“PUTAIN MAIS C’EST PAS VRAI, PAS ENCORE UNE FOIS !”
Je vois ma (nouvelle) greffière sursauter et je comprends qu’elle croit que je lui reproche quelque chose, puisqu’elle vient de me déposer la pile de nouvelles requêtes en assistance éducative qui m’attendait à mon retour de vacances.
Elle se détend rapidement en me voyant me ruer dans le bureau de Marina, ma binôme juge des enfants, la collègue qui par définition connaît autant mes dossiers que moi les siens – c’est-à-dire suffisamment pour se remplacer l’une l’autre sans trop de difficultés et se consulter efficacement en cas de besoin.
“Non mais sérieux, Julien, il est con ou il est con ?
– Qu’est-ce qu’il t’arrive ?
– Il me fait ENCORE une saisine pour Cyril ! Tous les ans, quoi qu’on fasse !
– Oh merde. Ça veut dire que je peux m’attendre à en avoir une nouvelle pour Jérôme et Mathieu, tu crois ?”
Elle sait bien qui est “mon Cyril”, et je sais bien qui sont “ses” Jérôme et Mathieu, qui souffrent des mêmes difficultés. Et on espérait toutes les deux que Julien, notre parquetier mineurs titulaire, avait fini par l’intégrer aussi. Ce n’est pas faute de lui en avoir parlé.
La première fois que j’ai rencontré Cyril (puisque malheureusement, il y en a eu un certain nombre d’autres), il avait trois ans. J’avais reçu une requête en AE1 plus ou moins apocalyptique du Parquet, qui m’évoquait un enfant autiste, une mère, disons, compliquée et un père absent.
A l’époque, je ne savais pas grand-chose de l’autisme. Je n’étais pas médecin, encore moins psychiatre. J’avais juste la notion qu’il s’agissait d’un trouble plus ou moins envahissant du développement de l’enfant, avec divers degrés de gravité, qui compromettait la communication et les interactions avec l’extérieur et avec les tiers. Je supposais aussi qu’en souffrir exposait davantage à de multiples visites des services socio-médico-éducatifs qu’à voir débarquer Tom Cruise pour aller faire un tour au casino et compter les cartes du blackjack.
J’avais donc convoqué Cyril et ses parents, Mme VanV (nom flamand à rallonge globalement imprononçable, que nous avons réduit à “VanVé” pour aller plus vite) et M. Reynaud, manifestement séparés puisque résidant à deux adresses différentes2.
Au jour de l’audience, je m’étais aperçue avant même d’entrer dans la salle d’attente que le niveau sonore qui y régnait était inhabituellement élevé, même à l’échelle d’un Tribunal pour enfants où plusieurs cabinets fonctionnent chaque jour simultanément. J’ai appelé le dossier de Cyril et vu fondre sur moi Mme VanVé, immense Walkyrie ébouriffée dépassant largement et le mètre 80, et le quintal, fendant le groupe des justiciables en attente comme une étrave de paquebot et traînant à sa remorque un tout petit garçon littéralement enfoui sous son manteau.
J’ai tendu la main à Mme VanVé, qui l’a broyée et secouée avec énergie en me hurlant un “BONJOUR MADAME LE JUGE !” qui m’a instantanément fait penser au centurion du “Combat des chefs” qui engage Aplusbégalix pour vaincre Abraracourcix3 . En bien plus impressionnant. Je n’ai pas tendu la main à Cyril, contrairement à mon habitude, parce qu’il ne fallait pas être grand clerc pour réaliser que cet enfant était en proie à un stress prononcé et qu’un contact direct avec une inconnue n’arrangerait certainement pas les choses.
Mme VanVé était extrêmement mécontente de cette convocation, qu’elle ne comprenait pas, et a immédiatement tenu à me faire savoir, toujours au même volume, qu’elle ne voyait pas ce qu’on lui voulait et pourquoi on lui collait un juge des enfants sur le dos et c’était encore un coup de cette salope de Mme Courcel qui lui en voulait et qu’elle avait bien l’intention d’aller la voir AUJOURD’HUI MÊME et de lui en coller une qui lui ferait passer l’envie de l’emmerder surtout que ça l’occuperait bien de compter ses dents à la place et
“…Mme Courcel ?
