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Histoire Noire IV

IV INTERROGATOIRES

Il n’a aucune idée de l’heure qu’il est, il ne sait pas combien de temps a duré son interrogatoire, il ne sait plus combien de fois on lui a posé les mêmes questions, ou d’autres, ni sur combien de tons différents, il ne se souvient, là , maintenant, d’aucune de ses réponses, et n’essaye même pas de savoir si elles étaient convaincantes…

Il a les bras noués autour du corps, le menton collé à  la poitrine, le regard sur le sol dégueulasse, et quand les larmes finissent par lui venir aux yeux, il murmure juste “quelle salope”, et il ne sait même pas si c’est à  l’adresse de Dalila ou à  celle de la femme qui vient de le torturer ; il est vidé, et il comprend maintenant ce que l’avocat, des heures auparavant, essayait de lui dire : “Oh non, vraiment non, pauvre con, tu ne vas pas sortir d’ici comme ça…”.

Il est accusé de viol. Il est accusé d’avoir violé Dalila, ce matin, dans sa classe. Et il vient d’essayer de s’en défendre pendant des plombes, en face de quelqu’un qui à  l’évidence ne croit pas un mot de ses dénégations, qui est persuadée que cette histoire de dingue est vraie, et qui l’a constamment regardé comme un salopard de violeur de gamine. Et le lui a dit.

Il a envie de vomir. Il n’y a strictement rien à  faire d’autre pour l’instant que d’attendre, elle le lui a dit, on le laissait réfléchir, quelques heures, et on reprendrait tout ça tôt le matin… Alors il essaye de réfléchir, puisqu’ils veulent, mais putain, à  quoi ? Calme toi, Jean-Marc, du calme, ça ne sert à  rien. Réfléchis, que t’a dit cette femme, exactement, qu’est-ce qu’elle a contre toi -à  part, bordel, qu’elle croit Dalila comme sa propre fille..?

___________

“- Je croyais que vous ne saviez pas de quoi vous étiez accusé, et que vous n’aviez jamais fait de mal ?

– Mais… Il y a eu un incident ce matin avec elle, mais jamais… Enfin, vous parlez de viol, ça n’était absolument pas ça, pas du tout, elle…

– Elle, elle vous accuse de l’avoir violée ? Vous comprenez bien, c’est le motif de votre placement en garde à  vue ?

– C’est impossible, elle n’est pas… Elle n’a pas pu vous dire ça, elle n’est pas folle !

– Pourquoi dites-vous qu’elle n’a pas pu me le dire et qu’elle n’est pas folle ?

– Parce que je la connais, c’est l’une de mes élèves… Parce que c’est faux, archi-faux, je n’ai jamais violé personne, ni elle ni personne, jamais !

– Je vois que vous avez une écorchure à  la main, que vous est-il arrivé ?

– Quoi ? Ah, ça ? Euh, je ne sais… Ah, si, en mettant du bois à  côté de la cheminée, l’autre jour…

– Quand ?

– Euh, je ne sais plus… Hier ?

– L’autre jour ou bien hier, Monsieur Caron ?

– Mais… Hier, je crois, franchement je ne sais plus.

– Quelle est la composition de votre famille ?

– J’ai deux enfants, David et Louise, que j’ai eu avec mon épouse, que vous avez vue tout à  l’heure, Manu, enfin, Emmanuelle, on vit tous ensemble, rien de…

– Elle m’a paru très jeune, votre épouse, par rapport à  vous, non ?

– Oui, c’est vrai, elle est plus jeune que moi de douze ans. C’est une ancienne élève, j’étais son prof quand elle était en Première.

– Vous aviez des relations amoureuses avec une élève de Première ?

– Non, je n’ai pas dit ça : elle est tombée amoureuse de moi à  l’époque, mais je ne l’ai su que bien plus tard, elle était étudiante quand nous -enfin, quand on s’est rencontrés vraiment…

– Sexuellement, comment cela se passe avec Madame CARON ?

– Quoi ? Je… Que vous dire ? Je suppose, correctement, nous faisons l’amour normalement, 3 fois par semaine je dirais.

– Avez-vous des fantasmes, pratiquez vous des actes particuliers, des jeux de violence ?

– Non ! Qu’est-ce que… Non, pas du tout, ça ne me plairait pas, ni à  elle, ce n’est pas du tout notre truc -et je ne suis pas DU TOUT violent, jamais !

