Plainte

JE VAIS LA MASSACRER. JE VAIS LA DÉFIGURER.

Laurence est figée devant le SMS, elle n’arrive pas à penser, elle sent la sueur qui lui inonde le dos, elle n’a qu’un mot en tête pour l’instant, écrit avec des pierres et qui écrase tous les autres : elle a peur. Elle est terrorisée.

Le problème est qu’elle le connaît, Igor, oh oui, elle ne le connaît que trop, après ces vingt ans, et après l’accélération qu’elle a constatée toute cette année, surtout ces derniers mois : ce n’est pas une menace en l’air. Il est en rage, à nouveau. Il va le faire. Il va s’en prendre à Nathalie, il va lui faire du mal …

Elle panique, regarde autour d’elle, ne sait pas quoi faire. Prévenir Nathalie, et sa sœur, oui, mais comment ? Et de toute façon, quoi, après ? Les trois femmes n’ont qu’un endroit où aller, leur maison, le “foyer conjugal”. Où Igor les attend, comme tous les jours, probablement déjà armé de sa rallonge électrique habituelle, celle qu’il tient, pliée en deux, pour la fouetter, elle, son épouse adorée, lorsqu’il en ressent le besoin.

Parfois, un peu plus rarement, il s’en prend à leurs filles, de la même façon, et de bien d’autres encore, c’est dans ces cas-là qu’elle souffre vraiment ; elle essaye souvent de s’interposer, il l’annihile alors d’un coup de poing, retournant sa folie furieuse contre elle, cette salope qui passe sa vie à le tromper – mais elle n’a pas mal, elle a détourné la colère de Dieu sur elle-même, à l’intérieur elle jubile qu’il soit assez con pour ne pas s’en apercevoir, même le sang qui lui coule du nez a une odeur de petite victoire, ces fois-là …

Mais aujourd’hui, c’est différent, elle le sent, elle le sait. Les scènes ont été crescendo ces derniers mois, jusqu’à devenir journalières, et de plus en plus violentes. Et là, il est tombé sur la preuve, selon lui et dans son système de valeurs tyrannique, de ce que l’une des filles, Nathalie, avait enfreint une règle, l’avait, elle  aussi, trahi : sur le compte-rendu de la partie professionnelle de sa scolarité, il y avait deux jours de congés, dont, évidemment, il n’a pas été informé à l’époque – alors que, bordel de merde, il doit TOUT savoir, on ne doit JAMAIS lui mentir.

Et comme on a menti, non seulement on a en soi commis un péché mortel, mais en plus, c’est obligé, cette sale pute de Nathalie a forcément fait quelque chose d’interdit pendant ces deux jours d’absence, mais quoi ? Hein, QUOI ? Elle est sortie en boîte ? Elle a flirté avec un mec ? Avec plusieurs ? Allez, saloperie, tu es leur mère, tu es leur complice, dis-le, qu’est-ce que ta PUTE de fille A FAIT ???

Ça, c’était le premier appel téléphonique, en tout début d’après-midi. Elle a raccroché, elle est au bureau, personne ne doit savoir. Il a rappelé, peut-être vingt ou trente fois, elle sentait le vibreur dans sa poche, elle a tenu bon, et a fait semblant de bosser jusque maintenant, seize heures, malgré ses maux de ventre qui la reprenaient – en fait, elle cherchait une explication à donner, une excuse admissible aux yeux de l’autre malade, tout en sachant qu’aucune ne le serait jamais.

Monsieur Pourol est passé, lui parlant d’un rapport de ventes reçu la veille, et des options à définir, avec son habituelle amabilité, un peu surannée. Elle a souri, comme d’habitude, ne s’est pas plus confiée qu’elle ne l’a jamais fait jusque là. Quand même, elle ne devait pas être en grande forme, parce qu’il lui a demandé si tout allait bien, lui indiquant qu’elle semblait un peu fébrile et était “toute pâlotte” ; elle l’a rassuré. Que répondre d’autre, surtout ici, dans cette société où elle travaillait déjà lorsqu’elle a rencontré Igor, vingt ans plus tôt, simple secrétaire à l’époque, au premier échelon, celle de Monsieur Pourol justement, qui l’a aidée par la suite, niveau par niveau, voyant le travail qu’elle fournissait, prenant acte de ses formations du soir, jusqu’à ce qu’elle parvienne à son poste d’aujourd’hui, cadre dit supérieur, responsable de toutes les ventes en Amérique du Sud, salaire à l’avenant – il avait bien fallu, quatre bouches à nourrir, sur ses seuls revenus à elle.

Elle adorait cette boîte, qui lui avait donné sa chance, et où elle était respectée pour ce qu’elle valait ; personne, jamais, même parmi les quelques amies proches qu’elle s’y était faites, n’avait entendu parler de l’Enfer qu’elle vivait chez elle, impossible – et dangereux.

Les marques qu’elle portait parfois y étaient savamment maquillées, et, quand elles se voyaient quand même, elle leur donnait toujours un motif plausible, à commencer par sa prétendue grande maladresse. Ses maux de ventres, autrefois rares, mais plus fréquents ces derniers temps, avaient attiré, eux, l’attention de ses collègues et de sa hiérarchie, Pourol, le Chef des Ventes, son mentor, en tête – elle ne pouvait pas les cacher tous, certains la pliaient en deux sans crier gare. Elle avait décidé de foncer aux toilettes, dans ces cas-là, et de prétendre à des gastros à répétition, une petite fragilité de ce côté-là, en cours de traitement. Dans ces moments-là, elle restait assise, habillée, sur la cuvette, attendant dans le noir que les douleurs s’estompent, puisque consulter un médecin revenait forcément à dire des choses, ce qui était inconcevable, et riant jaune en pensant aux blagues que ses collègues devaient échanger entre eux …

Après les appels qu’elle ignorait, le vibreur du téléphone, dans sa poche, avait finalement changé de fréquence : des SMS, trois coup sur coup, lui toujours, elle le savait – peu d’autres personnes avaient d’ailleurs son numéro. Elle avait hésité, regardé si personne n’approchait plus, puis avait jeté un œil. Très vite glacée. Igor, 15 h 50 : “Tu ne réponds pas ? OK, je vous attends. Les Trois. On va discuter…” Igor, 15 h 56 : “TU AS TORT. JE VAIS LUI ARRACHER SON CLITO !“.

Et le dernier, à l’instant. Panique croissante, puis absolue, maintenant.

Ses pensées s’entrechoquent, mais ça se réordonne un tout petit peu quand même, à présent, elle est, comme depuis leurs naissances, tendue vers un seul but : protéger les filles, vaille que vaille … Et en même temps, comme depuis si longtemps, elle est à moitié paralysée par la peur : à part se mettre entre elles et lui, elle n’a jamais utilisé aucun autre moyen, n’a jamais parlé de rien à personne – et là, elle le sait, elle n’a pas cette possibilité. Non seulement il lui faudrait mentir pour pouvoir partir immédiatement, mais de toute façon les cours des filles seront bientôt terminés, et elles vont, comme tous les jours, foncer prendre leur bus, sans un salut à personne, sans pouvoir dilapider une seconde : leur père connaît les horaires par cœur, il a depuis longtemps chronométré leur trajet, et tout retard, fût-il de trois minutes, générerait une scène épouvantable, nécessiterait des heures d’explications et de promesses, non, les filles n’ont parlé à personne, non, elles ne traînaient avec aucun garçon, non, elles n’ont pas été subrepticement dans un magasin quelconque de fringues ou de maquillage, elles étaient juste un peu fatiguées, juste un peu plus lentes, non, elles ne recommenceront pas, c’est promis, papa …

Et elle travaille trop loin, elle ne sera pas à temps à la sortie de leurs cours – seize heures quinze aujourd’hui.

Et elle ne peut pas les appeler non plus : en plein cours, elles ne décrocheront pas, elles craindront que ce ne soit leur père, qui, une fois de plus, souhaiterait vérifier si elles l’ont bien éteint, ou si elles ne sont pas en train de sécher pour se laisser draguer – elles, les puces, qui ne font que bosser, bosser, bosser, et ne reçoivent jamais personne, ni ne vont jamais à aucune fête … A chaque pause, en revanche, et dès la classe quittée le soir, oui, tous les jours, elles ont ordre de décrocher, aux bonnes heures ; il appelle alors instantanément, vérifie, leur demande parfois de le laisser ouvert et de le tenir en main, juste pour s’assurer qu’on ne les aborde pas, ou que, si on le fait, on ne leur parle pas de tendresse … Mais là elle ne décrocheront pas. Et les appeler juste à leur sortie signifierait bloquer la ligne de l’une ou de l’autre, s’il appelle à ce moment et que c’est occupé, il est capable de venir immédiatement en métro, il l’a déjà fait, le résultat pire que le mal …

Il lui reste les SMS. Elle ne leur en envoie que très rarement : parfois, en rentrant, il connecte les téléphones des filles, parfois celui de sa femme. Il ne travaille pas, mais il est quand même informaticien, et pour ça il a des restes : il vérifie l’historique des appareils, et est capable, elles l’ont déjà toutes les trois douloureusement constaté, de savoir si des messages ont été envoyés, et à quel numéro, même si on les efface – et s’ils sont effacés, c’est bien pire, parce que sa possessivité tyrannique et sa jalousie maladive lui font aussitôt penser que sa femme le trompe, ou que ses filles font des “cochonneries” avec un garçon, et l’enfer se déchaîne une fois de plus …

Mais là c’est un cas d’urgence : elle ne VEUT pas que Nathalie rentre, elle ne sait pas ce qu’elles vont pouvoir faire, mais … Au minimum, mettre au point rapidement une version commune pour cette histoire de congés, qu’elle, cette conne, a aidé Nathalie à poser, effectivement, tant elle la voyait pâle, amaigrie, tant elle sentait que sa fille en avait besoin, de cette pause secrète – en fait de garçon, elle avait juste été chez une copine à elle réellement souffrante – Laurence se demande à l’instant si elle n’avait pas inconsciemment espéré, en lui accordant ça, que les deux filles se parlent, que Nathalie dise à son amie ce qui se passait chez elle …

Elle compose fébrilement le message sur son portable, commun à ses deux filles : “Votre père est fou de rage. Il sait pour l’absence de Nath’. Il veut lui faire du mal. Il faut qu’on se voie, qu’on trouve une solution. Rappelez-moi. Maman“. Ses mains tremblent lorsqu’elle appuie sur “envoyer”, elle imagine ce que ferait Igor s’il lisait ce texte. Elle l’efface aussitôt, et elle se met à attendre : seize heures dix, seize heures quinze … Enfiler les manteaux, partir, rapidement, descendre, se retrouver devant les portes du lycée, ouvrir les téléphones si ce n’est pas déjà fait, lire ce putain de message, vite. Vite. Seize heures vingt. Elles n’ont pas rappelé, ce n’est pas possible, elles devraient prendre le bus en principe maintenant … Seize heures vingt-cinq, toujours rien, elle pleure maintenant, elles ne l’ont pas eu, elles vont bientôt arriver près de la maison, mais quelle conne, appelle-les, APPELLE-LES !

