[Avertissement : ce récit peut être dur.]
Barbara “pousse” une avant-dernière fois, de toutes ses forces, elle est rouge brique, elle serre la main de Xavier à la lui broyer, elle l’entend vaguement qui lui parle, au milieu des encouragements des sages-femmes, “Allez ma Chérie, allez, elle est là, on voit sa tête, elle est là, bravo ma Chérie, c’est bien…”
Elle a eu mal, les contractions initiales ; puis ils ont posé la péridurale, assez vite et avec succès, et ça s’est calmé, jusqu’à il y a dix minutes, où elle a bien senti que cette fois-ci, on y était : elle allait mettre au monde leur petite fille ! Elle a respiré, poussé, bloqué, bien tout fait, comme les séances de préparation à l’accouchement lui avaient appris – elle s’était appliquée, studieuse et impatiente, parce cette grossesse, ils l’attendaient depuis combien ? Six ans ? Hors de question de se rater, ils avaient tout fait pour que tout se passe le mieux possible, Barbara, même si elle n’avait que trente-deux ans, avait bénéficié d’attentions médicales toutes particulières, tout irait bien : ils l’avaient tellement voulue, cette petite fille qui allait naître…
“Elle est là, Barbara, c’est très bien. Vous ne poussez plus, surtout, hein ? Bloquez, bloquez, je passe son épaule, c’est très bien, comme ça, on y est…” Les sages-femmes sont adorables et compétentes, elles la rassurent complètement, elle est en confiance. Elle “bloque”, mais de toute façon elle ne sent presque plus rien, à ce moment précis ; une série d’images défile sous ses paupières fermées, pendant qu’elle lâche sa respiration au ralenti, par petites saccades entre ses lèvres pincées, comme on le lui a appris, et elle a envie de sourire : les premiers tests, quand ils se sont dit qu’ils ne pouvaient pas plus essayer d’avoir un enfant, et qu’il devait y avoir un problème, leur soulagement commun en apprenant que non, aucun, qu’il fallait juste être patients ; flash sur le magnum de champagne que Xavier a mis dans le coffre de l’Audi, à côté de sa petite valise de grossesse, il ira chercher les deux tout à l’heure ; flash sur le sourire ahuri et attendri de Xavier quelques semaines plus tôt, lorsque la petite Camille – ils l’appelleront Camille, ils sont tombés d’accord tout de suite – s’est mise à pousser de l’intérieur avec ses mains ou ses pieds, provoquant des bosses mouvantes visibles sur son ventre, comme des dunes qui bougeaient, Xavier s’écriant, émerveillé, “C’est pas vrai, c’est Alien !“…
“Voilà, on y est , c’est super ; vous allez pousser encore une fois, hein ? C’est presque fini. Allez, on y va, on pousse on pousse on pousse… Elle arrive, formidable, c’est très bien.” Elle fait à peine l’effort, cette fois-ci, elle sentait que le plus dur était passé, et elle sent son bébé sortir entièrement d’elle, confusément. Elle sourit franchement, cette fois, parce qu’elle a entendu l’une des sages-femmes demander à Xavier s’il voulait “finir de la sortir”, et qu’il a refusé, son grand Chéri, d’une petite voix pâle, “j’aurais peur de la casser“, mi-rires, mi-larmes, elle l’aime ; elle ouvre enfin les yeux, et elle voit le beau visage de Xavier, ému aux larmes, penché vers elle, et surtout Camille, ce petit extraterrestre, qui braille, et qu’elle tient devant elle, maintenant, pendant que ses petits pieds sont encore en elle, et qu’on lui demande de ramener doucement doucement sur son ventre. Elle s’exécute, elle pleure, son bébé est posé sur elle, tout chaud, elle ne pèse rien, elle n’est pas très sale, finalement, elle rit, “c’est très bien, Madame, voilà, vous avez une fille“.
Barbara la regarde, elle sourit encore, ce petit visage crispé et tout rouge, ce corps minuscule qui gigote au bout du cordon, posé sur elle aussi, mon Dieu, comment ce truc tenait-il dans son ventre ? Ses émotions la submergent, elle a l’impression d’être droguée.
Xavier l’embrasse, elle sent ses larmes sur sa joue, il lui murmure qu’elle est magnifique.
Elles ont placé une sorte de pince sur le cordon, près du nombril, plié celui-ci dans une compresse. Une sage-femme tend soudain, dans le champ de vision de Barbara, une grande paire de ciseaux à Xavier : “vous voulez couper le cordon, Monsieur ?” Ces ciseaux sont immenses. Des ciseaux comme il y avait chez…
“Monte dans ta chambre !” C’est surgi de nulle part, dans sa tête. Quoi ? Qu’est-ce que ça fait là, cet ordre qu’elle n’a plus entendu depuis toutes ces années ? Elle n’y a jamais repensé, elle avait tout dégagé, tout enfoui, pas à ce moment, elle veut interdire encore ces images-là, pas maintenant, c’est pas possible, tout revient, tout revient, non ! Elle se contracte de haut en bas, tout son corps, elle a l’impression qu’ils ont tout éteint, il n’y a plus de lumière ; pourtant, pendant qu’une panique absolue, glaciale, sidérante, la prend, elle voit Xavier, souriant et hésitant, entouré d’un halo, comme avant, comme toujours, comme faisait la lumière de l’ampoule nue qui pendait du plafond de sa chambre, là-bas, en Enfer… Xavier a un geste intimidé, elle ressent une sorte de crampe qui lui raidit tout le corps, elle est gelée, il ne voit donc rien ? Il sourit, et il avance ses mains gigantesques vers les ciseaux, “Je ne sais pas si… Vous me montrez, hein ?“, avec son sourire timide ; Barbara voit cette main au-dessus de Camille, que les sages-femmes ont retournée, elle voit son sexe de fille, énorme et tout rouge, comme celui d’un singe, elle voit cette putain de main poilue, les ciseaux, l’autre main qui va, mon Dieu, qui va toucher cette petite fille ! La vague, cette énorme vague de peur et de souffrance qu’elle avait oubliée, qu’elle pensait ne plus jamais voir arriver sur elle à toute vitesse… Elle est revenue, elle est là, elle la noie. Ça explose dans sa tête. Elle hurle, “NON !“. Elle se redresse brutalement, sauvagement, elle arrache les ciseaux, elle poignarde la main, elle poignarde l’enfant, encore et encore, “assez, crève, assez, crève, ASSEZ, ASSEZ, CRÈVE !” On l’empoigne. Elle perd conscience, les ciseaux ensanglantés presque incrustés dans ses doigts.
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Raymond met encore un coup de rabot à la toiture en bois de la crèche qu’il est en train de confectionner, puis décide d’arrêter, à peu près satisfait : c’est lisse. Il range ses outils, et sort de l’atelier, il reprendra après la sieste, cet après-midi.
Il a quatre-vingts ans aujourd’hui, il traverse lentement le jardinet qui sépare l’atelier de la maison. Il va s’autoriser un verre de vin, dans un instant, avec le repas, un repas sans gâteau et sans particularités. Il y a longtemps qu’il ne fête plus ses anniversaires. Il est tout seul, sa femme est morte depuis des années, et sa fille est partie depuis longtemps vivre sa vie, loin de lui. Il s’y est fait, même si, ou parce que, “rien n’est jamais juste“, son expression favorite, il l’emploie à tout bout de champ, il est connu pour ça au village, le vieux râleur.
