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Mô rapport !

Au cours d’une discussion récente avec certain avocat1, la conversation en est venue, je ne sais comment2, à  porter sur les rapports écrits rédigés par les parquetiers “de base” à  l’intention de leur chef “régional”, le Procureur général.

Comme l’ensemble des qualités énoncées en note de bas de page n°1 n’exclut pas une certaine naïveté, mon interlocuteur m’a alors demandé si ça existait toujours, ces rapports écrits, question à  laquelle je n’ai pu que répondre par l’affirmative. Après tout, un ministre de la Justice qui prend la peine de vouloir rappeler lourdement solennellement, en le gravant dans le code de procédure pénale, le principe selon lequel les parquetiers sont placés sous son autorité et doivent exécuter les instructions qu’il leur donne ne risque pas de se priver demain de l’outil que ces rapports constituent.

Brandissant l’étendard du contradictoire, l’avocat en question s’est alors indigné que lesdits rapports ne fussent jamais communiqués aux autres parties concernées. J’ai alors évoqué le fait qu’en réalité, ceux qui intéressent ces dernières leur sont en réalité parfaitement accessibles, mais dissimulés sous un avatar bien connu, avant de finalement lui promettre de publier un billet à  ce sujet, l’individu ne manquant jamais de me rappeler que sa productivité est considérablement plus élevée que la mienne3 .

Or doncques, allez hop ! Les rapports au Procureur général. Avec en prime un specimen retrouvé dans mes archives à  titre d’illustration4 .

La caractéristique principale du rapport au PG est la fréquence à  laquelle ce dernier demande aux parquetiers de lui en procurer. On peut même estimer que ces rapports constituent l’une des sources essentielles de la mauvaise humeur qui affecte parfois le parquetier, d’ordinaire souvent avenant pourtant.5 Si vous croisez un substitut au regard noir, grommelant dans sa barbe tout en trimballant une pile de paperasse sous le bras, et que vous l’interrogez sur l’origine d’une telle grogne alors qu’il est rentré ce matin de vacances, il y a de fortes chances qu’il vous réponde quelque chose comme “gngngn six p… de demandes de f… rapports gngnavant demain rogntudju” (c’est d’ailleurs la réponse que j’ai obtenue lorsque, dans un souci de prudence, j’ai appelé une amie parquetière pour vérifier que la pratique que j’avais connue en la matière perdurait toujours, à  ceci près qu’elle n’avait que quatre rapports en attente), ce qui ne signifie nullement qu’il a un conjoint exigeant, mais bien que la haute hiérarchie a décidé que les procédures courrier et la préparation des audiences pouvaient attendre.

La deuxième caractéristique du rapport au PG réside en effet dans son urgence : il doit toujours être livré pour hier, au minimum. Même si vous êtes de permanence, même si vous devez assurer quatre audiences cette semaine. On vous dit que c’est urgent, là  !

Son troisième signe particulier, enfin, est d’être au parquetier ce que la cacahuète est à  Jean-Claude Van Damme6, à  savoir le mouvement perpétuel mis à  sa portée (sauf exception, constituée par la première catégorie de rapports ci-dessous mentionnée). En rédigeant un rapport au PG, le parquetier sait qu’il amorce une pompe qui ne connaîtra aucune pause jusqu’à  clôture définitive du dossier concerné, puisqu’on lui réclamera tous les six mois au minimum des “rapports d’actualisation” sur la situation décrite. Même lorsqu’il n’y a aucune actualisation à  espérer, et que la demande en devient absurde : j’ai notamment souvenir d’avoir dû rédiger le rapport d’actualisation relatif au suicide d’un OPJ de mon ressort, fait naturellement signalé au Parquet général. J’avais à  cette occasion demandé à  mon Procureur s’il me permettait de réduire ledit rapport à  deux mots (“Toujours mort”), mais il n’avait pas adhéré à  ma proposition, qui aurait pourtant eu le mérite d’être efficace, pfff …

