- Maître Mô - https://maitremo.fr -

Garde, avoue !

Vous le savez probablement, le Bâtonnier du Barreau de Paris, c’est à  dire, ça m’arrache les lèvres de l’écrire mais c’est comme ça, le représentant d’à  peu près la moitié des avocats de France1, vient de partir en guerre à  l’encontre de la garde à  vue telle qu’elle existe actuellement dans notre beau pays des droits de l’homme, expression à  laquelle je refuse désormais les guillemets, sauf exception, tant elle est galvaudée.

Le motif, entre autres, de cette soudaine réaction, quand la garde à  vue française est contestée depuis fort longtemps par les praticiens quotidiens “de base”, soit telle qu’elle existe actuellement, soit telle qu’on souhaite la remanier sans le faire réellement2, serait notamment la mésaventure arrivée à  une consœur de Paris3, c’est toujours pareil et exactement comme dans la vie, il faut qu’un évènement vous touche personnellement pour que vous commenciez à  vous y intéresser réellement, mais enfin c’est toujours ça…

Le fondement juridique de cette contestation déclarée générale de notre système de garde à  vue est un arrêt, rendu il y a longtemps déjà , puisqu’en novembre 2008, mais que personne, pas même, voir la fin de cet article, mort de rire, les membres du Comité Léger, n’avait vu, par la CEDH, dans une affaire Salduz contre Turquie4 que j’ai mis une demi-heure à  réussir à  afficher5 (droits de l’homme sûrement, mais droits de l’internaute il y a encore des simplifications à  effectuer, bref) et à  l’occasion duquel il s’agit, d’où ce titre très drôle, de faire entendre raison à  la Garde, rien de moins !

Parce que ce qui est amusant, si l’on peut écrire, au sujet de cette belle décision, réside essentiellement dans les différences d’interprétations que ses commentateurs en donnent, ce ravissant euphémisme soulignant en réalité la forte impression que l’on ne peut qu’avoir que les deux parties en présence, si l’on ose écrire itou, à  savoir les avocats représentés par leur Paterfamilias, d’une part, et la Chancellerie, d’autre part (et pourtant, dans “Chancellerie”, il y a certes “chancelle”, mais il y a également “ri” -ça vient probablement de là …), n’ont pas lu le même texte.

Pour mon éminent confrère parisien, donc, cet arrêt se lit fort simplement : il “permet dès à  présent aux avocats de se fonder sur cet arrêt et sur l’article 6 de la Convention européenne pour obtenir l’annulation des procédures judiciaires basées sur les déclarations d’un suspect faites en l’absence de son avocat”. Voilà , pas besoin d’en faire une tartine, c’est carré, sobre et efficace, bref, ça vient d’un avocat.

La Chancellerie, d’ailleurs, lorsque cette décision a été découverte, s’abstenait soigneusement au départ d’émettre le moindre commentaire sur le sujet, préférant, une fois n’étant pas coutume, réfléchir et lire avant de causer6 .

Mais voilà  que contre toute attente, elle proposait finalement une toute autre lecture du texte litigieux, saperlotte quelle surprise, et quel sortilège que ces interprétations discordantes, et ici radicalement opposées, du même écrit, pourtant rédigé en langue française de moyenne facture, même si un tantinet rébarbative, qui me semblait parfaitement clair, en tout cas -et l’on rappelle qu’en droit français, histoire de sourire un peu au passage, on n’interprète en principe que ce qui doit l’être, ce qui est confus ou ambigu…

Et beaucoup plus rarement, et de façon infiniment moins légale, ce qui casse les noisettes à  l’auteur de l’interprétation, qui aurait ardemment souhaité y lire autre chose que ce qui y est écrit !

J’aime bien Monsieur Guillaume Didier, que j’ai eu le plaisir de “pratiquer” autrefois dans le Nord lorsqu’il était encore plus magistrat que politique juge, et j’ai bien conscience que Porte-parole de la Gardienne, ça implique nécessairement d’obstinément ne “porter la parole” que dans le même sens, unique pour le coup, mais tout de même, cette déclaration, et ne vous embêtez pas avec le lien je vous l’affiche ci-dessous in integrum tant elle picote les yeux, ne lasse pas de me laisser pantois7 :

“L’arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme condamne la Turquie et pas la France. Une lecture attentive de cet arrêt nous montre qu’au contraire la cour semble consacrer le système français.