– Ouais, l’assistante sociale du secteur, me faites pas croire que vous la connaissez pas, elle passe son temps à me faire chier ! Elle vous a raconté des conneries, Cyril il va au CMP4 toutes les semaines, j’ai jamais rien refusé, moi je voudrais qu’ils le prennent encore plus mais y a pas de place, et après ils viennent vous dire que je m’oppose et ils font vraiment de la merde, connasses d’assistantes sociales, sans compter celle de la PMI, je veux plus les voir ceux-là, et d’abord Cyril il voit MON médecin et c’est beaucoup mieux, et…”
Normalement, je recadre les parents qui débordent trop en leur expliquant que mon bureau n’est pas une foire à la saucisse et qu’on va se causer tranquillement et poliment. Mais là, j’avoue que j’étais hypnotisée par Cyril. Cyril qui courait à travers mon bureau, se cognait aux murs, grimpait sur une chaise, en sautait, tombait à terre, lançait ses chaussures, enlevait son pantalon et son t-shirt, se les faisait remettre de force par sa mère, remontait sur une chaise, ouvrait un placard et s’envoyait la porte dans la figure, courait encore, se remettait à moitié à poil, tentait de sortir, le tout rythmé par de petits couinements bizarres et les hurlements de stentore de sa mère (“CY-RIL-EUH !”) toutes les huit secondes environ. Une tornade de moins d’un mètre.
En même temps que je contemplais Cyril en me demandant distraitement si un pandémonium pouvait se concevoir avec un seul démon ou si on devait plutôt dire “monodémonium”, j’essayais de reprendre pied dans cette audience sous les yeux de mon greffier, bouche bée et mains dansant frénétiquement sur le clavier pour tenter de transformer en notes d’audience la litanie de récriminations braillée par Mme VanVé. J’ai tenté d’appliquer la méthode miracle des JE calmes (parler de plus en plus doucement pour forcer l’autre à baisser de plusieurs tons et écouter), en pure perte puisque Mme VanVé n’avait aucune intention d’écouter qui que ce soit. J’ai fini par crier aussi fort qu’elle, en me disant qu’il fallait bien que j’arrive à lui faire entendre, à un moment donné, que le Parquet me demandait de placer son enfant parce qu’elle le faisait vivre dans un appartement crasseux et insalubre où les voisins les entendaient tous deux hurler jour et nuit, sans le faire suivre par les organismes appropriés à son état psychique.
Bien évidemment, l’annonce en question a été accueillie par les cris redoublés de Mme VanVé : “ME PRENDRE MON ENFANT ALORS QUE C’EST TOUTE MA VIE ?! JAMAIS, PLUTÔT CREVER, JE TUERAI VOS ASSISTANTES SOCIALES DE MERDE AVANT DE LE LAISSER PARTIR, Z’AVEZ QU’A BIEN LES PRÉVENIR !”
Je lui ai expliqué sur le même ton que c’était à moi de décider et plus à elle, et que si c’était tout ce qu’elle avait d’intéressant à me dire, elle pouvait partir. Mme VanVé a bondi de sa chaise, l’envoyant valdinguer au fond de la pièce5 , a attrapé Cyril au passage, non sans douceur ai-je remarqué, et a majestueusement et bruyamment pris la porte en la claquant évidemment au passage et en marmonnant (autant que faire se pouvait) un “salope !” bien senti.
Le temps qu’on échange trois mots (à volume enfin normal), mon greffier et moi, Mme VanVé est revenue s’encadrer sur mon pas de porte, Cyril toujours agrippé à ses jupes.
“Vous allez me le placer, c’est ça ?
– Non Madame. C’est la demande du Procureur mais je ne vais pas la suivre aujourd’hui.
– (Radoucie mais méfiante) Ah ouais ? Et pourquoi ?
– Parce que j’ai l’impression que vous contestez pas mal d’éléments de danger que j’ai dans mon dossier, par exemple sur les soins de Cyril, et que je préférerais faire une enquête avec mon service éducatif à moi pour être fixée.
– VOUS ALLEZ M’ENVOYER ENCORE LES ASSISTANTES SOCIALES ?!
– Pas les mêmes, celles-là vous ne les connaissez pas.
– (Re-radoucie) Et si j’accepte votre enquête, on me foutra la paix après ?
