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Lecture d’été

Ce billet devrait constituer ma dernière apparition en ces lieux. Comment faire autrement ?

Il faudrait aussi que j’en profite pour annoncer à  mon mari notre divorce imminent, à  Maître Mô (avant de mettre fin à  toute relation autre que strictement professionnelle que nous pourrions entretenir) qu’il devrait lui aussi se préparer au sien, aux cinq ou six amis proches qui ont eu le mauvais goût de choisir d’être avocats ou policiers que je ne peux désormais plus me commettre avec eux, et à  ma demi-douzaine d’amis parquetiers qu’ils sont désormais infréquentables.

Je devrais également m’organiser pour changer au plus tôt de ville, de piscine, de restaurants habituels. Dire à  quelques greffiers, huissiers ou enquêteurs de rengainer leurs bises et leurs e-mails.

Resterait le problème de mes enfants, que je ne peux décemment pas répudier, mais je suis sûre qu’un collègue compréhensif s’arrangerait pour me permettre de limiter nos rapports au strict nécessaire (deux semaines par an, peut-être, en cachette évidemment, dans une bergerie anonyme de l’Alta-Rocca par exemple ; leur père supporterait le reste du temps ses petites sang-mêlé, car les règles qui gouvernent sa profession sont visiblement plus souples).

Que l’on me comprenne bien : je n’ai jamais prétendu être le magistrat du siècle, ni même de l’année, et même pas du mois. J’en connais beaucoup de meilleurs que moi, y compris parmi ceux que j’ai formés. Je pouvais néanmoins, je pense, espérer jusqu’à  présent exercer correctement mon métier, en observant certaines règles de base que je pourrais pour l’essentiel résumer ainsi : dire le droit dans le respect des droits de chacun (ajouté à  celui que j’ai prêté, le serment des jurés, aisément transposable aux fonctions de juge civil, m’a toujours semblé convenable, comme profession de foi). Sans oublier la règle des quatre H (Honneur, Humilité, Humanité, Humour) inculquée lors de mon premier jour d’auditrice au Parquet.

Je me trompais lourdement, comme vient de me l’apprendre la lecture estivale d’un petit ouvrage, intitulé “Recueil des obligations déontologiques des magistrats” et gracieusement expédié par le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) à  l’ensemble des juridictions françaises. Petit, car il ne contient que 47 pages “utiles” (même si 14 pages blanches1 et un index étendu lui permettent d’en afficher 81 !), mais qui valent leur pesant d’or2 . A l’intérieur, eh bien, exactement le contenu promis par le titre, soit l’ensemble de nos règles déontologiques, classées par chapitres correspondant aux “valeurs cardinales” (l’indépendance, l’impartialité, l’intégrité, la légalité, l’attention à  autrui, discrétion et réserve – l’ablation des déterminants n’est pas de moi) subdivisés en paragraphes consacrés, pour chacune de ces valeurs, au niveau institutionnel, à  l’exercice fonctionnel et, dans la plupart des cas, à  l’approche personnelle.

La lecture de cet ouvrage est rapide, et ne contient aucun scoop pour mes collègues et moi-même. Je pense pouvoir affirmer qu’aucun d’entre nous n’a choisi ce métier sans avoir pris connaissance, à  un moment ou à  un autre, des dispositions de l’ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature. Les fameuses “valeurs cardinales” constituent la base de l’exercice de notre métier, et personne ne le conteste. Ce sont plutôt les suggestions de mise en pratique de ces principes qui m’ont parfois fait bondir (et, si j’en juge par les commentaires de collègues que j’ai pu lire ici ou là  au fil de listes de discussions, je n’ai pas été la seule) ou paru, comment dire, superflues. A leur lecture, on se prend à  penser que loin d’avoir simplement choisi un métier, nous avons à  notre insu signé pour entrer dans les ordres. Rassurez-vous, je n’ai pas l’intention ici d’en faire un commentaire exhaustif, j’ai simplement relevé certaines de ces recommandations, en piochant presque au hasard, et en ai retiré l’impression que décidément, peu d’entre nous3 présentent le profil des Élus.