– L’avez-vous déjà  trompée ?

– Non, jamais.

– Vous préférez une femme vierge ou une femme expérimentée ?

– Je ne préfère rien du tout, je préfère ma femme.

– Vous avez eu beaucoup de femmes dans votre vie ?

– Oui, avant Manu, bien sûr, quelques unes, mais…

– Quel âge exact avait Manu quand vous êtes sortis ensemble ?

– Je ne sais plus, une vingtaine d’années…

– Vous vous sentez attiré par les femmes plus jeunes ? C’est une motivation par rapport à  votre métier ?

– Mais ça ne va plus, non ? Je suis prof parce que j’ai toujours voulu être prof, j’aime ça, j’aime enseigner, ça n’a rien à  voir, ça n’a JAMAIS rien eu à  voir avec une “attirance” à  la con, je ne vous permet pas de…

– (Mentionnons que nous rappelons à  Monsieur Caron que nous enquétons sur des faits de viol, et qu’il doit demeurer courtois.) Calmez-vous, Monsieur Caron, vous n’avez rien à  me permettre ou pas, je ne suis pas une de vos élèves, je vous pose seulement des questions. Avez-vous selon vous une attitude différente avec les filles et les garçons, en classe ?

– Absolument pas.

– On leur posera la question, vous savez… Bon, que pouvez-vous me dire concernant la relation que vous avez eue avec Dalila ?

– Aucune. Normale. Comme avec les autres élèves. J’ai toujours tout fait normalement pour Dalila, c’est tout ce que je peux vous dire.

– Dites-moi si vous avez bien compris pourquoi vous êtes en garde à  vue ?

– Vous m’avez dit qu’elle m’accuse de viol, et moi je vous dis que c’est totalement faux, il ne s’est  absolument jamais rien passé, seulement un incident totalement bénin ce matin, point barre. Et ce n’est pas normal que je sois ici puisque je n’ai rien fait

– Qu’est ce qu’un viol pour vous ? De quoi est-ce qu’elle vous accuse ?

– Ah ça ! Je n’en ai pas la moindre idée… Un viol, c’est lorsque quelqu’un abuse d’une autre personne, lui impose une relation sexuelle contre son consentement, la violente… Je ne lui ai absolument rien fait, je n’ai jamais eu la moindre attirance sexuelle pour elle, ni aucun élève, je n’ai rien fait.

– Vous dites que vous n’avez rien fait, mais vous parlez d’un incident, ce matin ?

– Oui, et c’est tout. J’ai vu qu’elle avait l’air de mal encaisser une très mauvaise note sur une copie, et mes observations écrites. Je l’ai retenue, à  la fin du cours, pour en parler avec elle, je voulais la rassurer, lui dire que je pense qu’elle doit persévérer, atténuer mes remarques écrites, qui étaient un peu dures, et c’est tout. J’ai posé la main sur son épaule pour la rassurer, en lui parlant, et j’ai bien vu qu’il y avait quelque chose d’anormal, elle a fait un bond, et elle est partie en courant, comme ça, sans rien dire… Voilà , c’est tout, absolument rien d’autre. J’en ai parlé à  d’autres profs, juste après, et à  ma femme, en rentrant, vous pouvez les interroger…

– Nous le ferons, soyez-en certain. Dalila ne raconte pas du tout les choses comme ça. Elle a quel âge, au fait ?

– Je ne sais pas précisément, 14, 15, 16 ans ?

– Vous dites que vous l’avez “retenue” ? Comment ?

– Ah, oui… Non, je voulais simplement dire que je lui ai demandé de rester à  la fin, quand les élèves sortaient, c’est tout. Aucune contrainte. Enfin, normale, seulement, un prof qui demande à  une élève de rester, quoi…

– Et ça vous arrive souvent, de “retenir” une élève après le cours ?

– Non, rarement. Quand il le faut, quand je souhaite leur parler en privé, quand je détecte un problème particulier, ou que j’essaye d’aider individuellement…

– Il y avait donc un problème particulier chez Dalila ?

– Non, pas dans le sens… Mais là , sur cette correction de copie, oui. Dalila a des choses à  dire, sur le fond, mais c’est une catastrophe en termes d’expression écrite. Je vous l’ai dit, je voulais la rassurer et lui dire de continuer à  travailler, l’aider…

– Et, pour l’aider, vous dites que vous la touchez ?