– Pas forcément, parce que le résultat de l’enquête peut aussi être une proposition de placement. Je vous reconvoquerai avec eux pour qu’on en parle si c’est le cas, mais je serai peut-être amenée à ordonner le placement de votre fils un jour, je ne peux pas vous garantir le contraire.
– Non, non c’est pas possible, NON, VOUS POUVEZ PAS FAIRE CA, vous imaginez pas, VOUS ALLER LE TUER, mettez-vous à ma place et à la sienne ! Je suis seule à m’en occuper, personne ne m’aide décidément.”
L’audience s’est plus ou moins terminée comme ça ce jour-là. Enfin presque : plus d’une heure après le départ de Mme VanVé, M. Reynaud, père de Cyril, est venu errer dans la salle d’attente, se souvenant vaguement d’un rendez-vous avec un juge pour Cyril mais guère plus. J’ai essayé de lui résumer l’audience et ma décision, sans être sûre qu’il comprenne réellement ce que je lui racontais – il était environné d’un nuage de vapeurs d’alcool quasi-compact, mais sa façon de parler et son regard qui changeait constamment de cible me laissaient supposer l’existence de difficultés au-delà de la dépendance alcoolique.
Il y a des audiences comme ça qui donnent immédiatement envie d’aller se recoucher pour récupérer un peu. A la place, j’ai rendu une décision ordonnant une mesure judiciaire d’investigation éducative6 pour six mois, soit une enquête comportant un volet social, un volet éducatif et un volet psychologique.
Six mois plus tard, le rapport m’est parvenu, confirmant plus ou moins la réalité des éléments signalés par le Procureur mais les éclairant, au moins pour certains, d’une autre lumière. Mme VanVé et Cyril vivaient en effet dans un logement très dégradé, mais dont l’état s’expliquait essentiellement par le comportement du petit garçon qui crayonnait sur les murs, arrachait les papiers peints, lançait des objets dans les vitres, dégradait les meubles avec tout ce qui lui tombait sous la main, enfonçait de petits objets dans les évacuations d’évier et de baignoire, et par l’épuisement maternel chronique qu’on pouvait humainement comprendre. Mme VanVé précisait qu’elle ne pouvait pas laisser Cyril seul ne serait-ce que le temps de descendre la poubelle, faute de quoi l’enfant tentait d’ouvrir les fenêtres ou s’échappait de l’appartement.
Les cris existaient bien aussi, bien sûr. Ceux de Mme VanVé (“CY-RIL-EUH !”), ceux de Cyril qui n’avait pas encore acquis le langage. Les relations détestables entre Mme VanVé et la plupart des services sociaux aussi, structure de soin exceptée. Mais le service soulignait aussi la grande solitude de cette mère, qui recevait au mieux une ou deux fois par an la visite de M. Reynaud sans qu’il ne lui vienne en aide de quelque manière que ce soit, l’acceptation effective de chaque nouvelle possibilité de prise en charge thérapeutique pour l’enfant par Mme VanVé, l’attachement mutuel bien palpable entre la mère et l’enfant, et l’absence de tout acte de violence envers Cyril de la part de son imposante maman.
J’ai reconvoqué Cyril et ses parents (M. Reynaud n’est pas venu) avec le service éducatif qui avait enquêté, et pouvait exercer la mesure d’assistance éducative (AEMO) qu’il me recommandait d’ordonner, dans le but essentiellement d’accompagner Mme VanVé dans les démarches administratives nécessaires à la mise en oeuvre de toute prise en charge envisageable pour Cyril, histoire que l’irascibilité maternelle et son sentiment de persécution ne préjudicient pas à l’enfant.
Mme VanVé, bien que toujours méfiante, a quasiment réussi à me faire confiance ce jour-là (non sans que j’aie dû lui assurer à de multiples reprises que la mesure éducative n’avait pas pour but de placer son fils) et à parler à un volume normal, sans traiter quiconque de connasse. J’ai trouvé qu’on progressait.
La chance a voulu que Cyril puisse bénéficier de l’intervention de l’une des SuperEducs du service désigné, de celles qui parviennent à se faire entendre même des gens les plus hostiles et à ne jamais oublier qu’on ne devrait pas exiger des familles que nous suivons qu’elles soient cent fois plus parfaites que les autres. Mme VanVé a bien accroché avec la dame en question.