Cet arrêt dit qu’il faut, en règle générale, que l’accès à  un avocat soit consenti dès le début de la garde à  vue, or c’est exactement notre système français depuis près de 10 ans maintenant puisque, lorsque vous êtes placé en garde à  vue, dès le début, vous pouvez demander à  vous entretenir avec un avocat. Donc n’extrapolons pas, ne faisons pas dire à  la Cour européenne des droits de l’Homme ce qu’elle ne dit pas. Le système judiciaire français semble au contraire renforcé par cet arrêt.

Ayons confiance en la Cour européenne des droits de l’Homme, si elle a un message à  faire passer à  la Turquie ou à  la France elle le dit explicitement. A aucun moment elle ne dit que l’avocat doit être présent pendant toute la durée de la garde à  vue, doit avoir accès à  l’intégralité du dossier. Si la cour avait voulu dire cela, elle l’aurait écrit explicitement. La cour consacre d’autant plus le système français que quelques lignes plus loin elle précise que l’on peut exceptionnellement justifier le refus de l’accès à  un avocat pour des raisons légitimes ; c’est le cas en France avec un retard de l’entretien avec l’avocat en matière de criminalité organisée ou de terrorisme.

Pour autant, dans le cadre de la réforme de la procédure pénale, Michèle Alliot-Marie réfléchit à  un renforcement du rôle de l’avocat pendant la garde à  vue.”

Wahouh, si seulement je pouvais en toute impunité aussi bien tordre les témoignages qui m’ennuient dans un dossier, à  l’audience, j’aurais un de ces taux de relaxe, mes bons amis..!

Parce que bon, très franchement, avec toutes les lucidité et totale impartialité qui sont vous le savez quelques unes de mes nombreuses qualités majeures8, et pour les très rares lecteurs qui n’auraient pas le temps, au bureau, de lire intégralement l’arrêt rendu par la CEDH, je vous le résume ci-dessous, par le moyen le plus sûr du monde, c’est à  dire en ne faisant qu’en publier les extraits fondamentaux, et vous allez, même non juristes, pouvoir très simplement vous faire une idée vous-même, étant précisé qu’effectivement, je le lui concède totalement, la Chancellerie a bien “lu attentivement” ledit arrêt, et le prouve : il condamne bien la Turquie et pas la France, voilà  au moins un point sur lequel nous serons d’accord.

Mais en vertu de quels principes, ici posés avec une force extrême, cette condamnation intervient-elle ? La CEDH le dit très simplement elle-même, “let’s go”, comme on dit chez elle, et si c’est long, tant pis, parce que, comme souvent, c’est bon9, si bon même que j’y affiche en gras tout ce qui me plaît, afin que nul n’en ignore, ici ou à  Paris  dans les hautes sphères :

“LES FAITS  ET LA PROCÉDURE

Dans sa requête, M. Salduz se plaignait de ce que, poursuivi au pénal, il s’était vu refuser l’assistance d’un avocat pendant sa garde à  vue […]. Soupçonné d’avoir participé à  une manifestation illégale de soutien au PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan, organisation illégale), le requérant fut arrêté le 29 mai 2001 vers 22 h 15 par des policiers de la section antiterroriste de la direction de la sûreté d’Izmir. On lui reprochait également d’avoir accroché une banderole illégale sur un pont à  Bornova le 26 avril 2001.

