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[“Que le châtiment retombe sur lui-même !”, Cicéron, cité dans le Gaffiot, dictionnaire latin-français de mon adolescence pourtant plus boutonneuse que latiniste, dans lequel, en mal de titre pour cet article qui va causer des chiffres de la récidive légale, je cherchais l’origine du mot “récidive”, en l’occurrence le verbe “recidere”, retomber, tant il est vrai que le juriste reviendra toujours avec profit à  l’étymologie des termes – surtout s’il veut crâner un bon coup…]

Le toujours excellent Forum Pénal Dalloz, que je remercie de sa vigilance, et auquel je conseille à  tous les juristes et tous les amateurs d’informations simples et réelles en matière pénale de s’abonner immédiatement, vient de signaler certaines des conclusions essentielles du dernier numéro d’Infostat1, Bulletin d’Information Statistique du Ministère de la Justice (auquel je m’abonnerai itou et fissa dès qu’il traitera de données plus récentes que celles de trois ans plus tôt, c’est à  dire dès qu’on lui en donnera les moyens, parce que là  ce sont quand même les données 2007, à  l’heure de l’informatisation généralisée c’est consternant ; et dès qu’il publiera également les taux de non-lieux, relaxes et acquittements -mais enfin c’est déjà  pas mal…), qui est particulièrement passionnant, parce qu’il fait voler en éclats un nombre impressionnant de poncifs en tous genres sur la fameuse Récidive…

Vous savez, le scandale permanent, l’Hydre de Lerne qu’on nous ressort sous toutes ses formes dès qu’un drame décidé un peu plus dramatique que tant d’autres survient fait parler de lui dans les médias, le truc qui permet à  n’importe qui, d’un célèbre Avocat Général Échappé (mais néanmoins rapidement repris, par ce genre de Démons) à  la totalité de nos politiques, gouvernants si possible, mais pas que, en passant d’ailleurs carrément par certains médias eux-mêmes, qui ne se délectent jamais autant que lorsque le criminel l’avait déjà  été, de se scandaliser publiquement du laxisme judiciaire, d’annoncer tout un train de mesures nouvelles parfois ineptes et toujours inutiles – et il y a tellement de trains sur ces rails-là  qu’il est désormais impossible d’y circuler…

Cette récidive qui, notamment, broie encore un peu plus, à  chaque fois qu’elle épouvante, l’un des domaines pénaux qui m’est le plus cher, celui des infractions sexuelles, qui est justement celui pour lequel, je l’ai dit et plaidé tant de fois à  tant de personnes qui au fond le savent aussi bien que moi que ces mots-là  sont tatoués en miroir inversé sur mon rabat, l’aggravation des peines et la prise en compte judiciaire de cette même récidive, hormis pour prévenir ou suivre, n’ont strictement aucun effet, pour la bonne et simple raison que de tous les mobiles, celui du désir est le moins “raisonnable”, au sens littéral du terme…

Qui permet de transformer publiquement des gens en monstres.

Qui fait que certains recommencent sans cesse à  penser tout haut qu’on aurait parfois le droit de tuer.

Et bien la voilà , votre récidive, législateurs opportunistes et voyeurs avides, prétendus guérisseurs des douleurs de victimes qui ne pensez qu’à  ce que leurs larmes feront couler d’encre, voilà  les données qu’une prochaine fois, vous vous ferez communiquer avant toute chose, pour vérifier si du cas sur lequel vous voulez à  tout prix rebondir, vous êtes autorisé à  faire une spongieuse et infecte généralité.