Au bout d’un an, SuperEduc m’a expliqué que Mme VanVé donnait le maximum pour son fils, même si cela pouvait paraître imparfait vu de l’extérieur (pour peu que l’extérieur puisse se targuer de sa propre perfection). Gros point noir dans la situation de Cyril : il n’était scolarisé que quelques heures par semaine et pris en charge autant que possible en hôpital de jour, aucun établissement de type Institut Médico-Educatif (IME) ne disposant de place à lui offrir. Les demandes étaient faites, les listes d’attente longues. On ne pouvait rien reprocher à Mme VanVé, qui se tenait prête à scolariser son fils dans tout établissement qu’on lui indiquerait et se chargeait de courir toute la semaine entre l’école et l’hôpital de jour pour l’accompagner où on l’attendait.
J’aimerais pouvoir dire que l’histoire s’est arrêtée là, mais vous savez déjà que non.
Un an plus tard, j’ai de nouveau été saisie de la situation de Cyril par le Parquet, qui me demandait son placement car Mme VanVé osait avoir l’exigence que son fils, à qui la société ne proposait au demeurant aucune scolarité permanente et adaptée, rentre chez elle le soir plutôt que d’être accueilli en internat lorsqu’un établissement l’accepterait. Elle se disait prête à déménager n’importe où, Lille, Marseille, Toulouse, Strasbourg, pour être à proximité de son enfant et le voir rentrer à la maison chaque soir. Le Conseil général demandait donc qu’on place Cyril d’ores et déjà. Logique, non ?
J’ai reçu une Mme VanVé passablement énervée, accompagnée d’un Cyril sensiblement plus calme, qui a même réussi à me dire bonjour en entrant dans mon bureau et à y rester relativement tranquille en jouant dans un coin avec le sac de jeux apporté par sa mère. Il arrivait à prononcer quelques mots lorsqu’il parlait à sa mère. J’ai expliqué à Mme VanVé que non, je n’allais toujours pas placer son enfant. Elle est repartie apaisée, me gratifiant même d’un sourire (et d’un quasi-plaquage au mur en passant la porte). J’ai notifié mon jugement de non-lieu au Procureur.
Une nouvelle demande de placement m’est parvenue aux alentours des 7 ans de Cyril, fondée sur les mêmes motifs. J’ai retrouvé Mme VanVé, presque résignée désormais à ces rencontres quasi-annuelles mais finalement pas mécontente de me donner des nouvelles de son fils : un peu plus de temps scolaire (avec le soutien d’un auxiliaire de vie scolaire – AVS), des prises en charge en groupe thérapeutique et en individuel, de la psychomotricité, des éducateurs spécialisés, un père désormais tout à fait absent et des conflits de voisinage qui perdurent. “Bah oui, je vous avoue que souvent, je parle fort et que ça plaît pas, vous savez.”7 . J’ai prononcé un nouveau non-lieu à assistance éducative et suis allée m’en entretenir avec mon nouveau collègue parquetier, lui expliquant que oui, Mme VanVé était pénible quand elle le voulait, oui le gamin était autiste et pas qu’un peu, mais que je ne comprenais pas qu’un tas de gens estiment que la meilleure chose à faire pour cet enfant était de l’éloigner d’une mère qui lui assurait des conditions d’éducation dont n’importe quelle famille d’accueil ou foyer peinerait à lui offrir la moitié. Il a accepté de bien noter le nom de Cyril (et celui des Jérôme et Mathieu de ma collègue Marina, qui vivaient un peu le même genre de saisines successives cycliques) en gros et en évidence dans son dossier “assistance éducative” afin de pouvoir renvoyer le Conseil départemental dans ses 22 en cas de future saisine, s’il n’y avait pas d’autres éléments de danger invoqués.
Ce qui nous amène à mes propres débordements verbaux du début de ce billet, il y a quelques semaines.
Une nouvelle demande de placement pour Cyril, qui à huit ans est à peu près scolarisé à mi-temps, toujours avec l’aide de son AVS, toujours au CMP pour l’autre moitié de son temps, mais dont la mère ferait l’objet d’une procédure d’expulsion et le ferait vivre dans des conditions matérielles innommables.
