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Le Grand Mal…

Vous en avez déjà  entendu parler, de cet homme, souvenez-vous, l’agresseur présumé d’un petit garçon, Enis, victime de cet horrible monstre récidiviste -qui est depuis forcément devenu une énorme verrue à  la face de l’Humanité, Francis Evrard…

Vous en entendrez parler toute la semaine prochaine, son procès s’ouvre lundi 26 octobre devant la Cour d’Assises du Nord.

J’ai l’honneur d’avoir pu poser quelques questions à  son avocat, lequel, entre autres qualités, possède celle d’être réellement l’avocat des gens qu’il défend. Et qui se souvient, toujours commencer par ça, que ce sont des gens, justement : eux, nous, un homme. Nous, n’en doutez pas, même si c’est dur à  admettre.

Comment dirait probablement un véritable journaliste1 :

“Maître Jérôme Pianezza, vous êtes donc l’avocat de Francis Evrard…

Maître Mô : A votre avis, qu’attend-il du procès, dont on a l’impression que c’est une  de ces fameuses “causes perdues” ?2

Maître Jérôme PIANEZZA : Il n’y a jamais de cause perdue -ça n’existe pas quand on est avocat.

Par ailleurs, Monsieur Evrard est aujourd’hui un vieil homme, très clairement, un homme fatigué, et fatigué aussi judiciairement, qui arrive à  un terme : celui de cette instruction qui a quand même duré deux ans, c’est à  la fois court et long pour une instruction criminelle, et je pense qu’il a envie de s’expliquer -on peut reprocher tout ce qu’on veut à  Monsieur Evrard depuis le début, sauf une chose, c’est qu’il a toujours parlé, qu’il a toujours essayé d’expliquer, que ce soit aux policiers ou au juge.

Et ce procès, c’est aussi pour lui l’occasion de dire à  la fois ce qu’il a fait, bien sûr, mais également ce qu’il est -et on ne comprendra pas ce qu’il a fait sans comprendre ce qu’il est, c’est intimement lié, même si parler de sa pédophilie c’est très compliqué… J’ai la sensation quand même que Monsieur Evrard arrive à  sa façon à  expliquer un petit peu ce qui se passe en lui, ce qui s’est passé en lui…

MM : Justement, la pédophilie est une affection que les gens ont énormément de mal à  comprendre, je ne parle pas de l’admettre; qu’en dit-il, lui, est-ce qu’il se reconnait malade, est-ce qu’il a des explications ?

JP : Monsieur Evrard est dit “scientifiquement”, autant que faire se peut, comme étant un “pédophile pervers profond”, ce qu’il reconnait très clairement, il le dit lui-même, pas forcément avec ces mots là  mais il dit : “Je suis pédophile et je sais que je suis profondément malade”.

Il a du mal à  le décrire, beaucoup, mais il arrive parfois quand même à  mettre les mots sur les choses… Il emploie une expression qui je pense est très révélatrice, il dit : “Quand ça monte en moi, c’est comme une vague qui me submerge” … Ça, d’abord, ce sont ses mots, donc il y a un minimum de respect à  avoir vis-à -vis de ces mots-là , parce que ce sont les siens. Et au delà , c’est sans doute révélateur de cette espèce de caractère irrépressible, impossible à  stopper, impossible à  juguler, et qui fait que dans ces moments là  il n’arrive pas à  arrêter le mécanisme, que c’est quelque chose qui finalement le dépasse, qui est à  la fois en lui et au-dessus de lui, et qui l’emmène malheureusement vers un petit bonhomme qui n’a rien demandé à  personne, évidemment…

Cette description-là  est intéressante, parce qu’elle ne va pas de soi.

MM : Parlons de ce côté irrépressible, exactement : est-il responsable pénalement ?

JP : Bien évidemment, comme d’habitude, il est responsable pénalement ! Il n’y a que les morts en général qui sont irresponsables…

Maintenant, on l’explique aussi en tant que “fou”, alors évidemment, impossible de comprendre les faits quand on ne comprend pas qui il est -et c’est bien sûr la difficulté.

C’est pour cela qu’on vous dit qu’il est dangereux, c’est pour cela qu’on vous dit qu’il y a un risque important de récidive -on l’a dit dans les années 2000, on l’a dit en mai 2007, et on continue à  le dire, ce qui est quand même extraordinaire parce qu’entre les deux il s’est passé un grand nombre de choses…

Évidemment qu’il y a un risque de récidive important, y compris aujourd’hui, il y a peut être des choses qui ont évolué mais je ne vais pas, ce serait malhonnête, prétendre que tout est réglé.

