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Sous les pavés la plage…

… Et, une fois de plus, sous la peine finale, la détention provisoire.

Un violeur innocent a été condamné il y a quelques jours par le Tribunal Correctionnel à  la peine de dix-huit mois d’emprisonnement ferme, peine requise par le Parquet, la personne niant les faits, graves, de viol, dénoncés par une partie civile constante en ses déclarations à  l’instruction, mais qui n’était pas présente, ni représentée, à  l’audience, la défense ayant plaidé la relaxe.

Le présumé innocent (jusque-là ) avait effectué… Seize mois de détention provisoire, au jour de l’audience.

Il s’agissait, aux termes des déclarations de la partie civile, d’un viol assez sauvage, dans la rue, et ce dossier avait été correctionnalisé – pratique, très courante, qui consiste à  “oublier” judiciairement que les faits constituent un crime, passible de la Cour d’Assises, et à  ne les faire juger “que” par un Tribunal Correctionnel, souvent par souci de rapidité et eu égard à  l’engorgement de la Cour d’Assises, ou parfois, comme ici selon mon confrère de la défense, que je crois volontiers car c’est un confrère, parce que le dossier ne “tenait” pas trop et que le Parquet préférait largement le voir soumis à  trois magistrats professionnels, supposés plus “durs” que trois autres flanqués de neuf jurés, comme dans une Cour d’Assises.

Bien entendu, et c’est l’une des tares majeures de cette pratique, il s’agit d’un artifice, et en réalité à  l’audience correctionnelle personne ne perd de vue qu’il s’agit bien d’un viol, donc d’un crime parmi les plus graves.

Et, d’évidence, si la personne jugée ce jour-là  comme tant d’autres était coupable, la peine encourue était lourde.

Dix-huit mois.

Seize de détention provisoire.

Dix-huit moins seize moins les remises de peine automatiques : libération immédiate le lendemain de l’audience, peine totalement purgée, dette payée…

Et surtout, un dossier totalement bancal (je l’ai lu) qui n’aurait jamais dû permettre la condamnation de personne, et une peine parfaitement incompréhensible… Sauf à  penser qu’elle satisfait tout le monde : la partie civile est bien victime, et le présumé innocent (ah non, plus maintenant, tiens…) condamné, mais libre aussitôt, et qui, partant, ne peut sérieusement prendre le risque de faire appel, sous peine de prendre celui de retourner en prison si jamais la Cour d’Appel aggrave sa condamnation au lieu de le dire innocent – et il est bien placé pour savoir que l’erreur judiciaire, ça existe au quotidien.

On ne dira jamais assez à  quel point la détention provisoire permet ce genre de calcul, par validation de ce qui a déjà  été accompli, et quel danger elle représente pour la présomption d’innocence, pour l’impartialité d’un procès, et pour le justiciable au final.

Ni quelle horrible pénibilité pèse sur l’avocat de devoir objectivement conseiller à  son client innocent d’en rester là , un bon “tiens” valant mieux que deux “tu l’auras”, à  la suite de ce genre de faux jugement, calcul nauséabond de pure opportunité aux antipodes de ce que doit à  tout prix demeurer un procès pénal.

Et, avant de dire que si vous étiez innocent, vous auriez fait appel, faites deux choses : purgez seize mois de détention provisoire (si possible dans une prison étrangère, dans un pays dont vous ne comprenez pas la langue, comme c’était le cas ici); et allez voir comment se passe une audience de Cour d’Appel à  Douai (je vous en reparlerai), en tenant compte de l’heure qu’on aurait consacrée à  ce dossier, au lieu des deux ou trois jours pendant lesquels il aurait captivé une Cour d’Assises…