Il entre dans sa petite maison, et enlève ses sabots de travail péniblement, en les posant sur l’escalier qui mène aux deux chambres, qui ne sert plus désormais que de range-godasses – il dort en bas, dans l’ancien bureau, il n’est pas monté depuis… Longtemps. Une fois de plus, comme tous les jours depuis, quoi, quarante ans, il se demande dans quel état c’est, là-haut, et il se dit qu’il devra bien aller y voir, un jour.
Raymond n’a pas la télé, pas Internet, pas d’amis, pas de famille – plus de famille. Il est seul, et il va crever là tout seul, ses os de plus en plus endoloris le lui disent un peu mieux tous les jours. Mais il s’en fout. Il emmerde la terre entière, tant qu’il peut encore manger son plat préféré, des quenelles en sauce achetées par paquets de dix, et boire un petit coup de vin pour son putain d’anniversaire – et travailler le bois dans son atelier, sa seule et unique occupation.
Il lève son verre à la santé du maire, qui lui a commandé la crèche qu’il est en train de finir, et s’enfile une rasade de la mauvaise vinasse avec un sourire sans joie.
On sonne à la porte d’entrée. Ça ne marche plus depuis longtemps, mais il y a encore du courant dans le mécanisme, il entend le déclic. Son visiteur, rapidement, se met d’ailleurs à frapper. Raymond grommelle, il n’attend personne, et si c’est encore un touriste paumé qui veut connaître le chemin de l’église, il va se faire recevoir !
Il va péniblement ouvrir, et se retrouve face à un couple d’une quarantaine d’années, qu’il s’apprête à insulter, mais il n’en a pas le temps : “Monsieur Martin ? Nous sommes de la police, Monsieur“, dit la femme en brandissant une carte barrée d’une bande tricolore. “On peut entrer ?” Raymond est surpris, il fronce la broussaille qui lui sert de sourcils, ça ne peut être qu’une erreur. “La police ? Ben, vous faites chier quand même. Mais je suppose que oui…” Il a pris le temps de les insulter, finalement, ricane-t-il intérieurement en les laissant passer.
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“Quel sale vieux connard !” Simone regarde Marc, qui vient de se lâcher en lui tendant un gobelet de café. Il est cerné, elle doit l’être aussi, elle lui sourit. “Tu l’as dit… Des comme ça, c’est pas tous les jours, quand même, heureusement.” Ils sont vannés. Ça fait pratiquement vingt heures qu’ils se relaient pour interroger Raymond, et la vieille carne ne leur a rien lâché, rien, pas un mot – enfin, si : des insultes à profusion, de quoi remplir un dictionnaire, sur la fin ils ne s’en offusquaient même plus.
Simone fait équipe avec Marc depuis trois ans, maintenant, à la Brigade des Mineurs de la grande ville proche du village où habite Raymond. Ils ont tout vu, tout entendu, tant en matière de faits horribles que de dénégations en tous genres, mais là…
“Tu sais ce qui me fait le plus chier, Commandant ? C’est de devoir lui envoyer le médecin toutes les trois heures ! Bordel, je l’étranglerai plutôt de mes mains, et sans remords, sauf ton respect…” Simone sourit, elle est habituée aux emportements de son collègue, un peu plus jeune qu’elle – et il faut reconnaitre que là, ils ont un “client”… “Fais pas ça, Marc. Ne me force pas à te trouver un avocat !” Ils se marrent, les blagues sur les avocats sont un peu leur fond principal de détente. “T’inquiète, avec ce qu’on gagne, j’ai droit à un commis d’office.”
Ils sourient, mais pas longtemps. Simone, au fond, veut absolument que cette enquête aboutisse. Elle le veut toujours, pour tous les dossiers dont ils héritent, mais dans celui-là, c’est encore pire : il faut que le vieux se mette à table. Elle le doit à la Justice. Et, par-dessus tout, elle le doit à la fille de Raymond. Rien que de penser à elle à cet instant, et ses yeux se mettent à la piquer, elle qui est pourtant revenue de tout – du moins, elle le croyait…
L’arrivée de leur jeune collègue Olivier interrompt sa réflexion, et c’est tant mieux, parce que, même avec la fatigue et cette affaire atroce, il ne serait pas dit qu’elle chialerait devant ses hommes, même cette fois. Elle l’interroge du regard. “Bon, ben les mecs, désolé, j’ai pas grand chose. Je vous la fais courte : les rares voisins que j’ai pu entendre qui ont connu le vieux à l’époque des faits n’ont jamais rien vu, je sais juste qu’ils ne sortaient pas beaucoup, sauf la petite pour ses allers-retours à l’école. Une vieille se souvient qu’elle était pâlichonne et avait l’air triste, et qu’un jour elle est partie avec un copain, elle ne sait plus à quel âge. Et je ne vous parle pas des séniles que je me suis tapés…” Simone sourit, même si elle espérait un peu de son enquête, on espère toujours : – “Ça te fait la bite, mon lieutenant. Et respecte un peu tes anciens. Autre chose ?” ” – “Non, que dalle. Le vieux est connu dans tout le village, mais personne ne sait rien de lui. Il ne sort pas et ne parle à personne, personne ne vient le voir, le facteur m’a dit en se marrant qu’il ne lui apporte que des factures EDF et sa pension, et qu’il l’insulte régulièrement. Le Maire en parle comme d’une sorte d’attraction typique, ils ont des visites à cause de l’église romane, et il fait partie des curiosités du coin, tu vois, il injurie les touristes qui lui demandent leur chemin, il a un adage à la con sur la justice du monde… Le Maire dit que c’est un brave type, le doyen du bled, et qu’il lui donne de menus travaux de menuiserie parce qu’il sait que l’autre adore ça, genre la crèche qu’il est en train de faire, et voilà : on dit RAS, dans ces cas-là, je crois…”
Marc s’emporte encore : “Merde ! On va bien trouver un biais, quand même, c’est pas possible…” Simone lève la main, et se veut apaisante : “T’inquiète pas, je te promets qu’on ne le lâchera pas comme ça… On a les déclarations de sa fille, et on a la perquisition, quand même, non ? Bon, il faut s’occuper du renouvellement de sa garde à vue. Tu contactes le proc’, hein, et tu fais la paperasse ? Je m’en vais parler de ses droits au brave Raymond, je sens que t’as pas envie…”
Marc acquiesce en se levant pour aller téléphoner au Parquet : – “D’acc’. Crache dessus de ma part.” – “Je n’y manquerai pas…“.
