[Ce maigre cri a été précédemment publié sous forme de Tribune dans la Gazette du Palais du 1er mars 2016. Je la reprends ici pour mes fidèles adorés qui ne l’auraient pas lue – et parce que j’y tiens.]
Mon Cher Adil,
Je t’écris dans la douleur : j’étais ton avocat, si tu es mort en détention c’est forcément en partie de ma faute.
Mais c’est aussi parce que je demeure viscéralement certain que tu n’aurais pas dû être en détention provisoire.
Pas à cause de l’innocence que tu criais, pas ici. Ta mort fait que tu es innocent à jamais, puisque tu ne seras jamais jugé, et que l’article préliminaire du Code de procédure pénale clame qu’une personne poursuivie “est présumée innocente tant que sa culpabilité n’a pas été établie” …
Non, au-delà même, à cause de la détention provisoire elle-même, dont j’affirme qu’il faut, sauf désormais d’enfin rares et uniques vraies exceptions, la supprimer.
Parce que le même texte dit aussi que “les mesures de contrainte dont la personne poursuivie peut faire l’objet doivent être strictement limitées aux nécessités de la procédure“, parce que l’article 137 du même code érige encore en principe que “toute personne mise en examen, présumée innocente, demeure libre” et n’autorise qu’ “à titre exceptionnel” qu’elle soit placée en détention.
Parce que ces critères de l’article 144 dudit code, connus par cœur à force de les voir partout, sont pour la plupart vides de tout sens au regard de ce qu’est la détention provisoire aujourd’hui – l’exceptionnelle, la rarissime, dont pourtant les Statistiques mensuelles des personnes détenues et écrouées en France au 1er janvier 2016 (page 4) du ministère établissent qu’elle concernait 18 158 détenus effectifs sur 66 678 : un bon 27 % de “présumés innocents” tout de même…
Parce qu’il est douloureusement archaïque qu’au détriment de vrais moyens de contrôle judiciaire, d’assignation à résidence, de surveillance électronique, il soit encore possible en 2016 de considérer si souvent que la détention soit l’unique possibilité de conserver des preuves, d’empêcher une pression sur les témoins ou victimes ou une concertation frauduleuse avec des complices, à l’heure où des milliers de téléphones, disposant souvent d’Internet, sont utilisés en prison.
Pire parfois, l’unique possibilité de “protéger la personne mise en examen” – la détention, dans son état de délabrement actuel, le “seul moyen de protection”, y compris au hasard d’un agresseur d’enfants délicatement surnommé pointeur et qu’on y massacre au contraire avec soin ?
L’unique possibilité de garantir le maintien de la personne mise en examen à la disposition de la justice, ou d’empêcher le renouvellement hypothétique d’une infraction, à l’heure des bracelets pourtant par ailleurs placés sans soucis aux chevilles de condamnés ou de l’assignation à résidence interdisant a priori tout de même correctement la vente de drogue ? Bien mieux que la prison en tout cas, royaume de tous les trafics…
Hormis d’évidents cas de dangerosité violente ou de récidives pathologiques, il faut supprimer la détention provisoire.
Pour permettre aux “prévenus” de se défendre et se réinsérer (ou de RESTER, bon sang, insérés…), pour vider les prisons, pour libérer aussi magistrats, greffiers et avocats asphyxiés par son lourd contentieux.
Pour toutes ces raisons, plus une : que tu ne puisses plus t’y pendre, Adil.
A vous lire ?
Bien à vous.
Si pour critiquer la loi il faut à l'avocat être couvert par l'anonymat, nous sommes effectivement sujets d'une ponérocratie.
Il y avait bien longtemps...
Vous avez raison, bien sûr. On abuse honteusement de la détention provisoire. C'est bien connu. Et depuis si longtemps... Mais ça continue.
Il y a comme ça des idées qui, aussi bonnes soient-elles, ne passent pas la rampe. Si nous étions (si nos dirigeants étaient) raisonnables, ça se saurait...
Depuis fort longtemps, une conviction s'encre de plus en plus fortement en moi. C'est que quoi que l'on en dise, la population française préfère un innocent en prison à un coupable en liberté.
Effectivement, je ne connais personne qui le formulera comme cela, y compris NBV du commentaire No 4), pourtant je le sens psychologiquement prédisposé à accepter une justification comme quoi, vous savez, si un suspect est coupable, il faut bien préserver les preuves, éviter qu'il ne récidive... S'il est coupable. Et s'il n'est pas
coupable ? Juste : oups.
J'ai même lu un commentaire d'une magistrate sur un post de Me eolas (j'ai la flegme d'aller le rechercher), qui pensait que finalement, on pouvait considérer que la garde à vue/détention préventive pouvait être considérée comme du temps consacré par des citoyens pour aider la justice à établir
la vérité, pardon : la Vérité.C'est vous dire si dans mon esprit cette préférence d'un innocent en prison à un coupable en liberté est ancrée dans l'inconscient collectif français.
il vous reste à reconnaître votre flemme avec un certain flegmatisme.
Bien à vous,
Pourquoi ? Oh, c'est tout simple ^^
1) Tout Homme est innocent tant qu'il n'a pas établi qu'il était coupable (donc, avant un jugement, tout prévenu est innocent)
2) La détention provisoire (qui est déjà dans les textes une mesure exceptionnelle) s'applique à des prévenus qui n'ont pas été jugés, pour qui il n'a pas été établi qu'ils étaient coupables
D'où le fait qu'objectivement, la détention provisoire est une violation de plusieurs libertés fondamentales.
D'où le fait qu'objectivement et idéalement, elle ne devrait même pas exister.
Malheureusement nous ne sommes pas dans une utopie, et la détention provisoire existe. Mais elle ne devrait être appliquée que pour une toute pitite pitite minorité de cas (et certainement pas 27 % !!!).
Et ce, même si la détention provisoire de certains prévenus se passe relativement bien. Et ce, même si un séjour en prison équivalait à (on peut rêver) un séjour dans un hôtel.
Comment cette situation si exorbitante peut-elle être tolérée dans les proportions qu'on lui connaît ?
Quelques centaines de personnes sont indemnisées en France tous les ans. En prison alors qu'innocents, n'est-ce pas l'essence d'une erreur judiciaire ? Et il faut y ajouter toutes les personnes non indemnisées parce que ne bénéficiant pas d'un non-lieu, d'une relaxe ou d'un acquittement. Avec les durées aberrantes des procédures en France, ils passent souvent en prison plus de temps que ce à quoi ils sont condamnés, et bien plus que ce à quoi ils auraient été condamnés si les tribunaux n'alignaient pas les peines sur les durées déjà effectuées. Etre en prison plus longtemps qu'on le mérite, n'est-ce pas là aussi une injustice ?
La détention provisoire, malgré tous les dégâts qu'elle a déjà fait, malgré Outreau, malgré les textes, reste un scandale dans ses proportions. J'approuve votre démarche pour qu'elle devienne une vraie exception.
Effectivement c'est triste de voir ce genre de choses se produire.
Avec votre notoriété (sur le net en tout cas), peut-être que vous pourriez faire passer un message public plus facilement en expliquant tout de A à Z sans qu'il faille effectuer des recherches pour savoir de quoi vous parlez exactement.
Du peu que je connais de vous, vous semblez être un avocat respectable ce qui est loin d'être un pléonasme, je souhaite vous témoigner mon admiration à ce sujet.
(et pour info je ne suis pas fou, je me réponds pour éviter de créer trop de nouveaux messages).