L’indépendance

Les magistrats préservent leur indépendance vis-à -vis des pouvoirs exécutif et législatif, en s’abstenant de toute relation inappropriée avec leurs représentants et en se défendant de toute influence indue de leur part. Mon esprit légaliste aimerait bien ici trouver une définition du concept de “relation inappropriée”, probablement plus large que celle de “vile coucherie” qui vient immédiatement à  l’esprit, mais tant pis, on fera sans.

La mobilité géographique permet de préserver les magistrats de relations trop proches avec les diverses personnalités locales, notamment auxiliaires de justice, institutions, associations partenaires, milieux économiques ou médias. Dans le doute, je suppose que mon amitié avec un commissaire de police (qui, comble de l’horreur, exerçait dans mon ressort lorsque nous nous sommes découvert des affinités) entre dans le champ de l’inacceptable. Par ailleurs, j’ai laissé des amis dans les barreaux rattachés à  chaque juridiction que j’ai fréquentée, et j’en compte, et de proches, parmi “mon” barreau actuel, qui est aussi celui de mon mari. Autant vous dire que dès le premier chapitre de l’ouvrage, mon exercice professionnel se trouve déjà  frappé du sceau d’infamie. Sic transit gloria mundi.

Malgré leur appartenance à  un même corps et l’exercice de leurs fonctions dans un même lieu, les magistrats du siège et du parquet conservent et marquent publiquement leur indépendance réciproque. Première occurrence du leitmotiv selon lequel mieux vaut que les juges et les parquetiers gardent leurs distances. Il y a dans ce livre de si nombreuses allusions à  ces fameuses distances que je me suis dit, en le refermant, que le vieux projet de séparation du corps judiciaire en deux devait être en cours de réactivation dans les cartons de quelqu’un haut placé.

Le magistrat a, comme tout citoyen, le droit au respect de sa vie privée. Il s’abstient cependant d’afficher des relations ou d’adopter un comportement public de nature à  faire naître un doute sur son indépendance dans l’exercice de ses fonctions. Un grand merci aux conseillers de juger ma vie privée respectable. Je tiens à  leur assurer que ce n’est pas parce qu’il m’arrive de me faire offrir un jus de fraise par un avocat à  la terrasse du bistrot voisin du tribunal que je me ferai un devoir de lui donner raison dans le prochain dossier qu’il présentera à  mon audience. Je lui paierai un café4 la prochaine fois, c’est tout.

L’impartialité

Les magistrats du siège ne peuvent, ni dans leur propos, ni dans leur comportement, manifester une conviction jusqu’au prononcé de la décision. Figurez-vous que c’est un principe que je garde à  l’esprit tout au long de mes audiences pénales, en trouvant à  chaque fois que c’est l’un des plus difficiles à  appliquer. Je suggère donc aux conseillers de souffler à  Mme le ministre d’intégrer à  son projet de réforme du Code de procédure pénale une disposition prévoyant de confier l’exposé des charges au Ministère public, et non plus au président qui ne peut toujours, sous peine d’instaurer une ambiance surréaliste, tenir son audience sur le mode conditionnel (“Vous auriez été contrôlé avec 1,28 mg d’alcool dans l’air expiré, selon le taux qu’aurait affiché l’éthylomètre, car votre véhicule aurait atterri dans un fossé. Vous auriez déclaré avoir bu quatre pastis avant de prendre le volant, et seriez en état de récidive légale. Qu’auriez-vous à  déclarer sur ces faits s’ils devaient être avérés, Monsieur ?… Et seriez-vous conscient, le cas échéant, que vous auriez un problème avec l’alcool ?…”).

Dans leurs activités judiciaires, notamment aux abords des salles d’audience, les juges et procureurs doivent être soucieux de l’image d’impartialité qu’ils offrent et ne pas apparaître, aux yeux de personnes non averties, dans une relation de trop grande proximité et, moins encore, de complicité. La même prudence doit être observée à  l’égard des conseils des parties en cause et de l’ensemble des acteurs du procès. Quand on vous dit que le Parquet, c’est laid.