Simone termine son café, et s’arme moralement pour aller expliquer à Raymond qu’on n’en a pas terminé avec lui, et que sa garde à vue va être renouvelée ; elle ne le sait pas encore, mais elle sera un petit peu contente en remontant des geôles, où le vieux fauve attend en peaufinant ses prochaines injures : alors que tout à l’heure, il n’a pas voulu d’avocat, “pour quoi foutre, j’ai rien fait“, cette fois, il en demandera un. Ce qui à ses yeux démontrera qu’au-delà de son comportement et de sa belle assurance, Monsieur Raymond Martin commence peut-être quand même à avoir la trouille…
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Xavier est assis dans le canapé du salon, la tête entre les mains, le regard vide. Il pleure, encore une fois. Le téléphone sonne, il sursaute, et il décide qu’il ne décrochera plus, il n’en peut plus. C’est forcément l’un de leurs amis, à lui ou à elle, qui soit est déjà informé du drame et tenterait de le réconforter, ce qui n’est de la compétence de personne ; soit ne sait rien, et, bien pire encore, demandera joyeusement si “tout s’est bien passé”, en râlant gentiment de n’avoir pas de nouvelles, et, pour les copines de Barbara, en protestant gentiment contre le fait qu’elle n’arrive pas à la joindre sur son portable…
Quelle connerie, avoir envoyé ce message à tout ceux qu’ils connaissaient, quand Barbara a perdu les eaux et qu’ils sont partis à la clinique… Il ne pouvait pas savoir, bien sûr, personne ne pouvait. Mais chaque appel reçu depuis est un coup de poing dans le ventre, et le replonge brutalement sous la lumière crue de la salle d’accouchement, lorsque, hébété, il a vu Barbara… Lorsque Barbara, sa Barbara, sa femme, est… Devenue folle. D’énormes larmes lui sortent des yeux, il sanglote par grandes saccades, il est constamment traversé de sentiments contradictoires ; et d’images terribles, qu’il n’arrive pas à repousser. Camille, minuscule, flétrie, recroquevillée, sanglante, morte, à peine née, Camille, petit bébé ardemment désiré, déjà tant aimée, qui n’a laissé que son premier cri à son père, ces premiers pleurs que Xavier entend en boucle s’interrompre net, coupés. Barbara, toujours si belle, hideuse, un masque de haine sur le visage, les yeux révulsés, blancs, comme ceux d’un second cadavre…
Toutes ses amours, fracassées en même temps. Il ne sait plus rien.
Il n’est pas allé voir Barbara. Il ne sait même pas s’il doit. Ni s’il veut. Il ne sait même plus s’il l’aime. Il lui en veut terriblement de ce qu’elle a fait, et il lui en veut plus terriblement encore de ce qu’elle ne lui a jamais dit, si c’est vrai, de toutes ces années de mensonges, ou plutôt de silence… Bordel, si c’est vrai, et il ne pense pas sérieusement que ça ne l’est pas, pas après l’avoir vue dans cet état, pas après ce qu’elle a fait, alors, comment a-t-elle pu lui taire, comment a-t-elle pu croire qu’elle guérirait toute seule..? Et quelle était la valeur de l’amour qu’elle prétendait lui porter ?
Il se lève, finalement, en s’essuyant les yeux d’un revers de manche, parce qu’on sonne à la porte, ce qui le secoue en l’arrachant à ses pensées morbides. Il a mal aux jambes, l’impression d’être resté prostré trop longtemps. Sa sœur, sa petite sœur, était bien sûr parmi les premières a appeler, et à elle, il a pu à peu près dire ce qui s’était réellement passé – aux autres, il a seulement parlé d’un accident, dit que l’enfant était mort, et que Barbara était hospitalisée, qu’il allait être à son chevet ; non, merci, il n’avait besoin de rien ; ça irait… Mais à sa petite Juliette, il a dit immédiatement tout, la vérité, et même les atrocités que Barbara avait racontées aux flics, quelques heures après, alors qu’elle avait repris conscience, sanglée sur un lit psychiatrique. Il avait dû s’y reprendre à quinze fois, tant il pleurait et avait du mal a s’exprimer. Juliette ne l’avait jamais connu désarmé, son grand frère, mais là… Elle avait seulement dit, à la fin : “Tu ne bouges pas. J’arrive.” Il avait vaguement protesté, elle habitait à l’autre bout de la France, mais c’était une têtue, elle avait maintenu, avant de raccrocher en lui disant de se coucher, qu’elle serait là demain.
Il ouvre. Juliette a un léger mouvement de recul en le voyant, il a un visage à faire peur. Mais elle lui sourit, en lui ouvrant les bras : “Salut, Frérot…“. Il se jette dedans, en chialant de plus belle.
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Simone a renvoyé ses coéquipiers chez eux, prendre quelques heures de repos, après que le proc’ a ordonné, à la demande de Marc, le renouvellement de la garde à vue de Raymond. Ce qui signifie aussi qu’il leur reste vingt-quatre heures pour obtenir de lui autre chose que des dénégations entrecoupées d’injures.
Lorsqu’elle lui a notifié la décision en lui exposant ses droits, il a redemandé le médecin, bien sûr, elle n’avait pas attendu pour le prévoir ; mais aussi, cette fois, l’avocat. Elle en a pris acte, ne laissant rien paraître de sa relative surprise, et a contacté ensuite la permanence des avocats, Raymond n’en connaissait aucun, il avait demandé un avocat d’office. C’est une jeune qui avait décroché, à laquelle elle avait rapidement exposé la situation, renouvellement de garde à vue, il n’a encore vu personne, il ne le souhaitait pas initialement, faits criminels, qualification provisoire : viols aggravés. La voix de la jeune femme n’était pas sympathique, Simone l’avait jugée prétentieuse et assez peu concernée, elle n’avait d’ailleurs pas cherché à discuter ou à en savoir plus, et l’avocate s’était dispensée de la moindre formule de politesse. Elle souriait sans joie en raccrochant, en se disant que Princesse Trou-du-cul allait bien s’amuser avec Raymond, que Simone “reprendrait” après l’entretien.
Celui-ci est en cours, l’avocate était venue assez vite – impressions téléphoniques confirmées, c’était une femme jeune, toute raide dans ses vêtements soignés, qui faisait toute coincée, et dont l’unique question, “combien de temps je dois rester ?“, disait à quel point elle avait conscience de l’importance de sa mission, et à quel point le pénal était son quotidien… Petite mesquinerie pour lui apprendre à être polie, Simone lui avait indiqué que l’entretien pourrait se dérouler en cellule, le parloir étant occupé, si “Maître” n’y voyait pas d’inconvénient, Raymond y étant seul. Elle n’en voyait pas, Simone s’étant dit qu’elle ne devait jamais avoir vu, ni senti, aucune des geôles repoussantes de la République, où elle salirait obligatoirement son manteau de marque, on a les petits plaisirs qu’on peut ; et elle lui avait confirmé que la loi prévoyait un entretien de trente minutes maximum, en descendant avec elle dans les bas-fonds du commissariat.
Simone attend donc, dans son bureau noyé de piles de dossiers, que ses collègues du quart vienne l’avertir du départ de l’avocate. Elle reprend la paperasse étalée devant elle, les procès-verbaux des dénégations du vieux, ceux des quelques auditions de témoins réalisées par Olivier, encore manuscrits et qu’il faudra taper tout à l’heure, le procès-verbal de perquisition, hallucinant. Celui de l’unique et longue déclaration de Barbara Martin, épouse Marcent, terrible, dramatique, insoutenable. Barbara, entendue sous médicaments, dans cette chambre blanche d’hôpital, quelques heures après que son homologue de la brigade criminelle eut appelé Simone, pour lui dire l’impensable : il était sur un dossier d’infanticide, une femme venait de poignarder sa fille qui venait de naître, en pleine salle d’accouchement, l’horreur. Des gens biens, dix ans de mariage, la quarantaine, ils avaient galéré pour avoir la petite-fille ; le père était effondré, aucune alerte antérieure, rien : elle y avait pété un câble, et s’était évanouie… Mais ça n’était pas pour ça qu’il appelait : la femme, à son réveil, était lucide, enfin, autant qu’on pouvait l’être, et elle avait immédiatement entrepris de lui raconter son histoire à elle : sa mère était morte alors qu’elle était encore très jeune, elle était restée seule avec son père, et son père… Son père la violait depuis, constamment, tous les jours, depuis des années, souvent très violemment…
Simone avait interrompu son collègue en fronçant les sourcils : – “Mais, tu ne m’as pas dit qu’elle avait quarante ans, et qu’ils sont mariés ?” – “Si, elle en a trente-deux en fait, lui quarante, tu as raison, bien vu. Mais voilà, et putain, je te jure, Simone, on a de la bouteille, toi et moi, je n’ai jamais rien vu d’aussi pathétique : la femme, Barbara, elle raconte tout au présent, mais en fait elle parle de son enfance, tu comprends ? On a mis un peu de temps à s’en rendre compte, on s’est fait aider des médecins d’ailleurs, mais en fait, elle se voit petite-fille, elle est retournée vingt ans en arrière dans sa tête, elle raconte ces trucs comme si ils s’étaient passés la veille, tu comprends ? Putain, je me suis retrouvé à prendre la déposition d’un flagrant délit d’inceste raconté par une petite fille dans le corps d’une femme qui vient de tuer son bébé… On n’a pas pu aller au bout. Et franchement, je te le dis, j’ai chialé comme un veau…”
Simone avait fermé les yeux.
