[ Ce récit -parfois dur, attention, il raconte le procès d’un crime- a été écrit par T0rv4ld (pour les amateurs du gadget pompeusement intitulé “réseau social” qu’est Twitter, je blague, c’est génial quand-même, présentation rapide), illustre “inconnu” pas du tout juriste, qui a eu l’intelligente curiosité de pousser les portes d’une salle d’Assises, et la généreuse idée de me proposer de publier le résultat, issu des notes qu’il a prise pendant un procès de deux jours. Je l’en remercie vivement, pour trois motifs au bas Mô :
1/ Pour des tas d’impérieuses raisons, malgré des nuits très courtes, je ne parviens pas à terminer mes textes en ce moment, j’en avais par exemple un rigolo pour la deux-centième note de ce blog, il attendra un peu encore (et Histoire Noire aussi, je sais…) avec ma cinquantaine de brouillons…
2/ Il s’agira donc de la deux-centième note de ce blog, et, comme il doit énormément à ceux qui le lisent, ça ne tombe pas plus mal qu’elle soit d’un lecteur, finalement – et aussi qu’on m’offre ce cadeau alors que c’est l’anniversaire du blog, quatre ans ces jours-ci !
3/ Ce texte est particulièrement intéressant, je trouve, en ce qu’il édifie sur ce qu’est la justice criminelle réelle, lorsqu’on prend le temps de la regarder fonctionner (Allez-y !), même avec des yeux de béotien judiciaire : c’est de la plus belle juridiction de France dont il s’agit – même si, désormais, elle fonctionne sottement avec six jurés au lieu de neuf, s’étant trouvée amputée d’autant de têtes pensantes…
Si vous n’êtes pas un professionnel judiciaire, il vous donnera je crois envie d’aller voir par vous même ; et, si vous l’êtes, il vous permettra de vous rendre compte de ce qui peut marquer, ou pas, un “spectateur” – et Dieu sait, n’est-ce pas confrères, que ça peut être important… Et, dans tous les cas, il rappellera à tous que les Assises sont en très large partie ce qu’est leur Président…
Encore merci à l’auteur, au côté duquel je vous laisse maintenant prendre place dans la salle…
Ce texte est en deux parties, la seconde paraîtra dans quelques jours, une semaine environ (C’est pas moi, c’est lui !). Les petites notes classiques sont de l’auteur, les miennes, pas pu m’empêcher, mais avec son accord, sont en bleu. ]
[ Note de T0rv4ld : par respect pour la victime, l’accusé et leurs entourages, ce récit sera anonymisé. Sachez toutefois que l’audience était publique, et donc accessible à toute personne le désirant. ]
Deux semaines avant le procès.
Ouvrant un peu par hasard le journal au petit déj’, j’apprends dans un discret encadré que le procès d’une affaire qui avait fait grand bruit deux ans auparavant va se tenir à la cour d’assises de ma région. Le pitch ? Un homme est accusé d’avoir aspergé sa femme d’essence avant de lui mettre le feu. De quoi couper l’appétit… Je jette toutefois par curiosité un coup d’œil aux dates en question, et par chance, je suis libre durant les deux jours qu’est programmée l’audience. Depuis le temps que je suis les récits poignants de Maitre Mô et les croisades contre les procédures de Maitre Eolas1 , il est temps de pousser la porte d’un tribunal et d’avoir un aperçu de l’envers du décor.
Première demi-journée.
Il est 9h30, je suis installé au deuxième rang, juste derrière les proches de la victime.
Un homme en robe2 entre, nous regarde puis beugle :
“LA COUR !”