Bon, je me calme deux secondes, le temps de vous expliquer les concepts essentiels permettant de lire correctement ce document, mais tout de même, vraiment : je reçois ces chiffres avec la même sensation de libération intense que j’ai vécu il y a peu le marasme, non pas tant sportif que sociétal, de l’Équipe de France de Foot -c’est à  dire avec le même très joyeux sentiment que l’on dispose soudain de preuves indiscutables capables de faire enfin taire ceux qui “osent tout, et qu’on reconnait même à  ça”, selon le mot du grand Audiard, les tenants de la connerie pure, brute et dure, érigée en valeur parce qu’offerte comme telle, en tant que Vérité, à  la masse, celle qui fait qu’icelle va lyncher, quand aucun des individus la composant ne pensait seulement en être capable tout seul dix minutes plus tôt…

Donc, être en état de récidive légale, c’est, grossièrement, avoir déjà  commis un délit dont la peine s’est terminée il y a moins de cinq ans et en commettre un nouveau à  peu près de même nature, et pour un crime, avoir déjà  commis un crime n’importe quand et en commettre un nouveau quel qu’il soit, la conséquence judiciaire de cet état étant, grossièrement là  encore, que le maximum des peines encourues est doublé.

Être en état de réitération, c’est, en droit, comme en français de gens normaux, avoir déjà  commis une infraction pénale, et en commettre une nouvelle, sans être en récidive2 (Ici, apparemment, l’étude a artificiellement, pour obtenir une comparaison exploitable des cas de récidives et de réitérations, limité l’existence d’une peine antérieure aux cinq ans précédents, comme donc pour la récidive délictuelle.).

Je veux faire vite, et ne vous livre que ce qui m’a marqué – vous effectuerez vos propres autres constatations3

Et voilà  ce qui ressort de l’examen de ces chiffres et notions pour l’année 2007 :

1/ Le taux de récidive légale, c’est 8% pour les délits (dont deux points pour les conduites en état d’ivresse…), et 3.9% pour les crimes : sur 1.000 condamnés en correctionnelle, 80 récidivistes, et sur 1.000 condamnés criminels, 39. Oui, c’est trop, bien sûr que c’est trop, n’y en aurait-il que dix, et même qu’un seul, que ce serait encore trop, surtout si vous faites partie des victimes de ces hommes. Mais qu’on est loin, et même aux antipodes, de tous les chiffres énoncés ça et là , et brandis comme des étendards dans la guerre de la répression pénale…

2/ Parmi toutes les personnes condamnées pour un délit, les taux de récidive les plus faibles ont été ceux des délinquants sexuels (3.8%), ce taux “chutant” à  2.7% pour les crimes sexuels (viols) : 45 personnes cette année-là , sur 3.245 condamnés criminels, dont presqu’exactement la moitié de violeurs (1.650, tableau 4). Ce qui signifie qu’il faut brûler l’épouvantail de la récidive dans le domaine des infractions sexuelles, non pas en ce qu’elle n’existerait pas du tout, évidemment, mais en ce que c’est la plus faible de France, toutes infractions confondues ! Lorsqu’on plaide qu’un délinquant sexuel agit majoritairement, majorité écrasante, parce qu’il bénéficie d’un contexte donné, disparu depuis la révélation des faits, ce qui exclut donc tout risque de récidive, il semble bien qu’on ait bon, confrères qui comme moi souffrez devant les juridictions spécialisées dans ce domaine… De même que lorsqu’on vous motive l’incarcération provisoire d’un père incestueux par le risque de récidive, quand les enfants sont placés, et qu’il peut avoir un hébergement ailleurs…

Lorsqu’on vous sortira à  nouveau le fait divers dramatique du moment, tel meurtre d’une jeune femme par un récidiviste, tel Francis Evrard s’en reprenant à  un enfant, souvenez-vous de ces données, avant d’applaudir les trois projets de lois qui s’ensuivront, fichant, allongeant les peines, réduisant les espoirs réels de soins… Pensez qu’on vous parlera partout et pendant des jours d’UN CAS, isolé, duquel on ne peut tirer autre chose que de dire que certains types sont peut-être incurables, ou suffisamment retors pour passer au travers des multiples contrôles mis sur sa sinistre route par les réformes successives… Parce qu’il y a en France 1.650 condamnés pour viols par an, dont on ne vous parle jamais, et dont l’écrasante majorité, soit 1.605 personnes (!), ne récidivera jamais.