– Mais non ! Je n’ai pas dit du tout “je l’ai touchée”, j’ai dis que j’avais fait un geste rassurant, un peu paternaliste, si vous voulez, en lui parlant, en l’encourageant, j’ai juste tapoté son épaule avec ma main, pour lui dire “ça va aller”, et c’est tout, rigoureusement tout, je le jure !

– Vous avez souvent des “gestes paternalistes” avec vos élèves filles, restées seules avec vous ?

– (Mention : Monsieur Caron ne répond rien, il soupire et secoue la tête.)

– La question vous dérange, apparemment ?

– Mais pas du tout : elle me révolte ! C’était un geste totalement anodin, d’empathie, sans la moindre connotation, et comme j’en ai déjà  sûrement eu avec d’autres, élèves comme autres personnes, oui, comme vous-même vous avez déjà  dû en avoir plein, bon sang…

– Donc, pour vous, il ne s’est strictement rien passé d’autre ?

– Non, je vous l’ai dit, rien.

– Avait-elle une quelconque marque apparente, ce matin là , sur le visage ?

– Comment ? Euh, non, rien de particulier, je ne vois pas…

– Il se trouve que Dalila a été prise en charge par des policiers immédiatement après vous avoir quitté, effectivement en courant, d’ailleurs, alors qu’elle courait dans la rue. Et qu’ils ont constaté, comme moi, et comme la Médecine Légale, que Dalila portait une trace de coup toute récente sur le visage. Qu’en pensez-vous, et pensez-vous qu’elle se la soit faite toute seule ?

– Mais je n’en sais… Ah, si, elle est tombée quand elle a bondi, je vous l’ai dit, elle a dû se cogner.

– Vous ne m’avez jamais parlé d’une chute ou d’un coup ?

– Mais si, je vous l’ai dit.

– (Relisons à  Monsieur Caron ses déclarations ci-dessus) Non. Vous m’avez dit “elle a fait un bond et elle est partie en courant”, c’est tout. Pourquoi n’avoir pas mentionné spontanément ce coup ?

– Je… Je n’y ai pas pensé, je n’ai pas apporté cette précision, mais c’est tout, je ne voulais pas cacher quoi que ce soit. Et ce n’est pas un coup, c’est une chute, c’est sa réaction très brusque qui l’a provoquée, c’est même ce qui m’a fait dire qu’il devait y avoir un problème chez elle…

– Mais vous ne me l’avez pas dit spontanément. Ensuite, vous indiquez à  la fois que c’est pour vous un incident minime, normal, et pour autant que vous en parlez à  d’autres enseignants, puis à  votre femme. Nous vérifierons, mais si c’est exact, pourquoi en parlez-vous, puisqu’il ne s’est rien passé selon vous ?

– Je vous l’ai expliqué : sa réaction affolée, totalement disproportionnée, sa chute, justement, son départ précipité : n’ayant rien fait de mal, au contraire, je n’ai pas compris, et je voulais savoir si d’autres avaient déjà  remarqué  des problèmes chez elle…

– Comment votre femme aurait-elle pu en voir ? Elle la connait ?

– Non, pas elle, mes collègues… Ma femme, je lui en ai parlé parce que je m’en voulais, d’avoir été trop dur dans mes annotations, d’avoir manifestement blessé cette élève… Le pire, c’est que je l’aimais bien, Dalila, je…

– Pourquoi ? Vous ne l’aimez plus ?

– Vous plaisantez ? Vous voyez où je suis, là  ? Elle m’accuse de viol, et c’est un mensonge : non, là , je ne l’aime pas trop.

– Donc, c’est une menteuse ?

– Je n’avais rien remarqué à  ce sujet, mais comme moi je vous dis la vérité, oui, bien sûr qu’elle ment !

– Donc, quand elle raconte, quelques minutes après avoir quitté votre classe, spontanément, parce que son attitude affolée et sa blessure attirent l’attention de policiers dans la rue, qu’elle vient d’être violée par son prof, qui l’a retenue dans sa classe, seule, et a tenté de l’abuser, et est parvenu à  ses fins, en la violentant, et qu’elle s’est enfuie, elle dit n’importe quoi, elle ment ? (Donnons lecture au gardé à  vue des déclarations de la jeune Dalila) ?