Elle compose enfin le numéro de Nathalie, mais son téléphone sonne au même moment. Elle pense à sa fille, et hurle presque en décrochant : “Allo, Nath’, bon sang, je crevais de trouille ! Pourquoi tu …” Une voix calme, froide, neutre, l’interrompt : “Pourquoi tu crevais de trouille, grosse vache ? Et qu’est-ce qu’elles foutent, les filles ? Je n’arrive pas à leur parler, ça ne décroche pas …” Laurence s’est figée, comme s’il venait de lui enfoncer un pieu au travers du corps. Elle le connaît, ce ton-là, elle sait exactement ce que ça signifie pour après, quand tout à coup son ton va enfler soudain jusqu’aux hurlements, et que ses poings serrés vont partir … Elle est tétanisée, impossible de trouver quoi que ce soit à lui dire, elle bredouille, “euh, je ne … Elles vont …” – mais son portable lui signale un autre appel entrant, reconnectant un morceau de son cerveau à la situation ; et l’impensable se produit : elle raccroche. Elle raccroche au nez d’Igor et de ses insultes. Comme ça.

Elle n’a pas le temps de s’en étonner, l’autre appel sonne, et cette fois, ce sont bien ses filles, pas Nathalie mais sa sœur, Stéphanie, son diminutif s’affiche – merci mon Dieu. “-Stéph’ ? -Maman !” Les deux ont crié en même temps, son cœur se remet à fonctionner, même si elle entend immédiatement la peur dans la voix de sa fille aînée.

Stéphanie lui explique qu’elles n’ont eu son message que dans le bus, retardant le plus possible le moment de rallumer les téléphones. Elles ont paniqué, surtout Nathalie, évidemment, qui n’arrivait plus à rien dire, elle s’est mise à pleurer fort, à trembler, elle ne savait pas quoi faire pour la calmer. Elle a alors décidé de descendre deux arrêts plus tôt que le leur, elle raconte que Nathalie ne voulait pas, elle était terrorisée, elle s’accrochait au poteau pour ne pas descendre, des gens ont failli intervenir, mais finalement les deux sœurs sont descendues, elles sont sous la flotte, près de l’église – “Maman, Nathalie tremble de partout, et papa a essayé plein de fois de nous appeler, on n’a pas répondu, mais, maman … Qu’est-ce qu’on va faire, maintenant ?

Mélange de fierté, de panique, d’accablement, de terrible colère, dans la tête de Laurence, en entendant les sanglots qui montent dans la gorge de sa fille aînée, les tremblements de sa voix, en les imaginant en train de se tremper sous la pluie battante, au milieu de rien, sachant bien toutes deux, comme elle-même, qu’elles ne peuvent plus rentrer, moins encore maintenant, elles ont enfreint trop de règles, et ne pouvant pas non plus rester là, évidemment – d’autant que l’autre salopard va se mettre en chasse, si ce n’est pas déjà fait… Nathalie, la plus chétive, la plus jeune d’un an, en panique, qui ne va pas tarder à vomir de trouille, la malheureuse – et Stéphanie, qui doit la tenir par la taille, plus fonceuse, courageuse, qui aime tant sa petite sœur qu’elle a parfois assumé les “bêtises” à sa place face à Igor, et qui à l’instant encore ne pense qu’à elle, n’a pas dit un mot d’elle-même, pas émis une seule …

Plainte.

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Il y a des instants où tout change. Quelques secondes, qui transforment votre vie, vous dites-vous quand vous y repensez plus tard. Une décision, un choix, qui n’en sont déjà plus, parce que, alors que vous réfléchissiez déjà au problème dans tous les sens, depuis si longtemps, que rien ne vous semblait évident, que vous imploriez le Ciel ou tout ce en quoi vous croyez de vous apporter, enfin, une solution … C’est là, tout à coup, brusquement. Vous savez ce que vous avez à faire, il n’est même plus utile d’y réfléchir.

Pourquoi cette fois-là ? Nous en reparlerons souvent, avec Laurence, plus tard – et il n’y a pas de réponse évidente. Des scènes de ce genre, il y en avait déjà eu, de moins graves, mais aussi de pires, infiniment plus violentes, et sans solution du tout celles-là, coincées qu’elles étaient la plupart du temps à la maison … Ses propres douleurs, les douleurs de ses filles, leurs peurs terribles, Laurence les avait déjà vécues quinze fois, cent fois – et elle les avait subies comme des passages inéluctables, ne pouvant que peu y faire, comme une infirmière capable de soigner les blessés en temps de guerre, pas de combattre elle-même, ou si peu …

Nous nous sommes déjà dit que cette fois-là, il avait commis la double erreur d’annoncer expressément la couleur, et de le faire alors qu’elles étaient toutes les trois à l’extérieur – mais cela aussi, c’était déjà arrivé ; à dire vrai, est-ce que toutes les journées ne ressemblaient pas, de plus en plus souvent d’ailleurs les derniers temps, à celle-là, en plus ou moins paroxystiques ..?

Ce que je pense, moi, c’est que chacun possède son propre seuil de tolérance, voilà tout. Et que celui de Stéphanie et Nathalie était énorme, incommensurable – mais que leur père l’avait construit lui-même, tout exprès, alors qu’elles étaient encore enfants, et qu’il les tenait dans une emprise d’autant plus absolue que, comme toutes les victimes enfants d’un ascendant, elles avaient grandi dans son monde à lui, et n’avaient pas encore connu le leur … Et que si cet instant-là n’était pas survenu, elles y seraient encore, dans son monde à lui, uniquement fait de soumission. Mais je pense qu’à cet instant, les possibilités de tolérance de leur mère, Laurence, qui elle avait connu autre chose, et dont Igor avait pu meurtrir lourdement l’amour maternel, mais évidemment pas le détruire totalement, ont été dépassées, enfin.

Il avait fallu toute cette violence, toutes ces scènes et ces insultes et ces coups, chaque jour l’un après l’autre dans une crainte grandissante, et puis maintenant ce jour-là, ces faits-là, cet instant-là, pour que ça arrive enfin, pour que ça suffise, définitivement.

Et je sais aussi qu’il a fallu ce soir-là à ces trois femmes un courage surhumain pour aller au bout – et qu’elles se le sont, dans une douleur infinie, mutuellement donné.

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Pour l’instant, Laurence se surprend elle-même – mais après tout, elles ont déjà été loin toutes les trois, bien plus qu’elles ne l’ont osé auparavant la plupart du temps – voilà, c’est sans doute celle-là, la première pensée cohérente qui lui vient à l’esprit, pendant que sa fille la relance, lui demande ce qu’on fait, maintenant : elles ont osé, elles ont dévié de la route tracée pour elles au couteau par Igor, elles marchent à côté, et sans lui, en tout cas pour l’instant : alors …

– “Écoute, Steph’… Écoutez-moi toutes les deux. On va au bout, voilà ce qu’on fait. Je vais déposer plainte. On va aller chez les flics. Maintenant. Et vite, parce qu’il doit vous chercher …

– Maman, tu … Non, il va te …

– Non, attends, écoute, ne dis rien : c’est décidé, on n’a pas le choix, et ça suffit, je veux que … Bon, on fait ça. Vous êtes à l’église, tu me dis. Le poste de police est près de la mairie, pas loin, pas sur la route du bus – c’est là qu’il va vous chercher, ou alors il va aller au lycée, il ne faut pas que …

– Maman …

– Bon. Donc vous allez maintenant à pied vers la mairie, tout de suite. Je pars immédiatement, je vous rejoins sur la route ou devant si vous y êtes déjà, on y va toutes les trois, d’accord ? Je vais tout raconter, ils seront bien obligés de réagir, ils vont l’arrêter …

– Maman !”

Stéphanie a presque crié, Laurence est surprise par son ton de voix : -“Quoi ? Tu ne veux pas ? Tu vois une autre sol …

– Si, maman, bien sûr que si. C’est ça qu’on doit faire, tu as raison, c’est pas ça … On aurait dû … Oh, maman, je ne sais pas comment …”

Laurence entend que le téléphone est arraché des mains de sa fille, c’est Nathalie qui le lui a pris, elle entend soudain sa voix, aux limites de l’hystérie. Et elle la crucifie : “Maman, ce que Stéphanie veut te dire, c’est qu’il … C’est qu’il nous VIOLE, tu comprends ? Depuis des années, depuis toutes petites, tout le temps …”.

Douleur énorme, vertigineuse, absolue.

On te dira tout, on t’expliquera tout, tu … Maman, viens, rejoins-nous, maintenant, vite …”

Laurence bégaye, effondrée : “Qu’est ce que tu … Non, pardon, pardon, mes bébés. Je … Tenez le coup, allez, allez-y. J’arrive. Vous m’appelez si quoi que … J’arrive.

