[ Je crois que ce texte est le plus long que j'aie jamais écrit sur ce blog : 14.425 mots, et 72.460 signes (ah quand même, la vache...)... Je vous en demande pardon d'avance : l'idée était de vous faire partager une petite journée judiciaire, un tantinet fluctuante, dans son intégralité. Et, euh... C'est long, une journée judiciaire intégrale, parfois. J'aurais pu le découper en deux ou trois parties, mais non, pour la même raison -et parce que c'est chez moi, ici ! Madame Mô m'a dit, encourageante, me retrouvant au petit matin de la nuit blanche qu'il m'a fallu pour l'écrire, que personne ne le lirait intégralement, j'espère que vous lui donnerez tort, faites-moi plaisir ! ]
Ce dossier ne pose aucune difficulté. Enfin, je croyais
Deux gamins, même si majeurs, l'un très jeune mais avec un casier judiciaire déjà fourni, l'autre un peu plus vieux, mais avec un seul précédent, vieux de quatre ans, ont eu l'idée, la très mauvaise idée, la veille, de "se faire un commerce", comme ça, parce qu'ils ont besoin d'argent, évidemment, mais pas seulement : aussi "pour le sport", pour se prouver à eux-mêmes qu'ils en sont capables, comme d'autres avant eux, ainsi qu'ils l'ont lu partout dans la presse, et pour pouvoir revenir "au quartier" en disant aux potes qu'ils l'ont fait bref pour de très mauvaises raisons, normal pour une mauvaise idée.
Ils ne disent pas qu'ils "montent au braquo", ils ne connaissent pas cette expression, employée par de plus "spécialisés" qu'eux : le premier est connu pour une flopée de délits commis alors qu'il était mineur, et quelques outrages et autres vols simples plus récents, mais pas de violences ni de faits très "sérieux", même si les derniers lui ont valu quelques mois de sursis avec mise à l'épreuve, pour lesquels il est justement actuellement suivi par le SPIP1
Et l'autre a participé à un cambriolage, il y a exactement quatre ans, pour seul et unique "fait d'armes" antérieur il a à l'époque été condamné à la peine de six mois d'emprisonnement avec sursis simple, et s'est tenu absolument tranquille depuis, étant même inconnu au FNAEG2 ce qui signifie qu'il n'a récemment été impliqué dans rien.
Bref, deux jeunes baraqués, copains depuis un moment, ils se sont rencontrés en pratiquant le judo, qui manquent de maturité, et qui soudain un beau jour, influencés très évidemment par la "mode" délinquante du moment, décident qu'ils vont tenter de braquer un magasin.
Le second, le plus sportif, possède chez lui non pas une "arme" au sens classique du terme, moins encore au sens "grandbanditiesque" : il s'agit d'un "marqueur", selon l'expression consacrée par les pratiquants de Paintball3 .
C'est une arme, cependant, au sens de la loi, doublement : d'abord parce qu'elle est réellement une arme, de catégorie 7, qui est en vente libre, mais dont le transport est interdit4 ; ensuite, parce que n'importe quel objet utilisé dans le cadre de la commission d'un délit violent peut, en droit pénal, se trouver qualifié d'"arme", en vertu de la notion d'"arme par destination", qui veut que si vous utilisez un objet qui n'était pas par nature une arme, mais que vous vous en servez comme d'une arme, il peut juridiquement devenir une arme5 : c'est notamment le cas d'un pistolet factice, jouet d'enfant que les victimes n'ont sur le moment pas tout à fait pris comme tel, ou bien d'une arme dysfonctionnant, ou bien, comme ici, d'une arme classée telle, mais en réalité peu ou pas dangereuse, ce qu'on comprendra facilement être assez peu important du point de vue des victimes qui se sont retrouvées braquées avec ce truc par deux jeunes mecs cagoulés et excités en y jetant un œil, et en imaginant que ce canon est appuyé en-dessous, de l'œil, avec au bout un type qui dit "Bouge pas ou t'es mort" ...
