Ainsi que vous ne l’ignorez pas, je ne suis pas une habituée des billets polémiques. D’abord parce que je suis nulle en politique. Ensuite parce que lorsqu’un sujet a déjà été cent fois disséqué et débattu par d’autres qui, eux, ne le sont pas1, j’estime généralement n’avoir vraiment pas grand-chose d’intéressant à ajouter au débat. Parce que j’éprouve en outre des scrupules à m’exprimer sur des sujets que je ne connais, en grande partie, que par le compte-rendu qui en est fait dans la presse. Enfin parce que je suis un peu en vrac en ce moment (notamment parce que j’ai huit audiences à présider en onze jours, misère …), comme ce billet vous apparaîtra sans doute lui aussi.
Mais il y a quand même des moments où malgré tous les obstacles sus-énoncés, il faut que ça sorte.
Un homme bien connu des services judiciaires de Nantes est soupçonné d’avoir commis un meurtre manifestement atroce. Le Président de la République a immédiatement fait savoir qu’il recevrait la famille de la malheureuse victime, ainsi qu’il est désormais d’usage, avant de brandir publiquement l’avertissement suivant, lourd de menaces à l’encontre des services publics chargés du suivi du mis en cause :
“Quand on laisse sortir de prison un individu comme le présumé coupable sans s’assurer qu’il sera suivi par un conseiller d’insertion, c’est une faute. Ceux qui ont couvert ou laissé faire cette faute seront sanctionnés, c’est la règle.”
Car ainsi que chacun sait depuis quelques jours dans notre beau pays, l’individu mis en examen pour le meurtre de la jeune Laëtitia, ayant fini de purger diverses peines d’emprisonnement ferme, aurait néanmoins dû faire l’objet d’un suivi par le Service pénitentiaire d’insertion et de probation nantais, ayant été condamné à une ultime peine d’emprisonnement avec sursis assorti d’une mise à l’épreuve pour faits d’outrage à magistrat. Or ce suivi n’a pas pu s’exercer, ni même commencer d’être mis en place : le SPIP concerné, comprenant 17 conseillers d’insertion et de probation, se trouvait en sous-effectif, et avait dû se résoudre, avec l’aval de sa hiérarchie et des juges de l’application des peines (lesquels n’étaient eux-mêmes que trois, au lieu des quatre magistrats devant normalement exercer ces fonctions au sein du tribunal), à “mettre de côté” 800 mesures jugées non prioritaires, au nombre desquelles figurait celle qui intéressait notre mis en cause.
La déclaration présidentielle, venue s’ajouter à l’inspection administrative diligentée en urgence dans le ressort du TGI de Nantes à l’initiative du Garde des sceaux et au communiqué de presse conjointement émis par celui-ci et le ministre de l’Intérieur, a mis le feu aux poudres dans un monde judiciaire pourtant habitué à hausser les épaules en essuyant les oeufs pourris détournant les yeux et oreilles des déclarations saugrenues que les membres de l’exécutif cherchent régulièrement à accrocher à son épitoge.
A l’heure à laquelle j’écris ces quelques lignes, plusieurs tribunaux ont décidé en assemblées générales extraordinaires de renvoyer l’ensemble des audiences non urgentes jusqu’au jeudi 10 février, date à laquelle une manifestation d’ampleur nationale devrait intervenir ; de nombreuses autres juridictions attendent la tenue, demain ou après-demain, de leurs propres AGE ; les listes de discussion communes aux magistrats sont en ébullition … La presse fait assez largement écho à ce mouvement, plutôt inhabituel tant les magistrats peuvent, en temps normal, facilement donner l’impression d’être l’autre Grande Muette française.