Mais au-delà , ces tableaux sont aussi passionnants pour une autre raison statistique complémentaire : 9.513 condamnés pour délits sexuels et 1.650 pour crimes sexuels, ça nous fait 11.163 coupables d’infractions sexuelles par an, soit un peu plus de 30 par jour !

On vous parle de combien d’entre eux, dans les médias ? Pas que je le souhaite, n’est-ce pas, mais ça signifie que lorsqu’on vous sort une affaire isolée, réfléchissez de plus fort aux conséquences génériques qu’on peut ou pas en tirer… Et, surtout, arrêtons d’employer le mot “monstre” à  tout bout de champ, par pitié : 30 hommes par jour impliqués dans des affaires de ce type (et encore je n’ai soustrait ni les week-ends, ni les périodes de vacations judiciaires, pendant lesquels il n’y a pas de jugements, sinon on passait à  plus de 40 !), plus de la moitié des affaires criminelles de France… Il est strictement impossible de continuer à  prétendre que ces gens-là  seraient une monstruosité de l’Homme, présenteraient tous une déviance extraordinaire : ils en font partie, de l’Homme, qu’on le veuille ou pas, et ce seul nouveau regard suffirait à  ce qu’on prenne mieux en compte la problématique qu’ils posent.

3/ “Près de la moitié des condamnés réitérants ou récidivistes sanctionnés par un emprisonnement ferme avaient déjà  eu ce type de peine lors de la condamnation précédente …” Ca, ça pointe du doigt une autre véritable évidence française, à  laquelle pourtant nos gouvernants ne cessent de vouloir avoir recours, comme s’il s’agissait d’un gage de quoi que ce soit, que pourtant les mêmes ne cessent d’offrir comme morbide panacée aux victimes, et que nous plaidons et replaidons en déplorant souvent avec nos juges de n’avoir guère d’autre solution, faute non pas de lois (pitié !), mais de moyens de mettre en œuvre réellement celles déjà  votées : dans la moitié des cas, la prison n’a servi à  rien ! C’est un fait, comprenez-vous, pas une vue de l’esprit, ici -et il faut y songer lorsque par exemple on propose que les peines d’emprisonnement soient désormais intégralement accomplies … Ou lorsqu’on parle du côté éducatif ou réinsérant de la détention telle qu’actuellement dotée, par exemple …

4/ Les taux de récidive/réitération cumulés n’ont pratiquement pas varié entre 2000 et 2007 : c’est assez intéressant, si l’on rapporte ce fait au nombre de lois répressives votées cumulativement sur le même intervalle : on considérera qu’elles fonctionnent ou pas, mais en tout cas elles n’ont rien modifié 4 ce qui donne me semble-t-il sacrément raison à  la pléthore de praticiens judiciaires qui demandent constamment de cesser d’augmenter l’arsenal répressif, archi-pourvu, et à  la place de lui permettre de fonctionner réellement, des moyens plutôt que de nouvelles idées, c’est possible ça ? Avec une véritable politique de traitement, et non plus seulement de son image médiatique personnelle ? Combien de projets de loi allant encore dans le même sens actuellement dans les tuyaux, au fait …?

Voilà , pour ce qui me concerne, les quelques chiffres-choc qui ont, c’est le moins qu’on puisse dire, attiré mon attention -j’aurais pu en retenir bien d’autres, comme celui, incroyable je trouve, de 10% des criminels réitérants dont la première condamnation était une infraction à  la législation sur les stupéfiants, tous types de crimes confondus, ébauche, avec l’alcool en filigrane (15% des condamnés pour viol avaient déjà  été condamnés pour infraction à  la sécurité routière, je vous parie que 99% de ces infractions étaient des conduites en état alcoolique), tout ça amenant aussi à  réfléchir sur une expression presque bannie des prétoires tant elle a été galvaudée, politiquement entre autres : le déterminisme social … Et j’aurais pu aussi regretter l’absence de certains autres, par exemple notamment celle des taux de réitération/récidive pour les personnes déjà  condamnées dans ces états, soit au moins deux fois antérieurement -histoire de voir, comme les peines sont alors majoritairement lourdes et fermes, si l’emprisonnement, notamment long, ne sert jamais à  rien, ou seulement quand même quelquefois…

Mais j’en reste là  pour cette fois, avec moins de 2500 mots, post-scriptum inclus, ce qui est pour moi un record -et la preuve qu’il n’en faut pas beaucoup plus pour mettre à  mal bon nombre d’idées reçues… Et se rappeler que bien juger, c’est comprendre. Donc savoir.

