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Prends tes grands airs, France…

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Je retombe (en rangeant mon ordinateur professionnel, car je travaille aujourd’hui, dans “libéral” il y a “râle”), en ce long week-end tout de jaune nimbé, sur une lettre authentiquement adressée à  Air France il y a moult années déjà , mais qui me fait rire encore aujourd’hui, de sorte que je vous la livre in extenso, en vous indiquant tout de suite n’y avoir jamais reçu la moindre réponse, non plus que le moindre chèque…

C’est bon, parfois, d’être le commandant de bord !

Messieurs,

Nous avions naïvement pensé, en achetant deux billets aller-retour pour le week-end dernier, concernant une liaison qui n’a apparemment rien à  envier au plan de sa complexité à  celles internes à  certains pays africains, c’est à  dire LILLE-BORDEAUX et retour, que pour une fois il n’y aurait pas d’incidents, comme nous en avons presque systématiquement connu lors de précédents trajets – nous le pensions au regard du prix payé, 3.192 F au total, soit 1.596 F pour chaque, qui sans être totalement ruineux n’est vous en conviendrez tout de même pas absolument négligeable…

Nous voulions désespérément le croire, parce qu’à  l’aller, très tôt samedi matin, il nous fallait être à  l’heure à  une messe de baptême située à  une heure de voiture de MERIGNAC, lors de laquelle j’avais l’honneur d’être le parrain; et qu’au retour, un peu tard le dimanche soir, il nous fallait atterrir à  une heure décente à  LESQUIN, aéroport où attendait notre voiture, qui nous permettrait d’être relativement tôt rentrés à  LILLE, de façon à  y passer une nuit normale avant de reprendre le travail lundi matin…

Ayant déjà  précédemment été victimes de ce que vous appelez le surbooking, pratique dont vous expliquez sans sourire à  vos clients qu’elle est en vigueur dans leur seul intérêt, lequel nous avait cette fois-là  valu six heures (et non pas l’heure prévisible) de trajets divers en avion, bus et train via PARIS, nous avions décidé de prendre la précaution d’arriver très tôt à  l’aéroport, bien avant l’heure limite d’enregistrement…

Or donc nous levâmes-nous ce samedi 25 novembre 2000 vers 4 heures, et arrivâmes-nous ainsi à  l’aéroport vers cinq heures trente, pour entamer sereinement notre périple, l’avion LILLE-BORDEAUX étant prévu pour décoller une heure après de mémoire.

Las ! Votre si sympathique panneau lumineux, si poli et explicite vis-à -vis des bestiaux que vous acheminez, clignotait fatalement : “vol annulé”.

N’écoutant que notre courage et, petit couple amoureux et déjà  si fatigué, nous promettant bien de ne pas nous énerver, nous nous adressâmes aussitôt à  la personne en poste à  cette heure-là , qui, évidemment sans le moindre mot d’excuse non compris dans le forfait et finalement bien inutile, nous apprit en regardant gentiment ailleurs le motif de cette difficulté: “l’avion n’est jamais arrivé, donc il ne peut pas partir”.

Je me permets ici de faire une pause, en hommage à  la pertinence absolue de cette explication, qui nous laissa un temps sans voix : indiscutablement, sans avion, pas de vol, et nous étions désormais parfaitement éclairés.

Mais AIR France veille sur nous: la dame nous expliquait ensuite que nous ferions en réalité LILLE-LYON, puis LYON-BORDEAUX, ce qui devait nous ravir positivement puisque nous allions ainsi avoir la grande chance de visiter l’aéroport de LYON, vœu secret enfoui en nous de longue date, et doubler au minimum notre temps de trajet (en réalité nous le triplerions, mais nous étions encore jeunes et naïfs à  ce stade de l’aventure), de sorte que nous atterririons à  MERIGNAC aux alentours d’un peu plus de dix heures “sauf retard”, ce qui évidemment m’interdisait complètement de remplir mon rôle de parrain lors d’une messe fixée à  onze heures à  une heure de l’aéroport.

Je sens que je vous lasse, on n’a jamais vu du bétail parler : j’abrège, vous passant les appels téléphoniques, décalage de la messe, report du rendez-vous avec belle-maman à  l’arrivée, et surtout inconfort total de la situation et énervement subséquent malgré bonnes résolutions, qu’un simple mot gentil que nous attendons encore eût suffit à  tempérer, etc… Qui présidèrent ainsi à  notre arrivée en catastrophe à  la cérémonie – beau bébé, tout va bien, je vous remercie.

Nous étions relativement chanceux, à  ce stade, et, sots que nous sommes, ne le savions pas encore…

Retour prévu le dimanche soir, décollage vers LILLE à  20 heures 30, arrivée chez nous après avoir repris la voiture à  LESQUIN prévisible vers 22 heures, parfait – comme tous les rêves.

