Transfrontalier

On glose fréquemment, chez les justiciables comme chez les juristes de tout poil (je parle des hermines) sur les relations avocats/magistrats et/ou magistrats(siège)/magistrats(parquet) : or, il suffit à  mon sens pour résoudre ces équations de se souvenir qu’il s’agit, avant tout, d’êtres humains, travaillant ensemble à  l’œuvre de justice (waouh), et se côtoyant, par spécialités bien souvent, tous les jours…

Je fréquente, depuis que j’exerce, pas mal de magistrats, dont certains sont devenus des amis (même si je vous confirme qu’ils ne sont pas comme nous, notamment en matière de prise en charge d’additions au restaurant, mais c’est un autre sujet), et, là  comme partout en droit pénal, il suffit pour que rien ne pose jamais problème de se fixer sa propre ligne rouge : tout au long de ces années, aucun d’entre nous n’a, strictement jamais, abordé aucun élément d’aucun dossier en cours lors de conversations privées, sauf pour se chambrer mutuellement (“Bravo pour ton mec innocent dans l’affaire Duchmoll, j’ai vu qu’il avait pris trois ans, c’est qui son avocat ? ” …) et toujours après coup. C’est une question de comportement personnel, une fois de plus, et de rien d’autre. Ce critère est d’ailleurs efficace en tant que critère de sélection amicale : des deux côtés, il y a des gens qui ne souhaitent ce rapprochement que pour aborder au contraire tel ou tel dossier, et cela se sent très vite – et s’élimine de même.

En revanche, certes, croiser en ville tel ou tel type mis en examen par la juge d’instruction avec qui vous déjeunez produit probablement son petit effet sur ledit quidam : là  encore, rien de complexe, il suffit d’expliquer (“C’est une amie, mais on mélange pas, jamais”), difficulté qu’ici encore une règle de vie simple annihile dans le seul cas où elle pose réellement problème : les Assises, pendant lesquelles je ne fréquente plus les magistrats qu’éventuellement je connais et qui y siègent lorsque j’y suis – pour les jurés, à  qui c’est nettement plus dur d’expliquer (d’autant que nous n’avons, ni ne pouvons avoir, le moindre rapport avec eux, au moins pendant la durée du procès), et pour le Président, qui ne connaît pas toujours ses assesseurs.

Dernière règle enfin, qui va également de soi, le secret : des deux côtés, rien sur les affaires en cours ou les nouveaux dossiers, et même si l’on se raconte nos anecdotes, jamais aucun nom.

Moyennant ça, et c’est vraiment simple et de bon sens, il n’y a jamais eu aucun problème, la seule connivence éventuelle résidant dans l’émulation intellectuelle qui fait que lorsque le dossier est confié à  Mme. X, et que Me. Y intervient en défense, la juge et l’avocat vont encore plus faire gaffe, encore mieux travailler, histoire de ne pas déchoir aux yeux de l’autre – que du plus donc, me semble-t-il…

En ce qui me concerne, j’y ajoute le “vous” : je ne tutoie pas, ou très rarement, les magistrats, y compris en privé (ça donne des dialogues étranges chez moi lors de festivités arrosées, par rapport aux autres amis présents…), de peur que le réflexe ne m’en vienne dans un autre cadre plus gênant (les magistrats sont habitués à  se tutoyer entre collègues, nous moins), et ça n’engage que moi.

Restent évidemment les ragots, internes aux deux côtés, tous deux constituant des milieux bien petits parfois, notamment en cas de relaxe devant une Présidente amie (ou pas, d’ailleurs, même)… Rester constant et imprenable sur lesdites règles amicales, non écrites mais fondatrices, suffit avec le temps à  les écraser dans l’oeuf – pourri, et personne n’a plus rien osé me dire à  ce sujet depuis longtemps – heureusement pour eux…