Laurence est en état de choc. Bien plus tard, elle se demandera, beaucoup, avec les tombereaux de culpabilité qui pèseront sur elle et qu’une longue thérapie n’effacera jamais tout à fait, si à cet instant, elle apprenait en fait la réalité dans toute son horreur … Ou si elle l’avait toujours sue, au moins inconsciemment, et ne pouvait désormais plus l’ignorer. Mais là, en reposant doucement le téléphone, les yeux dans le vide et la bouche ouverte sur un cri qui ne sort pas, elle ne réfléchit pas, elle tremble, elle pleure, et dix, cent scènes, dix et cent bout de phrases de ses filles, lui montent au cerveau, y creusant un fossé définitif rempli de honte et de remords : elle aurait pu, elle aurait dû, voir ; elle aurait dû entendre, ses filles essayaient de lui dire : “On dirait un mari jaloux, hein, maman ?” “Papa sait bien qu’on est devenues des femmes, ne t’inquiète pas pour ça …” Il y en a eu tellement, mon Dieu, de ces vraies fausses alertes …

Et cette fois-là, où elle est rentrée plus tôt que prévu, tombant sur ses filles et son mari au salon, elles semblant remettre leurs pulls, lui assis là, avec une couverture sur les genoux ; elle avait tout de suite pensé à une séance de violences, une punition pour les deux comme il y en avait déjà eu, oui, c’est vrai – et le soulagement visible dans les yeux de ses filles comme la promesse d’une délivrance provisoire des coups … Elle l’avait questionné, il l’avait emmenée dans son bureau, loin des filles, et lui avait baratiné une explication fumeuse sur l’émission télé qu’ils regardaient, sur la sexualité des adolescents – oui, il ne t’a pas parlé d’une bêtise faite et d’une punition, ce jour-là, ma grande, mais bel et bien de sexualité …- et le fait qu’il leur avait donné à cette occasion une “leçon de vie”, leur apprenant à ne pas se dévoiler à n’importe qui, qu’elles étaient déjà femmes, à ne pas aguicher, d’où leçon sur le port des vêtements … Et tu l’as cru, connasse, tu as demandé aux filles, après, si c’était bien vrai, et elles te l’ont confirmé, donc affaire classée pour cette fois, hein ? Encore cette fois … Sauf que…

Combien de fois as-tu déçu, terriblement, tes filles ?

Trois ou quatre minutes se sont écoulées, l’image de Nath’ et Stéph’ marchant toutes seules sous la pluie, bouleversées et terrorisées, vers le commissariat, revient enfin s’imposer à Laurence, comme un rideau en fer tombant sur le chapitre “J’aurais dû”, et la ramenant brutalement à la réalité : foncer, y aller – cette fois, maman ne vous décevra pas.

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Elle se lève, doit se tenir un instant au bureau tant ses jambes tremblent, un mal de ventre phénoménal la fait grimacer. Elle respire, ramasse son sac, son portable – encore une dizaine d’appels d’Igor, restés sans réponse, pourvu que ça fonctionne, pourvu que la police les croie, et fasse ce qu’il faut, parce que sinon … Allez, ça va marcher, il faut que ça marche : elles ont déjà été trop loin de toute façon – vérifie qu’elle a ses clés de voiture.

Elle sort du bureau (dans lequel son manteau restera un moment, elle l’y oublie), s’avance vers les ascenseurs, croisant quelques collègues qui la dévisagent – elle est livide et en sueur, et les marques de la peur tordent ses traits, même si elle n’en a aucune conscience – puis elle se ravise, fait demi-tour et va prévenir son chef, Monsieur Pourol, sans y réfléchir – pourquoi y pense-t-elle, elle ne se le demande pas dans l’instant, mais elle me dira un jour qu’elle avait dû vouloir s’obliger encore un peu plus, s’interdire tout éventuel renoncement.

Elle frappe et entre dans la foulée, sa tête hagarde effrayant Pourol, comme il en témoignera par la suite : “Monsieur Pourol, désolée, je … Euh … Je dois partir maintenant, c’est une urgence absolue … Mes filles … Je vais au commissariat …”

-“Que ..? Laurence, attendez, calmez-vous, vous êtes toute … Que se passe-t-il ?

– Je … Je ne peux rien vous dire. Il faut que je m’en aille, maintenant. C’est grave.

– Mais vous ne … Vous ne devez pas prendre votre voiture dans cet état, c’est impossible, je … Oh, et puis merde. Ne bougez pas : je vous emmène.”

C’est un homme bien, Pourol, elle le savait déjà – sans lui, elle serait encore secrétaire, et, ces derniers temps, elle aurait sûrement fini par se faire virer. Mais là, elle se souviendra qu’elle l’entendait pour la première fois dire une grossièreté, et aussi avoir été sidérée de sa réaction – le voilà qui se levait, passait son blouson, et avançait d’un pas décidé vers elle, la prenant par le bras, elle ouvrait la bouche pour protester mais il ne lui laissait pas le choix, lui parlant doucement avec un petit sourire : “Je vois bien que c’est grave, et vous n’êtes absolument pas en état de conduire : je vous emmène, et c’est un ordre.”

Laurence ne se souviendrait pas clairement de la suite immédiate et du trajet, sauf par le biais de quelques images floues : Michel Pourol beuglant dans le couloir tout en la tenant par le bras qu’il sortait et qu’il fallait renvoyer ses appels à demain, puis l’ascenseur, direction sa voiture à elle. Lui reculant son dossier, après l’avoir fait monter côté passager : -“Donc, au commissariat ? Le Central ?” –”Oui … Euh … Il faut se dépêcher : mes filles sont seules, elles y vont aussi, elles sont à pied pas loin …

Il avait froncé les sourcils, mais n’avait rien demandé – il dirait plus tard qu’il la connaissait suffisamment pour savoir que le moment était capital, et que, même sans ça, elle était dans un tel état, il avait bien cru qu’elle allait s’évanouir, qu’il l’aurait de toute façon compris : “OK. Compris. Je fonce, accrochez-vous.” Et il avait foncé, sans même qu’elle ne s’en rende compte.

Parce que, mais elle n’en aurait aucun souvenir immédiat, cela ne lui reviendrait qu’en lisant sa déposition écrite à lui dans mon cabinet, pendant ce trajet d’une vingtaine de minutes, totalement effondrée, je pense qu’un expert dirait “en pleine décompensation”, Laurence s’était mise à parler. “Mon mari, Igor … Il nous bat …” Pourol l’avait écoutée, sans jamais l’interrompre, concentré sur sa conduite rapide, et de plus en plus ahuri au fur et à mesure que Laurence déroulait son histoire, une histoire de celles qu’on lisait dans les journaux sans comprendre comment ça avait pu durer aussi longtemps, comment ça ne s’était pas su, pourquoi la femme ne se plaignait pas, n’avait pas raconté, n’avait pas appelé les flics – mais Laurence, cette même femme qu’il suivait depuis si longtemps, sans jamais avoir rien vu, sans qu’elle n’émette jamais la moindre plainte – et il la trouvait déjà si courageuse, travaillant dur et élevant ses enfants, avec un mari aperçu très rarement dont il savait tout de même qu’il ne travaillait pas – lui expliquait, maintenant, sans même y prendre garde : leur terreur, comment il tenait les unes par rapport aux autres, son omniprésence, ses vérifications constantes de tout, les violences physiques, bien sûr, mais aussi les violences mentales, la jalousie maladive, envers les trois, les demandes insistantes, en boucle, de justification de faits qu’elles ne pouvaient pas justifier tant ils étaient anodins, dérisoires, jusqu’à des trois heures du matin, lumières allumées, tous les jours, l’état de loque humaine le lendemain à six heures quand il fallait repartir au travail, l’unique souci des journées, qui était depuis si longtemps de tenter de ne lui donner aucune prise à une engueulade, de ne pas activer sa jalousie – l’unique fois, tiens, où un collègue masculin, Simon, était venu la chercher car sa voiture était en panne, ce qu’il avait vu par la fenêtre car elle le lui avait évidemment caché, les trois jours qu’il avait fallu pour l’apaiser, au milieu des coups reçus, les appels téléphoniques qu’elle et ses trois filles devaient lui passer, à heures fixes, tous les jours, aux pauses, au déjeuner, en quittant le travail – la terreur des filles quand le bus était en panne, ou la batterie d’un téléphone à plat, provoquant leur retard à rentrer ou à appeler, les menaces du jour et sa certitude qu’il allait les mettre à exécution, sa panique, et ce que venaient de lui confier ses filles, enfin, l’horreur, la plus pure des horreurs, il couchait avec elles, il les violait, il violait ses bébés …

Laurence avait monologué sur un ton presque uniforme, ne s’interrompant parfois que pour adresser des SMS à ses filles, confirmant qu’elle approchait, que tout serait bientôt fini, lisant les leurs, “sois prudente, on y est, on t’attend à côté” ; mais là, sur cette dernière terrible révélation, elle avait fondu en larmes, des torrents qui la secouaient de partout …

Il n’avait rien pu dire, il s’était abstenu de prononcer la phrase qui lui était venue à l’esprit à mi-parcours, “vous auriez dû m’en parler”, comprenant qu’elle n’avait tout simplement pas pu et qu’il ne ferait que l’accabler un peu plus ; il avait posé une main sur son épaule, en lui disant qu’elle faisait ce qu’il fallait, que tout ça serait bientôt terminé, qu’il était désolé, et pouvait compter sur lui – en se sentant coupable de n’avoir que ces banalités à lui proposer …

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Laurence pleure encore à grosses larmes quand la voiture s’arrête enfin, pile devant le commissariat. La nuit est tombée. Le bâtiment est énorme, dans l’obscurité et sous la pluie. Pourol ne dit rien et lui tend un mouchoir, elle le remercie, s’essuie le visage, aspire un grand coup, cherchant déjà ses filles dehors – on n’y voit pas à trois mètres, à part des formes.

Nathalie et Stéphanie, reconnaissant la voiture de leur mère, sont sorties de l’ombre, et avancent dans les phares en essayant de se protéger de la pluie ; tout près, elles se figent soudain, en apercevant deux silhouettes dans la voiture, un homme au volant ; Laurence et son chauffeur improvisé, qui comprend ce qu’elles viennent de craindre, ont le même réflexe, ils sortent à la volée pour qu’elles les voient. Lui leur crie : “C’est moi, Michel Pourol, n’ayez pas peur. Votre mère était bouleversée, je l’ai conduite …”

Laurence court vers elles, de toute façon, et les trois femmes ouvrent leurs bras toutes ensemble, et s’étreignent violemment, comme si elles ne s’étaient pas vues depuis des jours et des jours. Pourol, resté en retrait, entend “Oh, maman …”, et Laurence qui répète en boucle “Mes petites, mes petites …” ; pour la première fois depuis que Laurence a fait irruption dans son bureau, il a un sourire ému : il est sacrément beau, l’amour de ces trois-là …

Il referme la voiture, va à côté d’elles, et leur propose doucement : “Venez, on y va …” Laurence relève la tête et proteste, il a déjà fait beaucoup, pas la peine de … Il répond aussi fermement que tout à l’heure : “Je n’ai pas conduit comme Fangio pour rester dans votre voiture ou sous la pluie ! Je vous accompagne.” Et il les pousse doucement, aussi soudées qu’au chalumeau, vers l’entrée géante du commissariat. Ils montent, curieux groupe tout abîmé, les quelques marches du perron, s’arrêtent devant la porte, énorme. Laurence regarde ses filles, leur murmure : “ça, j’aurais dû le faire depuis longtemps …” Et elle ouvre la porte, toute grande.

