Monsieur Dupont

On peut tout se dire, maintenant que la relation client/avocat est rompue, n’est-ce pas ?

J’ignore exactement ce que vous me reprocheriez, ou ce que vous auriez dit trouver de bien chez moi, pendant ces deux longues années où vous avez été de douleurs en douleurs, de souffrances en souffrances, sans que, sans doute, parfois, je ne les mesure suffisamment -et je ne le saurai jamais, à  présent que nous ne nous parlons officiellement plus, faute d’en avoir l’occasion, puisque je ne suis plus votre avocat…

En revanche, moi, j’ai besoin de me mettre en règle avec vous, je crois que c’est plus honnête, et que, finalement, ça pourrait même vous faire plaisir -vous n’aviez pas l’air de manquer d’humour, malgré tout…

J’ai oublié qui vous avait donné mon nom, il y a deux ans, mais je me souviens bien de notre première rencontre, de ce premier rendez-vous où je fronçais les sourcils, parce que vous y étiez venu avec trois tomes de pièces réparties dans des sachets de grands magasins -ce qui inquiète toujours les avocats a priori, et où vous m’aviez exposé que vous souhaitiez changer d’avocat parce que la vôtre gérait bien votre divorce, mais ne faisait jamais de pénal, selon son propre aveu, et qu’il y avait désormais du pénal à  faire, malheureusement, pour préserver vos intérêts dans cette procédure houleuse…

Je ne me souvenais plus de votre âge, non plus, mais j’ai encore votre dossier, j’ai vérifié : vous aviez cinquante-neuf ans, dont un entier, déjà , passé à  cohabiter avec cette femme que vous n’aimiez plus et qui ne vous aimait plus, et vos deux enfants, qui dans votre conflit, avaient pris plutôt le parti de leur mère, sans que vous ne leur en ayez jamais voulu, devant moi en tout cas…

Vous étiez désormais en arrêt maladie, dépressif lourd, ce qui vous donnait cette allure un peu étrange, et ce phrasé un peu lent -on vous avait, c’est toujours le premier remède, celui qui ne guérit rien mais rassure, gavé d’antidépresseurs et de somnifères, et, tout en vous conformant à  la gélule près à  ces ordonnances qui vous transformaient lentement en spectateur inerte de vos tristesses (je crois vous connaître assez pour dire que n’importe quel ordre légitime, médical notamment, devenait aussitôt pour vous une loi impérative),  vous y ajoutiez un remède-maison que je connais bien : l’alcool, vers lequel vous vous étiez tourné depuis deux ou trois mois lorsque nous nous sommes rencontrés -il faisait déjà  partie de vous, je le sentais lors de ce rendez-vous pourtant matinal.

Vous le dirais-je ? Oui, je n’ai aucune raison de vous le cacher : nous plaisantons facilement, entre nous, ma secrétaire et moi, au sujet des clients un peu bizarres qui viennent au cabinet -je m’aperçois en vous le disant que ce n’est jamais méchant, d’ailleurs, mais plutôt une sorte de soupape rigolarde que nous nous accordons, histoire de mieux supporter, je crois, toutes les misères et toutes les histoires très souvent sombres qui vont avec…

Dans votre cas, elle m’avait dit “code rouge”, en mimant du poing la torsion de son nez, ce geste universel qui veut dire que la personne dont on parle est ivre et s’en trouve étrange -les quelques phrases échangées avec vous à  votre arrivée avaient suffi pour qu’elle sente, elle aussi, que vous aviez bu- elle se trompait en revanche, vous n’étiez pas ivre, vous aviez bu, c’est tout -et si les médicaments avaient eux aussi une odeur, c’est surtout eux que l’on aurait sentis quelques instants plus tard, dans mon bureau.

Je n’ai pas de raisons de vous mentir, pas même “commerciale” : vous m’avez plu tout de suite. J’ai aimé votre extrême politesse, et les tournures un peu surannées, mais extrêmement bien construites, avec lesquelles vous m’avez raconté votre histoire -même si, aussi, je vous y ai trouvé très passif, même si vos phrases bien tournées dégoulinaient d’un extrême abandon -j’imagine que se raconter sans jamais se mettre en avant, et décrire sa déchéance à  un parfait étranger sans une once d’égard ou de commisération pour soi-même, relevait aussi de cette maladie terrible, qui fait que contre tous les instincts vitaux, on ne s’aime, soudain, vraiment plus, en rien…

Vous aviez été cadre supérieur, “commandant” à  des dizaines de personnes, et aviez rencontré votre épouse quinze ans plus tôt au travail, ce travail qui jusqu’à  elle avait totalement rempli, brillamment, votre vie.

Vous vous étiez mariés, amoureux et, elle, admirative de votre réussite -nous avons échangé sur ce sujet, vous en souvenez-vous, en souriant de façon un peu fatiguée, et en reconnaissant que notre charme masculin passait aussi, souvent, par une réussite sociale avérée, ce que nous avons trouvé artificiel -vous m’avez dit que si vous aviez été balayeur, elle ne vous aurait pas regardé, et que je pouvais imaginer l’estime qu’elle vous conservait aujourd’hui, maintenant que vous ne saviez même plus passer le balai…

Vous aviez eu deux enfants, plus grands maintenant, le fameux “choix du roi”, fille et puis garçon -votre voix s’était animée en même temps que votre visage en m’en parlant, vous les aimiez, et parveniez à  continuer à  en être fier, vous qui sembliez n’avoir plus de fierté.