Il faut dire que nous avons à cet égard des circonstances atténuantes : notre devoir de réserve constitue souvent un habit aux coutures incertaines, mais dont nous sentons confusément que l’ampleur est réduite ; nous estimons généralement employer plus efficacement notre temps à faire notre travail plutôt qu’à répondre aux attaques venues du camp politique et qu’en tout état de cause, nous n’avons rien à gagner à répliquer à chaque coup, n’ayant aucun objectif électoral en vue ; nous avons conscience que répéter sans cesse que nous faisons ce que nous pouvons avec les moyens insuffisants que l’on nous donne est un discours de moins en moins audible, bien que fondé ; nous savons pouvoir compter sur le garant constitutionnel de notre indépendance pour nous défendre (non, je plaisante) …
Et surtout, nous ne sommes généralement pas très doués en communication, ne serait-ce que parce que nous avons finalement peu d’opportunités de nous exprimer sur notre métier (en-dehors de ce blog merveilleux et de quelques autres, bien sûr, que vous trouverez presque tous sur la blogroll du Maître). Nous sommes de plus, par nature, nécessairement résignés à n’être que peu, voire pas appréciés de ceux qui recourent à nos services, puisque nous savons, dès notre entrée dans la magistrature, que chacune de nos décisions ou presque mécontentera au minimum l’une des parties, voire toutes. Autant vous dire que si j’avais voulu être aimée, j’aurais fait pompier ou danseuse, pas juge.
Mais que voulez-vous, si mon seuil de tolérance au mépris est aussi élevé que celui de mes collègues2, j’ai parfois du mal à laisser passer une déclaration aussi mensongère que celle du Président, telle que je l’ai rappelée ci-dessus. Autant le dire clairement, même si vous le saviez déjà : cette affirmation n’est rien d’autre qu’une vulgaire et énième déjection électoraliste. Elle ouvre tant de possibilités de réponse que la plupart d’entre elles ont déjà été exprimées par les syndicats de magistrats ou de policiers, par la conférence des premiers présidents de cour d’appel, par des politiciens de ce bord-ci ou d’un autre …
On peut en effet répondre au Président de la République qu’il s’est effectivement produit un dysfonctionnement dans l’organisation du suivi du mis en cause par les services chargés de l’application des peines à Nantes : trois JAP au lieu de quatre, 17 CIP au lieu des 41 qui auraient été nécessaires au suivi des probationnaires dans des conditions conformes aux normes en vigueur en la matière3 constituent une situation propice au mauvais fonctionnement de ces services. Or la dotation d’un service public en moyens matériels comme en fonctionnaires dépend, qu’il relève ou pas de l’autorité judiciaire, du bon vouloir des deux autres pouvoirs. S’il fallait donc chercher une faute en la matière, je conseillerais au Président d’aller, par exemple, jeter un oeil aux débats parlementaires tenus à l’Assemblée Nationale, le 2 novembre 2010, et en particulier à la sereine réponse4 adressée par Mme Alliot-Marie, alors Garde des sceaux, aux inquiétudes exprimées par Mme Laurence Dumont, députée, qui estimait que les moyens alloués aux SPIP seraient grandement insuffisants à assurer leur double objectif de prévention de la récidive et de réinsertion, eu égard notamment à la mise en œuvre de la loi pénitentiaire de 2009. L’identification de ceux qui ont “couvert ou laissé faire” les services nantais forcés de tourner en surrégime, sans s’assurer qu’un “individu comme le présumé coupable”5 soit suivi par un CIP à sa sortie de prison me paraît extrêmement aisée, n’est-ce pas ?…
On peut lui répondre qu’à l’évidence, la Justice est, en grande partie si ce n’est pour l’essentiel, une question de moyens. Même si c’est laid d’admettre publiquement que les économies budgétaires dont on a fait le choix amènent nécessairement des difficultés d’exécution des décisions de justice, et que si faute il y a effectivement eu, il faut aller la chercher dans les rangs des ministres demeurés sourds aux rapports alarmants établis par les JAP nantais et leur hiérarchie.
Mais à mes yeux, l’énorme, le répugnant mensonge qui se dégage de la déclaration présidentielle ne se situe même pas à ce niveau-là .
Comment peut-on oser laisser supposer que cette jeune femme serait encore en vie si la mise à l’épreuve dont aurait dû faire l’objet son supposé agresseur avait été effective ?
De qui se moque le Président lorsqu’il pose pour acquis qu’un suivi mis en œuvre dans le cadre d’une condamnation pour outrage à magistrat aurait nécessairement empêché ledit condamné d’assassiner quelqu’un ?