Les gars avaient décidé qu’il serait plus sain de distinguer l’enquête sur l’infanticide de celle qu’il fallait ouvrir sur ces viols incestueux anciens, ils allaient en référer au parquet, mais il avait voulu la prévenir avant, par courtoisie entre collègues, sachant bien, et il s’en excusait presque, qu’elle allait en hériter – et Simone avait bien compris que par “plus sain”, il entendait aussi : “plus sain pour ma propre santé mentale”… Elle l’avait remercié de l’avoir prévenue, et, moins d’une heure plus tard, s’était effectivement vu confier l’enquête portant sur Raymond.
Elle avait appelé l’hôpital psychiatrique, demandé si l’état de Barbara Marcent permettait de l’entendre, on lui avait passé le chef de service psychiatrie, qu’elle connaissait bien par ailleurs car il était aussi l’un des experts judiciaires qu’on rencontrait le plus souvent dans ses dossiers à elle, qui lui avait confirmé que oui, on pouvait l’entendre, mais aussi son état, décompensation totale, large amnésie, une patiente qui authentiquement se croyait redevenue petite-fille, qui subissait jusque là la sexualité brutale de son père, et qui venait de s’en libérer à coups de ciseaux. Il lui confia d’ailleurs aussi que pour lui, le délire psychotique ayant provoqué le drame de la clinique ne faisait aucun doute, et qu’il conclurait à l’abolition du discernement concernant le meurtre de l’enfant, si on lui confiait l’expertise.
Et elle était allée entendre Barbara.
Qui lui avait raconté comment elle vivait, dans une peur absolue, seule, abandonnée de tous, aux mains de son père, qui l’avait violée pour la première fois alors que la stèle funéraire de la maman n’était pas encore posée, elle avait neuf ans. Et tout le temps depuis. Elle n’avait pas le droit de jouer, pas le droit de sortir, sauf pour l’école mais elle y allait, elle revenait le midi, elle repartait, elle en revenait, il regardait l’heure, pas le droit de traîner, pas d’amis. Il la battait, aussi, des fois quand elle ne voulait pas, d’autres fois pour rien, ou pour une mauvaise note. “Il me frappe avec le cordon blanc pour brancher la lampe de chevet. Et il me menace, tu vois, il montre des ciseaux, ou bien son truc pour tailler le bois, il le pose sous mon œil et il dit “tu te la fermes, maintenant”. Des fois il m’attache au mur dans la chambre, il y a un crochet, il fait le noir dans ma chambre, je ne peux plus rien voir toute la nuit. Moi je dis rien à personne, sinon j’aurai plus de maison, et il va me tuer. Dis, il va me tuer, tu crois ?”
Simone, elle, était allée au bout. C’était son métier, et son putain de devoir. Elle avait interrogé cette femme comme elle interroge, depuis des années, “ses enfants” habituels, ses petites victimes impuissantes et massacrées, elle avait, comme pour eux, tenté de la rassurer comme elle pouvait, employant des mots enfantins, tachant d’apaiser ces mains qu’elles voyait se crisper sur les draps blancs – elle l’avait écoutée, décrire l’abomination, de la première à la dernière minute, dont voulait bien parler la femme-enfant qui se trouvait devant elle, sentant irrépressiblement monter en elle une rage terrible, blanche et froide, la volonté absolue de coincer le salopard responsable de cette succession d’horreurs – puisqu’ils savaient déjà, quelques investigations rapides effectuées, qu’il était apparemment toujours en vie…
Elle ne pouvait pas interroger Barbara sur la façon dont elle avait fini par réussir quand même à s’échapper de cette prison, le cerveau bousillé de cette femme s’était arrêté à une période antérieure, elle y était encore, dans sa chambre de tortures, Simone pensait qu’elle y était même restée encore des années, au moins jusqu’à seize ans, fin de la scolarité obligatoire, et qu’il avait dû falloir un miracle, ils essaieraient d’éclaircir ça plus tard.
Elle avait demandé doucement à Barbara, au bout de trois heures qui lui avaient paru trois ans, si elle pensait avoir tout dit, pour l’instant, si elle pouvait la laisser se reposer ? Et la petite fille lui avait dit de sa voix de femme que oui, mais… “Dis ? Si tu vas chez moi, est-ce que tu peux me ramener mon Doudou Jean-Jean, s’il te plaît ? C’est mon lapin, je l’ai tout le temps, mais j’ai dû l’oublier, je l’oublie jamais, parce que c’est mon copain.” Simone avait ravalé sa salive et les larmes qui lui montaient avec : “Oui, ma puce, ne t’en fais pas. Il est où, dans ta chambre ? Je vais te le ramener.”
Ils étaient montés, lors de la perquisition, évidemment – on voyait que l’escalier et l’étage étaient désaffectés, le vieux avait confirmé d’un mot qu’il n’y allait plus jamais depuis des années, tout y était couvert d’une poussière épaisse et de toiles d’araignées, le minuscule palier du haut était jonché de déjections de rats ou de souris.
A gauche, son ancienne chambre à lui, sale, un grand lit sans literie, une armoire vide, rien d’autre.
A droite, sa chambre à elle. La porte avait gonflé, avec le temps le bois avait joué, ils avaient dû l’ouvrir à coups de pieds. Petite pièce, des rideaux opaques, tombés en lambeaux lorsqu’ils les avaient ouverts, en toussant dans le nuage de poussière. Murs blancs lépreux, plancher. Un petit lit d’une personne adulte, montants en fer, matelas mité, un drap gris, avec à côté, directement au sol, une lampe sans abat-jour, reliée à la prise murale par une rallonge électrique blanche. En face, un coffre à jouets, et les montants de ce qui avait dû être une chaise en paille, à gauche une petite armoire. Quelques vieux jouets dans le coffre, certains pour tout petits, certains plus adolescents, quelques livres abîmés, des livres de classe, aussi, jusque celle de Troisième. Armoire vide, mais au-dessus, avec d’autres vieilleries, un lapin en peluche, sale, avec un bout d’oreille en moins. Scellé dans le mur, derrière la porte en la refermant de l’intérieur, un anneau. Des lettres et des ébauches de dessins à moitié effacés en dessous, sur le mur.
Les deux officiers, Simone et Marc, avaient échangé un regard devant ce bout de mur, sans rien dire. Simone avait pris Jean-Jean – elle comptait en acheter un si elle ne le trouvait pas, mais elle était contente qu’il soit encore là.
