à charge ou à décharge, selon le point de vue qu’on en aura.
Voilà , très simplement et rapidement dit, avec quoi nous nous débattrons, avec cet homme éminemment fragile, quoi qu’il ait fait ou pas fait, dans ce second dossier.
Il est revenu lire, à mon cabinet, pendant les vacations judiciaires, les déclarations de ses filles, Monsieur Bertrand. Nous disposons d’une pièce où nos clients lisent sur un écran d’ordinateur le contenu de leurs dossiers, seuls et dans le calme, avant que nous ne les rencontrions juste après dans nos bureaux respectifs pour en faire le point. J’ai dû à trois reprises aller le réconforter, pendant cette lecture forcément douloureuse dans tous les cas de figure, l’ayant entendu pleurer comme un gosse, le visage rivé sur les mots de ses enfants.
Et ses mots, à lui, au cours du long entretien que nous avons eu ensuite, ont été, en boucle, “Je ne comprends pas”, “Je souffre”, et “Je vous jure, Maître, que je n’ai jamais rien fait à mes filles”.
Tout l’enjeu pour lui, à ce moment-là , était que je le croie, et j’avais beau lui expliquer que je le croyais, qu’il ne m’avait jamais menti dans la première affaire, et qu’au-delà je ne voyais même pas, pour ce que je connaissais de son état mental, psychique, de sa psychologie à lui, comment il parviendrait à mentir, et encore moins à propos de ses filles, pour lesquelles il avait un réel amour, j’en doutais d’autant moins qu’il m’en avait bien sûr parlé bien avant la découverte de leurs accusations, il s’obstinait à vouloir me convaincre, à me jurer qu’il était innocent, presque compulsivement.
Il a fini par se calmer, et par me croire, je crois. Nous avons convenu ensemble de l’évidence : si ces accusations étaient fausses, il y avait un énorme problème “de l’autre côté”, et nous demanderions à la magistrate, si elle ne le faisait pas elle-même, tout ce que nous pourrions pour approfondir cette question : il y avait un combat à mener, et nous ferions ensemble ce qu’il faudrait.
Nous avons été convoqués peu de temps après par le magistrat instructeur, pour une première véritable audition de fond, devant se dérouler aujourd’hui.
Comme je le fais toujours, j’ai fixé un rendez-vous avec Monsieur Bertrand ce matin même, une heure avant, pour refaire un ultime point bien souvent, il s’agit de se remémorer précisément les éléments figurant au dossier, de revoir ensemble les explications ou contradictions à apporter ; dans son cas, je comptais surtout le calmer, l’exhorter à s’expliquer clairement et en tentant de ne pas sombrer à nouveau dans la tristesse, ou le moins possible, à détailler un historique précis des relations avec son ex-femme et avec leurs enfants, ainsi que de leurs habitudes de vie au moment des faits.
Hier, la veille de l’audition prévue, j’ai reçu une lettre de lui. Dans une enveloppe contenant par ailleurs deux autres enveloppes fermées, respectivement destinées aux deux juges d’instruction en charge de ses deux dossiers.
Je ne les ai pas ouvertes, et vais les transmettre telles quelles aux magistrats concernés.
Il m’a écrit :
” Maître,
A l’instant où vous lirez ces quelques lignes, je ne serai plus de ce monde.
Je tenais à vous réaffirmer que je vous ai toujours dit la vérité, tant au sujet de ma première affaire qu’au sujet de mes filles Nathalie et Stéphanie, que j’ai toujours respectées, et envers lesquelles je n’ai jamais eu de pensées ni de gestes malsains.
Je ne peux plus supporter de me voir dans une glace et mon avenir n’est plus rien.
C’est en pleine connaissance de cause que j’accomplis cet acte définitif.
Je vous remercie de toute l’aide que vous m’avez apportée.”
J’ai immédiatement appelé son portable, qui a sonné dans le vide, avant de me connecter à sa messagerie, où j’ai laissé mon numéro en lui disant de m’appeler tout de suite et quand il voudrait, et que j’espérais de tout cœur qu’il n’avait pas fait cette connerie je n’avais que les pauvres mots convenus qu’on a dans ces cas-là .