Les rapports au PG peuvent être classés en cinq catégories, suivant le fait ou l’acte qui en a motivé la rédaction. Pour faciliter la lecture, j’ai choisi de vous en parler en respectant leur ordre de nuisibilité (du moins agaçant à  rédiger à  celui qui vous donne envie de mordre du supérieur hiérarchique – même vieux, petit et souffreteux -, donc) :

le rapport d’appel : intervient lorsque le Parquet, mécontent, pour citer les cas les plus fréquents, d’un jugement rendu par le Tribunal correctionnel (voire de police, s’il est un peu mesquin) ou d’une ordonnance du juge d’instruction lui refusant de procéder à  une mesure qu’il a sollicitée, fait appel de la décision concernée. Indiquer au PG, qui ira soutenir l’appel à  l’audience de la Cour, quelles sont les raisons de ce mécontentement est donc la moindre des choses. Il convient donc de faire figurer dans ce rapport un exposé précis des faits, une mention des motifs de la décision et l’argumentation qui aurait dû être retenue (en évitant si possible les tournures de type “Le président/le juge, qui a un pois chiche en guise de cervelle et n’écoute jamais mes réquisitions avisées, a relaxé ce malfrat notoire et multirécidiviste au motif spécieux que …”, qui peuvent avantageusement être remplacées par “il semblerait que la conviction du Tribunal ait été emportée par la production de telle pièce, bien que le simple bon sens permette de considérer que sa valeur probante soit nulle et qu’elle n’ait qu’un lien fort ténu, voire inexistant, avec la caractérisation de l’infraction à  l’encontre du mis en cause …” – ce qui finalement signifie exactement la même chose, mais c’est quand même plus joli).

le rapport d’ouverture d’information judiciaire : obligatoire lorsque le Parquet saisit un juge d’instruction de faits de nature criminelle, il permet notamment au PG d’avoir une certaine visibilité en matière d’audiencement des Cours d’assises de son ressort. Normalement plus rare en matière correctionnelle, sauf lorsque les faits qui font l’objet de la procédure ont eu les honneurs de la presse (cf infra). Chaque demande d’actualisation du PG oblige le parquetier à  aller récupérer le dossier à  l’instruction et à  relater les principaux actes intervenus depuis le précédent rapport, ce qui est simplement barbant lorsque la procédure est peu volumineuse, mais devient rapidement une corvée étouffante lorsqu’elle pèse plusieurs tomes.

le rapport relatif à  des “faits à  signaler” : j’ai probablement mauvais esprit, mais j’ai toujours supposé que cette catégorie de rapports servait essentiellement à  fournir en cas de besoin (fait divers apparenté, séance de questions au gouvernement, etc) à  la Chancellerie une réponse pré-mâchée ou des statistiques toutes prêtes sur des sujets divers et variés, et plus ou moins “à  la mode”. Ainsi en allait-il, à  une époque, des morsures de chiens, qui devaient obligatoirement faire l’objet d’un signalement au PG, y compris en l’absence de toute infraction, comme j’avais eu l’occasion de l’évoquer ici.

Au-delà  des faits que l’on a pour instructions de signaler existent par ailleurs ceux qu’il convient de signaler : en gros, dès qu’un fait susceptible de revêtir une qualification pénale se retrouve dans les pages “faits divers” de la presse locale, le parquetier sera  généralement bien avisé d’en référer au PG, sous peine de se voir, dans l’ordre, considérer comme une truffe, remonter verbalement les bretelles et imposer la rédaction d’un rapport toutes affaires cessantes lorsque la hiérarchie s’en apercevra (c’est-à -dire lorsqu’elle ouvrira ses journaux du matin, car la hiérarchie est toujours abonnée).

le rapport sur appel d’une ordonnance de rejet de demande de mise en liberté ou de refus de mesure d’instruction7 : les rapports sur refus de mesure d’instruction sont particulièrement longs à  rédiger, même pour des procédures relativement légères, puisqu’ils doivent reprendre par le menu l’ensemble des actes réalisés par le juge d’instruction dans le dossier concerné, expliquer en quoi le Parquet les estime suffisants, pourquoi la partie appelante ne l’entend pas de cette oreille et pourquoi le refus du juge d’instruction était bien fondé. L’élaboration d’un tel rapport constitue donc une tâche tout à  fait rébarbative, puisque l’ensemble des éléments se trouve dans le dossier (notamment dans l’ordonnance de refus et dans l’acte d’appel) et que le Parquet, qui n’est pas à  l’origine de la procédure d’appel, n’apporte par son avis aucune valeur ajoutée.

