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“Plaider coupable” ? Pour quoi faire ?

Retour d’audience de “comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité “, dite “plaider coupable” : c’est curieux, j’ai un grand trou dans ma robe…
Cette aberration judiciaire, on s’en souvient, consiste à  vous épargner de comparaître devant un Tribunal Correctionnel pour y répondre d’une infraction, à  partir du moment où vous la reconnaissez, en acceptant dans le bureau d’un Procureur la peine qu’il entend vous proposer, acceptation soumise ensuite à  l’homologation d’un magistrat qui la transformera en jugement.
J’étais contre, pour tout un tas de raisons, au rang desquelles le fait que je suis avocat, et non pas un commercial en train d’essayer d’obtenir le meilleur prix du marché…
Il s’agit en outre ici pour l’avocat (vous savez, le type dont le métier, et la passion, consiste notamment, au pénal, à  vous assister à  l’audience pour essayer de modifier le cours des choses, et notamment pour effectuer devant les magistrats qui doivent vous juger, face à  la peine réclamée par le Parquet, une contre-proposition raisonnable, acceptable, estimée plus juste, mais si, allons, ce métier qui en un mot consiste à  obtenir un jugement différent de celui qui aurait été prononcé si l’avocat n’avait pas parlé !) de deviner quelle peine sera prononcée à  l’audience si vous n’acceptez pas la proposition, et de vous conseiller de l’accepter ou pas : c’est à  dire de nier ce pour quoi il intervient à  ladite audience !!
Bref, à  l’époque, l’une des critiques les plus vives que nous adressions à  ce marchandage judiciaire consistait à  souligner que l’on ne peut jamais connaître d’avance une décision, par définition de bon sens non prévisible, mais également par définition juridique : en France, la loi interdit les “arrêts de règlement”, c’est à  dire les peines qui seraient toujours prononcées dans des cas similaires, pour des infractions données – ce qui effectivement serait contraire au principe de la “personnalisation des peines”, c’est à  dire celui de l’interdiction faite au juge de ne juger que les faits, pour devoir également tenir compte de la personnalité de leur auteur, des circonstances de leur commission, etc…
Caramba, encore raté !
A LILLE, par la grâce d’un Barreau suffisamment fort, et d’un Procureur conciliant, cette procédure est pour l’instant réservée aux seules infractions de conduite en état d’ivresse (pour combien de temps encore..?), bien que la loi l’autorise dans de très nombreux autres cas.
Or à  l’audience, il a en substance, et même très expressément, été expliqué à  mon client que la proposition de peine (quinze mois de suspension de permis, trois mois d’emprisonnement avec sursis et 250 €d’amende, n’en jetons plus…) effectuée tenait compte d’un “barème” (quelle horreur ce mot, même sa seule complexion est hideuse), reposant uniquement sur le taux d’alcoolémie constaté…
Peu importaient les circonstances, ici très particulières, de commission de l’infraction unique commise par le justiciable concerné dans sa très longue vie, peu importait également le contenu de cette vie, et ce qu’était ce Monsieur : il avait bu avant de prendre le volant et le reconnaissait (coupable), et sa peine serait de quinze mois car son taux d’alcool dans le sang était de tant (plaider ???).
Soyons totalement honnête (ça tombe bien c’est mon métier), il y a toujours eu une tendance au barème, même à  l’audience, dans certains types de dossiers : stupéfiants (pour l’héroïne, il se disait quand j’étais jeune avocat qu’un kilo valait un an) ou alcool au volant… Mais ils n’ont, fort heureusement, jamais été ni officiels, ni intangibles, et, fonction de tout ce qui entoure l’infraction, les peines étaient et demeurent à  ma connaissance très différentes d’une infraction sur l’autre, et surtout d’un justiciable à  un autre…
Maintenant (comme c’était prévisible) c’est officiel, ça se dit, et c’est en soi une cause d’impossibilité de discuter la peine, tellement prévisible qu’elle en devient donc automatique : un ordinateur aurait très correctement géré tout ceci ce matin, seul…
S’étonnant avec respect de cette automaticité, l’avocat, proposant dès lors, avec toujours plus de respect, que l’on supprime purement et simplement toute discussion, au profit par exemple d’un simple mail de proposition de peine qui éviterait à  tout le monde un déplacement frayeux à  l’audience, se voyait répondre que celle-ci conservait son intérêt et qu’une discussion avait bien lieu, puisque le justiciable avait l’option de refuser ou d’accepter… Effectivement.
En revanche, il ne m’a pas paru indispensable, finalement, de porter ma robe ce matin.