Mme VanVé se repointe donc dans mon bureau, sans Cyril qui est au CMP (“Ils avaient un genre d’évaluation avec lui aujourd’hui, j’ai pas voulu reporter, et puis de toute façon, on s’explique entre nous souvent, vous et moi”) et qui a peut-être une chance d’intégrer un IME voisin. Comme à chaque fois, l’évocation de la demande de placement la fait bondir. Elle me jure ses grands dieux que la procédure d’expulsion est en cours d’abandon, car le propriétaire avait voulu la virer pour dégradation de l’appartement et qu’elle a depuis réalisé les travaux nécessaires. Je lui montre les photos de son logement que j’ai dans le dossier : selon elle, tout est réparé.
“Vous pouvez me le prouver ? Par exemple en m’envoyant des photos de votre appartement aujourd’hui ?
– Oui. Je rentre chez moi et je vous les envoie direct.
– D’accord. Notez donc notre e-mail, j’attends les photos d’ici deux heures.”
Mme VanVé repart ventre à terre de mon bureau. Je profite des deux heures pour appeler le CMP (suivi toujours en cours, progrès constatés sans aucune période de régression) puis l’IME qui pourrait accueillir Cyril à la rentrée et me confirme qu’il fait bien partie de leur listing.
1 h 30 après la fin de l’audience, je reçois de Mme VanVé les photos de son appartement qui me prouvent qu’elle a dit vrai. Ce n’est pas Versailles, bien entendu, mais c’est correct. Elle s’est même appliquée à prendre les photos sous le même angle que celles que je lui ai montrées, dans chaque pièce, pour que je fasse bien la comparaison.
Je commence à rédiger un nouveau jugement de non-lieu, et je me réénerve finalement moi-même : parce qu’après tout, quand bien même ne m’aurait-elle pas communiqué ces photos, aurais-je pour autant placé son enfant ? Non, bien sûr que non. Comment peut-on ne pas imaginer que placer ce gamin (parce qu’il vit dans la crasse, au moins de temps à autre, parce qu’il n’est pas intégralement scolarisé, parce que sa mère est chiante et agressive, etc et rayez la mention inutile) constituerait vraisemblablement une maltraitance institutionnelle bien plus grave et lourde de conséquences que le laisser avec sa mère qui représente son unique repère affectif depuis toujours et lui offre une prise en charge attentive, certes à la mesure de ses moyens mais plus soutenue que n’importe quel lieu de placement non thérapeutique ?
Juger en assistance éducative, c’est trouver la meilleure (ou la moins pire) solution d’aide pour un enfant en se mettant tour à tour à la place de chacune des parties en cause.
Je me mets à la place des services sociaux, et je comprends qu’on s’inquiète de la situation de cet enfant autiste qui vit dans un logement en plus ou moins bon état, avec une mère célibataire souvent épuisée mais braillarde, et qui tirerait probablement bénéfice d’une prise en charge à temps complet – ce qui ne signifie pas nécessairement une obligation d’internat et de séparation mère-fils pour autant, à mes yeux.
Je me mets à la place de Mme VanVé, et je comprends qu’elle puisse en avoir marre de ces demandes annuelles de placement de Cyril, alors même qu’il n’a à aucun moment régressé auprès d’elle et que tout ce qu’elle demande, c’est que son fils aille à l’école, voie ses soignants et rentre chez elle chaque soir. Ce n’est pas démesuré, comme exigence.
Je me mets à la place de Cyril, et j’ai l’impression qu’il ne pourra que devenir fou si j’essaye de le séparer de sa mère. Surtout que la société n’a rien de mieux à lui proposer que ce que Mme VanVé lui offre.
Je ne suis toujours pas médecin, encore moins psychiatre.
Et comme c’est finalement à ma place que je suis, je rends un énième non-lieu à assistance éducative et le notifie au Parquet. Ce n’est peut-être pas la bonne décision, mais c’est la mienne.
A l’an prochain, Cyril.