Il en va de même des rapports à  remettre pour chaque demande de mise en liberté : le mis en examen peut effectuer chaque jour une telle demande et faire appel de chaque décision qui la rejette, c’est son droit le plus strict. Mais pour chacun de ces appels, le PG doit disposer d’un rapport. Y compris si quelques heures seulement se sont écoulées entre le précédent appel (donc le précédent rapport) et celui qui l’occupe. Là  encore, le résumé du dossier devra être exhaustif, et la valeur ajoutée de l’avis du parquetier de base sera inexistante (avis dont la lecture de ses réquisitions écrites, transmises au juge d’instruction dans le cadre de l’examen de la demande, permettrait au demeurant de prendre facilement connaissance). Ce qui n’empêchera nullement celui-ci d’avoir à  s’acquitter de cette tâche jusqu’à  plusieurs fois par semaine, dans les dossiers de trafic de stupéfiants concernant un certain nombre de mis en examen détenus, par exemple.

Une précision s’impose ici, afin de répondre à  la seconde interrogation formulée par Maître Mô (et donc de justifier l’existence de ce billet) : admettons que le rapport établi dans cette catégorie ou dans la première (le rapport d’appel “tout simple”) soit particulièrement bien rédigé, intelligent et complet, tant au niveau de l’exposé des faits que de l’argumentation. Eh bien, le petit substitut qui en est l’auteur pourra vraisemblablement, à  la prochaine occasion8 de réexaminer le dossier, s’apercevoir avec fierté9 que son humble rapport a magiquement changé d’en-tête pour se transformer en réquisitions écrites du Procureur général. Voire, et là , on ne parlera plus de fierté mais de délire, qu’il constitue désormais la base de l’arrêt de la Chambre ou de la Cour.

Mais, me direz-vous, qu’advient-il lorsque le rapport est mauvais et bâclé par un substitut10 négligent ? Je vous répondrai que je n’en ai aucune idée11 .

En résumé, mon cher Maître, les rapports au PG qui t’intéressent te sont en réalité bien communiqués, c’est juste qu’ils ne disent pas leur nom ou sont tellement peu pertinents que la haute hiérarchie a choisi de ne pas en tenir compte, voilà  tout …

le rapport relatif à  la contestation d’un classement sans suite : il s’agit à  mes yeux de LA catégorie de rapports qui ne devrait pas exister. L’article 40-3 du Code de procédure pénale, qui ouvre la possibilité à  la personne ayant dénoncé des faits au Procureur de la République de contester le classement sans suite de la procédure, implique à  mon sens qu’un regard neuf soit porté sur le dossier en cause. Le motif du classement étant apparent, puisque figurant au dossier, j’ai toujours eu la vilaine impression (mais je peux me tromper, bien sûr) que demander au Procureur de développer ses arguments, de façon non contradictoire et postérieure à  la requête du plaignant, avant de prendre sa décision et de répondre à  ce dernier quant au bien-fondé de son recours n’était pas respectueux de l’esprit du texte.

D’où une formulation parfois un peu … acide des rapports que j’ai eus à  rédiger en la matière. Exemple ci-dessous, en guise de conclusion :

“J’ai l’honneur, pour faire suite à  vos instructions écrites, de vous rendre compte des suites réservées aux réclamations de M. Gérard O..

M. O. a, à  plusieurs reprises en 2006, déposé plainte à  l’encontre de diverses personnes, pour des motifs non moins variés. Etaient ainsi visés :

– le Dr G., médecin ayant contribué au placement sous curatelle du requérant, dans les années 1990, qui se voyait accuser de diffamation, calomnie, insultes, menaces, harcèlement moral, atteinte à  la vie privée en raison de ses crimes et malveillance ;

– Mme B., employée d’agence immobilière, à  l’encontre de laquelle étaient relevés des faits de diffamation, calomnie, harcèlement moral, atteinte à  la vie privée ;

– un pompiste anonyme exerçant au centre commercial de X, qui se serait rendu coupable à  l’égard de M. O. d’ insultes, menaces, harcèlement, et aurait de surcroît causé par l’effet desdites menaces un dysfonctionnement du caméscope du requérant (et plus précisément de sa fonction “enregistrement”) ;

– une caissière non nommée du magasin Z, qui lui aurait demandé d’ouvrir son sac lors de son passage en caisse, manifestant la volonté de fouiller dedans, le plaignant précisant qu’il avait alors empêché la personne désignée d’en arriver à  ses fins, considérant qu’il s’agissait là  d’une atteinte à  la vie privée ;

– une personne non identifiée, qui aurait commis une violation de domicile au préjudice du plaignant en répandant de la farine dans sa cuisine ;

– un collectif indistinct d’individus enfin, désigné sous l’appellation de magistrats, juge, président, qui se serait indivisiblement rendu coupable de menaces adressées à  M. O..