Simone se détache du procès verbal de perquisition, qui n’avait rien amené d’autre, et regarde sa montre, à nouveau très impatiente d’être face à Raymond. “Allez, Maître, dix minutes et vous nous le rendez, hein ?” Son téléphone sonne, comme en écho : “Commandant ? Le quart. L’avocate d’office a fini avec votre gars, mais elle voudrait vous voir, par rapport à ses observations.” Simone fronce les sourcils. “J’arrive.”
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Juliette, un peu parce qu’elle est médecin, beaucoup parce qu’elle adore son frère, a beaucoup fait, en peu de temps. Elle l’a laissé s’épancher, évidemment, bouleversée elle aussi, prenant pour une fois le rôle qui était le sien à lui, son grand-frère, d’habitude et depuis leur enfance : celui d’un protecteur, de l’ultime confident. Il s’est calmé, elle a décidé qu’il fallait qu’il mange, n’ayant strictement rien avalé depuis le drame, et elle leur a préparé un plateau, malgré ses protestations. Ils ont parlé, énormément. Puis, Juliette a finalement convaincu son frère d’accepter un petit somnifère, lui qui déteste les médicaments, et n’a jamais dormi beaucoup ; il s’est écroulé, il dort dans le canapé, aucun signe de détente sur le visage, mais il dort.
Juliette a aussi appelé l’hôpital, utilisant sa qualité professionnelle aussi bien que celle de belle-sœur de Barbara pour réussir à s’entretenir avec le confrère psychiatre qui l’a en charge, qui a bien voulu lui dire ce qu’il savait de son état. Juliette avait raccroché très émue ; elle aime Barbara, elles ont le même âge, et elle sait à quel point elle rendait son frère heureux. Mais elle n’en avait rien laissé paraître à Xavier, estimant que son boulot était de le remettre debout, le plus vite possible – si faire se pouvait…
Le praticien et elle sont au surplus d’accord : plus Barbara se verra soumettre d’éléments lui permettant de “revenir”, plus il y aura de possibilité qu’elle sorte de son cauchemar, même si c’est encore très tôt, même si son pronostic est plutôt négatif, en tout cas à court ou même à moyen terme ; maintenant, ce qui préoccupe aussi Juliette, c’est la capacité de Xavier à encaisser ce nouveau choc, et, si même elle parvient à le décider à y aller, celui qu’il aura à la voir dans cet état, sans le cas échéant être capable de rien y faire…
Juliette hésite, elle ne sait pas quelle décision est la bonne, elle sait trois choses : son frère est fort, mais il est plongé dans un drame épouvantable, auquel elle-même se dit qu’elle n’aurait pas résisté, et, à ses paroles, à son attitude, elle sait que sa souffrance est inimaginable ; par expérience, elle sait aussi que l’attentisme n’est pas obligatoirement une bonne idée, et que les ménagements que, peut-être, on souhaiterait avoir dans une situation plus “normale”, n’ont aucun sens dans une telle situation : il va bien falloir qu’il se confronte à ça de façon tangible, et revoir Barbara, même “comme ça”, peut au surplus éloigner, un peu, peut-être, les images violentes qui le hantent ; et elle sait, enfin, qu’elle l’aime, qu’elle les aime, tous les deux. Elle a très peur de se tromper, elle ne veut être la cause d’aucune souffrance supplémentaire. Elle décide d’appeler son mari, médecin lui aussi, confronté chaque jour à la mort et aux familles : être cardiologue à l’hôpital oblige à gérer tous les jours l’incompréhension des proches, leurs douleurs…
Michel la réconforte, lui dit que tout va bien avec les gosses, qui l’embrassent, et comprend rapidement que sa femme ne sait pas quoi faire, et essaye de reculer devant un obstacle qui, à lui, semble incontournable. Il lui dit ce qu’il pense, sans détours : il faut le dire à Xavier, et il faut aussi l’emmener là-bas, au chevet de sa femme. Juliette lui explique que, entre autres choses, Xavier lui a fait part de ses doutes profonds sur son amour, sur son envie de simplement la revoir, sur l’horreur du crime qu’il vient de vivre, et des révélations qui ont suivi, qui actuellement lui font penser qu’il ne la connaît pas, qu’elle a menti tout le temps, qu’il n’est rien à ses yeux… Michel, toujours un peu rude, mais elle l’aime aussi pour ça, ce côté rassurant du pylône en béton au milieu de la tempête, balaye tout ça d’une tirade : “Oui, évidemment, il ne peut pas penser autrement, pas maintenant. Mais tu les connais aussi bien que moi, tu le connais mieux que moi. Il est fou amoureux, ça ne partira pas comme ça, j’en suis sûr. Et je vais te dire, aller la voir dans son état, ça lui fera comprendre mieux que n’importe quoi que ce n’était pas elle, à la clinique, et quel secret elle portait, et à quel point il était sans doute impossible pour elle de le lui dire avant… Ton frère, c’est un combattant. Tu proposes quoi ? D’attendre qu’il l’apprenne autrement, et s’en veuille encore plus de n’avoir rien fait, et t’en veuille à toi de n’avoir rien dit ? Tu veux essayer de le remettre en selle ? Propose lui ce combat, tout de suite. Si tu veux, je l’appelle et c’est moi qui lui explique.” Juliette sourit, fatiguée et anxieuse, mais reconnaissante ; Michel vient d’avoir le discours que, sans aucun doute, Xavier aurait eu à sa place, dans le cas inverse… “Non, tu as raison, je vais le faire, à son réveil, et j’essaierai qu’on aille la voir.” Elle le remercie et raccroche, en lui promettant de rappeler vite.
Elle va s’asseoir à côté de son frère, il lui attrape la main dans son sommeil, elle la serre.
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L’avocate a l’air toute remontée, elle apostrophe Simone dès qu’elle la voit arriver, au bout du couloir. “Ah ! Vous voilà. Bon, j’ai vu Monsieur Martin, il m’a raconté ce que vous lui reprochez, et surtout, de quand ça date ! C’est totalement fou, selon lui, les faits dont il est soupçonné remonteraient à vingt-cinq ans, vous me confirmez ça ?“, lui glapit-elle d’un air outré.
Simone la regarde, un peu ahurie, prête à lui demander de changer de ton, mais quelque chose la retient. “Euh… Oui, Maître, c’est à peu près ça, à cette période en tout cas…“. L’avocate enchaîne : “Mais..? Ils sont prescrits, Madame. Vous retenez cet homme pour des faits qui ne peuvent pas être poursuivis, c’est trop vieux, c’est prescrit ! C’est pour ça que j’ai demandé à vous voir, pour vous dire que je laisse des observations, et j’avertirai mon confrère au Palais dès mon retour : c’est prescrit, et je l’ai expliqué à mon client, je lui ai montré le texte, il ne peut pas être poursuivi, c’est terminé, dix ans au-delà de la majorité de sa fille, ça faisait vingt-huit ans, c’est terminé depuis, vous devez arrêter sa garde à vue, en plus il a quatre-vingts ans !” Simone cligne des yeux, stupéfaite, elle hésite un quart de seconde, puis : “Ah, c’est donc ça, c’est prescrit ! Ah, mince, on ne l’avait pas du tout vu, nous autres, ici… Crotte, bon, ben on va voir ce qu’on en fait – en tout cas, merci, hein, ça va nous éviter de travailler pour rien : merci beaucoup… Bon, ben au revoir, Maître, au plaisir, même, comme on dit.“, lui répond-elle en tournant les talons, sans se préoccuper de savoir si la jeune avocate comprendra l’ironie ou pas – elle pense que pas, elle n’en a pas la moindre idée, elle est sincère, elle tend déjà ses observations écrites au policier du quart, et elle l’aurait détrompée si elle avait été polie et un peu humble, mais là, qu’elle se débrouille, Simone espère qu’elle aura honte un peu plus tard.