J’ai appelé ensuite le commissariat de la ville où il habite, et expliqué la situation : le policier m’a indiqué qu’ils étaient déjà prévenus, l’unique ami de Monsieur Bertrand ayant reçu le même genre de lettre de sa part, il venait d’appeler.
J’ai raccroché, avec dans le dos cette sorte de tassement étrange qu’on ressent lorsqu’un fait violent, dur, immensément triste, survient près de vous.
J’en ai parlé à Minimo2, ma collaboratrice et amie, parce que j’en avais besoin, et que je sentais que j’allais me mettre à chialer, “si cet abruti l’a fait”.
Elle a tâché de faire diversion, en me rappelant que j’allais une fois de plus être impayé, plusieurs chèques figurant encore au dossier, on a ricané ensemble. Je lui ai redit que je pensais que “pour ces dossiers-là “, on se fourvoie totalement en “faisant du pénal”, qu’à mon sens il fallait créer une autre voie, que “tourments sur tourments” ne valent, à quoi elle m’opposait, plus civiliste que pénaliste, son aversion pour les hommes qui s’en prennent aux enfants, et le fait que ces deux procédures n’avaient pas été barbares à son égard, ce qui était vrai.
Vieux, long, complexe débat, qui met en jeu des âmes humaines, dans tous les cas, si difficiles à connaître, si impossibles à connaître…
Le bloc frissonnant de mon dos n’est pas parti.
Nous avons, sans nouvelles de Monsieur Bertrand, rappelé le commissariat en fin d’après-midi : ils y sont allés, ont forcé la porte d’entrée de son appartement : tout y est parfaitement propre et rangé, sa voiture est garée devant mais lui n’est pas là .
J’ai prévenu le magistrat instructeur, et continué, cette nuit, d’espérer que Monsieur Bertrand sonnerait ce matin à la porte de mon cabinet, honteux.
Mais il n’est pas venu, et n’a pas non plus contacté le juge, qui m’a confirmé qu’elle prévenait à son tour le parquet, qui ferait que les recherches seraient désormais urgentes.
Je lui ai indiqué que son portable sonnait, sans être coupé, et qu’on pouvait peut-être le localiser ainsi, en culpabilisant aussitôt de n’y avoir pas immédiatement pensé, hier.
Et j’en suis là .
A ne pas savoir s’il est mort ou simplement terré avec ses fantômes dans un abri quelconque.
Probablement en larmes.
On pourra le penser coupable ou innocent, victime d’un tas de choses ou surtout auteur, d’une totale lâcheté ou bien d’un certain courage et on changera probablement d’avis, tous, selon qu’il sera découvert vivant ou mort.
Moi à cet instant, je pense à un effroyable gâchis, je pense à un bonhomme gentil et malheureux, je pense aux victimes de ses gestes d’instit’ dévoyé, et à ses filles, qui dans tous les cas seront dans une autre souffrance tout aussi effroyable, quoi qu’il arrive et quelle qu’ait été la réalité, je pense à tous ces êtres humains, à cet homme, en demeurant certain, profondément, douloureusement, que oui, Monsieur Bertrand, il existait un avenir, oui, pour avoir vécu votre repentir et vos douleurs avec vous vis-à -vis de ces gosses, je sais que vous étiez tout sauf irrécupérable, tout sauf foutu, y compris pour le bien que vous pouviez apporter de plein de façons, ailleurs, je crois que vous n’aviez pas perdu la qualité d’Homme, et que vous deviez, que vous devez vivre !
J’espère que vous êtes vivant.
[Le même jour, 21 h 30 : il l’est. Retrouvé par la police dans un hôtel d’une ville voisine, inconscient mais en vie. Hospitalisé, mais “ses jours ne sont pas en danger”, selon l’expression consacrée. On peut respirer, nous aussi, et je vous en reparlerai sûrement, plus tard…]
Très beau /vrai témoignage.
Il y a du nouveau suite à ce fil, qui remonte déjà à quelque temps ?
Putain, ça me met en rogne, ça! Comment peut-on avoir assez de mauvaise foi pour reprocher à quelqu'un de ne pas avoir assumé ce que toute la société érige en honte suprême? Quels moyens, quelles structures, cette même société a-t-elle tenté de mettre en place pour autoriser la prise en charge préventive de ce genre de cas? Rien; nada, zilch, queue d'ale.