Voilà que le public se lève comme un seul homme ! Je m’empresse de les suivre, en faisant au passage tomber la moitié de mes affaires, et finit par relever la tête pour voir entrer la fameuse cour. Un homme en robe rouge et noire, qui s’avèrera être le président, entre en premier, suivi par deux femmes en robe. Le président s’installe au centre de la tribune, entouré par ces deux femmes, dont j’ignore pour l’instant le rôle. Une troisième femme entre ensuite et prend place à l’extrême gauche, elle aussi en robe. Enfin, un homme un peu plus âgé prend place à l’extrême-droite ; à sa tête, et à sa paire de petites lunettes rondes, je jugerai qu’il est greffier ! Chose confirmée dans la minute par le président. En revanche, premier regret : on ne sait pas qui sont, ou plutôt, ce que sont toutes ces personnes : des avocats ? des juges ? des magistrats ?
Maintenant que la cour est en place, il faut constituer le jury. Le président annonce que le tirage au sort des jurés, au nombre de six depuis le 1er janvier 2012, va avoir lieu. En réalité, ce seront sept jurés qui seront choisis (6 + 1) sur une trentaine présélectionnés, car le procès durant deux jours, le président souhaite se laisser une marge de manœuvre au cas où l’un d’entre eux ferait défaut le deuxième jour. Malin. L’avocat de la défense a le droit d’en récuser quatre, et l’accusation, représentée par le ministère public3, trois. Le président en profite pour rappeler que les jurés ne doivent, bien entendu, ne pas être des parties intéressés ou des proches de la victime et de l’accusé. Il leur expose leurs droits et leurs devoirs, consistant essentiellement au secret entourant les délibérations et au devoir d’impartialité. Je ne résiste évidemment pas au plaisir de vous retranscrire le discours du président, que voici (oui oui, c’est une seule et même phrase, longue comme les aiment les passionnés de droit) :
“Vous jurez et promettez d’examiner avec l’attention la plus scrupuleuse les charges qui seront portées contre X, de ne trahir ni les intérêts de l’accusé, ni ceux de la société qui l’accuse, ni ceux de la victime ; de ne communiquer avec personne jusqu’après votre déclaration ; de n’écouter ni la haine ou la méchanceté, ni la crainte ou l’affection ; de vous rappeler que l’accusé est présumé innocent et que le doute doit lui profiter ; de vous décider d’après les charges et les moyens de défense, suivant votre conscience et votre intime conviction, avec l’impartialité et la fermeté qui conviennent à un homme probe et libre, et de conserver le secret des délibérations, même après la cessation de vos fonctions“.4
En guise de bonne foi, et chacun leur tour, ils devront se présenter face à la cour et dire “Je le jure !“, main en l’air. Une anecdote plutôt cocasse s’est produite lors de ce cérémonial : un juré a juré de la main gauche, provoquant des murmures indignés dans le public. Or il s’avère que cela est bien autorisé, tout simplement parce que tout le monde n’est pas droitier. Inattaquable logique5 . Tous finiront par prendre place sur la tribune autour du trio central, face au public.
Le président demande alors à l’huissier, “l’homme-qui-annonce-la-cour”, de citer les témoins qui seront appelés à la barre durant les deux jours à venir. Ceux qui sont présents sont invités à quitter la salle immédiatement, et devront revenir à l’heure de leur convocation. Ceci dans le but de ne pas être influencé par les propos des autres témoignages.6
Le président de la cour lit les chefs d’accusation et fait un résumé des faits et des premières conclusions des experts. Il mentionne la peine que risque l’accusé (en l’occurrence, la réclusion criminelle à perpétuité). Il indique également les précédentes condamnations qu’a subies l’accusé, pour menaces et intimidations. Enfin, le président rappelle que l’accusé est présumé innocent.
L’audience est interrompue pour quinze minutes.
A la reprise de séance, et après le désormais fameux “LA COUR !“, la victime prend place sur son banc, du côté gauche, entourée de quelques proches (frères, sœurs et parents) et l’accusé s’installe lui sur une chaise située dans un box vitré, du côté droit. Celui-ci entrant les mains dans le dos, le président demande immédiatement aux deux policiers l’entourant si les menottes lui ont bien été retirées (ce qui est bien le cas) ; on comparait en effet libre dans une salle d’audience, jusqu’à ce que la justice en décide autrement.