Tiens, la voilà , et effectivement, on n'a pas spécialement envie de cligner de l'œil au trou du canon :
ACTE I, Scène 1 : le Méfait
Quoi qu'il en soit, et je vais tâcher pour une fois de faire un peu vite, parce que là je n'ai même pas encore commencé à vous parler de ce que je voulais, ils se sont donc mis d'accord, et le lendemain, ont attendu que les caisses du commerce en question soient bien pleines, se sont rendus sur le parking attenant, d'ailleurs avec la vraie6 voiture personnelle de l'un d'eux, sont sortis de ladite voiture avec l'arme, ainsi que deux "cagoules" réalisées dans les deux manches d'un vieux pull7, deux paires de gants et un sac vide, se sont rués par l'entrée dudit magasin, ont braqué le vigile et les cinq employés qui se trouvaient là , ont demandé le gérant, puis qu'il leur ouvre le coffre, et ont raflé plein de chèques et plusieurs dizaines de milliers d'euros en liquide, avant de s'enfuir comme ils étaient arrivés, trois minutes chrono plus tard -trois très longues minutes pour les personnes présentes, évidemment ...
Une personne tierce avait trouvé leur sortie de voiture un peu étrange -de fait, deux jeunes gars avec une arme et l'air un peu pressé, effectivement- et avait appelé les forces de l'ordre, arrivées fissa, et qui attendaient donc nos deux lascars sur le parking précité : sommations, ils lâchent immédiatement arme et butin, et se réfugient à genoux derrière les roues de voitures stationnées là , où ils seront arrêtés, d'ailleurs tremblants de peur, sans dégâts -ce en quoi, et je le dis sans sourire, ils peuvent remercier à la fois leur dieu et le sang-froid des policiers intervenants, parce que bon, encore une fois ils sont costauds, étaient encore cagoulés, et, pour ce que les policiers en savaient, porteurs d'au moins un truc comme celui de la photo ci-dessus, surtout vu de loin : c'est typiquement le genre de scène qui aurait pu tourner au drame, pour tout le monde, Messieurs si vous vous reconnaissez, respect.
ACTE I, Scène 2 : l'Arrestation et l'Enquête
Le butin est restitué dans son intégralité, la garde à vue dure deux jours, et au terme de la première audition, soit des premières heures d'icelle, les forces de l'ordre comprennent très vite qu'elle n'ont pas affaire à de réels truands, mais à deux petits mecs habituellement inoffensifs : d'abord, ils reconnaissent tout immédiatement, et tout ce qu'ils racontent est recoupé à la virgule près par les auditions des témoins et victimes, notamment leurs rôles respectifs8 ; ensuite, ils ne sont pas recherchés, ni ne font partie de rien, ni ne sont autrement connus ; enfin, l'absence de préparation "sérieuse" et qui procéderait d'une quelconque habitude de ce genre de méfait est évidente -à noter pour la petite histoire que l'un des auteurs a oublié de mettre ses gants, retrouvés dans sa poche, vive l'ADN, que plusieurs témoins disent que leurs agresseurs tremblaient autant qu'eux, que l'autre perdra dans sa fuite un petit portefeuille qui aurait permis son identification sans souci, de même évidemment que la plaque minéralogique de sa voiture, puisqu'ils étaient venus tranquillement avec elle -et j'en oublie...
Les policiers font au surplus consciencieusement leur travail, en vérifiant tout de la "périphérie" des deux gardés à vue : on épluche leurs portables, leurs comptes bancaires, on perquisitionne chez eux et leurs proches, on recoupe avec deux ou trois faits de même nature récemment commis : RAS, comme on disait à la guerre militaire9, on ne trouve strictement rien de plus, et pour cause : il s'agit de deux "bras cassés", ayant eu la mauvaise idée du siècle, et ayant ainsi causé pas mal de frayeur à cinq personnes qui n'avaient rien demandé -ce dont au demeurant ils sont à présent parfaitement conscients, ils l'expriment, assez sincèrement je crois, devant les policiers.
Bon. Ceci était une -brève- introduction, seulement.
Parce que, la garde à vue prenant fin, et le dossier, comme nos deux hommes, s'apprêtant donc à passer de la phase policière à la phase judiciaire, c'est-à -dire de la phase d'enquête à la phase d'instruction ou de jugement, comme le dit notre Gardienne10 lorsqu'elle patronne des projets de réforme, c'est maintenant que tout va se compliquer ...