L’intégrité (chapitre subdivisé en deux parties : probité et loyauté)

La probité

Le magistrat consacre l’essentiel de son temps professionnel à  ses fonctions judiciaires. J’en suis bien d’accord. Si seulement nos représentants et gouvernants pouvaient l’être aussi, et cesser d’imposer la présence de magistrats au sein de nombreuses commissions où leur inutilité est patente mais où l’on a manifestement jugé qu’ils seraient plus décoratifs, bien que souvent moins frais, qu’un bouquet de glaieuls, le temps consacré à  nos fonctions judiciaires pourrait, soyons fous, s’élever à  quasiment 100 % de notre temps professionnel. Le rêve.

Dans sa vie privée, le magistrat reste soumis à  une stricte obligation de probité qui inclut la délicatesse. Elle lui impose de faire preuve de discernement et de prudence dans la vie en société, le choix de ses relations 5, la conduite de ses activités personnelles et sa participation à  des événements publics. Ce passage me rappelle une anecdote qui remonte à  l’entretien relativement long (1 h 30) avec un capitaine de police auquel j’avais dû me soumettre6 dans le cadre de l’enquête de moralité dont font l’objet les candidats au concours d’entrée à  l’ENM. Question : “Êtes-vous connue pour vous adonner publiquement ou fréquemment à  la boisson ?” “Euh … vous espérez vraiment que certains candidats vous répondent oui ?…” “Moi je m’en fiche, l’important c’est que j’aie une réponse, comme ça, si en fait vous vous adonnez à  la boisson, je pourrai dire que je vous l’ai demandé !”

Le magistrat ne doit pas se sentir tenu à  une solidarité professionnelle. Surtout pas avec les parquetiers, dont on peut utilement rappeler que le simple contact transmet le SRAS, la fièvre aphteuse et les écrouelles.

La loyauté

– Le magistrat est, pour toutes les parties, le garant du respect de la procédure. Il exerce son autorité, sans en abuser, avec sérénité, pour mener à  leur terme les procédures, en respectant le principe de la contradiction et les droits des parties. Les magistrats du siège et du ministère public se gardent de toute connivence, réelle ou apparente, avec une partie, les experts, les avocats ou tout autre auxiliaire de justice. C’est ainsi par exemple que les mesures d’instruction utiles sont confiées à  des professionnels compétents, susceptibles d’éclairer la décision à  intervenir, exécutées sous le contrôle du magistrat, dans un délai et pour un coût raisonnables. En même temps, si un magistrat avait coutume de confier à  des amateurs incompétents des mesures d’instruction inutiles, insusceptibles d’éclairer les décisions à  intervenir, qui seraient exécutées sans le moindre contrôle, dans un délai et pour un coût excessifs, je pense que cela se verrait.

La légalité

Le magistrat fait bénéficier ses collègues de son expérience et de ses propres connaissances de la règle de droit applicable. Vous imaginez, disons, un délibéré en correctionnelle, au cours duquel l’un des assesseurs dirait aux deux autres juges : “Eh bien moi, je connais mieux que vous la loi et la jurisprudence relatives à  l’infraction poursuivie, et là  je sais que vous vous trompez, mais je ne vous dirai pas en quoi euh !” ? Non ? Moi non plus.

Le magistrat permet aux auxiliaires de justice d’exercer la plénitude de leurs attributions légales. Comme, par exemple, celle consistant à  assister leurs clients placés en garde à  vue ? Ah non, ça c’est inconstitutionnel, mais légal, pardon.