Et puis, comme rien n’amuse plus le Grand Faiseur que de démolir les équilibres miraculeux, vous aviez sombré, sans trop savoir pourquoi, malgré le suivi au long cours dont vous faisiez l’objet depuis : fatigue, moins d’enjeux, quête de ce que vous aviez toujours voulu assouvie, que sais-je encore… Mais vous vous laissiez maintenant glisser, et me le racontiez en toute franchise, avec même une franchise malsaine, anormale, qui avec le recul aurait dû, déjà , m’alerter -personne ne se méprise vraiment, sinon il ne lui reste rien à  vendre ni à  dire : deux ans avant notre rencontre, une dépression, sévère, s’était abattue sur vous, révisant d’un coup vos champs de valeurs, faisant de vous d’un personnage dynamique un être amorphe et blasé, vous distrayant de votre travail au point de ne plus savoir ce qui vous y intéressait encore six mois plus tôt, vous faisant regarder vos enfants grandir plutôt que de les élever, et vous faisant, plus encore, considérer la présence de l’Autre comme normale, plutôt que de la mériter tous les jours -vous le voyez, j’oublie beaucoup les dates, les noms, les circonstances, ça ne me facilite pas le métier, mais je n’oublie en revanche que rarement les mots employés devant moi, et je crois que je viens de vous citer presque littéralement (vous me direz ?).

Votre épouse, quoi qu’on pense de son attitude, et vous ne m’en avez jamais vraiment rien dit, avait tenu un an, pendant que vous deveniez progressivement un zombie incurable, et décidiez que l’alcool complèterait désormais merveilleusement les médicaments qu’on vous demandait d’ingurgiter -vous ne le compreniez pas, vous n’aviez rien de cassé, c’est juste que les choses n’étaient plus intéressantes, désormais, à  quoi bon soigner un “ressenti”, on a quand même le droit d’être fatigué -vous en vouliez beaucoup, à  présent, aux médicaments, et je ne vous détrompais pas.

Et puis un soir, elle en avait eu assez, elle vous parlait de choses anodines et vous vous étiez mis à  pleurer, pendant là , sur un bout de canapé, en jogging défraîchi, mal rasé, les yeux cernés, bref, laid et con, et elle avait soudain jeté l’éponge, malheureuse de vous voir malheureux, et infiniment lasse de ne plus vous comprendre.

Personne, personne, ne remet en doute une jambe cassée, ça se voit et ça fait mal par procuration. Mais une dépression, c’est infiniment plus compliqué, on refuse tellement de croire qu’on peut se mettre à  dérailler, comme ça, du jour au lendemain, à  voir des repères que personne d’autre ne voit, on refuse tellement que tous les changements radicaux de l’autre ne soient pas voulus par lui, qu’ils soient le fait d’une véritable maladie, d’une modification imposée -on refuse tellement, aussi, d’accepter l’idée que l’on pourrait être une des causes de ce changement d’état… La dépression, ça n’existe que pour ceux qui en souffrent, même pas : pour ceux qui en souffrent et qui en reviennent ; mais pour les proches, c’est infiniment tortueux, infiniment compliqué…

Elle ne vous aimait plus, cette fois. Et votre indifférence apparente à  cette annonce ne faisait que la renforcer un peu plus dans l’idée que vous n’étiez plus avec eux, plus normal, et qui sait, peut-être même dangereux -n’aviez-vous pas désormais ces accès de colère incompréhensibles, ou de mutisme, tout aussi lourd, ne disiez-vous pas parfois des choses totalement décalées, hors de propos, inquiétantes..?

A un moment de votre vie où il vous aurait fallu, plus que n’importe quand, tout l’amour du monde, toute l’affection possible et un soutien sans faille, vous étiez soudain seul, à  présent. Bizarre et seul. Chez vous, en arrêt maladie de longue durée, à  regarder votre famille vivre non loin, autour, comme si vous n’existiez plus réellement -ce qui était bien, aussi, votre sentiment profond.

Elle vous avait finalement parlé d’engager une procédure de divorce, vous confirmant qu’elle avait consulté une avocate -et là  encore, vous n’aviez guère eu de réaction -à  part vos pièces de monnaie anciennes, on se demandait bien ce qui, désormais, pouvait provoquer la moindre réaction en vous…

Car vous aviez, en revanche, étrangement, conservé, intacte, votre passion pour ces vieilles pièces, certaines de valeur, que vous classiez toujours soigneusement dans leurs coffrets, et dont vous exhibiez fièrement les plus beaux exemplaires dans une vitrine du salon : vous étiez numismate depuis longtemps, un intérêt transmis par votre père, dont vous aviez poursuivi l’œuvre, vous me l’aviez raconté avec émotion, et une joie presqu’enfantine, là  encore.

C’est que vos pièces étaient désormais au centre, non pas tant du divorce, pour lequel vous aviez pris une avocate, vous aussi, et qui avait définitivement tendu vos relations avec votre épouse, faute d’accords financiers amiables entre vous, que de ce que vous appeliez un accident, et que votre femme, elle, appelait une crise de folie, et qui vous valait à  présent des poursuites pénales -en plus…

Deux mois auparavant, un soir, vous aviez tenté une discussion, ce qui n’était pas arrivé depuis un moment, pour essayer d’aplanir les difficultés liées au divorce. Vous vous étiez cependant vite reproché mutuellement les contenus des conclusions de vos avocats respectifs, qui évidemment ne vous ménageaient respectivement pas, et le ton avait monté, tout aussi rapidement. Selon vous, dans l’énervement, votre femme avait soudain hurlé qu’elle allait exploser votre vitrine de malheur, se plaçant à  côté d’elle avec un manche de couteau qui traînait sur la table et faisant mine de frapper la vitre des pièces ; vous vous seriez levé, pour le coup, pour l’en empêcher, et elle, vous voyant marcher vers elle, aurait mis sa menace à  exécution, en cognant la vitre de plein fouet. Sa main aurait été blessée en passant à  travers le verre, tandis que la vitrine éclatait en mille morceaux, et s’écroulait avec vos pièces chéries, au moment précis où les enfants, réveillés par vos hurlements mutuels, passaient la tête par l’entrebâillement de la porte du salon. Votre aîné, voyant sa mère assise dans les débris de verre et son bras couvert de sang, avait appelé le SAMU, la police ayant suivi sans tarder…

Votre épouse n’avait pas raconté la même chose aux policiers, indiquant que vous vous étiez levé et l’aviez poussée dans un geste de colère, violemment, de sorte qu’elle avait chuté, les bras tendus par réflexe, et que sa main était ainsi passée à  travers la vitrine, et ainsi seulement.