Le 30 mai 2001 vers 12 h 30, le requérant fut emmené à  l’hôpital universitaire Atatürk, où il fut examiné par un médecin. D’après le rapport médical établi à  la suite de cet examen, le corps de l’intéressé ne présentait aucune trace de mauvais traitements. Vers 13 heures le même jour, le requérant fut interrogé dans les locaux de la section antiterroriste en l’absence d’un avocat. D’après un formulaire explicatif des droits des personnes arrêtées signé par lui, les policiers lui notifièrent les charges qui pesaient sur lui et l’informèrent de son droit de garder le silence. Dans sa déclaration, le requérant reconnut […]. Le 1er juin 2001 vers 23 h 45, le requérant fut une nouvelle fois examiné par un médecin, qui déclara que le corps de l’intéressé ne présentait aucune marque de mauvais traitements. Le même jour, le requérant fut traduit devant un procureur, puis devant un juge d’instruction. Devant le procureur, il expliqua qu’il n’était membre d’aucun parti politique mais qu’il avait pris part à  certaines activités du HADEP. Il nia avoir confectionné la moindre banderole illégale ou avoir participé à  la manifestation du 29 mai 2001. Il déclara qu’il se trouvait dans le quartier de DoÄŸanlar, où il devait rendre visite à  un ami, lorsqu’il avait été arrêté par la police. Il fit également devant le juge d’instruction une déclaration dans laquelle il rétractait celle qu’il avait faite devant la police, alléguant que celle-ci lui avait été extorquée sous la contrainte. Il affirma qu’il avait été frappé et insulté pendant sa garde à  vue. Il démentit une nouvelle fois avoir participé à  la moindre activité illégale et expliqua que, le 29 mai 2001, il s’était rendu dans le quartier de DoÄŸanlar pour y rendre visite à  un ami et qu’il ne faisait pas partie du groupe de personnes qui avaient crié des slogans.

A l’issue de l’interrogatoire, le juge d’instruction ordonna son placement en détention provisoire eu égard à  la nature de l’infraction et à  l’état des preuves. Le requérant eut alors la possibilité de faire appel à  un avocat.

[Le malheureux est ensuite poursuivi devant rien moins que la Cour de Sûreté de l’État, sur les mêmes fondements, il fait bon vivre en Turquie, il maintient ses dénégations et ses accusations quant à  la garde à  vue.]

La cour de l’Etat d’Izmir acquitta cinq des accusés et reconnut le requérant et trois autres accusés coupables des charges qui pesaient sur eux. Elle condamna le requérant à  quatre ans et six mois d’emprisonnement, peine qui fut ramenée à  deux ans et demi d’emprisonnement compte tenu de ce que le requérant était mineur à  l’époque des faits. Pour rendre sa décision, la cour de sûreté de l’État d’Izmir se fonda sur les déclarations que le requérant avait faites devant la police, devant le procureur et devant le juge d’instruction. Elle prit également en considération les dépositions faites par ses coaccusés devant le procureur et aux termes desquelles c’était le requérant qui les avait poussés à  participer à  la manifestation du 29 mai 2001. Elle releva que les coaccusés du requérant avaient également déclaré que c’était l’intéressé qui s’était occupé de l’organisation de la manifestation. Elle prit note, par ailleurs, de l’expertise graphologique où étaient comparées l’écriture du requérant et celle de l’inscription qui figurait sur la banderole. Elle releva enfin que, d’après le procès-verbal d’arrestation établi par la police, le requérant était au nombre des manifestants. Elle conclut : « (…) au vu de ces faits matériels, la cour de sûreté de l’État n’ajoute pas foi au démenti du requérant et conclut à  l’authenticité des aveux faits par lui devant la police. »

[Ses recours nationaux sont ensuite rejetés.]

LE DROIT NATIONAL

Les dispositions pertinentes de l’ancien code de procédure pénale (no 1412), à  savoir les articles 135, 136 et 138, prévoyaient que toute personne soupçonnée ou accusée d’une infraction pénale avait droit à  l’assistance d’un avocat dès son placement en garde à  vue. L’article 138 disposait clairement que pour les mineurs l’assistance d’un avocat était obligatoire. En vertu de l’article 31 de la loi no 3842 du 18 novembre 1992, qui modifia les règles de procédure pénale, les dispositions précitées ne devaient pas être appliquées aux personnes accusées d’infractions relevant de la compétence des cours de sûreté de l’État.