Qu'on lui (nous) reproche ses (nos) passages à l'acte, bien sûr. Mais qu'on (vous) assume sa (votre) part de responsabilité dans le risque qu'on fait courir aux victimes à venir en continuant à enfermer cette tendance dans le tabou ultime, à lyncher sans aucune compassion ceux qui finissent par être pris, sans leur avoir donné la moindre possibilité de gérer la chose tant qu'il en était temps.
Me Rouiller, vous êtes du côté des victimes et c'est bien. Mais vous (pas vous personnellement, mais le courant de pensée auquel vous vous associez par cette accusation), vous avez contribué à créer leurs bourreaux.
Putain, ça me met en rogne, ça.
Merci Maître Mô de partager de plus en plus votre vie avec vos lecteurs (jusqu'au temps réel), et tous mes vœux d'espoir(s) et de guérison(s) à votre client.
Ils méritent un examen attentif ,des enquêtes et des investigations voire une véritable décision de justice qui devrait geler l’affaire en cours sans cela ,les négations de Monsieur Bertrand sont insignifiantes devant l’actuel rapport d’enquête et son pouvoir de nuisance .
Tel quel ,il n’y a pas d’égalité des armes et le principe du contradictoire n’est pas respecté .
Faire tout pour que l’affaire soit jugée rapidement dans ces conditions ,n’a de respect ni pour le père ni pour ses deux filles .C'est un mépris pour la justice.
Le plus désolant, peut-être, est qu'il n'est pas sûr que les deux filles cherchent à mentir. J'ai même le sentiment qu'elles sont de bonne foi. C'est une impression personnelle, qui n'engage que moi, bien entendu. J'ai bien mon idée sur la question, mais je ne veux pas accuser sans preuves.
Comme je le disais dans mon précédent post, il faut espérer une chose : c'est que les filles de monsieur Bertrand, ayant appris ce qu'il a tenté de faire, retirent leur plainte si elles ont un doute. Cela n'arrêterait pas l'enquête en cours, mais lèverait une partie de l'a priori en question.
Je pense n'avoir lu nulle part que les filles de M. B s'étaient rétractées. Pour un enquêteur, il est difficile de concevoir que de tels potentiels faits arrivent sur son bureau par hasard (et c'est là toute nore différence). Je ne pense pas que l'on puisse accuser son père d'actes aussi graves par simple vengeance, ou pour tout autre motif familial. Ce que je ne dirais pas dans les affaires de familles où interviennent l'héritage et l'argent (Dallas, Brie Comte Robert et leur univers impitoyables) ou dans les affaires de divorce ou l'on accuse son ex-mari d'attouchements (j'en remets une couche mais j'ai vraiment détesté ça).
On avance comme infraction le viol. Première difficulté: elle a été commise dans le passé. Deuxième difficulté: elle a été commise sur des enfants dont on a réveillé les souvenirs (peut être vrais / peut êre erronés) par d'autres faits, moins graves mais touchant au même sujet. Difficulté moindre: le viol à la différence des autres infractions à caractère sexuel a quand même il me semble dans ses éléments constitutifs la pénétration. Pour les infractions autres que le viol, c'est bien plus problématique puisqu'à la limite le bain des enfants peut présenter des caractéristiques identiques.
Mes enfants pourraient dire de moi plus tard que le bain a donné lieu à des attouchements. Je prends un risque en les lavant mais je n'ai pas envie qu'ils sentent le fennec. Le viol c'est autre chose, même pour un enfant. La pénétration, ce n'est pas anodin et je pense que les enfants en sortent marqués (j'en suis sûr d'ailleurs et c'est comme ça qu'ils en viennent à raconter les faits, parce qu'ils changent de comportement, décrochent à l'école, deviennent anorexiques etc etc ...). Là ou pour moi ils ne sont pas marqués (et c'est là ou je suis pervers mais c'est l'expérience), c'est quand l'acte de pénétration est considéré normal, parce que expliqué, banalisé, habituel. Ce sont pour moi ces viols là qui ressortent à l'âge adulte.
Le fait d'être un agneau et de reconnaître des faits mineurs n'est pas un gage de vérité sur les faits majeurs. Toutes les possibilités sont envisageables.
