Grosse fatigue

Il y a des moments plus durs que d’autres dans ce métier…
Je plaidais la tentative de conciliation d’un divorce assez houleux, audience fixée à  huit heures quarante-cinq, et je me suis donc rendu au Palais dix minutes plus tôt, afin d’avoir le temps de rencontrer une dernière fois ma cliente avant notre passage devant le juge aux Affaires Familiales…
J’ai souri en effectuant le bref trajet qui mène de mon cabinet au Palais, en me disant que quoi qu’en pensent certains, les RTT ont encore de beaux jours devant elles, au vu du très faible nombre de voitures garées, ou qui circulaient, et souri un peu plus tandis que, ma robe et mon dossier sous le bras, je me présentais devant les portes vitrées du Palais, et constatais que chez les avocats, on ne travaillait pas non plus trop tôt, puisqu’il n’y avait personne, et encore un peu plus en constatant que les portes étaient encore fermées, demandant aux pompiers de garde de m’ouvrir en les gratifiant d’un joyeux “Alors, on s’est couchés tard ?”, auxquels ils n’ont pas répondu, et qui apparemment ne les a même pas fait sourire, eux…
J’ai n’ai compris qu’en voyant l’heure sur la grosse horloge de l’Ordre : il était en réalité sept heures et demie du matin, j’étais tout seul, et ma cliente, comme la magistrate et mon confrère adverses, devaient être en train de petit-déjeuner…

Ce même jour étant, également, le dernier du délai de prescription d’une demande d’annulation d’un acte fondamental dans un très gros dossier pénal – qui est depuis plusieurs mois dans mon bureau, et que, selon un miracle que les avocats connaissent bien et qui relève des méandres de l’inconscient, j’ai tout à  coup eu la bonne idée d’ouvrir à  nouveau, pour constater la chose, soudain glacé, et me mettre frénétiquement à  rédiger la demande nécessaire, à  enregistrer le jour même…
Elle n’était pas achevée que je devais partir, cette fois à  la bonne heure, à  l’audience, non sans avoir auparavant du accueillir pendant quelques minutes -court mais dérangeant- un client de mon associé, qui passait par là  et avait eu la bonne idée de venir déposer son dossier d’aide juridictionnelle, mais sans faire les photocopies des pièces…
Comme toujours lorsqu’on prévoit qu’une audience va être dure, celle-ci s’est plutôt bien passée – si l’on excepte bien sur l’inévitable et récurrente attente d’une demi-heure -j’ai eu de la chance !- préalable à  l’audience elle-même, déjà  insupportable d’habitude, mais totalement inhumaine quand un délai doit être respecté à  tout prix le même jour…
Qu’à  cela ne tienne, magie du téléphone mobile, j’appelais mon cabinet pour faire décaler ou reporter mes trois rendez-vous de fin de matinée, et dût alors apprendre de ma secrétaire, affolée, auprès de qui je m’étonnais poliment des trois minutes d’attente qu’elle m’avait imposé (“Putain, S.., qu’est-ce que tu foutais ?”) que l’autre secrétaire, celle de mon associé, était partie dans le sud de la France, définitivement, en ne nous prévenant qu’à  neuf heures moins dix… D’où, comment dire, un certain désordre au bureau…
Je rentrais au plus vite, assurais les deux rendez-vous restant, les personnes concernées m’ayant toutes deux remercié de les avoir fait poireauter plus d’une heure, et demandais à  l’une de mes collaboratrices, A.., de bien vouloir me prendre en plus du sien un sandwich à  ce qu’elle voudrait, tandis que je me remettais à  la rédaction de ma requête, en écoutant mon associé émettre des sons gutturaux en tentant de s’autodétruire dans son bureau, faute de parvenir en trois heures à  trouver une remplaçante qui pourrait le jour même lui taper ses trois piles de retard et son mémoire capital et urgent à  faxer avant quinze heures, tandis que lui devait repartir en maison d’arrêt maintenant…
S.., secrétaire géniale sans laquelle je ne suis rien, venais alors me demander l’autorisation de proposer à  mon associé de le dépanner, ce que j’acceptais évidemment, me retrouvant à  mon tour sans secrétaire, mais avec deux collaboratrices adorables et dévouées, on allait s’arranger…