Le sursis avec mise à l’épreuve est un mode de personnalisation de la peine d’emprisonnement prononcée à l’encontre du condamné qui implique, outre que la personne concernée y soit accessible (ce qui ne va pas nécessairement de soi depuis l’adoption de la loi Clément de 2005), qu’elle se soumette à diverses mesures de contrôle et obligations fixées par la juridiction de jugement ou le juge de l’application des peines. Bien entendu, en cas de commission d’une nouvelle infraction pendant le délai d’épreuve, ces deux juridictions pourront ordonner la révocation de tout ou partie de la peine d’emprisonnement concernée par le SME.
Je suis fréquemment amenée, en tant que juge correctionnel, à prononcer des peines d’emprisonnement assorties d’un SME. Il est clair à mes yeux que bien que j’en mesure le caractère contraignant, chacune d’entre elles représente à la fois un espoir en termes de réinsertion et de prévention de la récidive (l’obligation d’exercer un emploi, la plus fréquemment prononcée peut-être, en constituant un élément déterminant) et un pari (le condamné non détenu demeurant libre de ses mouvements, et donc de commettre de nouvelles infractions). Je sais, lorsque je les prononce, que le condamné sera convoqué une fois par semaine, par quinzaine, par mois ou tous les deux mois par un CIP, qui s’assurera du suivi des obligations qui ont été mises à sa charge (soins, travail, indemnisation de la victime …) et du cheminement psychologique de l’intéressé quant aux faits commis : qu’il ait pris du recul par rapport aux faits commis (“Je regrette d’en être arrivé là , c’était une erreur de parcours, j’ai décroché depuis, je vais mieux, etc”) ou qu’il s’en soit abstenu (“Cette salope a intérêt à ne plus croiser ma route, sinon elle prendra sans doute la suite avec les intérêts”), le CIP en fera rapport au JAP qui aura toute latitude pour convoquer l’intéressé en vue d’un recadrage ou d’une révocation.
Je n’ai jamais imaginé qu’un condamné se soumette à l’ensemble de ses obligations et se présente à son CIP en déclarant : “Ma mise à l’épreuve se passe très bien, j’ai bien compris qu’on ne devait en aucun cas outrager les magistrats, ma recherche d’emploi va bientôt produire ses fruits. Oh, et au fait, je truciderais bien quelqu’un, moi. Bon, eh bien au mois prochain !”
Je n’ai jamais supposé qu’un CIP, même équipé de la boule de cristal qui va manifestement bientôt devenir “de fonction”, histoire de les aider à prioriser correctement leurs dossiers conformément au souhait du Garde des sceaux, puisse parvenir à déceler chez un condamné une pulsion criminelle de nature différente des faits qui l’ont amené à être mis à l’épreuve, et ainsi à prévenir non pas une récidive, mais un passage à l’acte distinct.
Imputer aux conseillers d’insertion et de probation, ainsi qu’aux juges de l’application des peines, une obligation non plus de moyens, mais de résultat dans le cadre de leur mission de prévention de la récidive serait illusoire, et amènerait rapidement le ministère de la Justice à rencontrer de substantielles difficultés de recrutement dans ces fonctions.
Affirmer, ainsi que l’a résumé Me Eolas, qu’un CIP et son stylo de dotation empêchent nécessairement 80, ou 135, ou 180 condamnés de récidiver, dès lors qu’on les menace des sanctions disciplinaires adéquates, aidera peut-être la famille de la jeune victime à faire son deuil, encore que6, mais n’en demeurera pas moins un énorme leurre présidentiel.
Il faudra donc le dire, le redire et le redire encore : le risque zéro en matière judiciaire n’existe pas. Le comportement criminel n’est pas la manifestation d’une défaillance des services sociaux, judiciaires, administratifs ou que sais-je, mais la réalisation d’une pulsion humaine.
Le crime existera toujours. L’action de la Justice aussi. Prétendre que l’une éradiquera totalement l’autre est une imposture, quels que soient les moyens qu’on lui donnera, et a fortiori si on ne les lui donne pas.
Cela étant, chers collègues, chers CIP et DSPIP, chers enquêteurs, nous nous sommes effectivement rendus coupables d’une faute conséquente, et ce depuis plusieurs années : en acceptant de faire tourner des juridictions et des services en sous-effectif criant, en tentant de faire à 15 le travail de 20 agents, ou pire (je me souviens notamment de ce commissariat qui fonctionnait amputé du tiers de ses fonctionnaires “sur papier”), nous n’avons fait qu’inciter nos ministères de tutelle à nous accorder toujours moins de moyens pour accomplir nos missions et ainsi, rendre nos services publics moins efficaces.
