Je suis avocat.
J’ai voulu l’être, et j’aime mon métier.
Je suis, à ma connaissance, l’unique auteur de l’unique demande jamais portée devant le Conseil de l’Ordre des Avocats au Barreau de Lille ayant proposé la seule réforme vraiment intelligente que nous aurions pu enclencher et soutenir : la suppression pure et simple des magistrats, que je proposais progressive, et qui selon moi pouvait dans un premier temps se limiter au pénal, au motif assez intelligible que nous autres, avocats, sommes bien assez adultes pour savoir par nous même discerner le bien du mal.
C’est vous dire à quel point j’ai investi notre rôle.
Alors, je vous pose la question, à vous mes confrères, mais aussi à vous tous mes clients (que vous le soyez déjà ou que vous n’ayez pas encore osé me contacter par crainte de me déranger, et ayez donc désigné en attendant un quelconque autre conseil, par défaut) : qu’est-ce que c’est que ce bordel ?
N’y a-t-il personne d’assez bien en cour pour, debout dans sa robe, hermine pendante mais verbe haut et oeil vif, leur demander de nous foutre la paix ? Sinon une bonne fois pour toute, du moins pendant suffisamment de temps pour que la prochaine édition de nos codes sorte, pour la première fois depuis deux ou trois ans, à jour ?
N’êtes-vous pas désespérément las de compter les points, en contemplant les lambeaux de ce que doit rester notre métier, et en en “prenant acte tout en regrettant que…”, selon notre formule favorite dont l’absence totale d’utilité m’évoque parfois le vide sidéral d’une réponse de l’URSSAF à nos questionnements effarés ?
Pendant ce temps…
Pendant ce temps, des gens qui n’ont strictement jamais travaillé dans une salle d’audience décident soudain, au gré des flots, pourtant remplis de déchets en tous genres, de l’Actualité, depuis longtemps personnalisée comme s’il s’agissait d’un être vivant, que cette audience se déroulera différemment ou ne se déroulera plus du tout;
qu’en parallèle, devenir avocat sera comme passer d’une salle de TD à un amphithéâtre, une histoire de titre et d’ancienneté dans n’importe quelle fonction autre, ayant de moins en moins de rapport avec l’idée de défendre, cette intégration ni demandée ni refusée faisant les beaux jours, au cas par cas, de discussions captivées des Conseils des Ordres de France se résumant à autant de pinaillages cosmiques;
alors que dans les CFPA, ou peu importe leurs initiales légales désormais, l’on persuade nos futurs jeunes confrères que défendre les gens c’est mal, ou tout comme, et qu’en tout cas ça mène à la faillite, que l’avenir passe par trois uniques bouées dans le bouillon du nombre et de la paupérisation générale, que sont la spécialisation, les affaires et le savoir théorique, comme si la notion pourtant liminaire de bonheur au travail était désormais une insulte, comme s’il ne valait tout à coup plus mieux une seule tête bien faite qu’une centaine, bien pleines, mais de quoi bon sang, comme si dix intellectuels qui avancent ne valaient plus maintenant un seul bon manuel en train de reculer..;
que l’on écrit, dans des lois que l’on vote, qu’être seul sera préférable à l’assistance d’un conseil, dans le “nouveau” licenciement, le “nouveau” divorce, les “nouvelles” procédures pénales subsidiaires – mais qui sérieusement dans toute cette classe foisonnante de penseurs à la petite non pas semaine, mais durée de mandat, a jamais assisté le seul sujet de toutes nos lois, le seul point commun entre elles et nos devoirs, la seule personne jamais entendue mais qui plus que moi, que nous ou a fortiori que nos législateurs, aurait besoin de l’être une bonne fois : une personne en détresse ?
Que l’on écrit pendant des mois et partout que nous ne serons plus les modérateurs du divorce, en tout cas le plus “simple” (les guillemets n’y étant que parce qu’il n’existe pas), au profit des notaires, sans qu’avis n’en soit jamais demandé ni aux Épiciers, ni aux Bavards, et moins encore aux divorcés, que c’est fait et gravé dans l’heure et claironné aux quatre vents des mêmes médias que ci-dessus, le brave crétin d’avocat l’apprenant aux “nouvelles”, justement, du matin, pour ensuite constater que, ouf, merci mon dieu, une “Commission” (définition légale : temporisation ayant pour but de faire se réunir des gens, qui pensent nettement mieux que vous, à huis-clos, dans la perspective de vous expliquer la façon la meilleure de faire votre travail en n’ayant pas la moindre idée de ce que cela implique de facto, au travers de différentes “propositions”, dont pratiquement aucune ne sera suivie, sauf exactement celle que vous, professionnel, n’auriez pas même cru humainement formulable) a été nommée pour examiner le pourquoi du comment de la chose et proposer la même idée que ce qui a été décidé avant de la nommer, mais en y ayant réfléchi (ce qui il est vrai nous change, mais réfléchir ne sert à rien si personne n’est là pour voir le reflet), c’est à dire en généralement encore plus tarte et irréaliste;
Que l’on voudrait, oh, non pas réagir, mais simplement, allez, se tenir au courant… Mais qu’avant même que l’on y parvienne, le “rapport” (définition légale : ensemble, suffisamment volumineux pour peser dans la main du Ministre lors de sa remise solennelle devant les caméras, d’où l’expression “faire poids”, des “propositions” émises par la “commission”, d’où l’expression “faire la grosse commission” – désolé, mais les nerfs n’ont qu’un coefficient d’extension limité) tombe, qu’en l’occurrence il ne dit pas que c’était une hérésie, il ne dit pas à quel point la réforme envisagée risquait de nuire aux justiciables, il ne dit pas son refus même simplement par principe, parce que les avocats auraient pu être valablement et réellement consultés, qu’il dit, misère humaine, que l’économie qui serait réalisée pour l’Etat ne justifierait pas la réforme !