Le président prend alors la parole et va entamer une discussion avec l’accusé afin de comprendre son histoire et de mieux le connaître. Il lui demandera d’évoquer :
– son enfance, partagée entre l’école, qu’il a fréquenté jusqu’à 14 ans et qu’il n’aimait pas, et le travail aux champs, qu’il pratiquait tous les soirs et weekends ;
– sa famille, nombreuse, modeste et campagnarde, constituée de sept frères et sœurs avec lesquels il n’a que peu d’attaches (aucun ne lui a rendu visite en prison depuis deux ans et demi, c’est dire…) ;
– son caractère débrouillard, toujours prêt à rendre service, mais qui pouvait brusquement devenir mauvais et agressif suite à l’absorption d’alcool ;
– son parcours professionnel chez plusieurs viticulteurs après l’obtention de son CAP7, avec qui il a parfois eu des problèmes relationnels (menaces verbales et avec des outils…) ;
– ses loisirs, enfin, se résumant à la chasse, la pêche et la pétanque.
Le président relève également que l’accusé a déjà effectué deux cures de désintoxication relatives à l’alcool.8
Les parties en présence n’ayant pas de questions, l’audition des témoins va pouvoir commencer ; il y en aura huit au total (cinq pour parler de la période précédant les faits, trois pour ce qui a suivi…), sans compter les experts psychologue et psychiatre. Il faut également savoir que seule une petite partie des personnes interrogées sur les procès-verbaux qui composent le dossier écrit sera amené à témoigner à la barre ; des dizaines d’individus, depuis la maitresse d’école aux collègues de CAP en passant par le tenancier du bar du coin ont en effet été questionnées pour les besoins de l’enquête, mais seules sont citées celles jugées les plus importantes ; pour les autres, on lira simplement leurs dépositions.
Le premier témoin est son ex-compagne. Après avoir juré de “dire toute la vérité, rien que la vérité“, elle est libre de dire ce qu’elle souhaite.9 Elle va aborder les thèmes de la violence conjugale et des menaces de mort qu’elle recevait régulièrement de la part de son ancien concubin. On apprend également qu’ils ont eu une fille, que l’accusé n’a jamais reconnue10 , et qu’elle continuait à le voir malgré leur séparation – “Il me faisait des bisous parfois que je ne repoussais pas“. Toutefois, certains de ses dires vont s’avérer bancals, pour la simple et bonne raison, comme le fera remarquer le président via une formule pour le moins ironique (“Avez-vous un défaut de mémoire ou avez-vous peur ?”11 ), que ceux-ci diffèrent de façon importante des propos tenus aux enquêteurs après les faits… Le président note que l’ancienne compagne a un intérêt financier dans l’affaire, dans la mesure où la maison où vivaient l’accusé et la victime lui appartient toujours pour moitié, et que l’accusé lui verse une pension mensuelle. L’avocat général demande la parole et pose quelques questions complémentaires au témoin afin de tenter de clarifier ses propos.
Le deuxième témoin est un voisin. Il indique que l’accusé a parfois été violent à son égard, et qu’il a souvent servi d’hôte à son ex-femme et sa fille, lorsque l’accusé leur faisait peur sous l’emprise d’alcool. Il indique avoir également eu peur pour sa propre fille, qu’il ne laissait pas s’approcher de l’accusé…
La dernière personne à intervenir durant cette matinée est un psychiatre. Il reprend rapidement la biographie de l’accusé et dévoile les résultats des tests qu’il lui a fait passer : le sujet a des capacités intellectuelles très limitées12 . Le feu, dont il est question comme mode opératoire comme on le verra plus loin, est décrit comme un instrument “classique” chez les sujets (f)rustres en milieu rural, notamment comme symbole de destruction. L’accusé a l’alcool désinhibiteur, ainsi qu’une légère paranoïa. En revanche, pas de pathologie mentale révélée ; détail important s’il en est, puisque dans le cas contraire, cela aurait pu le rendre non-responsable de ses actes aux yeux de la justice et donc avoir un impact important sur le jugement à venir. Enfin, le psychiatre souligne un potentiel lien avec le fait que le père de l’accusé a perdu l’usage d’un poumon, dans le passé, alors qu’il intervenait en tant que pompier volontaire lors d’un incendie.