Il est temps d’arrêter.
- Nuls en politique, veux-je dire. [↩]
- Vous n’êtes pas convaincu ? Je vous propose un petit exercice : guettez donc, dans le tribunal le plus proche de chez vous, l’audiencement des affaires d’outrage à magistrat en correctionnelle et relevez le nombre de constitutions de partie civile y afférentes par les magistrats outragés. Si vous obtenez un taux qui atteigne ne serait-ce que 50 %, je veux bien confier à Maître Mô les photos qu’il réclamait dans l’article précédent, avec toute licence pour en faire l’usage qu’il jugera bon – oui, je suis à ce point sûre de mon fait. [↩]
- Un CIP devrait, pour exercer un suivi satisfaisant, être chargé de 80 dossiers de condamnés, tandis que les conseillers nantais étaient apparemment titulaires de 135 dossiers au minimum. [↩]
- “Vous estimez le nombre supplémentaire de SPIP insuffisant. Ce n’est pas notre analyse au ministère où plusieurs réunions de travail ont eu lieu sur ce sujet : ce que nous avons prévu semble correspondre aux besoins. Donnons-nous rendez-vous dans le courant de l’année et nous verrons ce qu’il en est. J’essaie en la matière d’être extrêmement pragmatique et de répondre aux besoins tels qu’ils me sont transmis par l’administration pénitentiaire.” [↩]
- Cette seule formule, déjà … Enfin, passons. [↩]
- A ce propos, et au cas où on me lirait en haut lieu – ce dont je ne doute guère, on est quand même 2emes au Wikio ! -, je tiens à préciser ici que si une tragédie telle que celle que subit la famille de Laëtitia devait m’arriver, j’interdirais solennellement à tout homme politique, de quelque bord qu’il soit, de se préoccuper publiquement de mon deuil. Pour tout dire, je leur interdirais même d’y penser. [↩]
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Je pose naïvement la question car je suis d'origine normande... mais Trévidic est mon breton préféré depuis 16 ans ! Alors attention ! ;-))
chefdel'étatPrésident de la République Catholique de l'Ouest, j'accorde aux Nantaises (pour les nantais, faut voir au cas par cas..) la nationalité bretonne, surtout aux résidentes de la partie nord-ouest de la cité..(faut pas déconner, qd même)Mais restons discrets, un certain Brice ayant déclaré "quand il y a un breton, ça va; c'est quand il y en a bcp que blablabla.."
Il est évident que la déchéance de cette nationalité serait immédiate si des mots pas gentils étaient prononcés à mon encontre ou celle de M. Trévidic (re-faut pas déconner,qd même !)
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Comme beaucoup, je suis dépitée par les propos du président, comme si souvent tellement démagogiques et électoralistes. Histoire de noyer le vrai corps du problème. Comment faire son travail sérieusement sans effectifs suffisants ? On demande pareillement à l'Éducation Nationale de former nos chères petites têtes enfantines et régler nombre de problèmes de délinquance chez les jeunes, mais on sabre à coup de machette dans les emplois pédagogiques censés apporter formations qualifiantes, esprit critique et du sens général qui permet de trouver sa place dans la société. Au lieu d'augmenter les postes qui gèrent bien ou qui rendent la prévention possible, on les diminue. Le "on" étant décision du pouvoir en place, lui-même inféodé aux mouvements économiques mondiaux.
L'éducation étant reléguée au niveau du plancher zéro minimum, je parie que ça augmente encore les statistiques de cas dont vous avez à vous occuper et de façon directement corollaire. Dans tous les domaines les politiques au pouvoir sabrent les effectifs mais font porter le chapeau aux travailleurs déjà en sous-nombre. J'espère que la population votante n'est pas dupe de la manœuvre... je l'espère.
Tout mon soutien.
Merci de votre soutien, en tout cas !
Si par exemple j'exigeais que vous fassiez un canard à l'orange et que je ne vous fournis que l'orange ! est-ce que la non réalisation dudit plat vous incombe ou bien m'incombe-t-elle pour non fourniture du canard ? (car il est bien connu qu'il ne faut pas prendre les enfants du bon dieu pour des canards sauvages. Oups je dérape ?)