A vrai dire, elle aurait même pu lui préciser que, même si elle ne se plantait pas dans les grandes largeurs, même s’il y avait effectivement eu une prescription, elle aurait quand même maintenu la garde à vue, et tenté d’obtenir des aveux, judiciairement inutiles, mais fondamentaux, du moins le pensait-elle, pour la santé mentale d’une dame hospitalisée qui venait de commettre un acte invraisemblable… A quoi bon ?
Elle remonte dans son bureau, dans lequel l’attend Marc, revenue entre temps. “Salut, travailleur acharné. Tu ne vas pas me croire, tu sais ce que l’avocate du vieux vient de me sortir ? J’aurais tout vu, mon vieux…”
Évidemment, qu’ils s’étaient, tout de suite, interrogés sur l’éventuel risque de prescription, aux côtés du procureur d’ailleurs, comme à chaque fois que les faits enfin dénoncés sont très anciens. Et dans le cas de Barbara, justement, ils avaient pour ainsi dire remercié le dieu des flics que le drame ait eu lieu cette année, et pas la suivante, faute de quoi Raymond avait gagné d’office, cette idée leur étant insupportable.
La malheureuse Barbara avait trente-deux ans, et elle avait dénoncé, ou plutôt la petite fille enfermée en elle pendant toutes ces années l’avait fait, des actes de viols commis sur elle depuis ses neufs ans, par son père légitime, et qui avaient probablement duré pendant la plus grande partie de sa minorité.
Alors, contrairement a ce qu’avait couiné l’avocate, aucun de ces faits n’étaient prescrits : l’article 7 du code de procédure pénale, pour mal rédigé qu’il soit à force de modifications et ajouts, ne laissait aucun doute : vingt ans et seulement à compter de la majorité de la victime, soit jusqu’à ses trente-huit ans. Et ils avaient ensuite repris le tableau des modifications législatives chronologiques que Simone tenait régulièrement à jour, pour vérifier qu’entre temps, aucune prescription plus ancienne et plus courte n’avait été acquise1 , pour constater qu’il n’en était rien : pas de prescription, Raymond pouvait légalement être poursuivi, et condamné.
Les policiers ne comprenait pas comment l’avocate avait pu se planter à ce point, et parler de dix ans au lieu de vingt, la prescription de vingt ans était en vigueur depuis un moment déjà (et s’ils avaient su que les codes de la Permanence, dont celle-ci, qui n’était pas habituée à la matière pénale et n’en avait pas, s’était munie en prenant la sienne, n’avaient pas été renouvelés depuis six ans, ils auraient sans doute un peu mieux compris…), mais le fait était que Raymond, apparemment, devait y croire, maintenant – surtout si son conseil avait été aussi péremptoire auprès de lui que face à Simone.
Marc ouvre la bouche le premier, après qu’ils ont ensemble ricané un peu au sujet des avocats arrogants qui parfois devraient s’abstenir : “Dis, Commandant, je sais que ça ne va pas te plaire, mais…” Simone l’arrête d’un geste, il y a des trucs qu’on ne dit pas à voix haute. “Oui, je sais, j’y ai pensé, figure-toi. Je ne fais que ça, d’y penser…” Simone est foncièrement honnête, c’est même l’une des raisons pour lesquelles elle a voulu devenir policier, elle pense, tout simplement, que tout le monde devrait l’être aussi. Mais voilà, entre l’exercice quotidien du métier, dans des conditions désolantes et des affaires constamment sordides, et les grands principes, il a déjà, parfois, fallu composer, trouver une ligne rouge qui ne soit ni toute droite, ni trop torve, et c’est parfois compliqué. Elle sait exactement ce à quoi pense Marc : puisque Raymond croit a priori qu’il ne risque plus rien, qu’il demeurera impuni, se servir de son erreur et la conforter, en espérant, et vu ce qu’il a montré de sa charmante personnalité, détrempée de méchanceté, ça pourrait coller, qu’il parle, qu’il raconte, qu’il avoue, sans peur d’être embastillé ensuite, puisque “c’est prescrit”…
Ça suppose juste, si d’ailleurs ça marche, il n’aura peut-être envie de rien dire même dans ce cas, évidemment, que Simone ne le détrompe pas, ne lui dise pas la véritable règle, voire, elle le sait, qu’elle l’encourage dans son erreur. Bon, mais ce n’est pas la sienne, d’erreur, ce n’est quand même pas comme si elle s’apprêtait à torturer Raymond à grands coups d’annuaires sur le crâne… Non, bien-sûr, mais ça ne serait pas non plus tout à fait “réglo”, et Simone n’aime pas ça… Il ne l’est pas non plus, “réglo”, Raymond, c’est le moins que l’on puisse dire, le salopard… Mais Simone sait que ce dernier argument n’en est pas un, et que se permettre de commencer à penser de cette façon, c’est ouvrir la voie à n’importe quelle exaction, puisqu’en face, il n’y a que les méchants – c’est donc risquer de finalement se comporter comme eux…
Elle tranche provisoirement : “On va le reprendre, pendant toute la prolong’ s’il le faut. On va l’avoir. Et s’il ne craque pas, on se reposera la question de sa connerie de prescription, avant la fin, OK ?” Marc s’apprête à protester, il voudrait tenter de crucifier le vieux tout de suite ; mais il voit la lueur des yeux de Simone, la détermination de son visage à cet instant, et il se contente de hocher la tête. “Allons-y.”
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Juliette n’est pas entrée dans la chambre de Barbara, elle a pensé qu’il fallait que Xavier y aille seul. Le psychiatre aussi, mais lui a prévu en plus deux infirmiers qui sont là, eux-aussi, de l’autre côté de la porte, montant la garde au cas où Barbara serait prise d’une nouvelle crise, personne ne sait ce que la vue de Xavier va provoquer, et c’est sur sa main à lui qu’elle a frappé d’abord…
Juliette n’est pas croyante, pas plus que Xavier. Mais elle prie.
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La temporisation souhaitée par Simone était inutile, elle aurait dû se douter que Raymond allait immédiatement mettre les pieds dans le plat, d’ailleurs, ce type est aussi brutal et immédiat qu’un ours en furie, il les a apostrophés dès qu’il s’est assis dans le bureau : “Alors, les duettistes, elle est bien bonne, il paraît que vos vieilleries, ça ne peut plus faire un procès, c’est trop tard, “pescrit” ? Vous pouvez me dire, bordel de merde, ce qu’on attend, et ce que je fous encore là ?”