L’attention à  autrui

– Le respect du magistrat et du fonctionnaire est réciproque et exclut autoritarisme et familiarités déplacés. D’accord pour l’autoritarisme, mais que recouvre exactement la notion de “familiarité déplacée” ? Faire la bise à  un greffier, le tutoyer, est-ce déplacé, ou constitutif d’un manque de respect à  son égard ? Je suis pourtant convaincue que statistiquement parlant, la proportion de personnes que je respecte réellement est plus élevée parmi les personnes que je tutoie qu’au sein de celles que je vouvoie. Quant aux magistrats qui ont l’audace de vivre en concubinage avec des greffiers (j’en connais, pouah), doit-on les prier eux aussi de mettre fin, de toute urgence, à  ces relations déplacées ?

– Le magistrat veille à  ce que ses propos soient intelligibles pour ses interlocuteurs, quels que soient leur culture, leur situation ou leur état. Le contraire serait pourtant considérablement plus drôle, mais que voulez-vous, parfois, il arrive même aux magistrats d’appliquer spontanément les règles de base de la vie en société. Étonnant, non ?

– A l’audience et pendant le délibéré, le magistrat adopte une attitude d’écoute lors des interventions de ses collègues (lecture du rapport, réquisitions du parquet7 , avis lors du délibéré …), des plaidoiries des avocats ou déclarations des parties. Il reste vigilant et évite toute manifestation d’impatience, montrant, en toutes circonstances, une autorité sereine. D’accord, là , j’avoue avoir déjà  vu, à  ma grande honte, des collègues qui ne respectaient pas ces prescriptions. D’autres que moi en ont même fait le récit. Mais je doute qu’une recommandation du CSM suffise à  éradiquer l’impolitesse de l’enceinte judiciaire.

Dans les procédures longues et complexes, le magistrat demeure vigilant, se garde de toute opinion arrêtée et conserve une attitude d’écoute attentive, même aux déclarations tardives. Non, vous ne rêvez pas : le Conseil recommande noir sur blanc aux magistrats de ne pas s’endormir en audience !8

Discrétion et réserve

– L’obligation de réserve ne s’oppose pas à  la participation du magistrat à  la préparation de textes juridiques. Elle ne lui interdit pas, en tant que professionnel du droit, la libre analyse des textes. J’aurais même tendance à  dire que mieux vaudrait que l’intervention de praticiens du droit soit obligatoire dans le cadre de la préparation des textes juridiques qui éclosent désormais aussi fréquemment et vigoureusement que les champignons en automne, mais on ne m’écoute jamais, moi.

La toute dernière recommandation du Conseil est terrible :

L’expression d’un magistrat ès qualités, quel que soit le support ouvert au public, nécessite la plus grande prudence, afin de ne pas porter atteinte à  l’image et au crédit de l’institution judiciaire. Il en est de même de la publication, par des magistrats, de souvenirs professionnels personnels.

A ce stade, vous serez, j’en suis sûre, parvenus à  la même conclusion que moi : je suis indubitablement, aux yeux des auteurs de cet ouvrage, un mauvais magistrat.

J’ai épousé un avocat9, même si, au moment où la décision a été prise, nous n’étions qu’étudiants en droit. Après tout, nous ne prétendons pas faire figure d’exception : il est plutôt courant de rencontrer son futur conjoint au cours de sa scolarité, de ses études, ou plus tard, dans son milieu professionnel. Et comme les juristes ne sont pas guère esprits plus purs que le reste du monde, de tels rapprochements se produisent fréquemment, voilà . La coexistence conjugale dans un même ressort demande certes un zeste d’organisation (bien moins contraignante, d’ailleurs, que les contorsions qui s’imposent au sein de juridictions de taille modeste lorsque leur effectif comporte des couples de magistrats), mais rien d’insurmontable. J’ajouterai que la séparation géographique du couple sur deux juridictions distinctes, chaudement recommandée par les conseillers, ne représente nullement la panacée au problème qui nous occupe, les avocats pouvant facilement être amenés à  exercer dans les ressorts voisins (davantage encore depuis l’instauration des pôles de l’instruction, qui n’en finissent plus d’être morts-nés – ou morts-vivants).