[ A noter que ] le 15 juillet 2003 fut adoptée la loi no 4928, qui abrogeait la restriction mise au droit pour un accusé de se faire assister par un avocat dans les procédures suivies devant les cours de sûreté de l’État. 30. Le 1er juillet 2005, un nouveau code de procédure pénale est entré en vigueur. D’après ses dispositions pertinentes en l’espèce (les articles 149 et 150), toute personne détenue a droit à  l’assistance d’un avocat dès son placement en garde à  vue. La désignation d’un avocat est obligatoire si la personne concernée est mineure ou si elle est accusée d’une infraction punissable d’une peine maximale d’au moins cinq ans d’emprisonnement. 31. Enfin, l’article 10 de la loi sur la prévention du terrorisme (loi no 3713) tel qu’amendé le 29 juin 2006 prévoit que, pour les infractions liées au terrorisme, le droit d’accès à  un avocat peut être différé de vingt-quatre heures sur l’ordre d’un procureur. En revanche, l’accusé ne peut être interrogé pendant cette période.

[ Je passe sur les textes internationaux applicables et les moyens des parties, on n’est pas des brutes, je ne veux pas vous faire (trop) de mal…]

LA DÉCISION ET SA MOTIVATION

Les principes généraux applicables en l’espèce

La Cour rappelle que si l’article 6 a pour finalité principale, au pénal, d’assurer un procès équitable devant un « tribunal » compétent pour décider du « bien-fondé de l’accusation », il n’en résulte pas qu’il se désintéresse des phases qui se déroulent avant la procédure de jugement. Ainsi, l’article 6 spécialement son paragraphe 3 peut jouer un rôle avant la saisine du juge du fond si, et dans la mesure où, son inobservation initiale risque de compromettre gravement l’équité du procès

La Cour réaffirme par ailleurs que, quoique non absolu, le droit de tout accusé à  être effectivement défendu par un avocat, au besoin commis d’office, figure parmi les éléments fondamentaux du procès équitable

Cela étant, l’article 6 § 3 c) ne précise pas les conditions d’exercice du droit qu’il consacre. Il laisse ainsi aux États contractants le choix des moyens propres à  permettre à  leur système judiciaire de le garantir, la tâche de la Cour consistant à  rechercher si la voie qu’ils ont empruntée cadre avec les exigences d’un procès équitable. A cet égard, il ne faut pas oublier que la Convention a pour but de « protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs » et que la nomination d’un conseil n’assure pas à  elle seule l’effectivité de l’assistance qu’il peut procurer à  l’accusé.

Une législation nationale peut attacher à  l’attitude d’un prévenu à  la phase initiale des interrogatoires de police des conséquences déterminantes pour les perspectives de la défense lors de toute procédure pénale ultérieure. En pareil cas, l’article 6 exige normalement que le prévenu puisse bénéficier de l’assistance d’un avocat dès les premiers stades des interrogatoires de police.

Ce droit, que la Convention n’énonce pas expressément, peut toutefois être soumis à  des restrictions pour des raisons valables. Il s’agit donc, dans chaque cas, de savoir si la restriction litigieuse est justifiée et, dans l’affirmative, si, considérée à  la lumière de la procédure dans son ensemble, elle a ou non privé l’accusé d’un procès équitable, car même une restriction justifiée peut avoir pareil effet dans certaines circonstances.

Ces principes cadrent également avec les normes internationales généralement reconnues en matière de droits de l’homme qui se trouvent au cœur de la notion de procès équitable et dont la raison d’être tient notamment à  la nécessité de protéger l’accusé contre toute coercition abusive de la part des autorités. Ils contribuent à  la prévention des erreurs judiciaires et à  la réalisation des buts poursuivis par l’article 6, notamment l‘égalité des armes entre les autorités d’enquête ou de poursuite et l’accusé.

La Cour souligne l’importance du stade de l’enquête pour la préparation du procès, dans la mesure où les preuves obtenues durant cette phase déterminent le cadre dans lequel l’infraction imputée sera examinée au procès. Parallèlement, un accusé se trouve souvent dans une situation particulièrement vulnérable à  ce stade de la procédure, effet qui se trouve amplifié par le fait que la législation en matière de procédure pénale tend à  devenir de plus en plus complexe, notamment en ce qui concerne les règles régissant la collecte et l’utilisation des preuves. Dans la plupart des cas, cette vulnérabilité particulière ne peut être compensée de manière adéquate que par l’assistance d’un avocat, dont la tâche consiste notamment à  faire en sorte que soit respecté le droit de tout accusé de ne pas s’incriminer lui-même.