Un tantinet – comment l’écrire ? – suspicieux, nous prenions la précaution, avant de nous mettre en route vers MERIGNAC, soit vers 17 heures 30, de téléphoner à  l’aéroport pour confirmation du vol ; là , une dame fort sympathique m’annonçait que celui-ci était annulé, et me demandait de téléphoner tout de suite à  AIR France car “il n’y en a pas d’autres”. Effectivement, il y avait urgence, notre résistance physique ne nous permettant pas de faire huit cent kilomètres en jogging pour arriver le lendemain matin à  l’heure sur nos lieux de travail respectifs, où nous attendaient des obligations non évitables, que voulez-vous, certains métiers ne supportent pas eux le moindre accroc, la vie est mal faite.

Ainsi fis-je donc, pour obtenir, après une attente que je qualifierais d’ailleurs de parfaitement ruineuse pour le maigre forfait de mon portable (les veaux n’ont certes pas la parole lors du transport, mais peuvent en revanche sans problème la prendre à  leurs frais avant et après), une autre ” dame ” (je ne puis qu’utiliser des guillemets, car je pense qu’elle n’était pas tout à  fait humaine) à  laquelle j’expliquai (très posément, elle ne m’avait encore rien fait) mon souci, qui manifestement tombait mal dans la mesure où j’arrivais au beau milieu d’une conversation tenue avec une collègue à  quelques mètres de son téléphone que j’eus les dix minutes suivantes, pendant lesquelles j’attendais que l’on trouve “mon dossier”, le grand bonheur de suivre dans sa passionnante intégralité (avec un petit “bip” dans mon cellulaire me signalant les minutes qui passaient tandis que Josiane racontait la “bonne femme” qui voulait du “champagne”, “c’est dingue, et qu’est-ce tu lui as dit, bip, mais t’as raison y se croivent tout permis, bip” … ). Après ne m’avoir successivement pas trouvé, puis demandé au moins à  six reprises quel jour je voyageais (je ne savais plus comment dire “mais c’est aujourd’hui, je vous l’ai dit”, donc j’ai fini par dire “maintenant”, erreur fatale: il n’y avait aucun vol à  l’heure de cette édifiante conversation, d’où nouvelle incompréhension à  laquelle je mis finalement une fin provisoire grâce à  un splendide “en fait dans deux heures environ” dont je ne suis rétrospectivement pas peu fier !), avoir revérifié, avoir abordé la question délicate de l’horaire, et, je le reconnais bien humblement mais les batteries allaient me lâcher, et pas seulement celles du téléphone, avoir essuyé une leçon de savoir-vivre élémentaire courtoise mais ferme ab irato, le scoop tombait enfin, le Saint Graal m’était enfin promis: “Non, y a rien, pour moi votre dossier est maintenu, ils ont dû se tromper à  l’aéroport.”

Heureux et rassurés – quoiqu’encore étreints par une légère appréhension (et si c’était la martienne qui se trompait ?), nous prîmes la route pour MERIGNAC, et arrivâmes sans encombres dans ce riant palais de l’aéronautique française vers 19 heures, soit une heure trente en avance…

“Vol annulé”, clignotait le panneau, juste avant que je ne décide de tuer tout être vivant dans un rayon de cent mètres.

Après réflexion, je ne le fis pas, et provoquai alors une scène inédite dans mon couple : nous sortîmes, posâmes nos sacs, et nous promîmes mutuellement que quoi qu’il arriverait, et nous savions que désormais tout était possible, nous tâcherions à  tout prix de rester calmes.

Nous rentrâmes, et vécurent un second petit miracle: après avoir attendu un temps que je qualifierai au regard de vos pratiques habituelles de très raisonnable (vingt minutes), nous accédâmes à  un jeune homme très affairé mais courtois, et une jeune femme charmante et souriante, lesquels nous expliquèrent en quelques mots la situation (vol annulé car problèmes semble-t-il de sous-traitance par AIR France, rien compris mais l’intention y était) et surtout ce que nous allions devenir : un vol pour ROISSY partait à  la même heure que celle prévue initialement, puis AIR France nous offrait somptueusement un billet de train (seconde classe, je note au passage que votre compagnie considère elle-même que ses sièges ne valent pas ceux de la première classe SNCF, pourtant déjà  franchement fort laids et inconfortables, mais passons) pour un TGV ROISSY-LILLE, qui partait de ROISSY exactement à  23 heures 10, de sorte que nous arriverions à  LILLE à  minuit passé.

C’était ennuyeux, bien sûr, puisque nous ne nous coucherions ainsi que peu de temps, moi surtout puisqu’il me faudrait à  l’arrivée louer une patinette pour faire les 15 kilomètres me permettant d’aller récupérer ma voiture à  l’aéroport, mais au moins ces personnes (je regrette de n’avoir pas noté leurs identités, vous auriez pu les augmenter fortement, ils prenaient sur leurs instructions usuelles d’être clairs, polis et même sympas, ça me fait encore tout drôle) nous avaient orientés, et nous rentrions.