 

Le commissariat central, tout neuf, sorte de blockhaus en béton construit comme exprès en zone dite “sensible”, est immense, et son hall est à l’avenant, sorte d’énorme salle ronde garnie de bancs, avec un guichet au fond derrière lequel s’affairent des policiers, en train de parler à une dizaine de personnes en même temps, une autre dizaine attendant, éparse, qu’on veuille bien l’écouter, d’autres policiers, soit en uniformes, soit en civil, traversant l’espace d’une porte à une autre, l’air affairé ; Laurence, Stéphanie, Nathalie, et Michel Pourol clignent des yeux, la lumière est blanche, très crue.

Pourol désigne un banc à ses “protégées” : “Allez vous asseoir là. Je vais demander quelqu’un …” Elles obtempèrent, se tenant toujours de partout, impressionnées par l’espace et par l’endroit, et déjà tendues de nouveau à l’idée de ce que, dans un instant, elles vont dire, ce qu’elles vont, elles l’espèrent toutes, déclencher – tandis qu’il va faire la queue au guichet, derrière une dame qui parle fort à un policier manifestement un peu usé – tout le monde entend son histoire de chats qui seraient “possédés” et ses demandes de protection, auxquelles son interlocuteur acquiesce gravement, hochant la tête sans rien dire …

Pourquoi vous ne m’avez pas dit ..?” Laurence est assise au milieu de ses deux filles, qui se serrent contre elle, et elle leur murmure cette question en redoutant presque leur réponse. Elle vient d’abord de Stéphanie, sa sœur acquiesçant sans rien dire, comme si souvent : “On a essayé, maman. Plusieurs fois. Mais on ne pouvait pas te … Il disait que c’était secret, que ça te tuerait, qu’on nous placerait, au début … Et puis on a grandi, on s’en parlait la nuit, après … Et on ne savait pas quoi faire : on pensait … Moi, je pensais que tu ne nous croirais pas, on est tellement … Sales, tu sais ? Je pensais que tu ne m’aimerais plus …

Laurence, les larmes revenues, resserre un peu plus ses bras autour des filles : “On … Pardon. Je n’ai pas su comprendre … Mais je vous aime, et je vous aimerai toujours, quoi qu’il arrive. Vous êtes mes …” Elle s’interrompt net, cette saloperie de peur glaciale venant de la réenvahir brutalement.

Là-bas, à l’entrée, au milieu des allées et venues et du brouhaha ambiant, la grande porte s’est à nouveau ouverte, et un homme, le visage fermé, dur, est entré, et balaye la salle du regard. Laurence ne sait pas comment, mais Igor est là. Il les a trouvées.

Au même moment il les voit. Il plonge à distance son regard dans celui de sa femme, et marche vers elles, son visage n’exprime rien, rien du tout, lisse, neutre – Laurence la connaît, cette expression-là, elle sait que les colères les plus terribles suivent immanquablement, comme celle de la fois dernière, où il avait découvert que, contre son ordre, Nathalie avait ouvert un compte FaceBook, et y avait comme “amis” des filles, mais aussi des garçons, de sa classe … La série de gifles, données à toute volée, avec comme toile de fond l’obsession habituelle d’obtenir de sa petite fille des aveux de turpitudes sexuelles imaginaires avec “ces salauds”, avait dégénéré en scène de folie, il avait pris un couteau et fait mine de piquer Laurence, qui avait eu la main entaillée en essayant de l’attraper …

Cette fois-là déjà, elle était allée à l’hôpital, elle avait fait faire un certificat médical, au cas où … Mais elle ne s’en était pas servi, sa main ne saignait déjà plus, et sa peur était encore la plus forte.

Comme maintenant. A cet instant-là, littéralement morte de trouille, en le voyant avancer, Laurence se dit qu’elle est folle, qu’elle regrette, qu’on ne va rien dire du tout et ressortir tout de suite – malgré elle, à toute vitesse comme toujours, elle est déjà, comme toujours, en train d’échafauder un mensonge pour expliquer leur présence ici, vite : les filles se sont fait agresser dans le bus, elles en sont sorties, et …

Maman !” Nathalie a murmuré, les mains des deux petites se sont crispées dans les siennes : elles l’ont vu, à leur tour, la peur les transforme en statues de bois, comme toujours.

Une autre voix, un chuintement plutôt. Stéphanie : “C’est moi … Il appelait sans cesse tout à l’heure … Pardon : je lui ai dit qu’on partait déposer plainte …

Mais ça suffit à Laurence, cette fois. “Il nous viole”. Elle n’oubliera plus jamais ces pauvres mots de sa Nathalie. Elle comprend tout, se traite de connasse, elle DEVAIT savoir : sa jalousie maladive, sur FaceBook et partout, ses surveillances constantes, l’interdiction de tout maquillage, de tout habit un peu moderne ou à la mode, l’obligation pour les filles de tout lui dire, tout lui montrer, chaque SMS reçu, les séances de torture mentale, jusque tard dans la nuit, pour faire avouer les baisers, les amants, et ses putains de déclarations de principe, omniprésentes, et qui, elle l’entrevoit maintenant sans le comprendre bien encore, ont aidé à ce qu’elle ne soupçonne jamais l’indicible : on ne couche pas avant le mariage, on doit offrir sa virginité à son mari, pour l’instant les études, le plaisir attendra, ne soyez pas comme votre mère qui me trompe à tout moment, ne soyez pas des putes, vous aussi, comme vos copines – jamais, jamais, elle n’aurait pensé que … Salopard.

Elle se lève, il est devant elles, les filles comblent l’espace vide qu’elle laisse sur leur banc en se serrant l’une contre l’autre. Elle est là, toute droite, toute blanche, tremblant de tous ses membres, monument de courage devant cet homme qui les a tellement meurtries, et elle tend le bras, bien droit, paume à la verticale : “STOP. C’est FINI. JE SAIS TOUT.

Il fronce les sourcils, Igor. C’est bien la première fois qu’on réplique au Maître, ça le désarçonne un peu, son mauvais rictus revient quand même très vite lui fendre le visage, il va l’insulter, sa main remonte malgré lui et malgré l’endroit, Laurence, cette salope, avec son bras tendu à la con, mais qu’est-ce qu’elle croit, que ça va l’empêcher de reco ..?

Une main ferme se pose sur son épaule et le fait pivoter : c’est le policier du guichet, Franck Louis.

Elle ne s’en est pas aperçue, Laurence, mais elle a crié, tout le monde s’est retourné, y compris Michel Pourol, qui, là-bas, achevait justement d’expliquer brièvement le peu qu’il savait, violences, tyran, inceste. Pourol, voyant la scène, a tout de suite compris, pointant du doigt le petit groupe pour l’agent de police : “Merde, Monsieur, ça doit être lui. Il faut …” Franck avait vu, lui aussi, et, outre qu’il vient d’entendre une histoire grave, criminelle – il était déjà en train de réfléchir, se disant qu’il allait faire lui-même une première audition de la mère, puis si ça se confirmait, à celui des Officiers disponibles qui pourrait prendre la suite immédiatement -, a derrière lui deux ans de Quart, dont la moitié de nuit : il ne fallait pas lui faire un dessin, et l’homme allait frapper. Il avait littéralement sauté par-dessus l’abattant du guichet, et foncé vers le type.

-“Bonjour Monsieur. On se calme, hein ? Vous êtes ..?”

Laurence, hors d’haleine, saisie maintenant de vrais tremblements incontrôlables, et qui vient une fois de plus de faire pipi dans sa culotte, tout debout, une fois de plus, assiste à “la transmutation”, cette métamorphose dont elle a – amèrement – souri si souvent avec les filles : Igor reprend instantanément son visage “extérieur”, celui pour-les-gens-qui-ne-doivent-rien-savoir …

-“Tout va bien. Je suis le mari de Madame. Je m’inquiétais pour elle et pour mes filles, elles n’étaient pas rentrées. Je …

– Bien, parfait. On va voir ça, Monsieur, d’accord ? Madame, vous allez venir avec moi, et vous Monsieur, vous allez vous asseoir là-bas, d’accord ?”

Franck désigne un banc à l’opposé dans la salle.

-“D’accord, oui, bien sûr – mais je ne sais pas ce qu’elle peut vous dire, je peux lui parler avant, peut-être, quand même ..?” (Il sourit. Laurence, même si elle l’a vu tout jouer, n’en revient pas.)

-“Non. Non, Monsieur, votre femme va d’abord me parler à moi, c’est la procédure, OK ?

 – Ah … Bon, d’accord. Vous venez, les filles, alors ?

– Non. Elles, elles restent là, d’accord les filles ? (Pourol les a rejointes) Elles restent avec ce Monsieur, et vous, vous allez là-bas, et vous attendez tranquillement. Point final.”

Franck a haussé le ton, l’homme acquiesce maintenant. Mais le policier a aussi eu le temps de voir une expression de haine, oh, une seconde, mais terrible, lorsqu’il a brièvement regardé Pourol, même s’il l’a aussitôt effacée.

L’homme part vers le banc qu’il lui a désigné.

“Bon, Monsieur, j’emmène Madame pour l’entendre maintenant. Vous restez avec les filles, s’il vous plaît. Ne vous inquiétez pas pour lui, je préviens les collègues, ils vont le surveiller pour qu’il ne vienne pas vous ennuyer ou qu’il ne parte pas. Ça ne va pas être trop long, vous avez de la chance, il n’y a pas trop de monde, je pense qu’un officier va vous recevoir rapidement. Allez, Madame, détendez-vous maintenant, il est parti, il ne peut rien vous faire. Venez …

Franck emmène Laurence, lui fait franchir le guichet, attendre un instant pendant qu’il va voir le collègue du guichet voisin, lui parlant rapidement en désignant Igor, maintenant assis loin, puis suivre un petit couloir, et entrer dans un minuscule bureau où tiennent à peine une table avec un ordinateur et noire de papiers et deux chaises, en s’excusant de l’exiguïté des lieux, pendant qu’il la fait s’asseoir en lui disant avec un sourire rassurant : “Bon, Madame, je crois que vous avez des choses à me dire …”

_________

 

Michel Pourol se détend, assis à côté des deux sœurs – même s’il regarde fréquemment leur père, en face, pas tout à fait tranquille. Il pense qu’il a fait ce qu’il fallait, il se remémore tout ce que lui a dit Laurence, dans la voiture … Oui, il a fait ce qu’il fallait. Il appelle sa femme, pour lui expliquer qu’il sera en retard et pourquoi – et aussi, il ne se le cache pas, pour qu’elle lui passe les enfants, un peu plus jeunes que les filles ; il ressent soudain un besoin urgent de leur parler, et de leur dire qu’il les aime …

Elles ne lui disent rien, se tenant toujours – et, elles, évitant soigneusement au contraire de lever les yeux. Elles se parlent à voix basse, têtes baissées.