Il restera donc dans ma petite tête d'enquêteur un doute (j'ai bien dit un doute, pas une certitude) qui nécessitera de difficiles investigations (pour M. Betrand et sa famille).
Et comme Isa, je pense que l'on doit faire preuve d'autant d'humanité à l'égard de ses filles. C'est une idée où j'ai l'impression qu'on les accuse ici (elles sont pourtant présumées innocentes ...)
Courage à eux ... TOUS
Juridiquement, une instruction est en cours, et il y aura ou pas un procès, et ou pas une condamnation - d'ici là , Monsieur Bertrand est présumé innocent, et rien ne permet à l'inverse d'invalider par principe les accusations de ses filles, évidemment.
Et humainement, quelle qu'ait été la réalité, quelqu'un ment, et, fausses accusations ou fausses dénégations, dans les deux cas le problème est énorme.
Le respect, total, des uns comme des autres, est, absolument, la seule et unique façon d'aborder ces dossiers, à défaut de quoi on fait juste beaucoup de mal, sans faire le moindre bien, quel que soit encore une fois le cas de figure.
Et si personne ne mentait ? Je veux dire "mentir" c'est faire un acte conscient pour dissimuler la vérité.
Si nous vivions dans un monde où les "monstres" étaient aussi courants que les médias essaient de nous le faire croire, il y aurait un monstre dans cette affaire. Soit M. Bertrand qui vous manipulerait en avouant des faits mineurs pour cacher l'essentiel, soit ses filles qui se vengeraient monstrueusement d'un père à qui elles en veulent pour une raison x ou y (on peut même ajouter une mère monstrueuse qui les aurait laissées dans le besoin toute leur enfance en prétendant que leur père ne leur versait pas de pension alimentaire, par exemple).
Sauf que les monstres, je pense que c'est très rare et que je ne crois à aucune de ces deux versions. D'après votre jugement (et pour avoir rencontré M. Bertrand, je pense que vous êtes meilleur juge que moi), votre client ne vous ment pas. Mais il pourrait avoir relégué ces actes au fond de son inconscient, justement parce qu'il n'est pas un monstre et ne pourrait vivre avec un tel poids. J'ai connu le cas d'un homme qui me jurait ne pas avoir fait tel acte alors que j'en avais été témoin (comment aurait-il pu soutenir devant moi, alors que j'étais présente, que tout ça n'avait pas eu lieu, si ce n'est parce qu'il en était intimement convaincu ?). Je ne dis pas que c'est ce qui s'est passé, et je ne le souhaite pas à votre client. Mais si tel était le cas, ça ne ferait pas de lui un monstre. Au contraire.
Il se peut aussi que ses filles aient perçu quelque chose dès leur enfance (des regards ou des rumeurs à l'école, ou des disputes entre leurs parents ou des histoires sur les grands-parents paternels, ou que sais-je...) et qu'elles aient reconstruit des pans de leur mémoire de façon erronée. Il se peut que, des années plus tard, quand on leur a posé des questions, elles aient cru comprendre un certain nombre de traumatismes d'enfance et qu'elles aient répondu en toute sincérité, sans pour autant dire la vérité (telle que nous la concevons).
Il est fort probable aussi que la vérité se trouve quelque part entre les deux. Qu'il y ait eu des gestes, peut-être inconscients, peut-être involontaires, qu'ils aient impliqué une perte de confiance des fillettes vis-à -vis de leur père, des cauchemars, des blocages... Et que personne ne mente ni ne dise la vérité.
Je crois qu'il faut avoir connu ce genre de situations familiales très traumatisantes pour savoir à quel point l'esprit humain est capable de se reconstruire pour se préserver.
Il n'y a qu'une seule certitude, c'est que pour en arriver à une telle situation, il y a forcément une souffrance du côté de ses filles également. Souffrance qui n'est pas forcément liée à leur père. Mais il est trop facile de penser à cet homme qui souffre et d'imaginer deux jeunes femmes qui vivent leur vie tranquillement et ont accusé ainsi leur père sans raison.
Vous n'avez rien dit de tel, loin s'en faut ! Je rappelle seulement cela à ceux qui postent leurs commentaires ici. Vouloir dédiaboliser le père en diabolisant les filles n'est pas la solution.