- Assistance éducative [↩]
- Oui, mon sens de la déduction m’a facilité l’entrée à l’ENM, qu’est-ce que vous croyez ? [↩]
- Oui, mes lettres m’ont aussi bien aidée à réussir le concours, je crois. [↩]
- Centre médico-psychologique [↩]
- Et ceux qui me connaissent bien savent à quel point je suis sensible au sort et à l’alignement de mes chaises… [↩]
- MJIE pour les habitués. [↩]
- Oui, j’avais remarqué, tu parles d’un scoop. [↩]
J’aurai tant aimé être un délinquant pour vous demander de me défendre. J’ai découvert votre blog bien tardivement, merci à Christophe Hondelatte d’être rentré dans votre cerveau pour en retranscrire j’espère fidèlement ses méandres, son génie, ses failles aussi. Je n’ai pas étudié le droit, mais comme toute personne je crois que la justice est plus complexe que de simples textes de loi. Protéger est je crois la vocation de tout avocat et vous avez consacré votre vie à cette mission si importante. Dieu qu’il doit être dur d’être profondément humain devant certaines institutions, dieu que cela a du être frustrant parfois, mais tellement exaltant le plus souvent. Je vous salue et souhaite, où que vous soyez, que votre âme anime celle des générations à venir.
Allez, une coupette !
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Merci pour ce récit.
Nous aimerions davantage de magistrats comme vous, avec une conscience et un recul encore en état de marche.
Avocats en droit de la famille, nous sommes très nombreux à déplorer des décisions dépourvues de bon sens. On a un signalement, un rapport qui préconise une assistance éducative sans vraiment caractériser un danger au sens du code civil, une audience qui ne sert pas à grand chose puisque le magistrat débordé nous indique « Maître, vous avez la parole mais j’ai déjà pris ma décision » ou « Maître, j’ai lu vos écritures et pièces mais le rapport dit que... » puis une décision ordonnant une mesure que l’on peine à faire lever souvent en appel.
Nous sommes en train de nous rassembler pour faire une petite synthèse de tous ces abus, car ceux-ci sont malheureusement extrêmement fréquents et les bonnes décisions se font rares.
À l’initiative de ce mouvement, nous ne sommes pas des avocats « gueulards », loin de là. Je n’ai d'ailleurs jamais fait d’incidents d’audiences ou appelé notre bâtonnier. Nul question de politique ici ou de profit personnel. Simplement une prise de conscience : la protection de l’enfance en France devient bourreau.
Placer un enfant qui ne devrait pas l’être EST une maltraitance et un détournement d’argent public qu’on entend dénoncer à tous les niveaux pour simplement dans un premier temps inviter les magistrats à douter des rapports et des intervenants, dans un second temps inviter les politiques à repenser quelque peu le système.
La protection de l’enfance est utile et beaucoup de mesures sont justifiées. Il ne faut pas l’oublier. Mais trop d’erreurs/ d’injustices au sens commun du terme nuisent à tout le système.
Rappelez-vous que nous avons tous en vue l’intérêt des enfants.
Voici nos coordonnées si vous êtes intéressée par une prise de contact : nhtavocat@gmail.com
Bien à vous,
Et la monstreuse machine se met en marche.Deux ans d'insomnies,et de haine.
Attente interminable,pour finir par :enfants pas en danger!J'ai toujours la haine contre cette assistante sociale,j'aimerai raconter les entrevues avec elle;il faudrait qu'un écrivain ,ayant de l'humour écrive un livre,il raconterait les rapports les plus droles de ces dames et ça finirait sur FR3 un soir;Il faut absolument qu'elle fassent des lignes ...on se croirait en première année de certificat d'études.
enfants pas en danger
Dr à demi Mô
Bénévole au sein du CEDIF et connaisseur de la chose judiciaire j'ai rarement trouvé autant d'empathie et de bon sens amenant à des ordonnances de type jugement de Salomon.
Bravo donc, vous devriez être aussi formatrice auprès de vos collègues, ils en ont besoin.
Pour cette maman et pour son combat que vous avez au moins un peu facilité, dans la mesure de vos moyens, je me permets de vous dire "merci". Une déportée de Ravensbrück a dit "Au moment où on est en train de flancher, une main qui vous reprend. C'est comme cela qu'on survit (...) Nous pouvons être des veilleurs d'espérance." Vous l'avez été pour cette femme sans doute et plus encore pour son enfant...
De façon plus générale, le point de vue des autres intervenants judiciaires est toujours enrichissant à tout point de vue.
Merci encore pour votre billet.
Bien à vous.
J'espère sincerement et de tout mon petit coeur que vous passerez la cinquantaine, voir la centaine.
...
...
Nan mais on peut avoir l'impression que mon commentaire est ironique de prime abord, mais nan je le pense vraiment.