Ah, tiens, non : sur les coups de treize heures trente, tandis que je finissais tant bien que mal ma demande d’annulation et essayais de voir quand j’arriverai ce même jour à  l’enregistrer au cabinet d’instruction concerné, J.., mon autre esclave adorée (pas celle du sandwich, l’autre, suivez un peu…), m’appelait sur ma ligne directe pour s’excuser : en visite d’un mien client à  Fleury-Mérogis, elle ne repartait réellement que maintenant, pour cause de bouchons, et ne serait pas là  avant trois bonnes heures – alors que la première, A.., m’avait bien apporté mon sandwich, mais gavé de beurre et je déteste le beurre, oublié de lui indiquer, et, surtout, était aussitôt repartie, car elle-même de permanence garde-à -vue…
S.., entre cinquante appels de plus ou moins grandes urgences, que je rejetais tous, ne manquais pas, avant que je ne reparte à  l’audience de quatorze heures, d’oublier de me préciser qu’il n’y avait plus de timbres de signification, et que nous devions absolument signifier des conclusions civiles ce même jour, ayant injonction de ce faire (mais elle ne manquerai pas non plus de me l’indiquer sur mon portable, pendant l’audience de l’après-midi, portable que j’utiliserai alors pour la rappeler, en sueur, et lui demander en criant un peu de demander à  A.. (un garçon, le collaborateur de mon associé, pas la A.. du sandwich au beurre), qui devait enfin être rentré de sa propre audience à  la chambre de l’instruction, à  Douai, de prendre le chéquier dans mon bureau et de lui faire un chèque en imitant ma signature, ce qui n’était pas possible car il était reparti en retard à  trois audiences du tribunal pour enfants, de sorte que nous finîmes par convenir qu’elle signerait elle-même cette saloperie de chèque, et qu’en cas de poursuite (car c’est un délit) je prendrais tout sur moi…).
Vous me suivez ? Moi non plus, mais J’arrivais cependant à  l’heure en correctionnelle, ce qui ne fût pas le cas de mon client, qui pour une raison mystérieuse avait compris que c’était à  seize heures…
J’avais fait retenir le dossier, et en avais profité pour m’enfuir déposer ma demande à  l’instruction, et tenter trois autres démarches urgentes auprès de trois substitutes du procureur différentes, dans trois dossiers différents, dont les trois clients attendaient le résultat avec une impatience de moins en moins contenue, pour constater que toutes, je dis bien toutes, ces démarches devraient attendre encore, car toutes, je dis bien toutes, ces trois parquetières étaient respectivement enceinte, en stage, et en cours (?), et en tout cas toutes les trois absentes, au moins jusqu’au lundi suivant…
Ayant ainsi perdu mon temps, deux kilos dans les escaliers du Palais (ascenseurs centraux en pannes, ascenseurs latéraux débordés, deux fois neuf étages aller-retour à  pieds), et une grande partie de mes illusions de la journée, je redescendis à  l’audience, concernant très heureusement un dossier que je connais très bien, retrouvais mon client, que je couvris d’excréments pour son retard, mentalement seulement à  mon grand dam, et plaidais enfin son dossier, un beau dossier de relaxe tout à  fait solide, après avoir constaté qu’il avait bien amené comme promis le solde de mes honoraires, mais en quatre chèques mensuels, contrairement à  mon découvert, qui ne l’est pas (mensuel), ce que mon banquier, un type très bien (qui me lit peut-être), était par ailleurs en train de me rappeler dans un mail…
Je rentrais enfin, un tout petit peu fatigué, et venais d’ôter ma veste, quand S.. m’appela une première fois : “Maître Mô, c’est bizarre, j’ai Madame Surprise en ligne, elle appelle depuis le Palais, elle vous attend pour son divorce, et je n’ai rien à  l’agenda…”, phrase qui me déglingua une vertèbre pas encore bien remise à  ce jour : je me souvenais parfaitement avoir moi-même saisi la date du divorce de Madame Surprise… Et devais constater qu’elle n’était plus là , mais il est vrai que cela fait des mois que nous devons changer de serveur informatique, et qu’il “saute” de plus en plus… L’historique de son dossier était vide, j’inspirais profondément, attrapais ma robe encore humide de tout à  l’heure, et dis dans le combiné poisseux :”Excuse-moi de mon retard et dis-lui que j’arrive…”.