Je crains qu'il n'y ait que souffrance dans cette affaire et que, vu l'ancienneté des faits, il soit impossible de rétablir clairement la vérité. En l'absence de certitude, il faut bien sûr espérer un non-lieu mais celui-ci ne signifiera pas forcément que ces filles ont menti (à moins que leur père ne les attaque ensuite en diffamation ou autre (je vous laisse les termes juridiques)) juste qu'on ne sait pas et que, dans le doute, il n'est pas question de condamner un homme pour viol simplement parce que la présence de faits mineurs approchants le rendraient susceptible d'être coupable. Hélas, les cas où la vérité ne peut être faite sont nombreux dans ces affaires et si cela devait arriver, chacun devra se reconstruire en fonction de ce qu'il pense être la vérité. Je souhaite qu'ils en soient tous capables...
Au passage, peut-être cela apportera-t-il un peu de réconfort à votre client d'explorer cette piste. Je pense qu'il est insupportable d'imaginer que sciemment, la chair de sa chair a porté de telles accusations. Peut-être pourriez-vous l'aider (veuillez me pardonner cette incursion dans votre travail, mais il se trouve que cette situation m'est très familière) en suggérant que ses filles sont bouleversées, peut-être par des événements qui n'ont rien à voir avec lui, et qu'elles ont besoin de lui pour rétablir la vérité. Il faut qu'il tienne bon ne serait-ce que pour ça. Permettre à la justice d'essayer de trouver la vérité (qui sait si on ne va pas trouver un beau-père coupable, finalement). Ses filles doivent ressentir une souffrance profonde et il pourrait peut-être les en libérer en se confrontant à elles, en essayant d'aller au bout de toute cette procédure. Elles en ont sans doute bien plus besoin que les enfants victimes de ses attouchements. La mort est un acte définitif, pour lui comme pour elle, et jamais elles ne pourront guérir s'il met fin à ses jours.
Je ne sais pas s'il sera plus facile pour lui d'entendre ça, mais tout me paraît préférable au fait d'imaginer que, froidement, ses filles ont profité de la situation pour lui porter un coup aussi douloureux. Et peut-être que si chacun arrive à comprendre la souffrance de l'autre, la vérité ressortira plus facilement.
J'ai relevé par contre quelques commentaires sur ce blog, accusant les filles en question de "profiter" de cette situation pour des accusations bien tardives (je pense notamment au commentaire de Zebluesman). Je tiens à prier les lecteurs de ce blog, de faire preuve d'autant d'indulgence et de retenue à leur égard qu'à celle de M. Bertrand. Des événements ont peu être refoulés, inventés ou déformés dans un sens comme dans l'autre sans même que la personne qui s'exprime en soit consciente. Nous ne devons pas condamner M. Bertrand sans en savoir plus, bien sûr. Mais nous ne pouvons pas davantage condamner ses filles dont nous ne savons rien. Oui, elles ont pu être manipulées et se "venger" d'un père absent pour des raisons indépendantes de sa volonté. Elles ont aussi pu voir ou entendre des camarades de classe victimes de ces actes déplacés et déformer inconsciemment la vérité parce que leur confiance en leur père en a été heurtée alors qu'elles étaient très jeunes. Elles ont pu faire des cauchemars, les mêler à la réalité. N'importe quoi peut être envisagé.
Mais il est trop facile de vouloir à tout prix attaquer un méchant (si ce n'est lui, c'est donc elles) et considérer que ces deux jeunes filles ont décidé d'en "mettre plein la gueule à leur père" pour se venger, comme ça, froidement.
S'il y a une chose qui me désole, c'est surtout la tournure des événements. La façon dont M. Bertrand a appris ces accusations, sans aucune préparation dans un cadre où il était déjà sous tension. Cela devrait toujours être évité parce que le décès de cet homme n'aurait été bon ni pour lui (forcément, je tends à penser aussi qu'il y a toujours un avenir), ni pour ses victimes qui avaient sans doute besoin d'entendre ses aveux et ses excuses, ni pour ses filles... ni donc, pour la société.
Mais n'attendez pas qu'un de ses filles fassent à son tour une tentative de suicide pour leur accorder l'indulgence et le bénéfice du doute que vous accordez à leur père.