Pour répondre dans un registre moins culinaire, je pense que si l'enquête devait aboutir au résultat que vous évoquez, la publication de ses conclusions serait pour le moins ... discrète.
Je sais, là , il faudrait un verbe pour faire une phrase, mais les mots me manquent, ou au contraire, seraient trop violents à l'égard de certains de nos contemporains!
Allez, mettons que certaines réactions sont primaires. Je ne peux tout simplement pas croire que leurs auteurs soient exactement renseignés! (Suis-je trop naïf?)
Ce qui me fait dire que ce n'est pas la qualité de la communication des magistrats qui n'est pas à la hauteur de l'enjeu, puisque quand on fait le simple effort de chercher des faits, un contexte, soigneusement gommés dans des déclarations publiques et sophistes, on arrive vite à comprendre et soutenir ce mouvement, sans être adhérent au SNM.
Si on soutient cet effort, oh, cinq minutes, on trouve des réactions, des explications, et même ce billet de Marie, comme un phare dans un océan d'approximations déclaratives et incantatoires.
Notre ministre premier troisième, notre Président, ses conseillers, n'usent pour tout argument que de rhétorique malhonnête.
(Pour la diffamation, il faudra me dire si je risque quelque chose, ou pas? Je pars du principe qu'il est objectivement inexact de parler de récidiviste quand un crime aurait été commis par une personne connue seulement pour des délits. Je pré-suppose que n'importe quel avocat, fût-il d'affaires, connaît la différence entre infraction, délit et crime. Je conclue donc que si malgré ses connaissances, un avocat, futile président, commet publiquement cette grossière erreur, alors cette distinction est omise de façon délibérée.
Un raisonnement reposant sur un constat (Là , regardez, un récidiviste remis en liberté sans aucun contrôle!) dont l'orateur sait qu'il est faux, est tout simplement malhonnête - le raisonnement, je ne préjuge pas ici de l'orateur!)
Moins que la qualité, la communication adverse (puisqu'on vous désigne si fort, avec autant de mauvaise foi et de détermination, et qu'on exige une liste des fortes têtes, le mot ne m'a pas l'air exagéré) brille surtout par sa quantité et sa large diffusion.
Face aux commentaires injustes que vous essuyez, je viens vous renouveler mon humble soutien. J'espère que de plus en plus de gens prendront cinq minutes, pour s'interroger sur votre action aujourd'hui, mais aussi sur ce qu'ils pourraient bien mettre comme bulletin, dans une enveloppe, un jour prochain de 2012...
Alors que si on écoute bien les acteurs du monde judiciaire, on comprend vite que ce n'est pas ça qui les fait monter au créneau.
ça m'embête, c't'histoire, parce que ça va encore pousser au journaliste-bashing...
Etre récidiviste, en droit, c'est commettre des faits punis par la loi et ce dans le délai de 5 ans après une première condamnation pour des faits identiques (ou qualifiés d'identiques par la loi).
Au delà des 5 ans, on n'est plus récidiviste juridiquement, on est réitérant (nouvelle notion créée par Perben II, notion débile mais bien réelle...).
Dans la mesure où le mis en examen n'a, dans son casier judiciaire, jamais commis de meurtre, il n'est donc pas récidiviste au sens juridique, sauf à prouver qu'il y a eu viol : il le sera alors sur cette seule infraction.
On peut néanmoins être récidiviste entre un délit et un crime : par exemple, commettre un vol avec violences (délit), puis un braquage (crime). Les faits sont identiques mais les circontances des deuxièmes sont plus importantes que pour les premiers : la qualification juridique est donc plus lourde mais il y a récidive.
Maintenant, n'importe quel juriste sait ça, bien sûr. Mais on n'est plus dans le discours juridique depuis très longtemps... Je n'irai pas plus loin pour éviter des ennuis à notre hôte
Cela dit, et sous réserve de plus amples informations concernant le mis en examen, je pense qu'il doit tomber sous le coup de la récidive criminelle, si un viol figure bien déjà à son casier.