Les enfants attestaient de ce qu’ils avaient d’abord entendu, une grosse dispute, puis vu : leur mère, hagarde, dépenaillée, assise dans un tas de débris, blessée, et pas du tout énervée ; leur père, rouge, en sueur, le visage encore crispé de colère, peut-être même encore plus en colère du fait du massacre de la collection de pièces…

Détail important : ils n’avaient pas vu de couteau, lequel d’ailleurs n’avait pas été retrouvé par terre par la suite, alors que de votre propre aveu, vous n’aviez touché à  rien.

Ils racontaient aussi, évidemment, comment leur père avait progressivement changé depuis des mois, pour finalement devenir étrange, bizarre, coupé d’eux et ayant parfois de brèves réactions de colère, complètement à  contre-temps…

Le divorce était motivé initialement par vos comportements en général, mais il intégrait depuis cette scène de violence, et les écritures adverses suggéraient désormais très clairement que vous faisiez peur, et ne vous maîtrisiez plus.

En parallèle, vous étiez cité à  comparaître devant le tribunal correctionnel, après une garde à  vue dont vous gardiez un souvenir épouvanté, d’autant qu’on n’avait pas voulu vous y donner vos médicaments -elle avait, aussi, permis de révéler que vous aviez de l’alcool dans le sang ce soir-là . Un vague modus vivendi avait été trouvé à  la maison après l’incident, chacun ayant ses endroits autorisés et d’autres interdits, dans une ambiance d’une lourdeur désormais terrible, la haine et la promiscuité ne faisant pas, eux non plus, bon ménage…

Vous étiez épuisé. Et votre épouse avait perdu l’usage d’une partie de la main droite.

Au beau milieu de ce marasme, vous vous souvenez peut-être que vous m’avez fait rire, tout à  coup, en me demandant si dans le cadre de l’audience correctionnelle, je pourrai faire citer à  comparaître le fabricant de la vitrine, payée fort cher, qui vous avait juré qu’elle était en verre Securit, incassable ? J’ai eu sur le moment l’impression que vous lui en vouliez plus qu’à  votre épouse -qui pourtant, dans votre version, dont vous n’avez jamais changé, avait délibérément fracassé ce à  quoi vous teniez le plus au monde, et en plus mentait maintenant et vous accusait faussement…

On se dit tout, n’est-ce pas ? Je ne vous croyais pas. Et, usé sans aucun doute par tant d’histoires similaires, tant de pauvres petits ballets tous laids et vains dansés par tant de gens sur les ruines de tant d’histoires dont on oublie tellement, à  chaque fois, qu’elles ont été des histoires d’amour, avant (je vous avais dit, je m’en souviens, que je détestais le JAF ; ça n’a pas changé… J’ai juré à  ma femme, un jour, que si par malheur on ne s’aimait plus et qu’on oubliait, nous aussi, comme c’était beau et bien, avant, elle ne me verrait pas à  l’audience.), je n’avais guère de passion pour votre histoire, commune, banale, presque normale, maintenant qu’un couple  marié sur deux divorce.

Par ailleurs, compte tenu notamment du contexte de votre état de santé mentale, je ne croyais pas non plus que vous risquiez grand chose en correctionnelle où vous n’aviez, est-il besoin de le dire, jamais mis les pieds auparavant, ce malgré ce que je croyais être votre version “arrangée” -et malgré la blessure de Madame, qui elle m’inquiétait un peu plus, tant il est vrai que dès qu’une victime se présente avec un préjudice physique important devant un tribunal, celui-ci se durcit et lui donne plus facilement raison, ce qui je suppose est humain, si pas très juridique…

Pour la même raison, enfin, je ne croyais pas non plus à  une forte incidence de votre future condamnation sur votre divorce, l’acte étant resté isolé, dans un contexte particulier, et n’ayant de toute évidence pas fondé le divorce, la procédure battant son plein lors de sa survenue.

Je n’avais rien compris -et avais de toute façon le tort de mépriser votre histoire, pour moi la néme du genre, mais pour vous l’histoire de votre vie, votre seul dossier, ce qu’aucun avocat n’est censé oublier, jamais.

Mais au-delà , vous affirmiez n’avoir rien fait de mal, et vous refusiez, formellement, avec l’obstination des désespérés, que vos enfants puissent un jour lire l’inverse dans une décision de justice, pénale ou civile : vous n’aviez rien fait de mal.

J’ignore si vous envisagiez, déjà  à  l’époque, toutes les suites de ces affaires, si vous les aviez déjà  en tête, ou bien si vous viviez au jour le jour en vous raccrochant à  ce qui, peut-être, peut rester à  un homme quand il a tout perdu, l’honneur, encore plus certainement celui qu’on veut voir se refléter toujours dans le regard de ses enfants, celui qu’on a pendant des années tenté de leur inculquer… Toujours est-il que vous refusiez, totalement, l’idée d’une condamnation, même de principe, et celle d’une faute, quelle qu’elle soit.

