[Déclaration d’amour publiée dans la Gazette du Palais du 14 juin 2016, que j’édite à nouveau ici au sortir d’un dur procès criminel…]
C’est la plus belle juridiction de France.
La plus difficile, aussi.
Et c’est là qu’on y trouve le plus la vérité.
Tout devrait toujours s’y juger comme on y juge. L’on a failli en 2010 en supprimer les jurés ; on a partiellement réussi en 2012 en en tuant trois – il semble donc que l’on juge mieux avec moins de cerveaux…
En 2009, on a même osé penser y appliquer la procédure de “plaider coupable”, cette non-justice déjà offensante pour les délits.
La justice est pauvre et on n’y affecte jamais de nouveaux moyens ; on y cherche au contraire de nouvelles économies, au mépris très souvent du seul critère essentiel : la seule bonne justice est celle qui juge bien. J’ai peur pour les assises, j’ai peur pour les jurés, je veux demander qu’elles demeurent, au-dessus de tout.
C’est là qu’un président solennel lit à six “Hommes libres“, en détachant chaque mot, les deux textes les plus beaux et les plus denses de notre Code de procédure pénale, l’article 304 pour leur faire prêter serment, puis bien plus tard l’article 353, ultime, splendide et terrible “instruction” avant qu’ils ne partent décider ensemble du reste de la vie d’un autre… Homme.
J’y ai vu un monstre ayant dévasté ses semblables en massacrant leurs enfants soudain fondre en larmes et, un instant, redevenir un homme implorant son pardon.
J’y ai vu deux jeunes filles prendre leur père dans leurs bras et remercier les jurés de l’avoir condamné mais de ne pas l’avoir trop condamné.
J’y ai vu un homme détenu depuis six années redevenir libre, définitivement, devant les hommes et femmes en larmes qui venaient de l’acquitter.
J’y ai vu un gamin de sept ans bouleverser les neufs adultes chargés de juger son violeur, en leur disant plein d’une fierté inouïe “ça y est, je crois que je n’ai plus peur“.
J’y ai vu une jurée se lever, dire “c’est trop“, et tomber rudement au sol, pendant qu’un homme presque fou essayait de dire ses crimes.
J’y ai vu un garçon s’extirper de sa folie et revenir parmi nous, j’y ai vu ses victimes accepter que ce soit vrai.
Tous les praticiens des assises y ont vu mille de ces scènes, creusées de douleurs, de larmes, d’impossible compréhension – mais d’invraisemblables soulagements aussi, de rédemption, de fierté, de pardon…
Creusées dans le cœur-même de l’humanité.
L’avocat y entendra aussi, quelquefois, ce mot incroyable, “acquitté“, sans lequel il ne saura jamais comme le cœur peut exploser en étreignant l’Homme que l’on vient de défendre.
J’y ai souffert, pleuré, dégueulé, j’y ai creusé dans les tréfonds de ce que je suis simplement pour oser m’y lever, y parvenir physiquement, j’ai vu des jurés en souffrance, des présidents et juges épuisés… J’ai vu et vois à chaque fois – j’écris ceci alors que je m’y trouve – comme il est difficile de bien rendre la justice, comme ça heurte le ventre, comme ça retourne l’âme, quelle énergie terrible nous y mettons tous.
Mais j’y ai vu, presque toujours, ce que c’est de bien juger.
Réformateurs, ne touchez, plus jamais, aux assises.
Pour en avoir vécu 2, le procès et l'appel, en une année,
Nous n'en sortons pas indemne, mais quel partage d'émotions
Je me suis énervée contre le procureur, contre les avocats, les accusés,
J'ai été bouleversé quand j'ai témoigné,
J'ai pleuré quand il est sorti libre,
J'ai admiré les victimes car elles ont écouté et lui ont donné l'espoir d'être pardonné un jour,
et je remercie pour l'éternité son avocat, mille mercis Benoit.
Oui,je ressens encore "comme il est difficile de bien rendre la justice, comme ça heurte le ventre, comme ça retourne l’âme, quelle énergie terrible nous y mettons tous."
Bravo pour ces mots et j'espère à bientôt, pour défendre encore et toujours
Espérons seulement que cet acquittement corresponde à une vérité autre que judicaire...
Faites attention à ce que vous souhaitez, maître ... "Ne touchez plus, plus jamais, aux Assises" est la porte ouverte à la sclérose, voire à la lutte des corporatismes si, d'aventure, un réformateur voulait faire des propositions visant à améliorer le système. "Ne dénaturez plus les Assises" aurait été tellement mieux, non ?
Votre texte est un magnifique plaidoyer à cette instance, à son rôle de catharsis, aussi bien pour les victimes que pour les accusés. N'ouvrez pas la porte à un immobilisme qui pourrait, au final, être pire !
PS : content de vous revoir
Merci
Je ne suis absolument pas juriste mais heureuse de vous suivre et de lire vos tranches de vie...
Merci d'être réapparu.
Et merci à Marie
Avec une profondeur abyssale habitée par une violence nécessaire vous écrivez ce qu'est la justice, la recherche du juste, et la rendre... L'expérience éthique absolue. Les Assises ce moment où tout est extrême mais où l'on se doit de ne jamais lâcher du regard l'Homme.
Merci pour le partage ( quelle écriture!)