Oui, j'ai envie de dire Madame et pas Madame Le Juge tant votre billet vous rend humaine parmi les humains et non plus magistrat(e) , robot administratif, intouchable, impénétrable.
Cela est triste mais voici la vision que nous pouvions avoir des Juges des Enfants lorsque l'on y a eu à faire.
Quelqu'un qui vous recentre systématiquement sur les intérêts de l'enfant mais qui pour autant ne semble jamais ressentir le moindre sentiment, la moindre émotion pour ce dit enfant; comme si le côté affectif d'un enfant, d'un parent, devait rester à la porte du cabinet, en tenant compagnie à celui des magistrats qui doivent sans dévêtir afin de se protéger et de ne pas courir l'implication affective.
Quelqu'un qui ne vous laisse parler que lorsqu'il vous y autorise alors que cet argument là, celui que vous tenez sur le bout non pas de votre langue mais de votre coeur, vous en êtes sûre, ferait mouche; hé bien non, cet argument vous le garderez pour vous ou pour les assistantes sociales ou éducateurs/trices chargeaient d'évaluer la situation "réelle".
Quelqu'un pour qui vous n'avez qu'une envie c'est de lui dire " Madame/ Monsieur, je vous en supplie, venez passer un moment avec nous, venez voir notre réalité, venez voir l'amour et le bonheur qui règnent chez nous, venez voir aussi nos difficultés, voir quelle(s) aide(s) vous pourriez nous apporter, venez voir que je fais de mon mieux et toujours pour mon enfant, rarement pour moi, que j'aimerais bien moi aussi avoir une vie de femme mais que pour l'instant ce n'est pas possible, que la priorité c'est cet enfant que j'ai mis au monde et dont je serai responsable toute ma vie, même si légalement ce ne sera pas le cas, éthiquement ça le sera. Venez constater par vous même la malveillance dont font preuve certaines institutions ou du moins leurs représentants, car des SuperEDucs il n'y en a pas tant que cela, venez comprendre pourquoi oui au bout d'un moment l'agressivité a pris le pas sur le "j'encaisse tout", pourquoi je ne puis faire confiance à ces personnes que vous, vous semblez suivre les yeux fermés, pourquoi il m'ait impossible de collaborer avec tant je et mon enfant ne sommes pas entendus, tant les menaces ne permettent pas de s'impliquer mais uniquement de s'abaisser à, forcés à...
Quelqu'un à qui vous avez envie de demander à quand remonte sa formation ( formelle ou informelle) sur les enfants aux besoins éducatifs particuliers ou à qui vous avez envie de donner les dernières recherches neuro scientifiques expliquant que ces troubles sont congénitaux ou acquis suite à tel incident/accident de vie car comme vous l'avez dit humblement en début d'article, connaître tous les profils médicaux n'est pas automatique. Mais vous vous retenez car vous ne voulez pas que cela soit mal pris, que cela se retourne contre votre enfant, votre famille, vous même...
Quelqu'un à qui on a envie de hurler son indignation, sa colère de ne pas avoir le droit de choisir la voie qui nous semble la plus juste pour notre enfant; éduquer, c'est faire des choix pour les enfants et ces choix là ne sont bien souvent reconnus ou dénoncés que lorsque nos enfants deviennent à leur tour des adultes. Il est impossible d'avoir un retour immédiat sur la qualité des choix que l'on fait, en toute conscience.Du temps est nécessaire et des choix marginaux ne sont pas systématiquement des mauvais choix.
Quelqu'un pour qui on s'interroge sur le fait qu'il ou elle ait des enfants, tant le discours sur l'enfant semble théorique, catégorisant, étiquetant, stigmatisant; tous les enfants ont alors les mêmes besoins, les mêmes troubles face aux mêmes causes. L'individu enfant n'existe plus.
Quelqu'un à qui on a envie de pleurer que l'on n'en peut plus de se voir reprocher d'en connaître trop sur la question, de ne plus être seulement une maman.