Au bout d’un instant, l’une des filles sort son téléphone de sa poche, y lisant manifestement en même temps que sa soeur un message, puis y répondant, puis menant tout une conversation par SMS.

Pourol, qui a raccroché, tout heureux – sa femme l’a félicité, c’est idiot mais ça lui a mis les larmes aux yeux, fatigue et baisse de tension venant -, sourit en voyant leur manège, ça le rassure : quoi qu’elles aient vécu et subi, elles restent, heureusement, des gamines, presque encore des enfants – et c’est plein d’espoir : elles se remettront, elles ont une vie à vivre, une vie normale…

Il se demande à quelle copine elles racontent ce qui est en train de se passer, ou bien peut-être tout autre chose, pour ne pas y penser, quand il jette un oeil une fois de plus vers le banc où le mari se tient : là-bas, l’homme – Igor, donc – ne les regarde plus, pianotant lui aussi sur un téléphone portable, et … Nom de Dieu !

-“Montrez-moi ça, les filles !” Elles sursautent, il s’en veut, mais dans le même temps, incrédule, il leur prend le téléphone des mains, affichant un message entrant :

“Je ne la comprends pas. Mais vous, dites rien. On va parler, avec elle. Tout va aller bien, on va rentrer à la maison, et vivre normalement, je vous jure. Je vous aime tant, et maman aussi. Je vous en veux pas, pas de punition. Mais il faut rien dire, pas faire mal à maman …”

Il leur rend le portable, sans un mot, en leur demandant juste de ne pas bouger. Il va vers le collègue à qui “son” policier à lui a parlé tout à l’heure, et lui signale le problème. Le policier va voir Igor pendant que Michel retourne près des filles ; il voit les deux hommes discuter rapidement, manifestement le policier engueule Igor, qui finit par lui tendre son téléphone, puis se lever et le suivre, pour se rasseoir plus loin encore de l’autre côté de la salle, tout près des guichets – plus près du policier qui le surveille.

“Monsieur ..?” C’est la plus jeune, enfin il croit, elles se ressemblent beaucoup, Nathalie : “Que … Qu’est-ce qui va lui arriver, je veux dire … A mon père ? Il va aller en prison ?”

Michel n’en croit pas ses oreilles – parce que, malgré tout, on dirait bien que cette fille plaint le bonhomme, qu’elle a peur pour lui !

“J’espère bien ! Ta mère m’a dit un peu ce que vous subissez, tout … C’est un crime ! Alors bien sûr qu’il va aller en prison !”

La petite a l’air meurtrie, sa sœur aussi, il se reproche aussitôt la brutalité de sa réponse, quel con, ce sont des gamines, ils sont chez les flics, leur vie éclate, et c’est leur père quand même, il n’a jamais eu à connaître de l’inceste personnellement, qu’est-ce qu’il sait des tempêtes qui hurlent sous le crâne de ces enfants – il a vu des émissions sur cet enfer, comment disaient-ils … “Emprise”, “conflit de loyauté” … – Stéphanie le lui prouve, d’une toute petite voix :

“On sait bien que … On espérait vraiment que ça arrive, que ça s’arrête. Mais … On peut pas demander juste ça ? Que ça s’arrête ? C’est mon père, je ne veux plus qu’il fasse … ses trucs … Mais il va souffrir, à cause de nous, nous, on voulait pas forcément ça …”

Michel se met à genoux devant elles, leur prend une main à chacune, les regarde droit dans les yeux, le visage grave soudain : “Les filles … En vrai, je n’en sais rien, j’ignore ce qui va se passer au juste. Mais je VEUX vous dire ceci, deux choses qui comptent seulement, ce soir, cette nuit, demain : TOUT dire, absolument tout, vous vider, vous lâcher. Maintenant, c’est la vérité, rien d’autre. Et ensuite : RIEN n’est de votre faute. En face il y a un homme, un adulte, fort, avec un cerveau, et qui savait ce qu’il faisait, et que c’est interdit, et que, merde, c’est mal, vous comprenez ? Il n’y a qu’un fautif pour ce qui se passe, et c’est lui, tout seul. Vous n’avez rien fait de mal, rien du tout, jamais. D’accord ? C’est lui qui vous en a fait, et lui qui s’en fait maintenant – et il ne vous en fera plus. Vous comprenez ?

Elles acquiescent, mais il voit bien aussi qu’elles sont malheureuses. Il leur tapote les genoux, se lève, s’étire, se rassoit tout près d’elles.

“Bon, et vous êtes en quelles classes, sinon ? J’espère que vous avez de bons résultats ?”

Et pendant qu’elles répondent, d’abord timidement, puis un peu plus détendues, un peu plus souriantes, et qu’il enchaîne, passionné comme jamais par les cours de deux lycéennes, il prend conscience que même si leur vie d’avant ce soir est terminée, même si le calvaire prend fin … Elles n’ont pas fini de souffrir.

_________

 

Pendant ce temps, Laurence parle. Elle reste sidérée, et admirative, du fait qu’il n’ait fallu à Franck, tout à l’heure, que quelques mots, quelques gestes, pour renvoyer l’autre … C’était si simple …  Elle aurait tellement dû venir avant …

Pourtant, probablement parce qu’elle est en pleine décompensation, probablement aussi parce que pour la première fois en vingt ans, elle sent qu’elle est en sécurité, elle ne parle que de ce pour quoi elle allait venir de toute façon, au début – et encore : par un de ces tours de passe-passe du cerveau qu’on ne maîtrise pas, qu’on tentera seulement d’expliquer par la suite, bien plus tard, elle … Oui, elle minimise. Elle ne parle d’abord même pas des violences physiques les plus proches, elle s’abrite, oui, on peut le dire comme ça, elle s’abrite derrière une notion, des mots entendus à la télévision – un expert expliquera ça plus tard en parlant de “mécanisme de Défense archaïque, une protection erronée, mais qui inconsciemment tend à éviter au sujet de sombrer dans une dépression encore latente” – mais pour l’instant, ce que Laurence ressent, c’est simplement qu’elle dit ce qu’elle parvient à dire.

Franck n’est ni un idiot, ni un débutant, alors il laisse venir, quitte, au bon moment, à la bousculer juste ce qu’il faudra pour que l’essentiel sorte – il voit, pas d’autre mot, il voit et ressent la peur de cette femme, son malheur, le drame de cette famille, dont il a vu le chef. Il sait que ce qu’elle dira est la vérité. Et il regrette déjà, une fois de plus, de n’être pas l’Officier de Police à qui il ira, juste après, faire lire la déposition, enclenchant l’enquête à proprement parler – ou mieux, tiens, celui qui flanquera tout à l’heure le méchant en garde à vue …

Pour l’instant, il tape son procès-verbal, à deux doigts mais très vite : il sera simple, c’est une première audition. Mais efficace.

“Nous, Franck Louis, BRIGADIER CHEF, en fonction QUART à X,

Agent de Police Judiciaire en résidence …

Étant au service,

Entendons la personne ci-après désignée, qui, sur interpellations successives, nous déclare :

SUR SON IDENTITÉ

” Je me nomme RENGZA Laurence…

[…]

SUR LES FAITS :

Je me présente à vous ce jour pour dénoncer les faits suivants.

Je suis mariée depuis 20 ans avec Monsieur RENGZA Igor. Dès le début de notre union, mon mari s’est montré violent avec moi. Quand je parle de violences, je parle surtout de violences psychologiques. En fait, mon mari est une personne extrêmement jalouse. Quand j’oubliais de lui expliquer quelque chose, il me frappait, des gifles en général ou des coups de pied pour savoir la vérité. Ces violences physiques n’avaient pas lieu tous les jours, mais seulement quand il avait des soupçons, d’ailleurs infondés.

Ces violences ont cessé progressivement, pour être remplacées par des brimades. Il me rabaissait constamment, en parlant de mon physique ou de mon comportement. Ces violences physiques ont cessé totalement il y a 6 ans maintenant. Néanmoins, il me menaçait régulièrement de violences en plus des brimades.

QUESTION/ Avez vous déposé plainte pour ces faits de violences à l’époque ?

RÉPONSE/ Non.

Par contre, j’ai en ma possession un certificat médical concernant une coupure à la main. Il m’avait menacée avec un couteau que j’ai saisi pour me protéger et qui m’a entaillé la main. C’était en 2009.

QUESTION/ Pourquoi venir dénoncer ces faits aujourd’hui ?

RÉPONSE/ Parce que personnellement, j’aurais pu tout supporter, mais maintenant, il s’en prend à mes filles. Ma fille Nathalie m’a parlé de se suicider il y a quelques jours.

Pour répondre à votre question, elle a 16 ans.

QUESTION/ Comment s’en prend-il à vos filles ?

RÉPONSE/ Il les espionne, il regarde leurs correspondances téléphoniques chaque jour et leur demande de s’expliquer. Il veut qu’elles soient toujours joignables. Elles n’ont pas le droit d’avoir une minute de retard.

QUESTION/ Bon, Madame, en fait, vous dénoncez un père attentif ?

[MENTION : Constatons que Madame RENGZA est en pleurs et tremble énormément, et nous indique refuser d’aller “plus loin”. Essayons de la réconforter, lui apportant un verre d’eau. Spontanément : ]

RÉPONSE/ Non. En fait, mon mari viole mes deux filles, Monsieur. J’allais venir déposer plainte pour ses violences, je leur ai téléphoné pour leur dire, et c’est là, tout à l’heure, qu’elles me l’ont avoué. Elles m’ont dit des viols, je suis formelle. Elles m’ont dit que c’était depuis longtemps, toutes petites …

Mon mari se trouve actuellement à l’accueil du Commissariat. Mes deux filles s’y trouvent aussi, avec un ami.

Je désire déposer plainte contre mon mari pour les viols commis sur mes filles et les violences commises sur nous trois.