Ni lors de ce premier rendez-vous, dont je sortais pour ma part avec une impression que je connais bien, celle d’avoir accepté d’aider quelqu’un qui n’a plus tout à  fait le sens des réalités, ce qui à  la fois est une des noblesses de mon travail, et donne l’impression qu’il sera vain, ce travail, ni au cours des rendez-vous suivants, vous n’en avez démordu : vous n’aviez rien fait. Et à  aucun moment, jamais, parfois même contrairement à  mes invitations, vous n’avez songé à  vous “abriter” derrière votre maladie, qui pourtant à  l’évidence et quoi qu’on pense de la scène fatale, avait tout modifié, et était sans doute aucun la cause principale de tout.

Je vous ai bien aimé, et vous m’avez convaincu. Pas parce que vous m’avez payé. Parce qu’il existe un degré d’obstination ou de dénégation qui me convainc toujours, un stade où il est tellement peu intéressant de mentir, que l’idée même d’un mensonge devient absurde, et qu’on n’a plus de raison de croire que ce n’est pas vrai -on peut bien sûr s’y faire avoir, ça m’arrive régulièrement, mais dans votre cas, je continue à  penser que j’ai bien fait de me laisser convaincre : vous n’aviez réellement rien fait. Rien d’autre que de devenir malade, et de subir une maladie qui déforme les pensées et les perceptions, une maladie terrible qui fait que l’on vous trouve changé et que, comme elle n’allume malheureusement pas de voyant rouge sur votre front indiquant “dysfonction”, que votre aspect général reste le même, les autres refusent de voir réellement en vous. D’un dépressif, ils disent qu'”il a beaucoup changé”, pas que la maladie l’a fait à  sa place.

Nous en avons souri ensemble, une fois : il existe des lois interdisant à  un patron de licencier un salarié souffrant, mais pas à  une épouse de divorcer d’un homme malade…

Nous sommes arrivés à  l’audience, après expertise des blessures de Madame, “compatibles avec les dires de la victime” comme presqu’à  chaque fois, mais pas poussée au point de savoir si elles étaient plutôt compatibles avec un coup porté volontairement et poing fermé, ou involontairement et main ouverte -les blessures étaient sur le dos de la main, ayant même endommagé deux tendons, et un ami légiste m’a indiqué depuis que selon lui, la paume n’était pas ouverte au moment de l’impact, que les blessures étaient probablement dues et à  la pénétration de la main dans la vitre, et à  la chute, dans la micro-seconde suivante, des bouts de verres libérés par le choc, et qu’en tout cas personne ne chutait bras en avant par réflexe… En fermant les poings.

Mais bref, même si je peux regretter de ne pas avoir demandé de contre-expertise, qui nous aurait très probablement été refusée -il n’y a pas que moi qui pouvais croire cette affaire un peu trop “standard”, un peu trop “petite”, nous sommes allés au tribunal, et avons, vous, expliqué, moi, plaidé.

Et vous avez été reconnu coupable, condamné au paiement de sommes civiles conséquentes, mais dispensé de peine.

On a bien failli s’engueuler, ce jour-là , parce que vous ne me compreniez pas : j’étais furieux contre cette décision, que je trouvais injuste et qui m’avait l’air de vouloir ménager la chèvre et le chou, de vouloir à  la fois permettre à  la victime d’être indemnisée, et à  la fois au désormais auteur de ne “presque pas” (comme si ça existait !) être coupable… Et pourtant, je ne voulais pas vous entendre parler d’un appel -appel dont évidemment et dans votre logique d’innocence et d’honneur sali, vous m’avez immédiatement entretenu.

Le procureur, à  l’audience, avait requis trois mois d’emprisonnement assortis d’un sursis avec mise à  l’épreuve, obligations de soins et de rembourser, et je pensais que la Cour pouvait tout à  fait aggraver votre sort pénal, et que la dispense de peine, si elle n’était pas la victoire escomptée, disait suffisamment à  quel point votre intention pénale était légère, voire nulle, vous épargnant au passage une peine et un casier…

Mais je raisonnais en opportunité, en conseiller tâchant d’être avisé. Vous, non. Vous étiez innocent, et jamais vos enfants ne liraient nulle part que vous auriez, volontairement ou pas, fait du mal à  leur mère : on irait en appel.

Le divorce, dans les mois qui suivirent, s’apaisait un peu, maintenant, un accord ayant fini par être trouvé sur les modalités financières, ainsi que sur le fait que Madame garderait la maison, dont vous vous foutiez d’ailleurs je pense (vous y aviez reconstitué votre vitrine de pièces, mais au garage désormais, comme prête à  être déménagée…), et votre opposition à  la fixation de la résidence des enfants chez leur mère avait fait place à  de la résignation, ils avaient été entendus par le juge et sans surprise, avaient tous deux indiqué ne pas vouloir autre chose -vous les compreniez, et un droit de visite régulier vous avait été proposé -et Madame renonçait, enfin, à  ses dommages et intérêts et pension autre que votre part de la maison.

Alors que dans bien des couples, c’est le principe même du divorce qui s’admet le plus rapidement, et que l’on ne discute bien souvent que telle ou telle “mesure accessoire” (c’est le terme pour tout le reste, évidemment en fait l’essentiel, le droit est torve), dans votre cas à  tous les deux, au grand désespoir de vos avocats respectifs, vous finissiez par être d’accord sur tout -sauf sur le principe du divorce, vous n’y seriez pas déclaré fautif, pas pour tout l’or du monde -parce que ça n’était pas vrai.