Le président revient sur l’alcool, et demande si une nouvelle cure serait envisageable : la réponse est oui, mais uniquement si celle-ci est volontaire, afin que le sevrage soit maintenu et non pas forcé et donc inefficace à long terme. Or l’accusé n’est pas volontaire.
Les débats sont suspendus, la séance est levée (il est déjà treize heures passées). Reprise prévue pour quinze heures.
Deuxième demi-journée.
La reprise, en milieu d’après-midi, voit l’arrivée du troisième témoin, jovial et frais comme un rugbyman après la troisième mi-temps. A tel point qu’il se fera réprimander par le président pour avoir confondu la barre et le bar auquel il semble si habitué à s’accouder. C’est un bon ami et un voisin de l’accusé. Il souligne la jalousie de l’accusé à son endroit, et aborde l’épisode des boudins, qui reviendra souvent, sorte de running gag décalé, jusqu’à la fin du procès. Pour résumer : la veille du drame, l’accusé avait demandé à ce voisin de venir vers seize heures pour faire des boudins13 ensemble. Ce voisin étant artisan à son compte, il n’avait pu se libérer à temps et est arrivé en retard (en ayant toutefois appelé pour prévenir), provoquant la colère de l’accusé qui avait trouvé là prétexte à boire au-delà de toute raison, jusqu’à fracasser au passage un lampadaire avec sa voiture ! Bref, lorsque ce voisin arrive, l’accusé gît au sol dans la cuisine, ivre mort. La victime et le voisin décident quand même de faire les boudins ensemble, avec l’aide d’un autre ami (le témoin numéro quatre, à venir). La fabrication prenant du temps, il est tard lorsque l’accusé émerge, et il se met à insulter ses voisins, les accusant de “tringler” sa femme. Et, contrairement au témoignage de l’ex-femme, ce témoin sait parfaitement ce qu’il dit et n’a pas d’hésitations ou d’imprécisions. Il ajoute également qu’il est arrivé une fois que l’accusé le menace avec un fusil de chasse, avant de finalement tirer dans le plafond !
Le témoins numéro quatre, donc, comptable de son état et ami du couple, confirme les dires du précédent témoin point par point (alors même qu’il n’a pas assisté au précédent témoignage, je le rappelle). Il indique être parti sous les menaces de l’accusé après l’épisode des boudins.
A partir de maintenant, et jusqu’à la fin de la journée, les personnes qui vont témoigner sont intervenues après les faits reprochés à l’accusé.
Le premier à se présenter est un pompier, arrivé sur les lieux suite à un appel téléphonique de la victime elle-même, autour de dix-huit heures trente.
Il la découvre presque nue, avec pour seuls vêtements une serviette autour de la taille. Il note de suite qu’elle est brûlée de façon très conséquente. L’état de la victime, d’après ses dires, s’est détérioré très rapidement une fois allongée, et elle est transportée de toute urgence au service des grands brulés de l’hôpital le plus proche. Le président en profite pour poser une question, légitime : pourquoi l’hélicoptère n’a-t-il pas fait le déplacement ? Le pompier répond qu’étant donné la distance et le temps nécessaire aux phases d’atterrissage et de décollage, cela serait revenu au même. Le pompier indique également avoir aperçu un homme au fond de la cour, tapi dans l’ombre, l’air menaçant.14 Il décide donc de prendre en charge la victime et de partir au plus vite, afin de ne pas exposer ses hommes à un quelconque danger.