Disons mettre fin à l’audition et nous rendre à l’accueil de l’Hôtel de Police, il est dix-neuf heures vingt. “

Laurence est à la fois vidée et bouleversée, tassée sur sa chaise, pendant que Franck finit de martyriser son clavier. Il lève les yeux, lui adresse un sourire, lui tend un stylo pour signer sa plainte, en même temps qu’une boîte de mouchoirs en papier qui est posée sur le bureau et doit servir souvent : “Allez, Madame, c’est bien. Vous avez fait le plus dur. J’ai déjà prévenu un OPJ, il va vous recevoir maintenant, vous entendre plus en détail, et vos filles aussi, je vais aller les chercher – et aussi votre mari …

Elle a encore très peur. Mais elle se mouche, elle sourit timidement, épuisée. Et elle signe, sans relire.

 

_________

ÉPILOGUE

Laurence et ses filles ont été longuement entendues le soir même, à deux reprises chacune, sur plus d’une dizaine de pages – elles ont, cette nuit-là, tout raconté.

Igor a été placé en garde à vue – il attendait et n’avait pas tenté de fuir. Il a nié, au début, puis reconnu des rapports sexuels avec ses filles, depuis leurs douze ans environ, mais consentis selon lui. Il a été présenté à un juge d’instruction deux jours plus tard, mis en examen pour atteintes sexuelles et viols sur mineures de quinze ans par ascendant, et placé en détention provisoire.

Les faits de violences n’ont pas été poursuivis, dans le cas de ses filles parce qu’elles faisaient parties des moyens de contrainte inclus dans les viols, et dans le cas de leur mère parce qu’elle s’est effacée devant les faits les plus graves, et qu’on les a oubliées …

L’instruction a duré une année, les experts ont relevé les traumatismes majeurs des enfants, et la perversité du mis en examen, par ailleurs intelligent et pleinement responsable de ses actes – on a énormément parlé d’emprise, cette notion de domination morale, jusqu’à écrasement, qui broyait la famille, et faisait de sa femme et de ses filles ses choses, modelables à volonté en fonction de ses envies.

Laurence a dû s’expliquer, à plusieurs reprises, durement parfois, sur le fait de n’avoir rien vu de ce que ses filles subissaient – même elle avait des questionnements sur ce point. Elles ont beaucoup parlé. On l’a crue. Sauf peut-être … Elle-même, qui encore aujourd’hui, même si elle a appris entre temps à vivre avec, traîne au fond d’elle-même cette gangrène terrible, celle que toutes les victimes connaissent, leur pire ennemie je crois : la culpabilité. Elle essaye encore d’en guérir aujourd’hui, soutenue par une psychothérapie.

Pendant des semaines, elle et ses filles ont sursauté chaque fois qu’elles entendaient des pas dans le couloir de leur appartement, chaque fois que l’on sonnait chez elles – elles ignoraient tout de la procédure, elles ignoraient si Igor allait rester enfermé, ou bien s’il pouvait ressortir, et si oui quand …

Elles ont fini par penser qu’elles souffraient suffisamment, au moins sur ce plan, pour aller voir un avocat et lui demander de les assister : c’est là que j’ai fait leur connaissance, et que, je crois, au-delà ou à l’intérieur de la relation si particulière qui unit un avocat à ses clients, surtout dans un tel contexte, on est devenus, progressivement, un peu amis – je me suis occupé du divorce, aussi, pas bien compliqué …

J’ai essayé surtout, comme le supérieur hiérarchique de Laurence l’avait fait avant moi ce soir-là, d’extirper cette sinistrement fameuse culpabilité de la tête des filles, que j’ai rencontrées “coupables”, vraiment, d’avoir fait jeter leur père en prison – comme si souvent … Et je crois que, petit à petit, nous y sommes, tous ensemble, parvenus.

Elles ont supporté les lenteurs de l’instruction, supporté les expertises, les nouvelles auditions – elles ont refusé la confrontation un temps envisagée, parce que dans leur cas, ça n’était plus très utile, malgré la position de leur père …

Parce qu’elles ont dû supporter, aussi, les résultats des investigations techniques sur le téléphone portable et l’ordinateur de ce père-là, et les dizaines de photographies qui s’y trouvaient, d’elles avec lui, lorsque les actes avaient lieu, et ça depuis le début. Il n’y avait plus grand-chose à dire, lorsqu’on parvenait à les regarder.

 

Un an et demi après la plainte, Igor a été reconnu coupable de l’ensemble des faits qui lui étaient reprochés, qu’il reconnaissait enfin désormais, et condamné à la peine principale de seize années de réclusion criminelle, outre un suivi socio-judiciaire de dix ans, ainsi qu’à dédommager ses victimes, toutes – des sommes assez importantes pour ses filles, et une autre, plus faible, pour leur mère – mais j’étais particulièrement heureux de cette condamnation-là.

Elles avaient brillamment affronté, même s’il les effrayait beaucoup, ce premier procès ; elles ont encore mieux, si faire se peut, affronté le second, car Igor avait fait appel.

Il a de nouveau été reconnu coupable en appel, sa peine principale est passée à dix-huit années de réclusion – mais la véritable victoire était que désormais, Nathalie et Stéphanie s’en fichaient, de sa peine, qu’elle soit diminuée ou augmentée : elles savaient désormais, je crois, que ça ne leur appartenait pas. Et n’avaient ni haine, ni crainte, capables à présent de dire le bien qu’elles continuaient à penser de lui, leur père, et même le fait que de ce point de vue elles l’aimaient encore ; tout en racontant, une dernière fois, ce qu’il leur avait fait, et que de ce point de vue-là, elles ne l’aimaient pas.

Ce sont deux jeunes femmes splendides, qui désormais vivent leurs vies sans entraves, aux côtés de Laurence encore pour un moment – je gage qu’on n’arrivera pas facilement à les séparer, ces trois grands êtres humains …

 

Puisque vous lirez ce récit, Laurence, les filles, et que je vous l’ai dit à toutes les trois autant en privé qu’aux deux audiences, face aux jurés …

Vous forcez mon admiration, et vous êtes trois femmes exceptionnelles – vraiment.

Je vous souhaite une belle vie.

 

[Cette histoire fait désormais partie du livre “Au Guet-apens”, qui est réédité en Poche aujourd’hui : 10/18 m’avait demandé une inédite … Et m’a gentiment autorisé à la publier ici, comprenant mon respect profond et ancien pour les lecteurs de ce blog. C’est une jolie manière de célébrer cette sortie !]

191 Commentaires

  1. Pingback : Mettez du rouge messieurs | Geekolution

  2. Merci pour ce témoignage de votre pratique. Laisser de coté nos interrogations pour mieux entendre l'autre est une tache particulièrement difficile mais qui seule peut permettre la ré humanisation après l'horreur. Merci pour ces trois femmes auxquelles je souhaite pour l'avenir toute la douceur possible.
  3. Pingback : Plainte | C'était vraiment très intéressant!

  4. Bonjour
    Ce blog est pour moi une découverte mais ces histoires n'en sont pas. Je fréquente de très près ces situations et ces personnes prises ou sous emprise dans des histoires de vie catastrophiques .
    J'exerce comme enquêteur de personnalité et mon regard n'est guère loin de ce que Maître Mo présente. Ces histoires je les côtoie, pourtant, je ne défends, ni les victimes, ni les auteurs. Je n'ai pas plus à être juge ou justicier.
    Mais il arrive que l'on comprenne ce qui fait lien dans ces catastrophes relationnelles et bien au delà des faits présentés.
    Les pervers narcissiques et autres experts en inclusion conjugo-familiale comme celui que Maître Mo nous a brossé de façon presque caricaturale, peuvent être rejoint là où dans leur histoire s'est déconstruite la relation aux autres.
    Malgré l'horreur des faits et des conséquences désastreuses sur les victimes, malgré le discours de façade encore égocentré, malgré le ton sarcastique et culpabilisant envers les victimes, ce que je retiens d'important c'est qu'ils sont (l'auteur et les victimes) désormais séparés par le cadre institutionnel et que les victimes sont désormais sortis de la cible.
    On ressent très fort cela dans ce récit lorsque les trois femmes se retrouvent au commissariat.
    C'est cela qu'à déconstruit ce père et cet époux dès le début de leur vie familiale. L'affirmation que le cadre institutionnel était infécond et inutile.
    On peux parier qu'il a seriné à ses filles que les instit's, les profs, les élus, les flics, les animateurs sociocu, les juges, les avocats et tout autres investigateurs ou voyeurs de la vie privée chérie étaient tous à mettre dans le même panier de l'ignorance crasse et des parasites.
    Doucement cela s'est induit comme une évidence dans la tête de ces jeunes filles. L'autre est un étrange étranger et le cadre institutionnel et ses représentants des ennemis à éloigner ou à combattre.
    Le courage de ces trois femmes décrit dans ce récit est à situer ici. Allez oser faire un pas vers l'institutionnel pourtant présenté et intégré comme dangereux et si angoissant.
    Et non pas, comme cela est présenté, dans le fait de s'opposer au tyran.
    Cela viendra après.
    Bien plus tard, quand il faudra résister de revenir vers lui guidé par le sentiment de culpabilité.
    Je vous salut Maître Mo.
    Sur mon modeste blog je raconte aussi, mais moins brillamment que vous (et de façon plus ramassé) quelques récits de vie sur des déconjugaisons et autres fils à détordre.
  5. Pingback : catarapal | Pearltrees

  6. Laurence
    Vos récits sont bouleversants et d'une justesse qui fait toucher du doigt à la fois toute la misère et la noblesse de l'humanité.
    Je trouve sincèrement admirable que, confronté à titre professionnel à de tels drames humains, vous trouviez encore l'énergie de nous les faire partager.
    Pourtant je comprends bien cet élan d'espérance présent dans ce partage.
    J'ai juste envie de dire: merci Maître, mais pensez aussi à vous, même si penser à vous implique de penser aux autres.
    Merci Maître.
  7. Enora
    Le commentaire de Tof est très révélateur des raisons pour lesquelles ces situations perdurent. C'est bien d'avoir conscience que ces forces culpabilisantes sont présentes chez la victime et chez les témoins.
    1. tof
      bonjour Enora,

      En fait je ne suis pas sûr de ce que vous avez compris (en bien ou en mal pour vous) de mon propos mais je ne suis pas frontalement opposé à ce genre de message de prévention, bien au contraire ; dans mes échanges avec d'autres victimes (voir plus haut dans les coms) je m'intéressais justement aux signaux à percevoir et au moyen de développer cette sensibilité / intuition, on l'appelle comme on veut, et de ce que la société pouvait mettre en œuvre pour ça.

      quand je parle de responsabilisation, c'est bien dans ce sens à savoir qu'à partir du moment où la victime réalise pleinement que la balle est dans son camp, on peut envisager une issue heureuse ; mais personne ne peut le faire à sa place comme vous le savez.