Mes affinités amicales sont de même condamnables : j’ai en effet des amis avocats, greffiers, policiers, huissiers, et même parquetiers. Rien d’exceptionnel là  non plus (qui donc peut se targuer de n’entretenir strictement aucune amitié dans son milieu professionnel ?), mais comment pourrais-je être jugée “conforme” ? En refusant que siègent à  mes audiences les substituts avec lesquels je déjeune chaque semaine ? En me déportant sur chaque dossier qui verrait intervenir un avocat ami ?10

J’ai une amie avocate qui exerce dans mon ressort et affirme, non sans humour, avoir longtemps détenu le record absolu de déboutés successifs de ma part au civil, et de dépassement des réquisitions prises à  l’encontre de son client au pénal. Je n’ai pas débouté11 et condamné12 ses clients parce qu’elle était mon amie et qu’il fallait éviter le soupçon, c’eût été injuste et pour tout dire, partial. Je n’allais pas non plus lui donner raison contre vents, marées et droit applicable pour sa seule qualité d’amie. La réalité est bien plus simple : la personnalité des avocats en cause m’indiffère, celle des parquetiers également, et j’applique le droit de la même façon, que je les apprécie par ailleurs ou pas.

Notons aussi que le Conseil s’attache bien davantage à  décourager les amitiés anormales que les inimitiés qui peuvent exister des deux côtés de la barre – et pourtant, ça existe aussi. Je peux même affirmer que l’a priori négatif que l’on peut avoir lorsqu’un collègue ou un avocat que l’on sait incompétent, voire malhonnête, prend la parole (“Oh non, encore lui ! Bon, eh bien on est certain qu’il y a au moins une nullité dans cette procédure ...”) est bien plus dangereux et difficile à  réprimer que … non, son opposé n’existe même pas. Le fait d’apprécier le représentant de l’une ou l’autre partie ne peut pas parasiter la prise de décision. “Waouh, c’est ma copine qui plaide/requiert, bon, là , en droit, normalement je devrais lui donner tort, mais comme je l’aime bien, je crois que je vais essayer de lui donner raison, tant pis, on verra bien si je me fais raser en appel !” n’est pas une réaction imaginable. Comme l’a dit, et bien mieux que moi, Maître Mô dans un commentaire : il n’y a pas d’amitié qui tienne face à  un justiciable, ni d’inimitié.

J’en terminerai avec les amitiés particulières en concluant qu’à  lire l’ouvrage, on ne peut que déduire que les seules relations convenables et salubres pour les juges sont celles qu’ils entretiennent avec leurs semblables juges13, l’endoamitié et l’endoreproduction étant seules susceptibles de leur permettre d’avoir un semblant de vie affective et sociale déontologiquement correcte.14 Pour une profession à  la tête de laquelle on jette fréquemment diverses tartes à  la crème à  base de “tour d’ivoire”, de “caste” et autres “coupure totale de la réalité vécue par les justiciables”, j’avoue que cela ne manque pas de sel.

Comment enfin ne pas évoquer la recommandation ultime des conseillers, tenant à  l’expression d’un “magistrat ès qualités, quel que soit le support ouvert au public”15 ? Bien entendu, je plaide coupable de ce chef également, puisque c’est en ma qualité de magistrat que j’ai été invitée à  m’exprimer ici. Comme mon hôte, et comme mes collègues Dadouche, Gascogne, Sub Lege Libertas, Justicier Ordinaire (à  l’époque où son blog vivait encore) ou encore Michel Huyette et Philippe Bilger (lesquels bloguent à  visage découvert), je raconte effectivement mes souvenirs ou actualités professionnels, en les travestissant suffisamment au besoin pour éviter que les véritables protagonistes n’en soient atteints. J’ignore si mon mode d’expression satisfait à  l’exigence de “plus grande prudence”16 posée par le CSM, mais je suis convaincue qu’il ne nuit pas à  l’image et au crédit de l’institution judiciaire. Au contraire.