Ils nous enregistrèrent, et nous attendîmes en salle d’embarquement, nantis de délicieuses friandises que personne n’avait songé à  nous offrir mais que nous nous payâmes dans un geste de tendresse folle : un coca tiède à  quinze francs au distributeur, un café en poudre à  dix francs à  la buvette, que voulez-vous, quand on aime…

Mais le Malin guettait encore, tapi dans l’ombre des réacteurs: voilà  que vers les vingt heures, mon panneau préféré se mettait à  clignoter de nouveau, mais cette fois sur la ligne concernant notre vol vers ROISSY: ” trente minutes de retard “, une annonce simultanée sur haut-parleurs nous en expliquant de façon assez judicieuse le motif : “problème d’attente”.

Ainsi instruits, et après avoir commencé, par réflexe de survie, à  manger notre sac de voyage en plastique, nous finîmes par embarquer, l’avion ayant décollé non pas avec une demi-heure de retard mais un peu plus (suite je crois à  de légères échauffourées en cabine concernant les sacs de certains qui ne rentraient pas dans les rangements, tout le monde commençant à  perdre le peu de raison qui subsistait, je pense en particulier aux personnes qui risquaient de louper leur correspondance à  PARIS pour NOUMEA, embêtées car elles ne pouvaient décemment pas y aller en TGV insubmersible) – suffisamment en tout cas pour nous faire non pas atterrir mais émerger de l’avion (ce qui est très différent compte tenu du trajet invraisemblablement long effectué au sol par l’appareil avant arrêt) à  23 heures 10 ou 11 minutes.

Si vous suivez encore, vous savez à  la lecture de ces chiffres ce que nous fîmes alors : courir, de toutes nos désormais maigres forces, vers la gare TGV, espérant follement un tout petit retard du DERNIER train qui pouvait nous emmener à  LILLE…

Nous arrivâmes pour apercevoir le bout du dernier wagon s’éloigner dans la nuit…

Nous posâmes les sacs, et un grand moment de découragement s’abattit sur moi, lors duquel, je vous le confesse, je songeai sérieusement à  m’immoler par le feu dans un de vos salons VIP.

Après avoir repris les sacs et refait le trajet dans l’autre sens, nous finîmes par trouver les comptoirs de location de véhicule, et monter dans une splendide Punto pour effectuer vaillamment les deux cents kilomètres nous séparant de mon propre véhicule (coup de chance unique de cette nuit-là , LESQUIN est situé avant LILLE sur l’autoroute de PARIS), a proximité duquel nous arrivâmes sans que miraculeusement je ne me sois endormi au volant vers une heure.

Nous laissâmes notre sauveuse sur place, mais pas les clés et les papiers, parce que tout était fermé et qu’il n’existe pas de boîte prévue à  cet effet contrairement à  ce qu’annoncé au départ, mais bast : après avoir savouré les quatre heures de sommeil qui me restaient à  prendre généreusement après notre retour, je repartis avant le travail pour LESQUIN ou je remis ces éléments à  l’employé du matin.

Je ne me fais aucune illusion, vous ne ferez probablement rien pour nous indemniser au plan moral des multiples tracas, attentes, pertes de sommeil et d’énergie, et même dangers (je pense à  ce trajet crevant en voiture) etc… que votre incurie nous a fait subir, pour un trajet aussi simple et à  vos tarifs, qui le sont moins.

En revanche, vous trouverez ci-dessous copie des justificatifs de nos frais matériels, location de voiture avec essence, péage et prorata temporis de frais de parking de mon véhicule (j’aurais dû le récupérer à  22 heures le dimanche, je l’ai repris à  01 heure 04 le lundi matin, différentiel de trois heures, 8 F 2), pour un montant total de 858 F 18, dont je vous réclame par la présente, que vous voudrez bien de ce fait considérer comme valant mise en demeure, le remboursement (vous observerez que je vous offre avec largesse l’essence aller-retour du lundi matin et tous nos appels téléphoniques, ainsi que le coût de la présente), de même évidemment que le prix de nos billets qui jamais n’ont pu être utilisés, ni comme il était prévu, ni même tout court…

Si vous aviez à  cœur de compenser tout ceci, que j’ai choisi de vous décrire sur un mode un peu léger parce qu’à  défaut il n’aurait pu qu’être grossier, vous effectueriez un quelconque geste commercial à  notre profit, et nous indemniseriez en outre de ce qu’il faut bien appeler un préjudice moral ; à  défaut ou en plus, et outre le remboursement de frais matériels précité, nous accepterions de grand cœur qu’enfin de quelconques excuses nous parviennent, que nous conserverions religieusement dans l’album photographique familial du baptême, à  côté du fac-similé du texte que j’ai lu à  la messe en catastrophe et de la photo de ma tête de lundi dernier à  l’aube.

En cas d’absence de réponse positive de votre part, nous serions contraints d’agir en justice, parce que tout humour mis cette fois à  part, et même si vos billets comportent des clauses exonératoires rarement rencontrées même en république bananière, je pense que nous avions en tout état de cause droit à  un tout autre traitement qui, sans exiger l’impossible, pouvait avantageusement friser la simple correction.

Je vous prie d’agréer, Messieurs, l’expression de nos sentiments distingués.