Je sais qu'il serait complexe d'obtenir gain de cause, mais une telle action ne permettrait-elle pas de mettre en lumière l'un des points qui fait bondir la magistrature (et, aussi, me semble-t-il, l'ensemble des "gens de justice"), à savoir la violation continuelle de cette garantie essentielle?
Sans se rendre compte évidemment ce que sa vision a de sacrificiel, et donc d'irrationnel, il voit en la Justice en outil pour éliminer les criminels. Alors qu'elle est, tout au contraire, un moyen de protèger les criminels (ou supposés tels), de les defendre, de les juger avec objectivité, et, in fine, de les réintégrer dans la société (idéalement, de leur pardonner).
qui exprime en ce jour son ras-le-bol des méthodes présidentielles. Le degré de mauvaise foi de notre président
serait tout bonnement sidérant, si on ne commençait pas à y être malheureusement trop habitué.
Les mots du président à l'égard des juges ne sont pas seulement insultants, populistes, faussement simplificateurs.
Et il ne s'agit pas seulement d'accusations outrageantes issues d'une analyse sommaire de la part d'un acteur quelconque.
Ces mots proviennent de celui qui devrait justement s'attacher à faire de son mieux pour que l'exercice de votre mission ait les meilleures chances d'être fructueux.
Il les prononce de manière cynique et contre-productive. Il est tout à fait naturel de vous sentir non seulement outragés,
mais également trahis.
C'est presque une déclaration de guerre. Oh, disons une dispute, je me suis promis de ne pas employer de (trop) gros mots.
Une dispute qui a commencé il y a déjà quelques années : celle des hautes sphères de l'Etat contre les services publics.
Je suis fonctionnaire (enseignant-chercheur), et dans mon cas particulier j'ai eu la chance de ne pas personnellement subir les
conséquences des coupes de budget très générales dans les services publics.
Cela ne m'empêche pas de constater que de nombreux collègues et amis, qu'ils soient chercheurs dans des domaines moins bien dotés que
le mien, qu'il soient dans l'éducation nationale ou tout autre organisme éducatif, qu'il travaillent pour la justice, les hôpitaux,
les directions départementales de tous poils, etc..., se trouvent malheureusement bien moins fortunés et connaissent des conditions
de travail de moins en moins enviables (et qui dans les pires des cas frisent l'absurdité). De quoi décourager les vocations...
Je crois deviner que tous ceux qui par hasard me liraient et seraient eux-mêmes fonctionnaires comprennent bien de quoi il retourne.
L'Etat a décidé, et ça fait quelques années que c'est la mode, de taper sur ceux qu'il emploie. Des conseillers politiques, et des
économistes éminents (et néanmoins fourvoyés, ou plus bêtement dévoyés) ont jugé que le seul moyen de réduire les dettes publiques
était de couper drastiquement dans les dépenses des états de notre vieille Europe. L'OCDE, la banque mondiale et de nombreux autres
organismes ont publié rapport après rapport pour expliquer que les services publics étaient inefficaces et bien trop coûteux (quand on
connaît le parcours de ceux qui écrivent ces rapports, on a un peu de mal à ne pas les juger partisans, mais c'est peut-être un autre
débat). Ils évitent néanmoins sciemment la question de savoir ce qu'une société pourrait (devrait) raisonnablement consacrer à ses services non lucratifs :
la justice donc, puisque c'est le sujet du jour, mais aussi l'éducation des jeunes, le soin des malades et personnes âgées, l'entretien
des infrastructures utilisées par tous, etc... Si vous pensez que toutes ces missions sont superflues, pas la peine de lire plus loin, je ne pourrai
certainement pas vous convaincre. Mais si vous jugez comme moi que certains de ces services sont fondamentaux pour notre société,
on peut essayer de discuter des moyens à mettre en œuvre.
(Je n'ose réclamer, mais j'aimerais le faire, qu'on imagine même de financer
comme il se doit des choses dont de nombreux contemporains sont tentés de croire qu'on pourrait se passer, mais qui à en d'autres temps
furent jugés des plus indispensables. Ainsi en va par exemple de l'étude de la philosophie, l'astronomie, la poésie, etc...)