Parce qu’en expliquant comment nous vivons notre métier, comment nous prenons nos décisions (et éventuellement commettons des erreurs) et, finalement, en nous montrant tels que nous sommes, nous contribuons (très modestement, bien sûr) à  rapprocher la Justice de ceux au nom de qui elle est rendue, en permettant de mieux la comprendre. Parce que si j’étais un justiciable, je préfèrerais savoir que derrière les juges, il y a des hommes et des femmes menant une vie normale, plutôt que des moines-soldats de la République cloîtrés dans leurs forteresses et se reproduisant exclusivement entre eux, qui fuiraient en hurlant la moindre amorce de contact humain en-dehors de leur cercle.

En définitive, ceci ne sera donc pas mon dernier billet, sauf panne d’inspiration majeure ou expulsion des lieux par Maître Mô. J’attendrai de pied ferme les poursuites disciplinaires pour publication de billet contraire à  la déontologie, ce sera plus rigolo, surtout que j’ai quelques avocats compétents dans ma manche.

D’ici-là , je retourne lire Modes et Travaux, Closer, Sanglier Passion ou Charolais Hebdo17, ou n’importe quoi qui ne me fasse pas sentir le poids d’une cornette sur la tête.18

Et puis au pire, si vraiment ma personnalité et mon mode de vie deviennent incompatibles avec les prescriptions du CSM, je deviendrai avocat.19 Voilà .

  1. Comme dans certains livres de cuisine. J’en déduis donc qu’elles sont destinées à  permettre à  chacun d’entre nous de noter ses recettes déontologiques personnelles. []
  2. Au sens propre comme figuré : s’il nous a été offert, à  titre je suppose d’outil professionnel, le non-magistrat qui souhaitera se le procurer devra tout de même débourser 15 euros. Sans compter que comme bouquin de plage, on fait mieux … []
  3. Car je ne suis pas la seule juge défectueuse, il ne faut pas exagérer… []
  4. Le café étant aux avocats ce que le chocolat est à  Olivia Ruiz ou à  moi, à  savoir la composante principale du sang. []
  5. par exemple, les relations avec les parquetiers sont vraisemblablement du plus mauvais effet, NDT. []
  6. L’entretien, pas le capitaine, évidemment. Surtout qu’il était moche. []
  7. Il est à  cette occasion prié de dissimuler habilement la répulsion que cette partie ne peut manquer de lui inspirer, bien entendu. []
  8. Enfin, vous pourriez en déduire a contrario qu’un juge peut se dispenser de son “attitude d’écoute attentive” dans le cadre de procédures courtes et simples, mais ce serait vraiment faire preuve de mauvais esprit. Vous devriez être parquetier, vous. []
  9. Je sais, c’est ignoble. C’est bien simple, ça me révulse encore chaque jour. []
  10. Ce qui, au passage, serait un moyen infaillible de n’entretenir strictement aucune relation amicale avec les juges qui hériteraient de mes multiples dossiers – ah mais non, zut, ce n’est pas le but, on a le droit d’être amis entre juges … []
  11. Elle a beaucoup de dossiers pourris. []
  12. Le parquetier du jour avait été mou du genou. []
  13. Vous aurez bien entendu intégré à  cet égard la nécessaire scission entre juges et parquetiers, ces derniers pouvant vous donner le cancer du SIDA par simple échange de regards. Vous aurez été prévenus. []
  14. Je sais, c’est probablement très excessif comme conclusion, mais là , je suis un peu agacée. []
  15. Suivez mon regard … []
  16. Expression employée en langage administratif pour signifier “Mieux vaudrait que vous vous absteniez” – NDT []
  17. Les salles d’attente des tribunaux étant pourvues de magazines manifestement récupérés dans les poubelles des cabinets dentaires. []
  18. Tiens, je vais aller voir si mon hôte n’aurait pas par hasard avancé dans la rédaction de son projet de billet détaillant les relations sexuelles autorisées ou non dans le milieu judiciaire. Ça ne me changera pas les idées, mais ce sera mieux écrit que la prose du CSM. []
  19. Ce qui me vaudra probablement un article ici-même, pourvu d’un titre de style “Marie se fait Maître”. Ne dis pas que tu n’allais pas la faire, Mô, je commence à  te connaître. []