Je franchissais donc à  nouveau la porte de mon majestueux cabinet en ayant attrapé le dossier de Madame Surprise au vol, quand S.. m’interpella pour la deuxième fois :” Et qu’est-ce que je dis à  Madame Sadnesse ?” Je m’arrêtais net : “Comment ça qu’est-ce que tu lui dis..?” Madame Sadnesse est une cliente adorable, dont nous avons gagné le procès compliqué en première instance (une sombre histoire de rente à  elle disputée par la conjointe officielle du défunt, dont elle avait partagé la seconde moitié de vie, cette rente étant sa seule ressource), que nous avions du plaider à  nouveau en appel, et dont le délibéré tombait… “Oh, non, pas aujourd’hui ?” Si. S.. me tendait à  présent une bien triste décision, qui me détruisit instantanément le moral, ou ce qu’il en restait.
“Je l’appelle en rentrant”, lui dis-je en partant, tête basse, vers le divorce oublié…
J’assurais donc celui-ci, sans difficultés, tiens, revins au bureau, et put enfin rappeler les uns et les autres, me faire engueuler de partout (les démarches retardées), pleurer avec Madame Sadnesse et tenter de lui expliquer, en vain, ce qu’est un pourvoi en cassation, traiter le tout venant et tenter de commencer à  gérer le lendemain, enfin ouvrir le courrier du jour (deux chèques, dont un de 22 euros 87, le paiement de ce dossier à  commencé à  l’époque des francs, c’est 150 francs, je le dis pour les jeunes qui me lisent; trois factures; dix lettres normales c’est à  dire soulevant un problème quelconque), m’égarer trois minutes sur ce blog (pas de nouveau message, ah si, une erreur html…), et, m’apercevant qu’il n’était désormais plus loin de dix-neuf heures, et que toutes les ouailles du cabinet étaient rentrées tant bien que mal au nid elles aussi, j’eus, enfin, la mauvaise idée de demander à  J.. de bien vouloir aller chercher pour moi mon délibéré en correctionnelle, en commettant l’erreur de le lui présenter : “J’attends une relaxe…”
Vous savez bien sur déjà  qu’elle revenait cinq minutes plus tard me dire timidement que mon client était reconnu coupable et condamné – ce qui me restait à  lui expliquer, et à  quoi ni lui ni moi ne nous attendions, réellement…
Je n’ai pas eu le temps de le faire ce soir là , cependant, puisqu’une inondation, fréquente à  Lille en cas d’orage tropical, et il en survient souvent (c’est un détail, mais J.. était d’ailleurs partie chercher ma décision avec MON parapluie, qu’elle m’a rendu cassé et inutilisable, sans que je n’ose lui demander ce qu’elle avait fait avec…), m’a obligé à  sortir ma voiture de son garage souterrain, de peur qu’elle y passe la nuit sous l’eau…
J’ai fini par abandonner, et je suis rentré chez moi, trop tard pour voir mon fils autrement qu’endormis, mais tout joli, et enfin rejoindre mon aimée, qui m’a trouvé un peu cerné.
Strictement tout ces évènements sont réels, et, hormis les faits un peu surnaturels accumulés ici, cette journée est peu ou prou celle… D’un avocat.
C’est QUAND, l’été ?

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