L'opinion publique de ce pays semble convaincue que tous ces services publics ne sont que des puits d'énergie inutiles et sans fond
("sans fonds" devrait-on dire, si on en croit nos amis les juges), et comment pourrait-on la blâmer, puisque les politiques et de
nombreux médias se font un plaisir de leur répéter? Et puis, ma foi, il faut bien avouer qu'on est parfois soi-même en butte à des
démarches administratives qui relèvent du parcours du combattant (la demande de carte de séjour de ma conjointe
"wasn't a walk in the park" comme diraient nos amis outre-atlantique).
Des réformes sont sans doute bienvenues dans nos chers services publics, mais il faut bien comprendre que réorganiser
les choses pour qu'elles fonctionnent mieux demande un certain investissement, lequel n'est certainement pas la priorité des politiques
qui gouvernent au petit mandat, voire même souvent à la petite semaine médiatique.
Réorganiser demande une réflexion approfondie et une analyse fine de la situation, alors qu'à entendre nos politiques, on se jurerait
qu'ils ne l'ont pas menée.
Il faut aussi comprendre qu'en tant qu'agent d'un gigantesque service, on peut avoir la meilleure volonté du monde, l'action
individuelle ne risque pas de changer la situation générale.
Ainsi par exemple, notre Education ne se porte pas au mieux, et nos formations, qui étaient il y a peu enviées et réputées
(certaines le restent, c'est heureux), deviennent trop souvent moyennes, voire médiocres.
La réponse du chef de l'état, soi-disant ambitieux de la réforme, à cette tendance déclinante : il supprime tout un paquet de postes
et au moment où les baby-boomers s'en vont à la retraite, ne remplace qu'un poste sur deux. Finis ou presque les éducateurs,
les emplois-jeunes, et on ne va tout de même pas financer les études d'un feignant en lui proposant un boulot de pion.
Donc, faute de surveillants, on continue à baisser le nombre d'heures de présence (extra-curiculaire) d'un élève au lycée.
Et utiliser les locaux en dehors des heures d'ouverture pour y faire autre chose qu'un cours magistral, ou encore organiser une sortie
devient quasi-imposssible car on manque de bras.
Dans le détail, on baisse aussi le nombre d'heures de maths, ce n'est plus à la mode malgré les récentes médailles Fields (3 en 8 ans),
de sorte que les élèves moyens ne se trouvent mêmes plus capables d'un raisonnement élémentaire et se contentent de reproduire des
recettes de cuisine pour un plat dont il ne comprennent pas la signification.
On brade de plus en plus le brevet puis le bac, de sorte que les courbe des pourcentages de réussite reste joliment croissante.
Comment croire une seule seconde que les choses vont s'améliorer dans l'ensemble de nos écoles primaires, nos collèges, nos lycées?
Et ne vous faites aucune espèce d'illusion : Louis-le-Grand reste toujours mieux doté qu'un collège-lycée de ZEP, malgré
l'appellation prioritaire de ce dernier. Les bourses sont accordées au compte-goutte, et suprimées au moindre faux-pas.
Alors les écarts grandissent (par exemple) entre l'élève d'un "grand" lycée parisien et celui d'un lycée de banlieue. Un écart
difficilement rattrapable, quand de plus l'élève moyen du grand lycée fera une prépa pendant que l'élève moyen de ZEP
titulaire d'un bac ira sans aucune espèce de motivation dans un amphi surpeuplé, pour assez probablement échouer une licence.
Alors, je sais bien que la plupart de ceux qui n'ont pas exercé ce métier pensent qu'ils feraient bien mieux à la place du prof.
Mais ce n'est pas si simple! Croyez-moi sur parole, l'immense majorité font de leur mieux, et vous ne feriez sans doute justement ...
pas mieux.
