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Inviter Fred à  se taire.

Ce titre ne vaut que si Fred est un avocat -et ce parce que ça me faisait un jeu de mots pourri, au beau milieu de l’été et pendant que les gens conduisent à  deux à  l’heure dans les bouchons d’un “chassé-croisé” que je ne comprendrai jamais.

Pendant qu’ils le font, de terribles drames continuent à  survenir, et des personnes qui ne sont pas sur les routes croient devoir les commenter à  tout prix, contra legem, ce qui n’est rien, mais surtout en dépit du bon sens et de la plus élémentaire prudence, ce qui est plus important -lorsqu’ils sont avocats, ça mérite même selon moi qu’on interrompe ses vacances et se fende d’une petite râlerie estivale peu galante1 .

Au début2 d’une enquête criminelle, c’est à  dire quand on n’en connaît encore rien, sauf le peu tiré de la garde à  vue, soit deux jours, et des constatations policières initiales, soit juste le minimum, il vaudrait selon moi bien mieux pour tout le monde que tout le monde se taise -par tout le monde, je n’entends pas les journalistes, qu’empêcher de parler constitue un non-sens, mais les acteurs de ladite affaire, soit en gros l’avocat du prévenu, l’éventuelle partie-civile, et bien sur le procureur en charge de ce qui, justement, s’appelle “l’ouverture” de l’affaire, autrement dit essentiellement le “réquisitoire introductif”, justement; introductif d’une instruction judiciaire, longue, profonde, détaillée, dont par définition on ne connait encore rien.

Bref, ce qui motive cette note est celle de l’AFP, au sujet d’un terrible drame, note qui ne se cache pas d’être le reflet d’un communiqué pur et simple de l’avocate du jeune mis en examen -rappel immédiat et préalable : personne n’a le droit, en droit, 3 de s’exprimer sur une affaire criminelle non jugée, à  l’unique exception, totalement injuste, du parquet; une autre partie le faisant viole le secret de l’instruction, et, cumulativement, si cette autre partie est avocat, le secret professionnel -en même temps, c’est pratique courante, donc bon.

Là  où le bât blesse sérieusement, selon moi, se trouve dans ce qu’elle raconte, cette note, donc dans les propos de l’avocate concernée4 ; il y a mille manières de s’exprimer au début d’une pareille affaire, la meilleure étant incontestablement de la fermer, selon moi. Si l’on se pense néanmoins obligé de parler, le mieux est de s’en tenir à  des généralités stupides, qui si elles le sont, ont au moins le mérite de ne rien compromettre : “Il est choqué et épuisé, il est incapable de fournir une ligne  de compréhension à  cet acte terrible, s’il en est l’auteur”, “Il faudra beaucoup de temps pour parvenir à  s’expliquer, même si l’irréparable a été commis”, “C’est un gamin de seize ans -il nous faudra beaucoup parler, bien au-delà  de la procédure judiciaire”… Les déclarations creuses, mais sincères, et ne disant pour autant pas un mot de l’affaire, ne manquent pas…

Or, que dit cette dépêche AFP, qui nous fera bien quelques choux dans la graisse de l’actualité d’un mois d’août que l’on croirait satanique, comme tous ses frères, puisque, faute de politique et d’effondrements boursiers, on y sort tout fait divers en vrac, comme chaque été -il faut bien que le peuple continue à  regarder les infos quand-même ?

Rappelons qu’il s’agit là  d’un “communiqué” de la défense, ce qui en droit toujours n’existe pas, et en fait est une incongruité.

“Cette décision répond favorablement aux attentes de la défense qui voit dans ce placement une mesure de protection à  l’égard du mineur lui-même” : bon, soit, on parle là  de la mise en examen et de la mise en détention, selon la dépêche, et je voyais mal qu’elle n’eût pas lieu, il y a des morts, un fusil, un adolescent qui en serait l’auteur… Pour tout dire, que ça “réponde aux attentes de la défense” ou pas, sincèrement, je ne pense pas que la mise en détention ait été évitable…

“A l’heure actuelle, l’état de choc, à  la mesure de la gravité de son acte, domine l’attitude” de l’adolescent, “qui reste dans l’impossibilité de s’en expliquer” : ç’aurait pu constituer la déclaration de principe dont je vous parlais ci-dessus, n’était une minuscule différence : l’avocate y assume la culpabilité du gamin, comme gravée dans le marbre, et sur laquelle vous conviendrez avec moi qu’il n’existe déjà  plus de débat, quoi qu’il demeure présumé innocent, c’est le moins que l’on puisse dire en ce tout début d’instruction…

“Il convient désormais de donner du sens à  l’acte insensé d’un enfant d’une apparente normalité. La voie d’une expertise psychiatrique approfondie s’impose et l’information ouverte participe clairement de ce constat” : le juge d’instruction en charge de n’importe quel dossier criminel commence par les expertises, à  la fois pour vérifier s’il ne détient pas une personne hors d’état de l’être, et pour comprendre, évidemment, ou commencer à  tenter de le faire… Ici, un gosse aurait flingué ses parents et ses deux jeunes frères au fusil : il est raisonnable de penser qu’on se penche assez rapidement sur les aspects psychologiques et psychiatriques des choses, non ?

Et puis, “donner du sens” à  un acte effectivement “insensé”, soit un quadruple meurtre parricide et infanticide… Je comprends, et vous aussi, l’intention de la phrase, et je sais qu’elle n’était pas aisée à  formuler -on eût pu y trouver le mot “comprendre” avec plus de bonheur, selon moi, mais dès lors… Pourquoi la faire, cette phrase ?

Bref, un “communiqué” dont le côté “étrangeté judiciaire” ne m’agace pas autant que son aspect “la défense a clairement voulu la mise en examen, et pense qu’il serait drôlement intéressant de se pencher sur les motivations psys obligatoirement dramatiques de ce gamin, tout en confirmant au passage qu’il est bien l’auteur de quatre homicides”, quand je pense que tout ceci était écrit, et que la défense, peut-être, aurait pu utilement demeurer silencieuse pour cette fois -je ne vois pas l’intérêt de cette “communication”, j’en visualise en revanche clairement les risques et les dangers; pour un garçon de seize ans qui dort actuellement en détention, et dont les co-détenus savent lire, par exemple.

Ce communiqué, au mieux est inutile, au pire est dangereux.

Je serais le juge d’instruction que ça me picoterait, par exemple encore, de presque lire que c’est “la défense” qui a tout bien pensé à  ma place…

Je l’ai dit cent fois dans d’autres endroits et à  de jeunes futurs porteurs de robes : le silence, le nôtre, est, comme notre parole, une arme véritable -et parfois, me semble-t-il, et tout particulièrement dans le cadre d’affaires médiatiques, un devoir. Plutôt intelligent.

Je retourne bronzer, tiens, ça m’évitera de dire du mal de mes clients.

  1. Ce texte est tapé sous un cagnard de plomb, pardon si les mots en sont écorchés, je ne vois presque rien à  l’écran -tant mieux parfois, vous l’allez voir… []
  2. et au milieu, et à  la fin, d’ailleurs, en fait, selon moi… []
  3. Ce double “droit” n’est pas redondant : il y a le droit, et le droit… []
  4. Désolé, mais la confraternité passe après la colère, c’est comme tout, ça se mérite; et désolé aussi que ce soit une consœur, je ne l’ai pas fait exprès… []