PS qui n’a rien à  voir encore que : vous avez vu ce que Madame Alliot-Marie ose dire à  notre propos, confrères ? Il paraît qu’on “peut donner à  notre client pédophile les moyens d’échapper à  la pression des questions”, et que “c’est psychologique”, et qu’on va contribuer à  tuer des petits enfants …; qu’on va “multiplier par cinq le crédit d’aide judiciaire”, ce qui est déjà  totalement faux, si vous avez jeté un oeil au projet de Loi de Finances, et qui en tout état de cause nous permettra à  peine de mettre de l’essence dans nos véhicules les jours de permanence ; et alors, attention, fin du fin : “Ce que je vois, c’est qu’une majorité d’avocats sont d’accord. Et je leur dis “Attention, il va falloir assumer, maintenant !”Ce sont eux qui ont voulu la présence auprès de leur client. Qu’on ne vienne pas me dire, un jour, qu’il n’y a personne pour une garde à  vue de nuit, dans une gendarmerie de montagne …” Madame, changez d’urgence d’ophtalmo et d’ORL : AUCUN avocat n’est d’accord avec votre projet, qui le transforme en plante en pot assise des heures, muette, à  côté de son “client” ; nous n’avons jamais demandé notre “présence”, nous avons demandé notre INTERVENTION : la nuance me semble majeure ! Et pour la montagne, ne vous en faites pas, on ne vous a pas attendue pour y aller, partout – et à  nos frais, alors CHANGEZ çA AUSSI !

Je suis sidéré, là  encore. C’est vraiment vouloir d’avance coincer les avocats vis-à -vis de l’opinion, sur un présupposé de base totalement faux. C’est mal.

Le Conseil de l’Ordre de Lille a voté lundi la transmission de mon modeste contre-projet de loi à  tous les élus possibles, sinon. Ça me servira provisoirement de réponse plus élaborée, Madame le Ministre -mais vous en entendrez parler à  nouveau, je vous le promets.

  1. Je vous préviens, publication judiciaire sur un site judiciaire : ça rame  (et je m’y connais) ! Insistez… []
  2. Et là , amis juristes, j’avoue ma sidération juridique, en même temps que, sans fausse pudeur, mon ignorance : je ne savais pas qu’on avait défini cette notion officiellement dans le code pénal en 2005, et encore moins que, si donc “une personne a déjà  été condamnée définitivement pour un crime ou un délit et commet une nouvelle infraction qui ne répond pas aux conditions de la récidive légale, les peines prononcées pour l’infraction commise en réitération se cumulent sans limitation de quantum et sans possibilité de confusion avec les peines définitivement prononcées lors de la condamnation précédente”, ce qui me sidère, car sauf erreur, pour que la confusion de peines soit possible, il faut sine qua non que les infractions aient été en concours, c’est à  dire que la seconde ait été commise avant que la première ait fait l’objet d’une condamnation devenue définitive ! Donc ce texte me semble exclure les cas de réitération du bénéfice des dispositions de l’article 132-4, quantum maximal le plus élevé et confusion… Qui de toute façon ne leur était pas applicable, puisque par définition les infractions commises en état de réitération, donc après condamnation définitive, ne sont pas en concours ! Je me trompe, ou le législateur a encore fait du vent dans le désert ? []
  3. Je me suis juré de faire court au moins une fois cette année ! []
  4. Pour l’une des raisons, voir ci-dessus ! []