Je crois bien que c’est moi qui vous ai dit que je me mariais – un peu en plaisantant, une fois de plus, et pour vous dire qu’il y avait de l’espoir pour tout le monde, puisque je faisais ça alors que j’étais déjà  vieux, et après avoir déjà  “vécu”, moi aussi  : vous n’étiez donc pas à  l’abri d’une nouvelle “mauvaise rencontre”, vous non plus… Vous m’aviez répondu “Oh, moi, si.”, mais en souriant, et en me félicitant, avec les blagues d’usage sur le fait qu’au moins mon divorce ne me coûterait pas trop cher en frais d’avocat…

Je ne sais pas en revanche comment vous avez découvert mon adresse personnelle, mais le jour J, vous nous avez fait livrer des fleurs, avec un petit mot que j’ai toujours : “D’un client reconnaissant, qui sait très bien qu’il existe des histoires d’amours heureuses ! Tous mes vœux !”. J’ai été très touché.

Je l’ai été d’autant plus que je crois que vous n’avez jamais été très heureux, pendant toute cette longue période, pendant laquelle à  l’évidence votre maladie grignotait encore du terrain, et comment ne l’aurait-elle pas fait, puisque votre grande tristesse l’alimentait de toute façon sans cesse…

Je vous avais exhorté à  quitter la maison, ce “domicile conjugal” dont il ne restait que des cendres, mais vous aviez poliment refusé, “il sera toujours temps, je les vois vivre de loin, c’est mieux que de ne plus les voir du tout”

Vous avez été reconnu coupable, en appel, et à  nouveau dispensé de peine. Vous en avez été profondément meurtri -votre état de santé, même si vous suiviez maintenant un programme de désintoxication alcoolique, n’était au demeurant pas brillant, vous aviez encore maigri, et les doses de médicaments n’avaient pas diminué…

Vous faites partie de ces personnes qui refusent d’en vouloir systématiquement à  l’avocat, quand le résultat est mauvais, nous avons continué ensemble, désormais uniquement sur le divorce. Dans ses dernières écritures ma consœur adverse s’enorgueillissait de votre déclaration de culpabilité, revenant par ailleurs longuement sur vos attitudes étranges, votre alcoolisme, vos abandons, votre dangerosité potentielle, et maintenait sa demande de divorce pour faute.

Vous avez je crois apprécié les miennes, les dernières, en réplique, où je revenais longuement sur la dépression, le fait qu’elle ne survient pas tout à  coup, comme ça, dans un couple, et que souvent quand les difficultés, surtout aussi intenses et manifestement marquantes, surviennent, chacun des deux membres du couple en porte une part de responsabilité, que dans votre cas une certaine froideur avait régné sur vos relations bien avant la maladie, le fait que Madame n’avait guère eu de réelle patience, que la décision de divorce était survenue au pire moment pour vous, celui où vous auriez sans nul doute eu le plus besoin d’aide, que l’accident n’était survenu que dans un contexte donné, et avait d’ailleurs été “pesé” par les juges pénaux à  l’aune de sa gravité intrinsèque, et pas des conséquences, le fait que vous aviez tout perdu, et étiez, par-dessus tout, un homme malade, bien plus qu’un homme fautif…

Vous m’avez retourné mon projet avec une brève mention griffonnée dessus, et j’avais été je m’en souviens désolé de votre écriture tremblante : “Tout est dit, je n’ai rien a ajouter. Merci.”

L’affaire a été clôturée et plaidée, comme souvent entre avocats uniquement et en votre absence à  tous les deux. Elle a été mise en délibéré à  un mois et demi plus tard environ, et je vous ai adressé une lettre vous informant de cette date, et vous disant mon impression d’audience, qui s’était bien déroulée, et dans laquelle j’avais surtout insisté sur l’importance que revêtait à  vos yeux le fait d’être déclaré fautif ou pas, sur le fait que je croyais, profondément, qu’il ne vous restait pas grand chose, à  part cela : l’honneur…

Je n’ai pas reçu de réponse à  cette lettre qui n’en appelait pas, et j’ai vaqué à  mes affaires, pendant que vous attendiez.

Comme presque toujours, je n’étais pas encore en possession de la décision à  la date fixée pour le délibéré, il me faudrait encore attendre un ou deux jours, qu’elle me parvienne au courrier du Palais.

Mais à  la date officielle, j’ai reçu un appel de votre fils -qui était en larmes, Monsieur Dupont- et dont j’avais du mal à  comprendre les mots : vous vous étiez pendu dans le garage, devant votre saloperie de vitrine, au petit matin.

S’il est vrai que les morts voient les vivants, vous savez que j’ai bégayé trois mots inaudibles, c’était la première fois que je lui parlais, et je suis inapte face à  la mort, je n’ai aucun mot, nous avons raccroché vite, je crois même, au lieu de tenter d’apaiser sa douleur,  l’avoir remercié d’avoir pensé à  me prévenir, qu’il me pardonne…

Vous savez aussi que votre mort m’a fait pleurer. Qu’elle a ému ma secrétaire, celle qui se moquait de vous au début, et qui avait depuis découvert votre gentillesse, vos efforts, vos difficultés -elle était surprise et ne comprenait pas, mais qu’y a-t-il à  comprendre, n’est-ce pas, Monsieur Dupont ?

S’il est vrai que les morts voient les vivants, vous savez aussi que nous avons reçu la décision civile (et qu’elle allait poser un certain nombre de problèmes juridiques ultérieurement, sur le thème, qui vous connaissant a dû vous faire sourire souvent, de l’antériorité de votre mort au divorce, ou du divorce à  votre mort…), le surlendemain je crois.

Et qu’elle estimait que le divorce devait être prononcé aux torts partagés.

Où que vous vous trouviez, et que vous me voyiez ou pas… J’espère que vous êtes guéri.