Ce droit présuppose que, dans une affaire pénale, l’accusation cherche à  fonder son argumentation sans recourir à  des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou les pressions au mépris de la volonté de l’accusé.

Un prompt accès à  un avocat fait partie des garanties procédurales auxquelles la Cour prête une attention particulière lorsqu’elle examine la question de savoir si une procédure a ou non anéanti la substance même du droit de ne pas contribuer à  sa propre incrimination.

Toute exception à  la jouissance de ce droit doit être clairement circonscrite et son application strictement limitée dans le temps. Ces principes revêtent une importance particulière dans le cas des infractions graves, car c’est face aux peines les plus lourdes que le droit à  un procès équitable doit être assuré au plus haut degré possible par les sociétés démocratiques.

Dans ces conditions, la Cour estime que, pour que le droit à  un procès équitable consacré par l’article 6 § 1 demeure suffisamment « concret et effectif », il faut, en règle générale, que l’accès à  un avocat soit consenti dès le premier interrogatoire d’un suspect par la police, sauf à  démontrer, à  la lumière des circonstances particulières de l’espèce, qu’il existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit. Même lorsque des raisons impérieuses peuvent exceptionnellement justifier le refus de l’accès à  un avocat, pareille restriction quelle que soit sa justification ne doit pas indûment préjudicier aux droits découlant pour l’accusé de l’article 6.

Il est en principe porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense lorsque des déclarations incriminantes faites lors d’un interrogatoire de police subi sans assistance possible d’un avocat sont utilisées pour fonder une condamnation.

Application en l’espèce des principes énoncés ci-dessus

En l’espèce, le droit du requérant à  bénéficier de l’assistance d’un avocat a été restreint pendant sa garde à  vue, en application de l’article 31 de la loi no 3842, au motif qu’il se trouvait accusé d’une infraction qui relevait de la compétence des cours de sûreté de l’État. En conséquence, il n’était pas assisté d’un avocat lorsqu’il a effectué ses déclarations devant la police, devant le procureur et devant le juge d’instruction.

Pour justifier le refus au requérant de l’accès à  un avocat, le Gouvernement s’est borné à  dire qu’il s’agissait de l’application sur une base systématique des dispositions légales pertinentes. En soi, cela suffit déjà  à  faire conclure à  un manquement aux exigences de l’article 6.

La Cour observe par ailleurs que le requérant a bénéficié de l’assistance d’un avocat après son placement en détention provisoire. Dans la suite de la procédure, il a également pu citer des témoins à  décharge et combattre les arguments de l’accusation. La Cour relève également que le requérant a démenti à  plusieurs reprises le contenu de sa déclaration à  la police, tant au procès en première instance qu’en appel.

Toutefois, ainsi qu’il ressort du dossier, l’enquête avait en grande partie été effectuée avant que le requérant ne comparaisse devant le juge d’instruction le 1er juin 2001. De surcroît, non seulement la cour de sûreté de l’État d’Izmir s’est abstenue, avant d’examiner le fond de l’affaire, de prendre position sur l’opportunité d’admettre comme preuves les déclarations faites par le requérant pendant sa garde à  vue, mais elle a fait de la déposition livrée à  la police par l’intéressé la preuve essentielle justifiant sa condamnation, nonobstant la contestation par le requérant de son exactitude.

La Cour observe à  cet égard que, pour condamner le requérant, la cour de sureté de l’État d’Izmir a en réalité utilisé les preuves produites devant elle pour confirmer la déclaration faite par le requérant devant la police. Parmi ces preuves figuraient l’expertise datée du 1er juin 2001 et les dépositions faites par les coaccusés du requérant devant la police et devant le procureur. A cet égard, toutefois, la Cour est frappée par le fait que l’expertise mentionnée dans le jugement de première instance était favorable au requérant, puisque aussi bien elle concluait à  l’impossibilité d’établir si l’écriture de l’inscription figurant sur la banderole était identique à  celle du requérant. Il est également significatif que tous les coaccusés du requérant qui avaient témoigné contre lui devant la police et devant le procureur rétractèrent leurs déclarations lors du procès et nièrent avoir participé à  la manifestation.