Marc a réagi au quart de tour, prenant un air mi-peiné, mi-fâché, s’adressant à Simone : “Tu vois ? Je te l’avais dit, qu’elle le préviendrait… Et voilà : il ne nous dira plus rien, maintenant…” Simone le regarde, vraiment en colère, mais elle n’a pas le temps de lui répondre, Raymond enchaîne en braillant : “Un peu, mon neveu ! J’aurais rien dit de toute façon, clampin, vu qu’il n’y a rien à dire ! Bon, vous me libérez oui ou merde ? C’est pas que ce soit bien chez moi, mais c’est moins pire que chez vous…”
Simone avale de l’air, et lui fait signe de se rasseoir : “Du calme, Monsieur Martin. On ne fait rien du tout pour l’instant, vous vous rasseyez, et on discute. Nous, je vous explique, on ne décide pas si vous pourrez être poursuivi ou pas, vous comprenez ? Je vous l’ai déjà expliqué, on vous écoute, on note, et puis on rend compte au procureur, et c’est lui qui décide si ça peut ou pas, d’accord ? Et le procureur, vous pouvez aller le voir assez vite, ou bien dans vingt heures, c’est vous qui voyez ; parce que nous, le droit, on s’en fout, ce qu’on veut, c’est votre histoire, les faits. La vérité. Nous, on s’en cogne, de bosser pour rien, c’est notre métier, alors on va vous garder tant qu’il faudra, jusqu’à ce qu’on l’ait, la vérité, dans deux heures ou dans dix, peu importe. Après, le procureur, il appliquera le droit, et tant mieux pour vous si le droit dit qu’il n’y aura pas de suite, c’est pas notre problème. Bon, on y va, on recommence à zéro ?”
Simone est un peu rouge, elle a monté le ton, mais pas trop, elle est restée calme, Raymond s’est rassis, elle voit qu’il réfléchit, elle l’entend presque, les yeux de Raymond sont posés sur le bureau, où trônent des codes, de l’année, eux. Elle regarde Marc, debout près de la porte, et lui adresse un minuscule clignement des deux yeux, un petit mouvement vers la sortie. Marc comprend, joue leur va-tout, et rage : “Putain, ça m’écœure. Je me casse.” Il sort, en claquant la porte.
Simone espère avoir le masque de l’officier de police qui a tout son temps et s’apprête à en user tant qu’il le faudra, visage neutre, sourcil légèrement relevé, parée pour recommencer les questions, les deux mains au-dessus du clavier. Vingt secondes encore, le regard de Raymond n’a pas bougé du bureau, mais elle voit sa bouche s’allonger d’un côté ; elle voit qu’il amorce une sorte de rictus de sourire. Elle est tendue comme la trajectoire d’une balle. Elle l’attend.
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Barbara n’a pas reconnu Xavier. Pas du tout. Elle lui a demandé, avec sa voix qui est celle de la femme qu’il aime mais le ton de la petite fille qu’elle n’avait jamais voulu lui révéler, qui il est, ce qu’il fait là, si on allait manger, et pourquoi il pleure.
Un déclic s’est produit, mais dans la tête de Xavier. Il aurait voulu crier : “Pourquoi je pleure, Barbara ? Parce que je t’aime. Parce que tu m’aimais. Parce qu’on était fait l’un pour l’autre. Parce que ma vie ne ressemble à rien sans toi. Parce que, même là, même après tout ça, tu es belle, comme tu l’étais quand je t’ai rencontrée. Parce que j’ai besoin de toi, parce qu’il faut que tu reviennes, parce que je suis tout seul, putain, parce que tu es ma femme. TU ES MA FEMME, on va devenir quoi, sans toi, hein, qu’est-ce qui nous reste..?”
Mais à la place, il se redresse, empoignant les montants du lit, ravalant ses larmes, cessant de penser à lui, bouffant des yeux la seule femme du monde qui ne doit jamais disparaître. Il force son sourire, et, sur le ton même que Barbara emploie, il s’attache à la rassurer, prétend être un ami, qu’elle va revoir souvent, car elle a eu un accident et qu’elle va être soignée, elle va guérir, il sera là, il reviendra, tout le temps, lui tenir compagnie et l’aider à guérir – mais non, il ne pleure pas, ou alors parce qu’il est content de la voir : elle le sait, Barbara, que des fois, on pleure parce qu’on est tellement content, tellement ému..?
Il est ressorti de la chambre parce que la petite fille qu’il aime commence à clignoter des yeux, elle dort beaucoup, elle a des médicaments pour ça. Elle lui a dit qu’elle était contente d’avoir un ami.
Il referme la porte doucement, Juliette est là, il lui sourit pâlement, la rejoint sur le banc, ferme les yeux en se prenant la tête dans les mains. “Elle ne m’a pas reconnu. Il ne s’est rien passé. Elle est bloquée là-bas, elle parle comme une gamine de dix ans. Mais j’ai… Je suis son copain, elle m’a… Bien aimé. Elle est d’accord pour que je revienne.” Il se redresse, regarde sa sœur, avec une flamme rallumée dans les yeux, le regard que Juliette lui connaît, celui de son costaud de grand-frère : “Dis à Michel que c’est un sale beau-frère à la con. Mais que pas cette fois : putain, je te jure, petite sœur, je te jure… Je vais la ramener.”
C’est au tour de la petite Juliette, cette fois, d’avoir les yeux brillants. Il la prend dans ses bras, la serre fort, et lui murmure “merci” à l’oreille.
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Raymond relève les yeux, et effectivement, il sourit, à moitié, deux espèces de billes de ruse luisant au fond de ses orbites. “Oh, après tout, hein, mon commandant, ça me fait chier de vous le dire, mais c’est vous qui avez raison, plus vite fait plus vite fini, si c’est mieux comme ça, et que je peux me tirer de chez vous. Alors oui, d’accord, elle dit vrai : je faisais l’amour avec ma fille.”
Simone sent son coeur repartir, tout doucement : “Oui, ce sera plus simple… Bon. Mais là c’est trop rapide quand même, hein, on va reprendre du début, d’accord ? Essayez de me dire tout tout de suite, on n’y reviendra plus…”
– ” Ben ouais je vais vous raconter. Pour ce qu’on en a à foutre. Bon, euh… Voilà. En fait, ma femme est morte, la gamine devait avoir quoi, huit ou neuf ans…”
Ça a pris trois heures, finalement. En tout cas pour cette première audition utile, il y en aurait bien d’autres. Et le vieux Raymond a tout raconté, tout. Par le menu. Simone lui accorde d’ailleurs qu’il a, tout de suite, quitté les gros mots et l’attitude arrogante, et que même, parfois, il a fait passer un peu d’émotion, elle n’a d’ailleurs pas dû lui poser beaucoup de questions, ni l’interrompre : ça coulait. Elle connaît bien ce phénomène, souvent constaté chez les auteurs des dénégations les plus obstinées, et elle en voit tellement… Une fois la clé du coffre trouvée, ou bien, parfois, le coffre forcé, on se lâche, on raconte, parce qu’au fond, tout au fond souvent, c’était un poids quand même, alourdi de peurs, traîné sur des années, et qu’on est soulagé, finalement, de pouvoir enfin déposer…
Sa solitude initiale, la petite qui est là, les premiers attouchements, les punitions et les menaces pour que rien ne filtre en dehors de la maison, les actes plus complets, la petite qui progressivement devient sa femme, les punitions physiques, de peur qu’elle ne parle, la persuader que si elle dit un mot, elle ira en Enfer, les menaces, les ciseaux, l’anneau, le noir… L’enhardissement, toujours plus, parce qu’il voit bien qu’elle ne dit rien, qu’elle ne dira jamais rien. Il a tout dit, sans fard ni ostentation. Brut. Comme lui.