      D'où la notion de responsabilité au sens d'une lucidité nécessaire, qui me paraît nettement préférable à une infantilisation totale des victimes (et notamment des femmes) car cette dernière signifierait notamment qu'il n'y aurait aucun moyen pour ces victimes de s'en sortir.
      1. jean
        Et oui, on ne vous comprends pas. Moi, encore, bon, je suis "une petite personne" qui sans doute "rabaisse sa nana", une sorte "d'ultra religieux" d'après vous. Mais Enora ? Qu'as-t-elle donc ?
        Et que dire de Maître Mo qui ferait ici oeuvre "d'infantilisation totale" des victimes ?

        Vous voulez à toutes force faire peser la responsabilité sur la victime. Bien. Mais cela revient à inverser la charge du drame. Que devient l'agresseur dans votre idée ? Et que doit donc mettre en place la société ?
        1. tof
          - Commentaire n° 93.1.1.1
          "cela revient à inverser la charge du drame."
          pas du tout, parce que, pour la 357ème fois je ne me situe pas sur un plan juridique ; cela revient au contraire à protéger les victimes en leur donnant des armes, ce qui est impossible avec votre raisonnement, à moins de les soustraire de force à leur bourreau

          "que dire de Maître Mo qui ferait ici oeuvre "d'infantilisation totale" des victimes"
          pas du tout ; Maître Mô fait oeuvre de compassion, ce qui n'est pas incompatible et ce que j'ai fait également envers Lilianna, vous savez, l'autre femme courageuse et ouverte, avec qui j'ai eu une discussion complètement apaisée au milieu de vos interventions intempestives et délétères ?
          1. jean
            - Commentaire n° 93.1.1.1.1
            Nous sommes donc d'accord : vous n'avez rien à redire au niveau juridique.
            Vous ne vous placez pas non plus sur un plan spirituel ou moral. Que nous reste-t-il ? Vous vous placez sur un plan sociologique ?

            C'est dans les pires quartiers qu'on entend ces mots donnés comme insulte entre gangsta : "espèce de victime !" se hurlent ces types dans les oreilles.
            Pour entrer dans un gang, il faut parfois se faire tabasser par ses membres. Celui qui se plaint est une "victime", c'est à dire "une fiote" (SIC) et celui qui cherche le soutien des autorités peut être une potentielle balance. Tout ce que le gangsta exècre. D'ou la qualification infamante :"t'es une victime", jetée au visage de celui qui est coupable d'être faible dans ce système de valeur.

            Voilà le voisinage sociologique de l'idée qui vous anime tant : "la victime est responsable de ce qui lui arrive". N'est-ce pas inconfortable ?

            Mais vous devriez nous en dire plus sur "protéger les victimes en leur donnant des armes," et sur "que doit donc mettre en place la société". Cela m'éclairera peut être sur vos intentions.
            1. Enora
              - Commentaire n° 93.1.1.1.1.1
              Il y a un moment où la personne qui souffre du fait des agressions qu'elle subit N'a pas d'autre choix que de prendre conscience qu'elle est la victime , et c'est seulement cette prise de conscience qui lui permet de sortir du pétrin et surtout en premier de s'éloigner du "bourreau" Après bien sur dans le secret du cabinet du psychologue, elle pourra trouver les causes de ce qui l'ont menée là, et trouver des ressources pour ne plus que ça se reproduise. Je ne sais pas si il est possible de faire des études et des statistiques sur le sujet. On trouvera certainement chez beaucoup de "victimes" une enfance qui a altéré l'estime de soi, l'instinct de protection et l'instinct tout court, d'où une incapacité à voir les signes. Le terme de responsabilité sonne mal suivant le contexte et le moment où il est employé. Question utilité du mot, on pourrait l'utiliser plus tard, une fois que le danger est éloigné et que la victime se reconstruit.
            2. tof
              - Commentaire n° 93.1.1.1.1.2
              et si on se plaçait sur un plan humain tout simplement, au lieu d'extrapoler continuellement ?

              car c'est bien là que le bât blesse et c'est là où réside la solution, il faut que l'être humain construise (ou restaure) son intuition et son rapport à l'autre au sens large, pour apprendre à se connaître, à connaître son prochain et à éviter ce genre de drame. C'est un travail très certainement énorme à échelle d'une société, forcément multidisciplinaire (en résumer ici la teneur serait présomptueux), et je ne suis même pas certain qu'il soit réaliste.

              et non, je ne dis pas que la victime est responsable, c'est bcp plus compliqué que ça.

              (au moins je ne me suis pas fait agresser ce coup-ci, c'est déjà ça)
  8. Atherelm
    Je suis Maître Mô depuis quelques temps déjà, souvent je suis en désaccord mais à chaque fois je m'incline devant la qualité de sa prose et l'émotion qu'il transmet.

    Mais vraiment je ne comprends pas une certaine magistrature, une certaine catégorie de gens, qui disent, entre autre "Je ne peux pas croire qu'Igor soit un homme sain d'esprit et j'eprouve de l'affection pour lui plus que de la haine. " (c'est dans les commentaires de la page 1 mais il n'y a pas que ça)

    Comment peut-on avoir de l'affection pour une telle abomination à visage humain ?

    Vraiment je ne peux pas comprendre. C'est une vraie question.

    Peu importe qu'il ait subi diverses expériences traumatisantes. Je veux dire c'est malheureusement le cas de beaucoup de gens, pour autant violent ils, frappent ils ?

    Sans verser dans le caliméro, moi même j'ai été victime pendant des années d'une violence psychologique de la part de mon père qui n'a rien à envier à la violence physique, vous pouvez m'en croire, et qui m'a laissé brisé, un champ de ruine à peine en vie tout au plus.

    Pour autant est ce que je frappe ma copine ? Est ce que je viole sa petite sœur ou que sais je ? Non.

    Les monstres ne sont pas des monstres parce qu'ils ont été maltraités mais parce que ce sont des ordures.

    En ce 21éme siècle les sociétés occidentales bienpensantes excusent tout, ont de "l'affection" (vraiment ce terme me choque profondément) pour tout et je ne peux pas le comprendre.

    A titre personnel je suis pour la peine de mort dans ce genre de cas ou, au minimum, pour la réclusion criminelle à perpétuité (c'est à dire il entre dans sa cellule et n'en ressort plus jamais ).

    Je comprends tout à fait qu'on soit contre la peine de mort, j'ai du mal à comprendre qu'on ne soit pas pour la perpétuité réelle.

    Mais je ne peux, même en y consacrant tout mes efforts, comprendre qu'on ait "pitié" ou de l"affection" pour un être comme ce Igor.
    1. Enora
      http://www.lexpress.fr/styles/psycho/pervers-narcissique-fred-et-marie-le-spot-belge-qui-denonce-les-pervers-narcissiques_1233120.html
      Les campagnes comme celle ci (ci dessus), les témoignages, si il ne peuvent changer la mentalité des "bien pensant" persuadés que les victimes ont ce qu'elles méritent au final (c'est tellement plus confortable et vous absout de ne pas leur venir en aide),ces campagnes ont le mérite d'aider ces victimes à prendre conscience de leur situation. Ce fut le cas cas pour moi. Quand on est dedans, sous emprise, on ne voit rien, ne serait ce que parce qu'on est en "mode survie". Mais que l'on nous filme et que l'on nous voie à l'écran, le recul nous permet de nous relever et de prendre les bonnes décisions.
      1. Atherelm
        Vous n'avez manifestement rien compris à mon propos.

        Evidemment que non la victime n'a pas ce qu'elle mérite !

        Je m'émeus qu'on puisse avoir de la compassion envers le bourreau.
        1. Enora
          - Commentaire n° 92.1.1.1
          Atherelm , je ne parlais pas de vous bien sur , mais des commentaires que 'on peut trouver au dessous de l'article que je cite et certains ici.
          Je suis aussi d'accord avec vous.
          C'est d'ailleurs une arme redoutable du bourreau de se faire passer pour une victime.
          C'est aussi pour cela que l'on met parfois si longtemps à arriver à s'en séparer.
        2. Le Pet Financier
          - Commentaire n° 92.1.1.2
          Je pense qu'Enora a très bien compris votre propos.

          Le sujet n'est pas de tuer ou de condamner à perpétuité, comme vous le souhaitez, mais de libérer la parole des personnes violentées. Je ne suis pas sûr que vous y participiez.

          Que vous souhaitiez la mort de votre père ou de sa réclusion à perpétuité pour les violence qu'il vous a infligé est juste une provocation pour l'idée que nous avons de la justice ici.

          Heuresement, il y a des avocats.
      2. tof
        toute tentative d'alerte est louable dans son principe et si ça peut sauver quelques personnes de l'impasse dans laquelle elles sont, pourquoi pas ; j'observe néanmoins que dans les commentaires du lien des voix s'élèvent contre la présentation monolithique de victime de la femme et plaident, à juste titre à mon avis, la responsabilisation au lieu de la victimisation.

        pour illustrer le propos sur un autre terrain et montrer qu'il peut être parfois auto-complaisant de dire qu'on ne peut rien faire une fois à l'intérieur de cet engrenage parce qu'on ne voit rien quand on est aux mains d'un personnage pervers et manipulateur, voici les paroles d'une célèbre chanson interprétée notamment par Ella Fitzgerald qui sonne de manière quelque peu divergente :

        It's cost me a lot
        but there's one thing that i got
        it's my man

        cold and wet
        but all that i soon forget
        was my man

        he's not much for looks
        and no hero out of books
        is my man

        two or three girls has he
        that he likes as well as me
        but i love him

        i don't know why i should
        he isn't good
        he isn't true
        he beats me too
        what can i do

        oh my man i love him so
        he'll never know
        all my life is just a spare
        but i don't care
        when he takes me in his arms
        the world is bright alright

        what's the difference if i stay
        i'll go away
        when i know i'll come back on my knees someday

        for wherever my man is
        i'm his forever more

        what's the difference if i stay
        i'll go away
        when i know i'll come back on my knees someday

        for wherever my man is
        i'm his forever more
        1. jean
          - Commentaire n° 92.1.3.1
          Mais c'est pas possible Tof ce que t'es usant : tu confonds les assurances auto et le code pénal. Plaider "la responsabilisation au lieu de la victimisation" !!!
          Si tu te fais tabasser dans la rue, je fais quoi ? je te défend, ou je donne une médaille au mec qui t'as "responsabilisé" ?