- Service Pénitentiaire d'Insertion et de Probation, lequel notamment veille au respect par les condamnés des obligations que leur a imposées une juridiction ; j'ignore si l'inventeur de cet acronyme a pensé que nombre de délinquants sexuels y auraient des rendez-vous [↩]
- Fichier National Automatisé des Empreintes Génétiques, articles 706-54 et suivants du Code de Procédure Pénale [↩]
- A essayer une fois dans votre vie si vous ne connaissez pas, on joue à la guerre et on tire sur les ennemis, idéalement filles contre garçons ça vaut trois ans d'engueulades conjugales, et quand on est touché on pousse des cris et on meurt, comme quand on avait dix ans ou plus tard à l'armée, c'est la poilade totale, on est en sueur et on se fait réellement peur, c'est génial et Comment ? Une consultation ? Certainement, enchanté, Madame : Maître Mô, Avocat au Barreau de Lille, sérieux et rigueur, hum [↩]
- Article L.2331-1 du Code de la Défense, et d'autres subséquents que je ne recherche pas, car on s'en tape totalement, et que j'accepte de placer quelques liens de ci, de là , pour paraître érudit, mais faut pas que ça devienne une habitude de facilité, non plus... [↩]
- Un trombone déplié, par exemple, si vous crevez l'œil de votre mari volage avec, ou bien le câble Péritel du magnétoscope, si vous vous en servez pour étrangler votre épouse infidèle, deux cas que j'ai connus parmi des dizaines, avec celui, plus répandu, de la voiture utilisée comme une arme pour écraser quelqu'un qu'on n'aime pas ; ou de l'émission Secret Story, qu'on oblige l'ennemi à regarder plus de dix secondes de suite [↩]
- Je veux dire par là : ni volée, ni vraie mais maquillée ... [↩]
- Sans même se soucier du fait qu'il est désormais interdit de se dissimuler le visage en public, en plus ... [↩]
- C'est le "mien" qui tenait l'arme, qui lui appartenait, et a effrayé les gens par sa menace et ses paroles, car j'ai toujours du bol ... [↩]
- Rien A Signaler, indiqué-je au cas où par impossible mes lecteurs n'auraient pas accompli leur devoir à l'ancienne envers notre Patrie, ou pire, seraient éventuellement de sexe féminin -l'Armée étant à ma connaissance, battant ainsi d'une courte tête la Justice, le royaume absolu de l'acronyme, notamment pour tenter de faire mémoriser à des jeunes avocats prêts à décéder pour la France deux ou trois fondamentaux de combat, genre quand on est posté de nuit dans un trou plein d'araignées, et que les Chinois menacent d'attaquer, il faut penser BLOT, pour la discrétion -Bruit, Lumière, Odeur, Traces : wahouh, super, ils savent faire à Saint-Cyr, je m'en souviens ! Je sais parfaitement que vous vous moquez totalement de cette digression, mais je voulais saluer mon ami Éric, qui comprendra -nous faisons tous les deux partie des Forces Spéciales, je vous raconterai ça un jour, dès que le Secret Défense sera levé, recrutés à Saint-Cyr pour nos aptitudes physiques hors du commun, un sens du commandement extraordinaire, et nos couvertures professionnelles, un avocat et un assureur sont insoupçonnables pour l'ennemi -bon, à vrai dire, on en fait surtout partie lorsqu'on boit un peu trop ensemble, mais enfin... Bon, qu'est-ce que je disais, moi ? [↩]
- J'ai un super scoop (!), qui n'en est pas un, puisque, comme tout le monde, je l'ai : Madame Alliot-Marie ne serait bientôt plus Gardienne des Sceaux, mais Première Ministreuh -je suppose qu'on dira comme ça, si ce n'est pas Monsieur Borloo -encore un ancien avocat... Du coup, je n'ai aucune idée réelle de qui serait le nouveau Ministre de la Justice, des Libertés, des Honoraires et du Pain Sec ; mais il se murmure de façon plus qu'insistante qu'il s'agirait de Monsieur Hortefeux, et, pensez-en ce que vous voulez, ça me fait le même effet que celui que produit sur mon fils de trois ans l'annonce que je lui fais pour lui interdire un endroit de la présence audit endroit d'une horde de dragons affamés... Du coup, j'ai déjà refusé souvent ce poste, mais là , vu le marasme ambiant, j'ai envie de dire oui, avis à mon présidentiel autre Confrère -mais seulement si je peux garder ce blog ... [↩]