C’est ce qui fait, par exemple, qu’un avocat pénaliste que je connais très bien a épousé une juge d’instruction en poste dans “sa” juridiction, sans que ça ne pose de problèmes apparents dans leurs deux milieux, sauf pour chacun des deux à  devoir subir un certain nombres de vannes plus ou moins structurées… Et sauf évidemment les engueulades internes à  ce couple remarquable sur des sujets tendres et amoureux, genre la détention provisoire..! Il ne vouvoie plus “sa” juge (dommage, c’était érotique), mais ils ne parlent jamais nominativement de leurs affaires, et n’utilisent jamais à  l’extérieur ce qu’ils s’apprennent mutuellement de la cuisine professionnelle interne de l’autre, c’est tout (Ah oui : il n’a plus aucun dossier chez elle, évidemment). Personne ne les prenant en défaut, et pour cause, les ragots se sont tassés (même si bien sûr tous les résultats qu’il obtient sont dus à  cette relation, les avocats sont parfois plus petits encore que les juges qu’ils vilipendent…).

Et ce terrible rapprochement, d’ailleurs concrétisé par un petiot (qui est donc né avec deux cerveaux : maman juge, papa avocat, on peut penser que le bambin optera le moment venu pour le troisième métier judiciaire possible : délinquant…), non seulement ne nuit pas à  leurs boulots, mais encore les rend tous deux bien meilleurs, du fait de la connaissance intime qu’ils ont de l’autre métier (ça lui a par exemple permis de constater qu’un magistrat (un bon en tout cas, sinon ils ne se seraient pas trouvés) qui emprisonne ne s’en fout pas, et ne dort pas forcément très bien ensuite, ce sur quoi il n’aurait pas forcément parié auparavant…).

C’est, comme dans tout le système, l’honnêteté qui compte, et rien d’autre (d’où la totale inutilité de bon nombre de “réformes”), le paraître étant laissé à  ceux que ça amuse…

Causons, sympathisons, bouffons et, plus rarement, tombons amoureux, entre amis et gens de bien, et plus si affinités : ça nous rend moins idiots, et ça ne fait causer que les pauvres d’esprit !

7 Commentaires

  1. Qsmb
    'soir Maître Mà¶

    J'ignore si c'est vraiment malin de commenter aussi longtemps après que vous ayez posté ce billet, mais dans le doute... ça se plaide.

    Vous connaissez cet adage anglo-saxon "Justice must not only be done, it must also be seen to be done" (grosso modo). La 1e fois que je l'ai entendu ça m'a semblé idiot : a priori, ce qui compte c'est bien que la justice soit rendue, merde ! non ?
    Mais en fait c'est nettement moins évident si on se place du point de vue des justiciables (comme vous le soulignez vous même dans l'exemple du client qui tombe sur le JI qui déjeune avec son avocat). En gros, on pourrait considérer que, dans l'idéal, le juge se doit d'être effectivement impartial, mais aussi de ne pas permettre que l'on doute qu'il le soit (c'est pas très clair comme phrase, mais z'avez compris non ?...), par égard pour le public au service duquel il œuvre.

    Ceci étant, dans le monde réel, je suis plutôt d'accord avec tout ce que vous avez écrit (oui, je n'ai écrit le reste que par pur esprit de contradiction... et non je ne suis pourtant pas avocat). :P
    1. C'est malin, puisque je vous lis -et que du coup je relis aussi ce vieux texte...

      Un magistrat m'avait, jeune avocat, dit presque la même chose, mais en français : il ne faut pas seulement être honnête, il faut en plus sembler l'être ! Autrement dit, même si vous l'êtes, ne pas laisser place au doute...
      1. Qsmb
        C'est sympa de répondre pour un vieux post (bon, niveau horaire ça m'apprendra à  cocher le truc d'alerte par mail quand on a la mauvaise idée d'avoir le push mail sur son portable...lundi, 5' du mat' Maîîîîître :x ...ceci dit, ça force l'admiration, s'il était besoin ;) )
  2. Doodiky
    Où est-ce qu'on signe, Maître Mô ?
    Même situation (même si j'ai, de mon côté, connu "mon" avocat avant qu'il ne tourne mal, ce qui m'a interdit les joies du vouvoiement en privé), mêmes ragots, mêmes avocats persuadés d'avoir perdu leur affaire en raison de mes amitiés notoires (ça ne peut évidemment pas être la faute du dossier ou, pire, du plaideur), mêmes amis à  mélanger (ou pas) ...

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