Le deuxième témoignage de ce type provient d’un civil, qui a retrouvé l’accusé endormi dans sa voiture, après les faits. Il est le fermier qui possède le champ dans lequel l’accusé a été retrouvé après une battue par les gendarmes. Son témoignage n’apportera pas beaucoup d’informations nouvelles.
La troisième personne qui intervient est un médecin légiste, qui a examiné la victime une fois transportée à l’hôpital. Ses conclusions sont saisissantes : 69% de la surface du corps est brulée, dont 33% au troisième degré (c’est le maximum) et 36% au second degré (parties supérieures et inférieures). En gros, seules la tête et les épaules de la victime ont été épargnées. Les soins qui ont suivi le drame ont été très importants, et ils se poursuivent aujourd’hui, plus de deux ans après les faits – certaines plaies ne sont par exemple toujours pas refermées… De nombreuses greffes de peau, à partir d’extraits du cuir chevelu, ont été effectuées. Lors de sa rééducation, la victime s’est fracturé le fémur, provoquant d’importants troubles de la déambulation. Enfin, la liste des complications mentionnées par le médecin est tout bonnement ahurissante : exposition au soleil très limitée, nombreuses allergies, mauvaises sensations chaud/froid, impossibilité de pratiquer la majorité des sports, difficultés à marcher, risques d’infections très importants notamment en cas de nouvelle hospitalisation…
C’est dans un moment comme celui-là que les membres du public se regardent et se disent que les petits soucis du quotidien sont bien dérisoires, en comparaison de ce qu’a pu subir et subit encore cette femme, au jour le jour…
Pour finir, des photographies sont distribuées au jury et à la cour, dont on verra les membres blêmir en les regardant – certains jurés, malgré leur obligation théorique de ne rien laisser transparaitre, donnaient l’impression qu’ils allaient vomir…15 .
La séance est suspendue pour quinze minutes – le temps pour la Cour de se remettre de ses émotions…
Dernière partie de cette journée (il est déjà dix-huit heures), avec un des experts les plus attendus : l’expert incendie. Attendu car, avec une rigueur scientifique exemplaire, il va réfuter absolument toutes les versions de l’accusé, qui ont pu être :
– que des espadrilles imbibées d’essence et la chute d’un mégot auraient provoqué un départ de feu ;
– qu’une flaque d’essence, présente pour nettoyer une tache au sol (…), suivie de la chute d’un morceau de papier à cigarette, auraient provoqué l’embrasement de la victime.
Or, l’examen des vêtements de la victime (sous scellés), des résidus brûlés et imbrûlés, et l’étude de la reconstitution effectuée sur place, prouvent pour lui, “sans que le doute ne soit permis“, que l’épandage d’essence a eu lieu dans le dos de la victime et vers le bas, entraînant la formation d’une flaque au sol, et la mise à feu a eu lieu suite au dépôt d’une feuille de papier A4 enflammée…
Même l’argument soulevé par l’avocat de l’accusé, à savoir l’existence de brulures légères sur le dos des mains de ce dernier lorsqu’il a été retrouvé dans le champ, s’explique par le “flash” provoqué lors de l’embrasement – et non pas par l’aide qu’aurait d’après lui prodiguée l’accusé à sa femme (dans ce cas, l’intérieur des mains aurait été brûlé, pas l’extérieur).
D’après ses observations, l’expert estime à environ deux litres la quantité totale d’essence déversée. Madame l’avocat général en profite pour intervenir, et statuer sur les différentes versions tenues par l’accusé, en soulignant leur nullité face à l’expertise.
L’avant-dernier intervenant est l’OPJ, l’Officier de Police Judiciaire. Il sera bref mais souligne que l’accusé est incohérent dans ses propos, très difficile à comprendre (effectivement, chaque fois que le président l’a interrogé, il parle très vite, sans articuler et en avalant les mots, rendant tout échange compliqué). Il indique que les versions fournies par l’accusé ont varié tout au long de la procédure, ruinant la crédibilité de ses dépositions.