Il est donc clair en l’espèce que le requérant a été personnellement touché par les restrictions mises à  la possibilité pour lui d’avoir accès à  un avocat, puisque aussi bien sa déclaration à  la police a servi à  fonder sa condamnation. Ni l’assistance fournie ultérieurement par un avocat ni la nature contradictoire de la suite de la procédure n’ont pu porter remède au défaut survenu pendant la garde à  vue. Il n’appartient toutefois pas à  la Cour de spéculer sur l’impact qu’aurait eu sur l’aboutissement de la procédure la possibilité pour le requérant de se faire assister par un avocat pendant sa garde à  vue.

La Cour rappelle par ailleurs que ni la lettre ni l’esprit de l’article 6 de la Convention n’empêchent une personne de renoncer de son plein gré, que ce soit de manière expresse ou tacite, aux garanties d’un procès équitable.

Toutefois, pour être effective aux fins de la Convention, la renonciation au droit de prendre part au procès doit se trouver établie de manière non équivoque et être entourée d’un minimum de garanties correspondant à  sa gravité.

Ainsi, en l’espèce, la Cour ne peut se fonder sur la mention figurant dans le formulaire exposant les droits du requérant selon laquelle l’intéressé avait été informé de son droit de garder le silence.

La Cour relève enfin que l’un des éléments caractéristiques de la présente espèce était l’âge du requérant. Renvoyant au nombre important d’instruments juridiques internationaux traitant de l’assistance juridique devant être octroyée aux mineurs en garde à  vue, la Cour souligne l’importance fondamentale de la possibilité pour tout mineur placé en garde à  vue d’avoir accès à  un avocat pendant cette détention.

Or, en l’espèce, ainsi qu’il a été expliqué ci-dessus, la restriction imposée au droit d’accès à  un avocat relevait d’une politique systématique et était appliquée à  toute personne, indépendamment de son âge, placée en garde à  vue en rapport avec une infraction relevant de la compétence des cours de sûreté de l’État.

En résumé, même si le requérant a eu l’occasion de contester les preuves à  charge à  son procès en première instance puis en appel, l‘impossibilité pour lui de se faire assister par un avocat alors qu’il se trouvait en garde à  vue a irrémédiablement nui à  ses droits de la défense.

CONCLUSION

Eu égard à  ce qui précède, la Cour conclut qu’il y a eu en l’espèce violation de l’article 6 § 3 c) de la Convention combiné avec l’article 6 § 1. […]

La Cour réaffirme que la forme la plus appropriée de redressement pour une violation de l’article 6 § 1 consiste à  faire en sorte que le requérant se retrouve autant que possible dans la situation qui aurait été la sienne si cette disposition n’avait pas été méconnue. Elle estime en conséquence que la forme la plus appropriée de redressement serait, pourvu que le requérant le demande, un nouveau procès

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À l’UNANIMITÉ :

1. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 3 c) de la Convention combiné avec l’article 6 § 1 à  raison du fait que le requérant n’a pu se faire assister d’un avocat pendant sa garde à  vue ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention à  raison de la non-communication au requérant, devant la Cour de cassation, des conclusions écrites du procureur général ;

3. Dit que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, les montants suivants, à  convertir en nouvelles livres turques au taux applicable à  la date du règlement : 2 000 EUR (deux mille euros), plus tout montant pouvant être dû à  titre d’impôt sur cette somme, pour dommage moral ; 1 000 EUR (mille euros), plus tout montant pouvant être dû à  titre d’impôt par les requérants sur cette somme, pour frais et dépens… ”

Voilà  ! Qu’en termes agréables ces choses-là  sont dites10

Alors, maintenant, à  votre avis, qui est le plus proche de la Vérité, notre Grand-Mère à  tous (si notre Mère à  tous est bien la Justice), l’avocat ou la Garde, qui décidément ne se rend pas ?