– Je suis atterré… Oui, elle ment, c’est un tissu de mensonge, ça ne s’est absolument pas passé comme ça, ça ne s’est pas passé du tout…

– Elle l’a pourtant raconté, et m’a laissé prévenir ses parents, auprès desquels elle n’a rien démenti, et qu’elle a quatorze ans ?

– Si elle ment, je suppose qu’elle ment à  tout le monde.

– Dalila a été examinée par un expert-psychologue, qui l’a trouvée crédible : qu’en pensez-vous ?

– Qu’il s’est trompé ! Elle est peut-être crédible, son histoire est peut-être crédible, mais moi je ne la trouve pas crédible du tout, je vous affirme que c’est une invention pure ! De la folie…

– Le même expert n’a pas trouvé trace de pathologie mentale chez elle. En revanche, il retrouve un grand nombre de symptômes post-traumatiques, très habituels chez les victimes de viols : vous pensez qu’à  quatorze ans, elle a été capable de tromper l’expert et les tests qu’il lui a fait passer ?

– JE N’EN SAIS RIEN ! Je m’en fous ! C’est un cauchemar, c’est pas possible… Non, je suppose qu’elle ne serait pas capable de tromper un expert, mais si c’est ça, alors elle a peut-être subi quelque chose réellement, je n’en sais rien, mais pas par moi, je ne lui ai rien fait. Peut-être que mes critiques ou mon geste ont fait ressortir ça en elle, mais ce n’est pas moi.

– Vous accusez un autre adulte, son père ?

– Je n’accuse personne, je cherche à  comprendre…

– Justement, moi aussi : si elle vous accuse à  tort, en sachant qu’elle peut vous faire envoyer en prison, que ce sont de graves accusations, et qu’elle n’est pas folle, expliquez-moi ce qui lui prend, et pourquoi ? Elle vous détesterait ?

– Je n’en sais rien, c’est vrai que c’est démentiel, je ne sais pas. Peut-être qu’elle m’en voulait terriblement pour sa copie…

– Elle vous accuse de viol pour une mauvaise note, c’est bien ça ?

– (Mentionnons que Monsieur Caron ne répond pas et garde la tête baissée.) Que c’est-il passé avec Dalila pour qu’elle veuille vous envoyer en prison, Monsieur Caron ?

– Rien. Je ne sais pas. C’était une gentille fille, ça se sentait, du moins je croyais. Je ne sais pas.

– A la suite de l’incident, qui selon vous révélait des “problèmes”, pourquoi ne pas avoir alerté les services sociaux, au moins ceux de votre établissement, ou seulement même sa direction ?

– Je comptais le faire dès lundi, je l’ai dit à  mon épouse. Là , c’était vendredi, elle était partie chez elle, et de plus je n’étais pas sûr… Je voulais demander l’avis de ma femme, justement,  avant, ne pas créer d’ennuis s’il n’y avait rien d’autre qu’une réaction d’humeur disproportionnée…

– Vous la trouvez jolie, Dalila ?

– Je ne… Oui, je suppose, enfin oui, c’est une jolie jeune fille.

– Vous avez été attiré par elle ?

– Non.

– C’est arrivé combien de fois que Dalila, ou une autre, reste seule avec vous après le cours ?

– Elle, jamais, à  part ce matin. D’autres, quelques fois. Des garçons comme des filles, d’ailleurs.

– Vous aimez les garçons aussi ?

– Vous déformez toutes mes réponses : je n’aime pas les filles, ou les garçons : j’aime mon métier, et j’essaye de bien le faire et de les aider. Enfin, j’essayais. Je comprends que j’aurais dû filmer ces entretiens en privé, mais je n’y ai pas pensé, vous voyez…

– On a saisi les vêtements de Dalila, qui n’ont pas été lavés, et des prélèvements vaginaux ont été effectués : nous n’avons pas de film, mais nous aurons des traces ADN. Persistez-vous à  nier les faits, en sachant que des examens ADN vont être effectués ?

– Bien sûr que oui : on ne trouvera pas mon ADN, nulle part, Bon Dieu ! SI : pardon, sur son épaule, on pourrait en trouver, mais rien d’autre, je vous le garantis.

– Les parents de Dalila m’ont dit qu’ils étaient surpris qu’elle ait des notes si mauvaises en français, alors qu’ailleurs Dalila s’en sort bien ?