Enfin, pour clore cette (longue) première journée, un enquêteur de la gendarmerie fait son entrée. Il reprend les faits intervenus la veille du drame, ainsi que les conditions de l’interpellation, à savoir via une chasse à l’homme dans un champ de maïs en pleine nuit (!). Il mentionne le terme de “préméditation” (non abordé jusque-là), en se basant sur les témoignages faisant état de menaces de mort sur sa compagne.
Il demande alors au président s’il peut apporter une pièce nouvelle au dossier : l’enregistrement de l’appel de la victime aux services d’urgence. Le président accepte, et avec l’accord de la victime, décide de la diffuser dans le tribunal.16 . Je ne vous mentirai pas, c’était horrible. Essayez d’imaginer le témoignage d’une personne carbonisée de la tête au pied, qui doit lutter pour aller jusqu’à son téléphone, composer le numéro des pompiers, attendre qu’un interlocuteur décroche et ensuite lui indiquer calmement et de façon compréhensible ses nom, prénom et adresse, alors qu’elle souffre le martyr, et je pense que vous aurez un commencement d’idée de ce que la victime a eu à endurer ce soir-là. Surtout qu’elle a dû répéter le tout deux fois, à un pompier puis un médecin, qu’on devine effarés -“Comment ça, vous êtes brûlée partout ??“…
Dans la salle, rares sont ceux qui n’ont pas craqué ce soir-là, la victime et sa famille les premiers…
Il est temps pour moi de dresser un premier bilan de cette journée : des émotions, de la cruauté et de l’incompréhension pour ce qui est de l’affaire jugée. On en vient à se demander soi-même comment l’être humain peut en arriver à de telles extrémités…
Côté justice, le côté “cérémonial” peut surprendre, au premier abord, et tourne même parfois au cocasse, comme par exemple avec cette réflexion du président à l’un des témoins, qui ne l’avait pas salué comme l’exige l’usage, par la formule “Monsieur le Président”, en lui disant : “Ce n’est pas une question d’égo du président, c’est une question de principe et de tradition. Nous sommes entre adultes, au sein d’un tribunal, plus entre copains au collège“. Un président qui d’ailleurs s’avère être un excellent orateur, aisément compréhensible et capable de poser les bonnes questions lorsqu’il le faut. Je ne sais en revanche toujours pas quelle est la fonction des deux femmes l’entourant, qui ne prennent jamais la parole : sont-elles des assistantes ? Des juges ? Prendront-elles part aux délibérations ? Et je me demande également quel est exactement le rôle de l’avocat général ?
Je rentre chez moi avec ces questions, et beaucoup d’autres. J’aurai peut-être les réponses demain, en revenant assister au second et dernier jour d’audience…
[A suivre]
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- Qui ? [↩]
- Robe = Robe noir et col blanc [↩]
- A cet instant, je me demande, comme vous, qui peut bien être ce “ministère public”… [↩]
- L’un des deux plus beaux textes du code de procédure pénale, selon moi, article 304. L’autre sera lu aux mêmes jurés juste avant qu’ils se retirent pour délibérer. [↩]
- J’avoue que je n’avais jamais prêté attention à ce détail, mais effectivement l’article 304 ci-dessus ne parle que de “lever la main”, sans préciser laquelle ! [↩]
- En principe ils doivent tous aller dans la “chambre des témoins“, dans ce but effectivement. Concrètement, ce sera le cas pour ceux qui doivent être entendus dans la demi-journée ; les autres sont invités à quitter la salle et reviennent à l’heure que le Président, qui a fixé son calendrier d’audience, leur donne, pour ne pas leur imposer de rester des heures dans une salle exiguë, où bien souvent ils sont assis face à d’autres témoins qu’ils n’ont pas envie de voir… Il est, également, interdit aux témoins de parler de l’affaire entre eux – en principe itou… [↩]
- Voilà qui n’a pas dû l’aider à décrocher de la bouteille… [↩]