J'ai la chance de donner l'un de mes cours à des élèves d'une institution prestigieuse. Ils ont été sélectionnés, choyés, alors ils
savent travailler, interagissent facilement, font leurs devoirs. Bref, c'est un pur plaisir, mais je dois avouer que c'est avant tout
très facile (et motivant) de faire cours dans ces conditions. Un autre de mes cours est destiné à des étudiants de master. Là aussi c'est
franchement facile, même si c'est un peu déprimant de voir certains abandonner sans trop essayer. Mais en licence, dans une voie peu
valorisée, c'est la majorité qui a déjà abandonné, ou croit pouvoir s'en sortir en révisant la veille de l'examen. C'est alors
extrêmement difficile, et cela prend une énergie considérable que le cours se déroule au rythme prévu. On est parfois désemparé
devant les lacunes que certains possèdent encore à ce stade. Que faire alors? Chaque année j'essaye de me remettre en question, j'essaye
d'expliquer les choses un peu différemment, mais il faut bien reconnaître que parfois ce n'est tout simplement pas suffisant, et que
cela ne risque pas de faire une grosse différence. Je ne pense pas être aidé quand le chef de l'état vient asséner que je ne vais à mon
bureau que parce qu'"il y a de la lumière et c'est chauffé". Pas seulement parce que c'est une insulte peu justifiée, mais parce qu'il
dévalorise le respect de ma fonction. Et j'ai besoin de ce respect pour travailler, pour convaincre ces étudiants désabusés qu'ils vont
véritablement s'enrichir à travers l'étude de la matière que je leur enseigne.
Le prof de lycée ou de collège a encore plus besoin de ce respect pour exercer sa profession.
Et le magistrat encore bien plus.
Et puis, comment ne pas croire que cela ne découragera pas certaines vocations. Dans ces cours qui se passent pour le mieux avec de brillants étudiants, comment les motiver pour que certains d'entre eux se dirigent vers la recherche? De plus en plus choisissent des carrières dans la finance ou d'autres activités lucratives, et très franchement, c'est un peu désespérant de penser que les plus brillants étudiants
finiront peut-être par travailler pour un hedge fund qui spécule contre la dette de la Grèce...
Enfin, on porte bien sûr une part de responsabilité lorsqu'il y a un constat quelconque d'échec, surtout lorsque celui-ci est local, et concerne quelqu'un avec qui on a eu affaire. Mais nous ne sommes pas des surhommes, alors il y en aura, car on ne peut pas modifier une réalité sociale, même avec la meilleure volonté du monde. Il n'y aura jamais 100% des étudiants qui auront vraiment tenté leur chance, mais ce serait bien qu'il y en ait plus que l'année dernière. Dévaloriser l'université ne semble pas la meilleure solution pour y parvenir.
De même il n'y aura jamais 0% de récidivistes, mais si on pense que c'est une priorité de réduire le pourcentage réel, quel qu'il soit,
il faut commencer par respecter les professionnels de la question, parce qu'ils réfléchissent à des solutions depuis des années,
il faut discuter avec eux des réformes qu'ils souhaiteraient voir mettre en place, et leur donner les moyens de le faire lorsqu'elles semblent réalisables.
Une suggestion sans doute très naïve pour conclure : peut-être gagneriez vous à demander une forme d'autonomie du corps de la
magistrature, avec un financement moins exclusivement étatique. Celle des universités, est, étant donné les dispositions actuelles de
l'état à l'égard des services publics, sans doute la meilleure chose qui nous soit arrivé récemment.
A supposer que le "méchant" loupe un peu son coup ! (et mon cou) et que je survive et qu'on doive m'hospitaliser, sachant que la restriction de personnel ne touche pas que le domaine de la justice mais aussi celui de la santé (et celui de l'éducation, mais là pour refaire la mienne c'est trop tard) combien y a t-il de chance que le manque de soin dû au manque de personnel finisse le boulot commencé par le "novice" ?
Etes-vous donc en contact avec les autres domaines concernés par le manque cruel de personnel ?
A supposer qu'on veuille vraiment agir contre le chômage, ne serait-il pas possible que vous, moi (avant que je sois trucidée cela va de soi) en notre qualité de contribuables, exigions que l'Etat (donc nous tous) embauche du personnel plutôt que d'en virer comme une vulgaire multinationale ? ce n'est pas qu'il n'y a pas d'argent, mais ce sont les choix d'usage de l'argent public qui sont à revoir, je crois.
On donne à fonds perdus à des grands groupes qui promettent de "sauvegarder" des emplois, même pas d'en créer, et une fois passés par la case départ, ils se cassent ailleurs. Comme de toute façon ils se cassent, laissons les partir avant de leur donner l'argent qui pourrait servir à améliorer les services publics et/ou républicains que nous sommes en droit d'attendre d'une démocratie digne de ce nom, dont la justice bien sûr.