Mais la responsabilité c’est la responsabilité papier, c’est la responsabilité des experts. Moi, j’ai un peu de mal à  admettre, c’est la vision de l’avocat,que quelqu’un qui reste tellement prisonnier de lui-même, à  ce point-là , qui est tellement emporté par lui-même et par d’autres choses au moment où il commet les faits, soit totalement responsable au sens à  la fois de la définition du Café du Commerce et de la responsabilité judiciaire, stricto sensu.

MM : Vous savez qu’on discute beaucoup, et je ne sais pas si c’est un bien ou un mal d’ailleurs que le procès Evrard arrive à  ce moment là , qu’on discute beaucoup de multiples “solutions”, j’y mets des guillemets, pour contrer le passage à  l’acte de “ces gens-là “, entre guillemets également, et notamment des récidivistes en matière d’agressions sexuelles : que pensez-vous des solutions qui sont proposées -on parle de castration chimique, on parle d’absence de remise de peine, on parle de maintien à  l’enfermement, toutes solutions répressives en tout cas ?

JP : D’abord, chez “ces gens-là “, on ne récidive pas : on est comme ça.

Il faut dire dire les choses : il est pédophile depuis 35 ou 40 ans sans doute, et comme on ne solutionne rien, il reste comme il est -par définition, la récidive est un terme juridique, mais pas forcément une réalité humaine pour lui.

Ensuite, les “solutions” …

Il faut d’abord évidemment faire le lien avec le courrier que Monsieur Evrard a souhaité rendre public, courrier qu’il a écrit au Président de la République à  la mi-septembre (et qui n’a toujours pas de réponse d’ailleurs : quand on envoie des lettres au Président, mais sans balle dedans, il y est peut-être moins rapidement répondu…) : lui ne propose pas de solution, c’est la lettre d’un homme qui va passer devant une Cour d’Assises, qui est sans doute à  une extrémité de sa vie, d’une certaine façon, mais en tout cas de sa situation, et dit : “Je voudrais réellement arrêter de faire du mal, je pense que  ce moyen est définitif, et s’il faut en arriver là , je veux proposer ça”.

Il ne parle pas de solution générale, il ne peut pas le faire.

Ensuite, sur les solutions qui sont envisagées, ce n’est pas Francis Evrard qui répondra, c’est l’avocat : je ne suis ni parlementaire, ni politique, mais je  me contenterais de dire que je suis surpris, pour ne pas dire agacé, qu’un certain nombre de choses qui sont évoquées aujourd’hui constituent, soit clairement de l’humour noir, soit du mépris absolu.

Quand le Ministre de la Justice, Madame Alliot-Marie, nous explique il y a quinze jours, dans une émission de grande écoute, qu’elle tient sur injonction du Président de la République à  proposer une loi qui vise, pour parler simple, à  ne laisser sortir certains délinquants sexuels que s’ils se soignent sous contrôle, et que bien évidemment s’ils ne se soignent pas on les réincarcèrera, vous savez comme moi qu’on est en train de décrire le mécanisme de la surveillance judiciaire… Et vous le savez parce que la surveillance judiciaire, un, ça existe depuis 2005 sauf erreur de ma part, et deux, Monsieur Evrard y était justement astreint quand il est sorti  de détention -sauf qu’on ne l’a pas mise en place…

Alors il y a deux solutions : ou bien Madame Alliot-Marie ne connait pas les lois en vigueur, ce qui est un peu inquiétant pour un Ministre de la Justice, ou bien elle le sait parfaitement, et là  c’est du marketing, ce qui pose un peu problème aussi…

Au delà , sur la castration chimique ou même physique, moi, je n’ai pas d’avis, je ne sais pas si l’une serait mieux que l’autre, ou s’il faut les deux, ou si c’est aberrant…

Mais très clairement, en tout cas, il faut se poser les véritables questions dans ce domaine. Aujourd’hui on ne se les pose pas, ou on commence peut-être seulement, mais depuis des années on en parle et on n’avance pas -et il le faut, pourtant, ne serait-ce bien évidemment que pour les victimes, auxquelles nous pensons tous aussi.

Et les pédophiles sont, en partie, eux aussi des “victimes”, parce que ces gens-là 3 sont aussi prisonniers d’eux-mêmes, et qu’il y a une souffrance chez eux, même s’il ne s’agit pas de la comparer à  celle des véritables victimes.