Je vous donne brièvement (!) ma modeste opinion, ça va aller très vite : même si certaines circonstances de l’espèce renforcent sa position -mais ne la fondent pas, la renforcent, seulement -telles la minorité de l’impétrant, la Cour pose en principe qu’un procès équitable s’entend d’un procès pour lequel on a ab initio permis au suspect d’accéder à  un avocat, et à  un avocat éclairé, pas une potiche juste présent pour faire joli, et que si l’on déroge à  cette obligation, on a plutôt intérêt à  ce que ce soit limité à  l’extrême et très sérieusement motivé. Point barre.

Reprenons maintenant les dénégations désespérées de la Gardienne, qui pourtant devrait être notre Grand-Tante à  tous (si la Vérité est bien notre Grand-Mère et la Justice sa fille, évidemment).

L’arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme condamne la Turquie et pas la France. Exact !

Une lecture attentive de cet arrêt nous montre qu’au contraire la cour semble consacrer le système français. ???? Franchement, c’est de la mauvaise foi à  l’état pur, je ne peux pas le dire autrement.

Cet arrêt dit qu’il faut, en règle générale, que l’accès à  un avocat soit consenti dès le début de la garde à  vue, or c’est exactement notre système français depuis près de 10 ans maintenant puisque, lorsque vous êtes placé en garde à  vue, dès le début, vous pouvez demander à  vous entretenir avec un avocat. Oui mais j’ai cru lire que ce simple droit, s’il est vide de sens notamment en ce que l’avocat ne peut pas exercer effectivement son rôle, ni le moindre rôle d’ailleurs, pour n’avoir accès à  rien, revient à  n’avoir pas ce droit, non ? Si, si, dans un attendu de principe général, qui plus est…

Donc n’extrapolons pas, ne faisons pas dire à  la Cour européenne des droits de l’Homme ce qu’elle ne dit pas. Non, dieu et Thèmis m’en préservent, mais, que le Maulubec me trousse, je fais ici exactement le contraire, n’extrapole rien, et cite précisément au contraire tout ce que la Cour dit, dont strictement rien ne peut être retrouvé dans la garde à  vue française, étant rappelé qu’en droit positif français celle-ci ne prévoit qu’un bref entretien avec l’avocat de trente minutes à  peu près au début de la garde à  vue et après renouvellement, et qu’il ne connaît que la qualification provisoire des faits, pas même leur nature ni leur matière, et n’a accès à  aucun dossier, sans parler bien sûr d’assister son client “dès la première audition”, et que, carrément et sans le moindre motif objectif valable, cette somptueuse totalement inutile arrivée de l’avocat en garde à  vue est différée à  deux jours plus tard, ou même trois, en cas d’infraction prétendue commise en bande organisée ou de terrorisme ! C’EST çA, LE DROIT FRANçAIS DE LA GARDE A VUE, ET RIEN D’AUTRE !

Le système judiciaire français semble au contraire renforcé par cet arrêt. Eh bien après toute cette réflexion, je me jette à  l’eau, et j’ose : non, je ne crois pas, je crois bien même que la cour dit exactement l’inverse par un arr^pet de principe absolument général, et que la France peut trembler parce qu’on va aller lui demander de dire toutes ces jolies choses expressément à  son sujet -comme ça on extrapolera encore moins, d’acc ?

Ayons confiance en la Cour européenne des droits de l’Homme, si elle a un message à  faire passer à  la Turquie ou à  la France elle le dit explicitement. Je pense qu’elle en a passé quelques uns à  la Turquie, mais également en général, quand-même : elle l’écrit !

A aucun moment elle ne dit que l’avocat doit être présent pendant toute la durée de la garde à  vue, doit avoir accès à  l’intégralité du dossier. Si la cour avait voulu dire cela, elle l’aurait écrit explicitement. C’est vrai : elle aurait dit ceci par exemple, je pense : “La Convention a pour but de protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs, et la nomination d’un conseil n’assure pas à  elle seule l’effectivité de l’assistance qu’il peut procurer à  l’accusé”, ou ça : “Toute exception à  la jouissance de ce droit doit être clairement circonscrite et son application strictement limitée dans le temps. Ces principes revêtent une importance particulière dans le cas des infractions graves, car c’est face aux peines les plus lourdes que le droit à  un procès équitable doit être assuré au plus haut degré possible par les sociétés démocratiques” ou même ça, soyons fous : “La Cour estime que, pour que le droit à  un procès équitable consacré par l’article 6 § 1 demeure suffisamment concret et effectif, il faut, en règle générale, que l’accès à  un avocat soit consenti dès le premier interrogatoire d’un suspect par la police, sauf à  démontrer, à  la lumière des circonstances particulières de l’espèce, qu’il existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit”..! Entre autres !