          Et pour ta chanson , cherche la page wiki du Syndrome de Stockholm, médite quelques heure sur un caillou et après tu reviens nous voir.
          1. tof
            - Commentaire n° 92.1.3.1.1
            qui est le plus usant ? celui qui s'oppose argument contre argument ou celui qui se donne en spectacle ? à quel moment j'ai parlé de responsabilisation en droit ? le reste de ta réponse est encore plus à côté du sujet

            le jour où tu arriveras à montrer que 100% des mecs qui tapent sur leur nana sont des gourous omnipotents et qu'il n'y rien, mais strictement rien à faire contre ça, j'arriverai p-ê à t'écouter.

            D'ici là (et y a du boulot), reste correct, je ne t'ai pas agressé
            1. jean
              - Commentaire n° 92.1.3.1.1.1
              Oh pardon. Vous parliez de responsabilisation devant Dieu alors.
              En effet, je n'y étais pas.
              Et je vous y laisse volontiers.
              Je doute de votre bienveillance à l'égard des victimes, à en juger comme ce simple terme de "victime" vous contrarie.
              1. tof
                - Commentaire n° 92.1.3.1.1.1.1
                c'est marrant que vous parliez de Dieu (même si, à nouveau, vous êtes hors des clous), mon grand, parce que VOUS êtes exactement dans la position des ultra-religieux ; vous savez, ceux qui se mettent en rogne et vous traitent de mécréants quand on essaie d'opposer des arguments rationnels à leur doctrine - ou en tout cas évoquer l'idée folle qu'il puisse y avoir une autre voie.

                et sinon, en tant que chantre de la bienveillance, quand votre nana essaie d'engager un débat d'idées avec vous, vous la rabaissez de la même façon ? On progresse, on progresse...

                Commencez à appliquer vos beaux principes à votre toute petite personne et foutez la paix à ceux qui discutent de manière courtoise et constructive.
    2. mar
      Au risque de paraître un peu extrémiste, je suis amplement d'accord avec vous.
      J'ai moi-même été également victime de certaines choses sur lesquelles je n'ai pas envie de m'étendre, et mon agresseur était un homme qui venait de passer 4 ans en prison. Si le système pénitencier avait été efficace, il ne serait jamais ressorti.
      Et mis à part le psychisme même de ces individus déviants, je trouve qu'il n'y a rien de plus affreux que le laxisme du système judiciaire sur certains points (entendons nous, aucun rapport avec la manière d'exercer des professionnels de la justice, mais plutôt avec les moyens que l'état met à leur disposition).
      Entre parler d'une telle cruauté me donne envie de devenir cruelle moi-même et de rendre ma propre justice même si je ne le ferait jamais et que cela restera toujours de l'ordre du fantasme. Mais par exemple si comme dans le film d'Almodovar, la Piel que Habito je pouvais condamner un agresseur à subir des supplices, tel que l'a fait le personnage de Banderas, aussi déshumanisante cette constatation soit-elle, vous m'en verriez je pense ravie.

      Je suis pour cela amplement d'accord avec vous j'en serais presque pour la peine de mort, et du moins certainement pour la perpétuité sans omettre la castration chimique pour les agresseurs sexuels.
      Je ne vois pas pourquoi on devrait par miséricorde ne pas infliger la même souffrance que eux ont infligés à d'autres gens. Je ne vois pas en quoi quelques années (desfois 1, 2 ou 3 pour des viols !) dans une cellule seraient dédommageantes pour les victimes qui garderont les séquelles à vie.

      Comme cette histoire sur laquelle je lisais aujourd'hui un article, l'histoire de cet homme qui a été frappé à mort sur l'autoroute pour un ridicule accrochage. Je ne comprends pas comment, que ca soit la diffusion de responsabilité, l'adrénaline, ou un sentiment de toute puissance de la part de ce genre d'énergumènes peuvent justifier de tels actes, autrement que par la déviance. Mais pardonner la déviance n'est pas rendre service aux criminels qui souvent ne regrettent jamais leurs actes et ne ressentent aucune culpabilité, mais juste ouvrir la porte à ceux qui suivent et qui pensent pouvoir agir impunément.

      Je veux dire au point ou nous en sommes dans l'avancée technologique, les neurosciences on déjà en partie solutionné le problème, car nous pouvons en sachant comment fonctionne le cerveau de quelqu'un déduire s'il souffre littéralement de psychopathie, quelles sont les associations qui se font dans son cerveau, ou quelles sont ses chances de récidiver. Bien évidemment que cela coûte de l'argent mais il n'y a qu'a regarder ces déchets qui gangrènent le peuple pour comprendre que l'investissement ne pourra être que rentable.

      Pourtant je suis tombée sur ce site au détour d'un article, celui sur un psychopathe ayant violé des enfants s'étant "ouvert à l'humanité" au moment de son procès. Pourtant je suis depuis mon visionnage du Silence des Agneaux à l'âge de 11 ans une ''passionnée'' si on peut le dire ainsi, par la psychologie, et plus précisément la psychopathie, la schizophrénie, la criminologie, la victimologie, les tueurs en série et les différentes déviances mentales qui peuvent exister etc. puisque c'est l'opposé total de ce que je suis et la manière dont leur cerveau fonctionne me fascine. Mais d'autant plus que j'ai fait des recherches approfondies et que je connais le sujet (surtout suite à ma propre agression) je peux me permettre de me prononcer en connaissance de cause je pense, et dire, laissez les croupir.

      Et pour en revenir à ce que vous disiez Atherelm suite à ce grand hors-sujet, le plus débectant ce sont les gens qui en effet ressentent de l'affection pour ce type de personne. Je veux dire on peut comprendre on peut analyser on peux limite si on est quelqu'un d'empathique ressentir une forme d'empathie. Mais de l'affection pour quelqu'un qui, déviant ou pas, peut commettre sans la moindre culpabilité des actes aussi répugnants. Même qui arrive à commettre ces actes culpabilité ou pas, puisqu'il faut déjà être bien secoué du bocal non seulement pour en avoir l'idée mais pour réussir à l'appliquer.

      ALORS PITIÉ, DURCISSEZ CES PEINES.
  9. la Guiche
    Toute mon affection à vos trois clientes, qui sont définitivement bien tombées en ayant recours à un avocat comme vous.

    On ne peut qu'être bouleversé par un tel récit, et en même temps tellement rasséréné dans la croyance que ce qu'il y a de plus humain en chacun de nous est plus fort que le reste.

    Merci, cher Maître !
    1. "A quoi ça sert d'en faire étalage ?"
      Cette question pousse à se taire. A cacher la vérité, à enjoliver les choses, à ne pas montrer ses misères. C'est un réflexe que nous avons tous. C'est même une spécialité Nationale pour certains pays. Sauver la face. Question de fierté, d’orgueil.
      Hier encore, en parlant de mon travail, je me suis pris à enjoliver, à ne pas oser dire ce que je vis vraiment. "si je dis tout, on va me prendre pour un fou. Les gens ne comprendront pas. Ils me traiteront d'imbécile de supporter telle ou telle chose "inacceptable" pour leur jugement. Et si je l'accepte, c'est donc que je suis fou, ou bête, ou complice, etc..."

      Voilà pour quoi on cache, on ment, on s'enferme, on souffre...

      Non. Il faut dire. Il faut crier. Il faut montrer. Cela libère, cela sauve, et cela donne courage aux autres.
  10. enora
    Bonjour,
    Je suis très touchée par ce témoignage (oh combien!)
    Je n'ai pas connu la violence physique, mais psychologique.
    Les termes de "seuil de tolérance" "torture mentale" "emprise" parlent énormément, les fenêtres qui se ferment au fil des années les unes après les autres.
    "Ce que je pense, moi, c'est que chacun possède son propre seuil de tolérance, voilà tout. Et que celui de Stéphanie et Nathalie était énorme, incommensurable - mais que leur père l'avait construit lui-même, tout exprès, alors qu'elles étaient encore enfants, et qu'il les tenait dans une emprise d'autant plus absolue que, comme toutes les victimes enfants d'un ascendant, elles avaient grandi dans son monde à lui, et n'avaient pas encore connu le leur ... Et que si cet instant-là n'était pas survenu, elles y seraient encore, dans son monde à lui, uniquement fait de soumission. Mais je pense qu'à cet instant, les possibilités de tolérance de leur mère, Laurence, qui elle avait connu autre chose, et dont Igor avait pu meurtrir lourdement l'amour maternel, mais évidemment pas le détruire totalement, ont été dépassées, enfin."
    Oh combien ça me parle!
    Mais toujours dans la peur après 8 mois de séparation, de l'officialiser par un divorce.
    Parce que le conflit de loyauté abime les enfants qui voient leur père pleurer.
    Et à ce propos, si il n'y a pas de plainte pour violence, l'avocat qui s'occupe du divorce peut il expliquer la situation aux enfants?
  11. Chrys
    "Igor"... Ce prénom me rappelle un fait divers tragique où le prénom Souleymane avait été remplacé par "Vladimir". Laurence, Stéphanie, Nathalie, Igor, cherchez l'intru. Un peu gros, vous ne trouvez pas? Je sais bien que les prénoms sont changés, mais pourquoi en avoir choisi un qui détonne autant?
    1. L'intrus ? Euh... Laurence ?
      Igor et Nathalie sont des prénoms typiquement russes.Stéphanie est porté en Russie aussi. Je ne vois pas ce qui vous gêne dans ces prénoms. Ou alors, je le vois trop bien...
      Et le Maître des lieux n'a jamais hésité à mettre en scène Ahmed ou Kader.
  12. Tangerine
    Maitre, j'essaie de vous envoyer un message, mais il semble etre perpetuellement pris pour du spam. Pourtant il me semble que je fais bien tout comme il faut. Que faire?
    1. Maître Mô
      Désolé Tangerine, les filtres de ce merveilleux blog se trompent parfois - mais comme vous le voyez ils ne détruisent pas les commentaires concernés, mais les mettent de côté en attendant que je puisse aller les vérifier...

      En tout cas vous êtes "despamée" : si ça recommence patientez, je vous publierai de nouveau "à la main" dès que possible ! :?

Fin des commentaires


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