Pourtant, on ne se toujours pas de question sur “avant” : comment un homme en arrive là  ? Quand on sait, parce que ça on le sait et qu’on a le courage de le dire, chez les psychiatres notamment, qu’on retrouve chez tous les pédophiles un certain nombre de stigmates, un certain nombre de cheminements, qui sont toujours à  peu près les mêmes : pour être simple, par exemple, le fait qu’on ait souvent une image paternelle très dégradée, voire violente, qu’on ait une image maternelle par contre omniprésente voire fusionnelle, et que cette situation crée manifestement, ce sont les psychiatres qui le disent, pas l’avocat, un déséquilibre “primaire”, initial, lourd, qui a sans doute engendré ensuite d’autres déséquilibres, liés bien sûr à  la responsabilité personnelle de l’auteur, mais qui peuvent aussi finir par détériorer la personnalité -au point qu’il bascule dans une sexualité (parce que c’en est une) évidemment totalement pervertie, et illégale…

Moi, j’aimerais aussi qu’on parle de cet “avant”. Et qu’on parle, encore plus simplement et évidemment, aussi avec les pédophiles, parce que finalement on en parle beaucoup, mais je ne crois pas qu’on parle beaucoup avec eux…

Il y a cette cette association, j’ai été interpellé par cette idée, qui a proposé de mettre en contact des pédophiles et des victimes, pour que chacun apprenne à  connaître l’autre et a essayer de comprendre et d’appréhender ce qu’il est, et qu’il y ait une intégration de la souffrance de l’autre, dans les deux sens : cela, c’est une piste intéressante. Nous, nous n’avons malheureusement pour l’instant rien, donc si ce procès peut éventuellement servir à  ça, même si je refuse de perdre de vue que c’est d’abord le procès de  Francis Evrard, et évidemment de ce qu’a subi ce petit bonhomme, on parviendra peut-être à  avancer.

MM : Monsieur Evrard sait qu’il va se voir infliger une peine : sincèrement, s’imagine-t-il un avenir, est-ce qu’il en parle, est-ce qu’il  pense en avoir un, et lequel ?

JP : C’est évidemment compliqué de parler d’avenir à  quelqu’un qui a un si lourd passé, et un passé d’enfermement…

Francis Evrard n’est pas idiot, il sait pertinemment qu’il ne dormira pas en liberté le soir du délibéré. Mais je pense qu’à  chaque jour suffit son poids, et qu’il a besoin, en tout cas, de passer une porte : c’est uniquement quand il aura passé cette porte-là , et notamment s’il considère qu’il a apporté ce qu’il voulait apporter au procès, c’est-à -dire tout ce qu’il est et tout ce qu’il a fait, qu’il pourra envisager éventuellement le reste de sa vie…

Il est conscient que de toute façon, une longue peine d’enfermement sera probablement demandée. Je crois simplement qu’enlever tout espoir chez cet homme, avant le procès, serait en tout cas finalement anesthésier complètement le débat : on a besoin de Francis Evrard dans la semaine qui arrive, on a besoin de lui notamment parce que, s’il constitue malheureusement un exemple parmi d’autre, il est un exemple concret, et que c’est quelqu’un qui en parle : la meilleure façon de l’inciter à  parler est sans doute aucun de ne pas fermer complètement certaines portes.

MM : Merci, Jérôme. Bonne chance à  ses côtés.

  1. auquel je ne prétends pas voler l’once de l’un des savoir-faire, attention, chacun son boulot : par exemple, je le dis avec tendresse, mais je n’ai jamais posé de question dite fermée, histoire d’être certain d’obtenir une réponse qui ne le soit pas également, fermée… []
  2. Par le jeu des circonstances aggravantes et de la récidive légale, la réclusion criminelle à  perpétuité est encourue; cette affaire est également sauf erreur de ma part à  la source de la fameuse et sinistre rétention de sûreté, tant il est vrai que les lois ont désormais des noms, ceux des faits divers qui les suscitent… Il avait par ailleurs été filmé par des surveillants en détention peu de temps avant sa libération, et indiquait en substance qu’il risquait de recommencer… []
  3. Rappel : la pédophilie affecte la personne qui n’a d’attirance sexuelle que pour les enfants; de très nombreux crimes et délits sexuels sur des enfants sont le fait, dans une écrasante majorité, de gens qui ne sont pas des pédophiles, ne sont pas atteints par cette déviance sexuelle spécifique, mais agissent par facilité, par lâcheté, etc… Nous parlons bien ici des premiers. []