M. O., qui a apporté à  ses plaintes divers additifs par voie postale, a été entendu, le 24 juillet 2006, par les services du Commissariat de police de MôVille. Au cours de cette audition, il a précisé :

– que le Dr G., avec lequel il n’avait plus entretenu de rapports depuis dix ans, avait tenté de s’insérer dans [ses] affaires familiales ;

– qu’il avait eu, courant 2003, avec Mme B. un différend verbal à  l’issue duquel l’intéressée l’avait accusé de l’avoir touchée, et qu’il tenait à  dénier tout fondement aux allégations ainsi émises par cette personne qu’il n’avait plus revue depuis le jour des faits ;

– que les individus non identifiés qui l’avaient traité de fou ne l’avaient plus importuné depuis un an,

les autres personnes visées par les plaintes de M. O. ne se voyant pour leur part pas imputer de faits précis.

Le Parquet de MôVille a en conséquence considéré devoir classer sans suite les procédures référencées 060XXXXX et 060XXXXX pour état mental déficient (code 43) et infraction insuffisamment caractérisée (code 21), les faits allégués, dont la matérialité ne pouvait être établie, pouvant au surplus tomber pour partie sous le coup de la prescription de l’action publique et/ou de l’irrégularité de la plainte entraînant celle de la procédure (diffamation et injures), voire présenter de considérables obstacles à  toute tentative de qualification pénale.

M. O. n’a alors pas manqué de faire part au Procureur de la République de MôVille du vif mécontentement que lui causait le classement sans suite de ses plaintes, lui attribuant la qualité de complices (sic) de ces bandits que vous cautionnez.

Si toutefois il vous apparaissait opportun de donner à  ces diverses procédures une suite différente, le Parquet de MôVille se conformerait évidemment à  vos instructions en poursuivant les personnes désignées sous les qualifications que vous jugeriez appropriées.”


NB à  Maître Mô : je n’ai pas l’impression que l’insertion du document ci-dessus ait eu pour conséquence de barbouiller ce post de balises non autorisées. De toutes façons, peu importe, puisqu’au vu du planning de ta semaine, tu ne t’en apercevras même pas …

  1. Pour être précise, avec “le meilleur avocat de France, un pénaliste reconnu, dont l’humilité naturelle et la gentillesse proverbiale cèdent le pas quand il le faut à  un talent hors  du commun, et dont la prodigieuse beauté naturelle et son extrême facilité avec les femmes n’ont jamais eu raison de la profonde humanité, laquelle comprend notamment des honoraires mesurés, inversement proportionnels à  son intelligence surhumaine et à  l’énergie qu’il développe pour protéger chacun de ses clients, ses prouesses sexuelles dont la qualité et le raffinement sont connus par delà  les Cinq Mondes n’atténuant jamais la vitalité de sa complexion physique hors du commun”, que vous aurez donc reconnu sans mal. []
  2. Nous sommes un peu bavards, ce qui rend parfois l’arborescence de la discussion un peu compliquée à  retracer. []
  3. Ce qui à  mon sens démontre simplement que les avocats sont moins occupés que les juges, mais bon … []
  4. Ce sera toujours ça de pris, eu égard aux normes de longueur de billets en vigueur ici … []
  5. Voire de caractère absolument  adorable et délicieux, si c’est moi. []
  6. “J’adore les cacahuètes. Tu bois une bière  et tu en as marre du goût. Alors tu manges des cacahuètes. Les cacahuètes c’est doux et salé, fort et tendre, comme une femme. Manger des cacahuètes, it’s a really strong feeling. Et après tu as de nouveau envie de boire de la bière. Les cacahuètes, c’est le mouvement perpétuel à  portée de l’homme.” []
  7. Lorsque la mesure a été sollicitée par une autre partie. []
  8. Généralement imminente, si vous m’avez bien suivie. []
  9. Ou amertume, suivant qu’il sera d’humeur chafouine ou pas. []
  10. Vous n’oseriez tout de même pas imaginer qu’un magistrat gradé puisse en être l’auteur, tout de même ?… []
  11. Non, je plaisante. Je suppose que dans ce cas, le PG élabore lui-même soigneusement les réquisitions adaptées, d’une part, et prend sa plus belle plume pour porter au dossier administratif de l’intéressé une mention de type “D’intelligence manifestement limitée, ce substitut incompétent écrit par ailleurs comme un sagouin”, d’autre part. []