Sauf que lorsque l'on est maman d'un enfant différent, on n'est plus seulement une maman....on devient secrétaire pour prendre tous les rendez vous, taxi pour les honorer, juriste pour défendre nos choix, assistante sociale pour aller toquer à toutes les portes et tenter d'avoir de l'aider et pour soutenir les autres familles dans notre cas, éducatrice spécialisée pour offrir les meilleurs outils à nos enfants car en France ils ne sont pas assez utilisés par les institutions sensés les aider, infirmière pour assurer tous les soins qui sont impossibles à effectuer en milieu hospitalier, enseignant pour que nos enfants aient aussi accès aux savoirs puisque l'école inclusive ne convient pas toujours, psychologue pour tenter de décrypter ce qui se passe dans la tête de nos enfants que nous connaissons mieux que quiconque et donc pour qui le moindre changement de mimique à une signification et que rarement d'autres personnes que nous observent, aide soignante pour changer nos enfants les nuits, les jours, leur donner à manger, etc. La liste est tellement longue....
Alors oui, nous en savons beaucoup..... avec cet amère constat que c'est bien souvent pour combler les lacunes de notre système français; oui nous passons nos rares heures de tranquillité à chercher ce qui s'écrit, ce qui se fait dans le monde,alors que ce devrait être aux professionnels de nous apporter ces infos mais apparemment elles ne parviennent pas jusqu'à eux ou alors sont noyées dans toutes celles qui leur parviennent, je ne sais pas, j'ai du mal à croire que les gens soient de mauvaise volonté...
Toute cela pour garder espoir, espoir de pouvoir apporter un mieux à la vie de nos enfants et à nos vies. Pour ne pas vivre cette situation comme une punition ou une prison mais une magnifique chance d'évoluer, d'apprendre au quotidien, d'éprouver et ressentir avec nos tripes ce que c'est que l'humanité...
Alors merci Madame de nous montrer l'autre facette de votre métier, de ce monde qui nous parait opaque et bien souvent, disons le , cruel... sous prétexte d'égalité, des décisions sont prises mais quid de l'équité?
Votre humour ( que cela fait du bien), votre recul , votre vision de l'importance des besoins affectifs d'un enfant et d'une mère et surtout votre libre expression sont salvatrices.
Je ne sais pas si vous êtes de nombreux juges des enfants à vivre cela intrinsèquement, comme vous le faites mais je l'espère sincèrement.
Je vous souhaite une belle continuation et, cela ne va pas vous arranger, que de nombreuses familles en difficulté tombent sur vous.
Très respectueusement
Julie
Je ne sais pas où vous en êtes aujourd'hui avec votre enfant mais le combat en vaut la peine. On ne le gagne jamais complètement, on camoufle le handicap sans le vaincre. On le camoufle au point de se retrouver totalement abandonné par ces institutions qui soudain considèrent qu'en fin de compte votre enfant est normal et que donc il n'a plus besoin d'aucune aide, alors que ce sont ces aides-là justement qui lui permettent de se tasser douloureusement dans le cadre étriqué de la normalité (juste suffisamment pour avoir une vie sociale supportable pour lui). Bref... Le combat n'est jamais fini. Mais tout de même, un jour, il devient un peu moins envahissant et on retrouve un tout petit peu de temps pour vivre.
Il est donc question d'ITEP, mais les ITEP sont pleins à craquer et cet enfant n'est "pas prioritaire". De CMP également, mais en trois ans, nous avons effectué quatre fois un premier rendez-vous avec quatre personnes différentes qui reprenaient le dossier du début à chaque fois. D'AEMO enfin, mais pas avec un éducateur, puisque les éducateurs ne sont pas assez nombreux - c'est donc une assistante sociale qui s'occupe du dossier.
Tout cela est difficile parce que l'enfant en question fait tout pour que personne ne lui vienne en aide et que toute aide échoue. Mais c'est également difficile parce que les structures sont pleines à craquer et ne peuvent pas l'accueillir, que les personnels ne sont jamais assez nombreux et n'ont pas assez de temps à lui consacrer, parce que, malgré des difficultés qui augmentent constamment, des actes et des propos de plus en plus violents et pessimistes de sa part, un je-m'en-foutisme qui empire, son cas ne serait pas prioritaire. Alors que cela fait 10 ans que sa mère se bat pour tenter de trouver des solutions pour qu'il devienne enfin un enfant "normal", qui ne se fait pas constamment exclure des crèches, des écoles, des collèges, des clubs sportifs, des activités intra et extra-scolaires...
Le placement a déjà été évoqué par le juge, évidemment. Comme si c'était la solution infaillible à tout problème...