– Je ne vois pas le rapport. J’ai toujours noté Dalila comme les autres, je vous l’ai dit elle a de gros soucis d’expression écrite -pas orale, apparemment…

– Vous trouvez ces accusations risibles ?

– Non, c’est pas le mot. Je suis abasourdi, je n’y comprends rien. Je n’ai aucune envie de rire.

– Elle non plus, elle ne riait pas, tout à  l’heure, Monsieur Caron. Décrivez-moi la façon dont Dalila est tombée, et comment une jeune femme qui sursaute, puis chute, peut se faire un hématome au front, selon vous ?…”

___________

Plusieurs heures.

Sur ce ton, en permanence.

Et ça ne fait que commencer, elle le lui a dit. Il va être réentendu, plusieurs fois, ce qui désormais le terrifie. Jusqu’à  ce qu’elle “sache la vérité”, a-t-elle ajouté…

Elle n’a pas caché non plus qu’il ne fallait pas qu’il espère une fin de garde à  vue rapide : elle allait vérifier le plus de choses possible, et irait au bout -il la croyait. Elle allait entendre son épouse, ses collègues, ils iraient ensemble perquisitionner chez lui, on interrogerait des élèves…

Jean-Marc croyait ne rien avoir à  craindre, mais il constatait, stupéfait, qu’en réalité il avait peur de ces auditions, et peur d’à  peu près n’importe quel élément qui sortirait maintenant : il voyait bien à  quel point un mot pouvait être torturé pour l’accabler, combien les circonstances pouvaient apparemment valider cette… Horreur.

La policière avait quoi ? Les déclarations -ahurissantes- de Dalila, une expertise psychologique, un contexte, celui de son attitude à  elle, une blessure -il s’en voulait terriblement de ne pas en avoir parlé le premier, de ça…

Il n’arrivait pas à  réfléchir à  ces éléments, et d’ailleurs, réfléchir à  quoi, que pouvait-il faire pour les contrer, à  part dire, encore et encore, qu’il ne comprenait pas…

David, Louise, Manu…

Il avait un espoir : l’ADN. Il n’y en aurait pas, évidemment. Seulement, la policière lui avait bien dit que les résultats n’arriveraient pas tout de suite, en prenant soin de ne pas lui donner de délai…

Il avait bien compris que sa garde à  vue serait prolongée, et ça l’emplissait de frayeur, il ne pouvait plus maîtriser ça; le seul point positif est qu’il avait aussi compris qu’il reverrait “son” avocat, du coup, et c’était bien la seule bonne nouvelle dans tout ce marasme, un rayon de jour dans le noir…

David, Louise, Manu…

Une question le frappa soudain : on allait dire à  Manu, et à  ses collègues, et aux élèves, qu’il était là  pour le viol de Dalila, qu’il était suspect de ce putain de viol, de ces faits dégueulasses, ou pas ? Il ne voyait pas comment on interrogerait tout le monde sans en parler, oui, forcément -il mesura soudain que même quand il serait mis hors de cause, sa vie serait nécessairement modifiée, il mesura qu’il devrait se justifier partout -au bahut, déjà , rien que là …

Il réalisa aussi que des histoires de profs pédophiles, il y en avait eu à  la pelle, dans l’actualité, et que ce contexte jouait aussi contre lui…

Toutes ces pensées, bien d’autres encore, s’entrechoquaient dans sa tête vidée, vidangée, il perdait parfois sa cohérence, il ne parvenait plus à  être objectif, il se prenait à  espérer que Dalila serait soudain prise de remords et viendrait tout dire -il émit une forme de prière, pour ça. Il avait maintenant le sentiment d’être là , emprisonné, depuis des jours, et de répondre depuis des jours à  toutes ces questions hostiles et impudiques… Il se demandait quelle heure il était, il savait juste qu’on était en pleine nuit, et comment s’en sortait Manu, si elle avait peur pour lui, ce qu’elle racontait à  leurs gosses, à  sa petite Louise…

Il n’était plus du tout certain de sortir rapidement de là . Et il était certain de ne pas en sortir indemne.

Il ne savait pas ce qui allait lui arriver, et il redoutait viscéralement tout, maintenant : il voulait, par dessus tout, s’en aller. Rentrer chez lui, et aller faire un million de bisous à  Louise, l’écouter rire…

Le visage tout rond et les grands yeux de Louise vinrent lui voiler les yeux, et il se mit à  pleurer.

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