[Texte publié avec l’autorisation des enfants de Monsieur Dupont, que je remercie et salue. J’ai été très heureux de constater que  vous aviez fait bonne route, malgré tout…]

120 Commentaires

  1. maitre de l'ouest
    Et voilà , c'est malin !!!! assise derrière mon bureau, en brave avocat de l'ouest, j'ai l'œil humide et le nez qui coule....A ceux qui s'en étonneraient, je leur dirai que c'est un début de grippe....rassurez-moi et dîtes-moi vite que vous enseignez à  l'école d'avocats la-haut dans le nord....ou que la lecture de votre blog est une obligation pour les élèves avocats.....perso, je fais lire certains articles ( pas tous, on évitera Noël pour les moins de 10 ans de barre !!!) aux stagiaires qui me visitent, ça compense largement le fait qu'ils ne me verront en principe jamais plaider au pénal ( a vrai dire, après cette lecture, ça vaut mieux pour mon égo....).
    Chapeau bas, valeureux confrère.
    VBD prendra ici tout son sens.
  2. Adrien
    Tout d'abord, je tiens à  vous féliciter pour la qualité littéraire de votre récit. C'est un ami qui m'a fait connaître cet article. Vous avez un joli style d'écriture. Votre histoire est touchante, elle m'a ému. Vous avez su choisir vos mots pour évoquer cet épisode et le rendre "plus vrai que vrai", sans ne jamais rien épargner mais en restant toujours très respectueux envers "la victime" (je ne connais pas le terme approprié, je ne suis pas en droit, je vous laisse corriger mon erreur). Je trouve que votre récit est une très belle leçon de vie, que vous avez très bien su saisir la manière de parler de cette terrible maladie qu'est la dépression. Bravo.
  3. Philou
    C'est assez tragique avec vous. On sent des la première ligne venir la catastrophe annoncée, mais bon, vous allez jusqu'au bout. Heureusement que les hommes ne pleurent pas. Et puis c'est un peu angoissant de se dire qu'une vie peut se conclure avec un seul hommage, aussi touchant et pudique soit-il, dans le blog de son avocat....

    Enfin, à  cette heure, il y 5358 personnes qui savent que Monsieur Dupont était un mec bien. En aurai-je droit à  autant ?
  4. pagrave
    De nature optimiste, je ne pensais pas lire une fin aussi tragique, je me disais "ils vont s'en sortir". Pauvre famille Dupont. J'ai juste une interrogation : la profession médicale dans ce genre d'affaire. N'a t-elle pu intervenir à  quelque moment que ce soit, et pour qui que ce soit, c'est à  dire tant au niveau de M. Dupont que de sa famille ? Avez-vous, de "le" monde judiciaire, le pouvoir de recourir à  cette profession pour vous faire aider ?
    Je souhaite de tout cœur à  toute cette famille, que la vie puisse continuer et surtout trouver de belles choses.

    Ce blog : il ressemble à  Maître Mô. MERCI même si les larmes nous viennent en lisant certains billets. C'est que la plume est belle et douce malgré tant de douleur et de violence.
    1. Vous dites ça parce que vous ne me connaissez pas "en vrai" : dans la vraie vie, je suis méchant et inhumain ! :D

      Plus sérieusement, il y a peu de passerelles entre le monde judiciaire et le monde médical, bien que les deux soient si souvent intimement mêlés... Pire, les secrets professionnels respectifs s'opposent souvent, ne me permettant pas d'expliquer au praticien qui suit mon client ce qui se passe judiciairement pour lui, ni à  lui de m'expliquer où il en est vraiment -et dans quel état...

      Je ne compte plus le nombre de dossiers où, dans une justice idéale, j'aurais dû pouvoir me faire assister d'un psychiatre, notamment pour les entretiens -mais c'est impossible, le plus souvent, sauf d'initiative et de façon non officielle.

      ça bouge un peu d'ailleurs ces temps-ci, les deux métiers se sont rendus compte qu'ils avaient fondamentalement besoin l'un de l'autre, des réunions se tiennent... A suivre.
      1. pagrave
        Alors, peut on espérer que dans un futur (proche si possible) des dossiers soient suivis et par un avocat et une personne du milieu médical ? ce serait un grand pas vers l'humanité.

        "Vous dites ça parce que vous ne me connaissez pas "en vrai" : dans la vraie vie, je suis méchant et inhumain ! "

        Seriez-vous menacé :D car ça fait un petit moment que je lis (oui je ne commente pas beaucoup, car j'avoue ne pas toujours comprendre vos termes juridiques), donc je sais quel être vous êtes Mister Mô :D ;)
      1. Mussipont
        Euh 1600 kilomètres aller-retour pour un divorce par consentement mutuel, je ne suis pas tout à  fait sûr de la rentabilité de l'affaire! :P

        D'autant que mon frère, en avisé (très avisé, vous pouvez me croire) homme d'affaires, vous aurez certainement vendu un ou deux trucs histoire de rentabiliser vos conseils! Ne regrettez rien... :?:
  5. Hauatua
    Faire comprendre son intérêt à  chacun


    Merci de cet écrit,
    et aussi de la richesse des commentaires,
    surtout ceux savent ne pas juger des personnes
    (d’autant que j’ai eu l’impression qu’ils sont lus par les enfants Dupont,
    à  qui je souhaitent de tout coeur d’être fiers de leurs parents, avec leurs imperfections:
    les parents ne sont pas parfaits ...pour nous permettre de les dépasser ?)
    .


    L’avocat est censé* défendre l’intérêt de son client.

    J’aime ces avocats qui n’hésitent pas à  secouer leurs clients, en sachant que l’intérêt du client n’est pas tout à  fait ses désirs et ses regrets, ses rancunes et ses colères. Faire comprendre au justiciable son intérêt. Et celui de sa famille.