Et puis, un beau jour, il ne sait pas du tout comment, la gamine devait avoir dans les seize ou dix-sept ans, comme Simone l’avait supposé, et, simplement, elle n’était pas rentrée de l’école, “point final“. Il n’avait plus jamais eu de ses nouvelles, et, passés les tous premiers temps, vécus dans la peur de voir la police débarquer, n’avait pas cherché à en avoir, peur d’éveiller les soupçons, peur d’être questionné, peur. Il avait dit à l’école et à ses quelques relations qu’elle avait arrêté et était partie avec un garçon, on avait été surpris, comment c’était possible, elle ne connaissait ni ne fréquentait personne ; mais on n’avait pas cherché plus loin, au village, porte fermée, vie cachée. Rien ne lui était arrivé, et il avait continué, condamnant l’escalier, seul, en oubliant petit à petit…
Simone le regarde, maintenant, ayant enfin le droit d’être fatiguée, sans plus de colère, ne ressentant d’ailleurs pas grand chose d’autre que si souvent, cette irrépressible sensation d’un gâchis terrible, ce vide sidéral de certaines vies, et les drames quotidiens qui s’y nouent, l’absence totale de moralité chez ce père-là, et, malgré tout, l’incontournable constat qu’il fait bien partie du genre humain…
Raymond n’a rien exprimé pour Barbara, strictement rien. On verrait plus tard, peut-être, mais elle doutait qu’il ressente réellement quoi que ce soit… Il y avait d’autres blancs à combler, encore nombreux, et notamment comment cette adolescente apeurée de dix-sept ans avait pu réussir, sans aucuns moyens, seule, à s’en sortir, et à devenir une femme apparemment “normale”, se prétendant orpheline auprès de son futur mari, et ne lui ayant jamais rien dit…
Elle a soudain très envie envie de prendre de ses nouvelles. Raymond a signé, elle demande à Marc, revenu entre temps apporter des cafés, de raccompagner Raymond dans les geôles, et de rendre compte des aveux au Parquet.
Marc acquiesce, mais lui demande, alors qu’elle part téléphoner à l’hôpital, si elle lui permet juste, “en off”, de préciser un point de droit à Monsieur Martin, comme ça, en lui montrant les textes applicables… Simone le regarde, sans joie : “Si tu veux…“.
Raymond râle, “je croyais que c’était fini” ; Marc le lui confirme avec un petit sourire, “dans un instant, oui, je vous le confirme, ça va être terminé“, dit-il en feuilletant rapidement le code de procédure pénale. Il trouve l’article qu’il cherchait, et relève les yeux : “Alors comme ça, Raymond, il paraît que vous dites tout le temps “rien n’est jamais juste”, c’est vrai ?”
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Environ deux ans plus tard.
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Raymond Martin est condamné à dix-neuf ans de réclusion criminelle. Peine très importante, il encourait vingt ans, mais le préjudice était effroyablement lourd. A vrai dire, son avocat craignait même la peine maximale, qui avait été requise, compte tenu, aussi, de son attitude à l’audience – il s’est d’ailleurs répandu en insultes au prononcé du verdict. L’avocat a quand même obtenu une année de moins, à son avis à cause de l’âge de son client, et puis, aussi, pense-t-il, parce qu’au moins, il avait avoué. Raymond gueule qu’il va faire appel, l’avocat soupire…
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Xavier a tenu le coup, épaulé par la famille proche, sa sœur en tête, les amis… Pendant deux ans, il a rendu visite à Barbara tous les jours, sans exception, et passé tout son temps disponible avec elle ; il n’a continué à bosser que parce qu’il avait besoin de l’argent, pour elle comme pour lui, on ne vit pas de l’air qu’on respire dans une chambre d’hôpital.
Il n’est pas un surhomme, il a failli craquer, souvent, il s’est parfois désespéré, tellement peu de progrès, pas, en fait, ou tellement peu, deux ou trois faux espoirs faits d’une phrase qu’on avait pu penser être ancrée dans le réel, mais pas de suites… Tellement d’amour à sens unique, à vivre dans un faux-semblant avec elle…
Et puis, il a compris tellement de choses, depuis, en remplaçant Barbara dans la procédure judiciaire de son père, en tenant à sa place le rôle de la partie civile, en allant en son nom jusqu’au bout, là aussi, en découvrant la chape de plomb dans laquelle on avait coulé l’enfance martyrisée de celle qu’il aimait…
Il a dû la laisser trois jours, pour la première fois, à cause du procès, après lequel, encore terriblement secoué d’avoir eu en face de lui pendant tout ce temps l’homme responsable de tant de souffrances, Xavier n’avait qu’une hâte, intense : se ruer la retrouver, la rassurer.
Seulement Xavier n’est pas un surhomme, et là, à nouveau, ça fait beaucoup. Alors, une fois de plus debout dans la chambre de Barbara, au pied de son lit, pendant qu’elle dort encore, il prend le risque, comme il l’a déjà fait auparavant, de lui parler du réel, de cesser un instant d’être seulement son meilleur copain en faisant semblant d’être un enfant : sans allumer de lumière, il s’épanche, il lui raconte ce qu’il vient de vivre, il pleure, en disant à sa femme à quel point il comprend, à quel point il sait qu’elle ne pouvait rien lui dire, à quel point elle n’a été la responsable de rien, jamais, sauf de son bonheur enfui… A quel point il l’aime, et l’aimera toujours.
Il sanglote, plein de hoquets qu’il tente de réduire au silence, tête baissée, distinguant à peine le corps de Barbara dans l’obscurité…
Et toutes les digues du monde cèdent en même temps.
Devant lui, la tête de Barbara s’est redressée, et elle demande : “Xav’ ? On est où ? Qu’est-ce que tu fous dans le noir ?”
[A ma vraie petite sœur de la vraie vie, dont le hasard veut qu’elle s’appelle Juliette, elle aussi – Juju, parce que ça faisait longtemps que je ne t’avais pas dit à quel point je t’aime !]
Également disponible en : English
- Lors de l’entrée en vigueur d’un nouveau délai de prescription, comme ici vingt ans pour ces crimes à compter de la majorité de la victime, contre dix ans précédemment, jusque mars 2004, ce nouveau délai ne s’applique qu’aux faits qui n’étaient pas encore prescrits à la date où on les poursuit, évidemment. Ainsi, si Barbara avait déjà eu plus de vingt-huit ans (majorité plus dix) début 2004, les faits commis à son encontre auraient été prescrits à la date d’entrée en vigueur du délai de vingt ans, dont elle n’aurait donc pas bénéficié. Barbara avait en fait vingt-six ans à cette date, le nouveau délai s’est donc, pour elle, valablement substitué à l’ancien en 2004, étant précisé que l’enquête se déroule, dira-t-on, en 2009. [↩]
Emue aux larmes par cette histoire (ci dessus) je n'ai pas pu m'empêcher de m'attarder ici pour y laisser un p'tit mot.
Je suis subjuguée par l'écriture, qui rappelle avec une finesse et une humanité infinie toute la complexité des grands conflits. Pas d'invectives ni de complaisances, juste de la chaire.
Un grand merci, je vais continuer ma lecture.
Merci pour cette histoire...
Celui-ci ressemblerait presque à un conte (seulement la fin, bien évidemment). Moi qui désire devenir avocat, j'ai découvert ce blog très récemment et je ne m'en lasse plus.
Merci beaucoup.
Bien à vous.
Promis, je vais vitre revenir - vraiment aussi !
Je précise que par "vous" je m'adresse tout autant au maître de ces lieux qu'à Marie!
merci .
Maintenant une ligne de smiley parce j'ai mauvais goût:
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au moins ici le monstre est encore en vie et punissable ; la victime a une chance peut être de se reconstruire et de s'en sortir...
Vous avez un réel talent d'écrivain Maître, je suis heureux de savoir que vous avez sorti un livre!
Comme quoi, sa vie est un manège.
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