Ce devrait être un peu triste, mais allez, il fait beau, et cette audience de la Cour d’Appel m’a tellement fourni de matière, un peu souriante ou franchement et honteusement dramatique, que je peux bien n’en faire qu’une brève sans trop de commentaires -une fois n’étant pas coutume…
Cet homme, donc, prévenu, ayant un casier particulièrement dense, est interrogé par la Présidente d’audience selon la formule rituelle, mâtinée il est vrai en ce qui la concerne d’un léger soupçon de charge, oh, à peine, comme vous l’allez constater :
“Bon, Monsieur, avec un casier judiciaire comme celui-là , et compte-tenu des faits, expliquez donc à la Cour pourquoi vous avez fait appel, alors que vous avez été condamné sept fois, avec beaucoup de mesures de sursis, des mains-tendues que vous n’avez manifestement pas su prendre ?”1
Notre homme a tout de même été condamné en première instance à trois ans d’emprisonnement dont deux années fermes, par l’application de cette monstruosité humaine, intellectuelle et juridique que sont les peines-plancher2, pour des dégradations stupides commises en état d’ivresse et aggravées par plein de circonstances légales…
Et comme il a entièrement reconnu les faits, l’on se doute un peu de l’objet de son appel, qui est immédiatement exprimé en réponse :
“Ben Madame, la peine elle est trop grosse, franchement, vous dites que j’ai eu du sursis mais j’ai eu trois mois fermes là dans cette affaire, et franchement là ça m’a calmé quoi…”
Pas mal pour un gars qui encoure une peine pareille, un avocat n’aurait pas dit mieux, il aurait juste mis dix minutes de plus à le dire; il n’aurait pas forcément eu raison : voici la réponse circonstanciée de la Cour :
“Et bien Monsieur, ça prouve que la prison ferme, ça marche, ce dont la Cour ne doutait pas d’ailleurs”.
Je n’ai pas le délibéré, je pense que ça va bien se passer !
- Tous ceux qui viennent de penser que cette question signifie en réalité que l’on demande à ce garçon la raison saugrenue pour laquelle il se permet d’alourdir le rôle de l’audience ont évidement totalement raison… [↩]
- Attention note sérieuse, pour une fois, même si vous connaissez ce mécanisme, bien entendu : désormais en état de récidive légale, les magistrats sont en principe tenus de prononcer une peine dans les minimas sont fixés par la loi et sont très lourds; par exemple, de façon automatique, comparaître en état de récidive légale de vol fait encourir un an d’emprisonnement, et s’il s’agit d’un vol aggravé par deux circonstances, deux ans… Et ainsi de suite. Les magistrats, en substance, ne peuvent écarter ces minimas légaux que pour des raisons “exceptionnelles” liées à la personnalité de l’auteur ou les circonstances de commission des faits; ils peuvent aussi, heureusement, prévoir les modalités d’accomplissement de la peine prononcée, même si elle est “plancher” : sursis avec mise à l’épreuve en tout ou en partie par exemple. Un prochain article vous montrera à quel point légiférer par généralité est une aberration, comme l’est d’ailleurs toute généralité. Vous me direz : à l’inverse, pour le Parquet, requérir une peine “plancher” c’est normal… Je sais, je sais, mais on fatigue… [↩]
Vous dites, de façon un peu ironique, "Pas mal pour un gars qui encoure une peine pareille, un avocat n’aurait pas dit mieux, il aurait juste mis dix minutes de plus à le dire". Mais l'ironie se base souvent sur un fond véritable.
Cette propension à ne pas être concis est-elle une réalité ? Et à supposer que oui, quelle en est la cause ? Est-ce plus efficace, plus convaincant, ou bien n'est-ce "que" traditionnel ?
Merci d'avance pour vos lumières !
Je n'aurais pas pu non plus...