Que nous, NOUS, avocats, nous gargarisons de cette réponse, de ce motif, quand nous critiquerions tous ceux de “nos” décisions judiciaires qui seraient aussi courts et aussi sales, et que le Président himself (un confrère que je ne connais pas, qui est respectable je n’en doute pas, et qui nous représentais apprends-je, a dit en sortant de là , et “sortir de là ” est l’expression parfaite : “Il est des nôtres” !!! Où, quand, comment, avec quel idéal et quelle connaissance même théorique de ce que nous faisons ? S’il est des nôtres, je suis des leurs, passez moi le micro à l’Assemblée et au Sénat, passez-moi le stylo, donnez-moi le pouvoir de faire voter LA loi que nous attendons tous : “Article Unique : il n’y aura plus aucune loi en matière judiciaire ou portant sur les auxiliaires de justice avant deux ans”, et je ne propose ce délai que pour permettre des amendements intelligents !), infirme sa Gardienne des Sceaux, dit que dés lors le divorce restera nôtre, sauf, ne sourions pas ce serait mal pris, quand il pourra s’effectuer par correspondance, qu’en revanche ce serait drôlement bien de réguler un peu les honoraires (ça sans doute, mais en venant de là , et que ce soit lui qui en parle…), et que vivement cette Grande Profession juridique qui englobera avocats, notaires, expert-comptable, conseils et juristes d’entreprise, et bien sur les délinquants – non il ne l’a pas dit, mais je suis certain qu’il le pensait…
Qu’on a réformé la formation, nous prenant comme des petites larves au berceau de nos sacerdoces, pour mieux les emmitoufler très, très vite, et que l’une des plus belles caractéristiques de notre métier, qui fonctionnait, le Stage, altruiste pour le bébé qui donnait son énergie, altruiste pour le papa qui donnait son hébergement et son expérience, a été supprimée, au profit de non plus une mais deux années longues, si longues, dès lors qu’on crève d’envie de plaider, d’école, dont six mois de cette chose qui aurait du se nommer “stage en entreprise”, si on osait reconnaître que l’on souhaite maintenant bien plus former des cadres que des élèves-avocats, mais qui de ce fait s’appelle, et personne ne commente s’il vous plaît, le PPI, Projet Pédagogique Individuel, renseignez-vous c’est vrai, comme à la crèche !
Que l’on nous tolère encore la plaidoirie, en nous expliquant chaque année qu’elle disparaîtra, ce qu’elle a commencé à faire avec le plaider coupable, les procédures alternatives de traitement des infractions, les audiences de dépôt de dossier, ce projet de loi sur la suppression du mot “conviction” de la langue française – bien sur que non ce n’est pas vrai, mais quelle importance..?
Nous souffrons aux audiences, nous souffrons face aux charges (ne riez pas : je n’aurais pas l’idée un instant de me plaindre de ce que je gagne, mais le fait est que je ne le gagne que sur trois mois de l’année, et que je travaille les neuf autres pour payer mes charges – ils le savent vous croyez ?), nous souffrons dans l’opinion publique (dont j’ignore toujours le petit nom, alors qu’elle décide d’à peu près tout depuis un moment), et nous souffrons, plus encore, à simplement persister à tenter de faire correctement notre métier : défendre et assister des personnes, qui elles souffrent pour de bon, quoi qu’elles aient fait ou subi, et quelles qu’elles soient…
Réformateurs…
Je suis avocat, et je suis libre.
Vous pas.
Avocat !
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Voilà, je ne vous retiens plus ; au plaisir de vous lire, critique ou pas évidemment.
Il vous rend un bel hommage, et un bel hommage à cet accusé ( et d'autres tres beaux hommages); bien que le verdict, lui, ne témoigne absolument d'aucun hommage ou presque... Et je me suis rendu compte qu'il avait participer à pas mal d'affaire plus ou moins médiatique; et que, comme vous, il ne dormait pas beaucoup apparemment. Par moment je me demandais à quoi servaient les magistrats du siège. Je ne comprenais pas, on aurait dit que le procureur faisait tout dans la procédure. En tout cas, il a vraiment l'air d'aimer son metier, et il le prend à coeur, c'est beau. Et comme un ministère (pourtant, le magistrat n'exerce-t-il pas un magistère? M'est avis qu'il y a de la schyzophrénie la dessous).
Son auteur est comme ça... Je l'ai vu une fois s'emporter au beau milieu d'un procès d'assises contre une classe de lycéens dont certains avaient laissé quelques messages au feutre dans les toilettes de "son" Tribunal... Mais bon, il dit du bien de moi, je ne peux plus lui en vouloir...
"je suis avocat", c'est le titre d'un livre de Jacques Isorni. Un livre qui doit etre plus prenant, et moins pesant que "Paroles de procureur"... hormi le passage dans le pretoire épiscopal de Saint-omer.
Moi non plus... Dès que je parviendrai enfin à m'endormir ! Tiens, Panoptique, pour vous remercier de votre visite, je vous livre une phrase de l'un de mes héros de BD préférés, qui rêve beaucoup et s'en souvient ensuite :
"Comment peut-on se souvenir d'une chose qui n'existe pas ?"
Un espoir pour tous les utopistes, et un beau sujet de réflexion, non ?