    J’aime ces avocats qui, sans perdre de vue leur intérêt, savent n’être jamais plus nerveux que leurs clients mais au contraire garder courtoisie naturelle. Etre professionnel.

    J’aime ces avocats qui savent, lorsqu’il y a eu trop d’échanges de conclusions (c’est-à -dire les arguments de chacun) et que les époux sont exsangues, proposer un protocole d’accord (très difficile : ce sont les meilleurs avocats s’ils y parviennent), sinon une comparution personnelle devant le juge : j’ai déjà  vu des divorces pour faute, aux preuves discutables (et donc risquant un double débouté ...après des années) se transformer, par l’action du juge, souvent à  la demande des avocats, en divorces sans mention des torts (art. 233 C. civil. pour les pros) : quel soulagement de l’homme et de la femme lorsque le juge leur dit (mais il faut parfaitement connaître le dossier pour n’oublier aucun point à  trancher): Voulez-vous que le jugement de divorce soit prononcé aujourd’hui ?. Et la gratitude des avocats devant un dossier épineux enfin tranché vous dédommage de la fatigue nerveuse après l’audience.

    J’aime ces juges qui savent qu’avec leurs audiences surchargées il y a des dossiers qui doivent (malheureusement ?) durer cinq minutes (les simples) et d’autres (les difficiles) parfois une heure (et il faut trouver ce temps).

    Bon, vous l’avez compris, j’aime ce métier, même si, à  la fin d’une audience, je ne sais plus ni le jour ni l’heure.


    Hauatua, juge aux affaires familiales
    (*censé : à  ne pas confondre avec sensé, svp Maître Mô - même si l’avocat est censé l’être, bien évidemment...)
    1. Hauatua, j'écoute toujours mes juges (quand j'ai honte et tort, ce qui évidemment n'arrive jamais), j'ai donc vite rectifié mon insensé "sensé" (ce que c'est que de nous, quand-même ; je l'avais correctement écrit au départ, et je l'ai rectifié,, en mal, hier : je pense que j'ai un traumatisme lié à  l'orthographe qui me gangrénera toute ma vie...).

      Au-delà , je vous serais reconnaissant de ne pas choisir de pseudo évoquant des terres lointaines et ensoleillées, ça ne m'incite pas à  conclure mes jafs en retard...

      Au-delà  encore, vous soulignez ce qui pourrait être très bien dans le monde des Affaires Familiales... Mais qu'on ne rencontre pas tous les jours, n'est-ce pas ? Pour balayer devant ma porte, je pense, entre autres, à  ces quelques avocat(e)s dont on sait, rien qu'en apprenant leur constitution dans le dossier, que c'est foutu, qu'il va y avoir des incidents, que les demandes vont être énormes et radicales... Et, devant la vôtre, à  ces juges qui ont tant de mal apparent à  aimer, un peu, les personnes sur les vies desquelles ils vont pourtant radicalement influer dans quelques minutes...

      Vous soulignez enfin la question cruciale, celle du temps passé avec les personnes concernées, ce temps qui manque si cruellement à  tout le monde...

      A Lille, pourtant grosse boutique largement pourvue (9 ou 10 cabinets JAF je crois) les gens attendent d'abord dans une salle commune surpeuplée, souvent non loin de l'autre avec tout ce que ça comporte de proximité tendue, puis, leur tour approchant après qu'avocats ou greffiers les aient appelés à  tue-tête comme à  la poissonnerie d'un supermarché, attendent debout dans un minuscule couloir sans chaise, parfois une demi-heure, au milieu des avocats et de leurs blagues de cabinet -ou de leurs engueulades concernant les ordres de passage...

      Ils constatent alors souvent que les avocats s'échangent des pièces inconnues d'eux, communiquées au dernier moment, le contradictoire s'accommodant fort peu de cet endroit, presque traditionnellement, on ne sait trop pourquoi...

      Chaque JAF a je pense environ vingt dossiers à  "passer" en une matinée, théoriquement étendue de 9 à  13 heures (tentatives de conciliation, de loin l'audience la plus importantes pour les justiciables si vous voulez mon avis) : 12 minutes par dossier, si on ne lève pas la tête une seule seconde...

      Douze minutes pour statuer sur les lieux de résidence de parfaits inconnus, la garde de leurs enfants, et les finances de chacun, pour toute la période à  venir jusqu'au divorce final.

      Un seul avocat plaide une demi-heure, et tout le reste est fichu et manquera mathématiquement d'écoute (je crois que je déteste les confrères qui plaident très longtemps devant un JAF, je vais me faire haïr, mais je ne crois pas à  la place de la plaidoirie au sens classique en cette matière)...

      A Béthune, pas loin, deux cabinets, tout le monde convoqué à  la même heure, toutes demandes mélangées (cons'mut', faute, requête en modification de pension) : ma dernière fois là -bas à  duré trois heures, dont deux et demi d'attente... (Vous imaginez l'état des nerfs des gens qui attendent ainsi leur passage...)

      Je n'ose pas imaginer Paris !

      L'essence même de votre métier est particulièrement délicate, mais les conditions dans lesquelles vous devez l'exercer sont, franchement, d'une déficience crasse, et, dans ce domaine plus encore que tout autre, il faudrait multiplier votre nombre par deux, au moins...

      Vous n'avez que plus de mérite à  l'aimer et à  le conserver soigneusement humain, votre métier ! Et c'est un avocat qui vous le dit..!
      1. Siskotte
        Et bien me voici replongée dans mon quotidien.

        Pour vous "plussoyer" Maître Mô, effectivement en tant que greffier, l'on sait également rien qu'au nom des avocats, que le dossier va être long (et pour certains beaucoup trop longs, au vu de la demande), le must étant d'avoir 2 avocats de part et d'autre dans le même genre mais qui en plus ne s'entendent pas du tout (et je me dis que déjà  dans les affaires familiales, c'est parfois assez délicat de trouver un accord, alors là  de toute façon ça ne pourra jamais arriver, ce que je trouve dommageable).