- Un procès d’assises comporte deux grandes phases, l’examen de la personnalité de l’accusé et celui des faits. Le Président commence souvent, comme ici, par la personnalité, mais c’est parfois, plus rarement, l’inverse – ce qu’en général préfère la Défense : l’étude de la personnalité est un moment beaucoup moins rude pour l’accusé que celle des faits, évidemment, et il vaut souvent mieux que le procès se termine par là, en termes de dernières impressions laissées à la Cour et aux Jurés juste avant le délibéré. [↩]
- Un témoin doit d’abord effectuer une déposition “spontanée”, et ne peut être interrogé tout de suite, ce qui en surprend plus d’un, qui s’attend à être questionné ; en général le Président vérifie son identité, lui fait prêter serment puis lui dit seulement “La Cour vous écoute“, étant rappelé que souvent il a été interrogé par des policiers plus de deux ans plus tôt… C’est seulement après cette première déposition que chacun peut l’interroger. [↩]
- Laquelle était dans la salle durant tout le procès : malaise… [↩]
- Essayez donc de répondre à la question, vous verrez à quel point elle est délicate ! [↩]
- Il confond le triangle et le rectangle, ne connaît pas 3 pays limitrophes de la France… [↩]
- Pour ceux qui l’ignorent, voici le procédé. [↩]
- Pour la petite histoire, l’avocat de la défense a demandé au pompier ce qu’il voulait dire par “menaçant“, puisque à priori il fait sombre (il est environ dix-neuf heures) et que l’homme est à vingt-cinq à trente mètres de lui. Ce à quoi le pompier lui répondra, blessé dans son orgueil : “A peu près la même tête que vous maintenant” ! [Confrère, si vous lisez ce récit, mes pensées vous accompagnent…] Le président est intervenu de suite pour demander le respect qui est dû aux avocats et à la cour en général. [↩]
- Cette pratique est parfois contestable, et souvent contestée ; ici, peut-être était-ce nécessaire, puisqu’il s’agit bien de mesurer l’étendue -terrible- d’un préjudice directement causé par l’auteur des faits ; mais il y a d’autres cas où l’exhibition des photographies de la découverte du corps, voire de l’autopsie, est gratuite, et exerce une influence qu’elle ne devrait pas avoir : toute autopsie est violente, évidemment, et je me souviens du procès d’un fils ayant frappé sa vieille mère d’un unique coup de poing au visage, parti sans savoir qu’il l’avait tuée, dont la Présidente avait imposé le visionnage des photographies de la découverte du corps putréfié et à moitié dévoré par les chats de la défunte, dix jours après : ce n’était pas très juste… [↩]
- Ça, c’est plutôt exceptionnel. Il est très étonnant que cette pièce n’ait pas déjà été versée au dossier, bien avant l’audience, et, même si c’est légal, toute nouvelle pièce pouvant parfaitement n’être produite qu’à l’audience, c’est un piège absolu pour la Défense, qui n’a pas pu s’y préparer, l’avocat pouvant d’autant moins s’opposer à sa production qu’il aura forcément l’air alors de vouloir cacher la chose aux jurés… Or, à ce stade, l’accusé semble nier, prétendant un accident : même s’il disait vrai, cet enregistrement serait le même, et une évidente catastrophe en termes d’impressions sur les jurés, dans tous les cas… [↩]
Bonne continuation pour votre site !
" En revanche, pas de pathologie mentale révélée ; détail important s’il en est, puisque dans le cas contraire, cela aurait pu le rendre non-responsable de ses actes aux yeux de la justice et donc avoir un impact important sur le jugement à venir."
C'est pas l'expert qui dit ça...
Le côté d'observateur non connaisseur et avide de comprendre (raté pour le coup) est lassant surtout que ce n'est pas très bien écrit.
Je vais aller lire la 2ème partie en espérant qu'elle accroche un peu mieux.
Sachez tout de même, Maître, que je préfère ne pas trouver de fraiches publications plutôt que des palliatifs faciles qui consistent principalement en une perte de temps. Mais ce n'est que mon avis.
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