La cour consacre d’autant plus le système français que quelques lignes plus loin elle précise que l’on peut exceptionnellement justifier le refus de l’accès à  un avocat pour des raisons légitimes ; c’est le cas en France avec un retard de l’entretien avec l’avocat en matière de criminalité organisée ou de terrorisme. Non, non, et non, elle ne dit pas cela et encore moins comme ça ! Elle dit que si des restrictions existent elles doivent être rarissimes et dûment motivées et limitées et reposer sur des éléments tangibles, et elle dit même l’évidence que le droit français nie : plus c’est grave, plus les garanties doivent être importantes ! Et leur absence jus-ti-fiées, ce que n’ont jamais été les restrictions d’accès à  un avocat, jamais -sauf à  le considérer, l’avocat, comme un élément concourant au délit, en tout cas les délits les plus lourds, justement ! Moi je dis que ça ne va pas lui plaire, à  la Cour, ce raisonnement -et je ne connais aucune (autre) justification à  notre absence dans les cas cités !

Pour autant, dans le cadre de la réforme de la procédure pénale, Michèle Alliot-Marie réfléchit à  un renforcement du rôle de l’avocat pendant la garde à  vue. On se demande pourquoi, puisque tout est conforme… Bon, en tout cas nous sommes sauvés.

Mais, euh… Confrères, vous en serez d’accord : on va quand-même exercer nos petits recours, hein, histoire d’être certains ? Non, c’est pas que la confiance ne règne pas, hein, mais comme on dit, elle n’exclut pas le contrôle…

Faisons péter nos gardes à  vue, frères avocats, et cessons du même coup d’être des alibis judiciaires, en exigeant désormais d’être présents dès le début et d’avoir accès à  tout, tout de suite. Ou contraignons la Chancellerie à  écrire pour refuser que nous sommes malhonnêtes et présentons un risque11, à  défaut de quoi elle ne peut plus refuser : c’est simple, j’apprends par cœur quelques lignes de ce très beau texte, et j’y vais de ce pas !

  1. En nombre, hein, en valeur c’est autre chose ! []
  2. Bien qu’il s’agisse indiscutablement d’une flatulence de l’orgueil, j’adore me citer moi-même ! []
  3. Merci Cher Prof Timbré pour cette info, je découvre toujours ces trucs après tout le monde ! []
  4. Bon courage, si vous souhaitez lire cette décision intégralement, ils ont de ces formes à  la CEDH je vous jure, si c’est ça les droits de l’homme merci bien ! []
  5. d’ailleurs le lien direct m’a l’air totalement foireux : si vous souhaitez lire la décision, affichez cette page, et cliquez ensuite sur “visualiser”, en fait… []
  6. Si seulement elle pouvait également le faire à  propos des faits divers et des propositions de lois, on n’y perdrait pas en intelligence, si vous voulez mon avis… []
  7. C’est publié dans une mignonnette rubrique “Lu, Vu, Entendu”, j’adore ces petites fantaisies sur les sites officiels, Vive la France ! []
  8. Et alors ? Je suis chez moi, et je ne pourrais pas en dire du bien, de moi ? Je vais me gêner, tiens… []
  9. J’évince, entre autre, un second moyen de nullité qui avait été invoqué et était pertinent, mais ne concerne pas notre propos du jour []
  10. Même si franchement, il faut avoir le moral pour aller au bout, ou vouloir à  tout prix faire avancer le droit, parce que 3 000 euros en tout, dans une procédure où l’on est détenu puis jugé abusivement, et pas à  une peine de merde, sincèrement, c’est scandaleusement dérisoire… []
  11. Et qu’elle le fasse, pour voir !!!! []