        Et puis le pauvre greffier qui s'époumonne lors de l'appel des causes, c'est que parfois le couloir d'attente avec une salle d'attente adjacente, ça fait beaucoup de mètre carré, il faut bien que les gens sachent que c'est à  leur tour (ah que de souvenir, parcourir les 100 mètres séparant les 2 salles d'attente des affaires familiales, repartir vers la salle des pas perdus, et la franchir - encore 100 mètres - pour finalement sortir sur le parvis, pour appeler les justiciables).

        Une dernière remarque, concernant le fameux principe du contradictoire dont les avocats entre eux s'accommodent fort bien, mais qui revient en force (ou pas) si l'une des parties n'a pas d'avocat : 1) l'avocat qui pousse des cris d'orfraies car l'adversaire lui communique des pièces ce jour et qu'il faut ABSOLUMENT renvoyer le dossier pour qu'il puisse les étudier, et de préférence pas trop tard mais pas trop tôt quand même, 2) l'avocat qui pousse des cris d'orfraies car son adversaire (sans avocat hein) à  qui il vient juste de communiquer les pièces demande à  ce que l'affaire soit renvoyée pour qu'il puisse les examiner, mais bon comme dirait l'avocat, c'est juste quelques pièces y'a pas besoin.
        Le 1) me fait grincer des dents quand il s'agit juste d'une fiche de paie, et pour le 2), je me mords les joues pour éviter de dire tout haut ce que je pense tout bas ;p

        Mais actuellement, les avocats et les justiciables de ma juridiction ont de la chance (même s'ils ne le savent pas trop), c'est qu'il n'y a que 15 dossiers maximum par audience (la moyenne étant 12-13), pour une durée d'environ 4 heures, ce qui permet aux gens d'être un peu mieux entendus ; même si je sais que les JAF souhaiteraient avoir le même luxe de temps que leurs homologues allemands par exemple.

        Mais je remercie tous ces avocats qui essaient de défendre les intérêts de leur client tout en préservant l'intérêt des enfants et qui essaient contre vents et marée d'amener leurs clients à  un peu plus de raison.
        J'avoue que dans la foule de dossier, lorsque l'on entend "accord total, ou accord quasi global (bon là  c'est la pension alimentaire qui ne trouve pas d'accord)", c'est une sorte d'oasis où l'on peut se ressourcer avant d'attaquer le prochain dossier.
        1. - Commentaire n° 46.1.1.1
          :)

          C'est vrai que s'il y a bien un domaine où le rôle du greffier est fondamental, c'est celui des affaires familiales -ne serait-ce qu'en termes d'accueil !

          C'est bien pour ça que, comme à  nous et aux magistrats, on vous demande bien entendu votre avis avant chaque nouvelle réforme, pas vrai..? :mrgreen:
  6. Kemmei
    Encore texte beau et terrible, et si profondément humain. Quel talent de restitution incroyable pour arriver à  faire pleurer vos lecteurs à  l'unisson avec vos petites tranches de vie, qui seraient d'une grande banalité - et n'entraineraient guère plus qu'un haussement d'épaules - si elles étaient contés différemment.

    Merci Maître Mô, ce blog est un pur bijou.
  7. Manu94
    Que vous dire de plus que ce qui est déjà  écrit dans les précédents commentaires?
    Merci maître pour ce texte magnifique.
    J'en ai eu les larmes aux yeux car vous avez trouvé les bons mots, ceux qui vont droit au coeur.

    J'adresse mes sincères condoléances à  la famille de M. Dupont et en particulier aux enfants qui vivront avec des questions, terribles, mais auxquels vous apportez un commencement de réponse.

    Merci de rappeler que votre profession nécessite une part fondamentale d'humanité

    Merci
  8. la guiche
    J'espère vraiment que les larmes dont vous me délestez vous permettent d'evacuer un peu des douleurs que l'avocat doit surmonter dans des moments si tristes.

    Sinon, c'est dégueulasse, et ça me le fait à  chaque fois...

    Que Jade, le fiston de Monsieur Dupont et tous ceux qui restent après de tels trucs, sachent qu'ils ne sont pas seuls. Grâce à  vous, à  vos récits.

    Cher confrère, notre profession a bien de la chance d'être représentée par des gars comme vous.
    1. On dit beaucoup, dans nos écoles et dans nos instances nationales, que l'avenir de notre métier repose sur la technicité et la spécialisation, si possible vers des matières porteuses et "à  pognon", et que l'avocat "classique" est à  peu près mort...

      Je crois moi qu'une bonne part de l'avenir de la profession réside dans son extrême humanité, celle du serment ! La mienne et celle des confrères qui viennent me faire l'honneur ici et ailleurs de prouver que c'est une valeur sûre... :lol:
  9. Mô, si vous avez l'occasion de revoir ce garçon qui a eu le courage de prendre le téléphone pour vous informer de ce drame, dites-lui bien, vous qui en avez malheureusement vu d'autres, des gamins pris en otage entre deux haines sans avoir rien fait pour le mériter, que vous les avez aussi vus sortir de toute cette saleté pour enfin tracer leur route. Vous qui en avez vu d'autres entraînés dans la chute, vertigineuse, d'un des leurs, rappelez-lui bien que cette chute n'est pas la sienne et que la vie peut être, doit être et sera belle pour lui. Il aimera, il sera aimé, il souffrira parfois, il doutera souvent mais il vivra. Dites-le lui de la part de ceux qui ont vécu ce qu'il vit et qui sont sortis de la tempête. On en sort toujours.

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