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E Thémidos ménis !

(Ce titre, je l’indique pour les rares… Béotiens (justement !) qui me lisent, est en grec ancien, et signifie : “La colère de Thémis”. C’est aussi une petite allusion à  la toute première ligne de l’Illiade, qui annonce que l’on va chanter la colère d’Achille… Je trouvais ça opportun !)1

Oh, pas grand’ chose…

Il semblerait juste, pour faire très simple, que nous soyons à  deux doigts de l’implosion judiciaire tous azimuts !!

Le monde judiciaire m’a en effet tout l’air d’être une sorte de révolte générale, en ce moment, allez savoir pourquoi… En vrac et “toutes causes confondues”, comme on dit chez nous, voici d’abord le texte d’une motion appelant à  rien moins qu’une grève générale, ce jeudi 29 janvier (ça m’arrange bien j’avais plein d’audiences !), qui présente la rare particularité d’être écrite sous les sigles cumulés de syndicats ET de la Pénitentiaire, ET des Services Judiciaires, ET de la Magistrature, ET des avocats, excusez du peu !

Je vous le livre tel qu’il vient de m’arriver du Syndicat des Avocats de France : tout le monde est TRÈS en colère, nous en parlions, partiellement, juste sous l’article précédent

Les organisations syndicales du ministère de la Justice, CGT (CGT Pénitentiaire, CGT-PJJ et CGT Services Judiciaires), CFDT Interco, FSU (SNEPAP et SNPES), USAJ, CFDT, le Syndicat de la Magistrature et le Syndicat des Avocats de France s’associent au vaste mouvement d’action et de grève nationales du jeudi 29 janvier 2009.

Le démantèlement du service public de la Justice, amorcé par la suppression massive de juridictions, de services et d’établissements, se poursuit aujourd’hui avec une Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP) menée sans concertation et sur des objectifs essentiellement comptables.

Cette politique conduit inexorablement vers une dégradation sans précédent du service rendu aux justiciables et aggrave encore les conditions de travail des personnels soumis à  une logique productiviste incompatible avec l’exigence de qualité réclamée par tous les citoyens en matière de Justice.

Alors que le ministère de la Justice manque cruellement de moyens au regard des standards des autres pays européens, les effectifs de fonctionnaires se réduisent sans cesse et le recours aux personnels précaires se généralise. Le recrutement de personnels pénitentiaires (lié à  l’agrandissement du parc pénitentiaire) ne doit pas masquer cette réalité.

Par ailleurs, les atteintes à  l’indépendance de la Justice se multiplient. La dernière annonce tendant à  supprimer le juge d’instruction sans modifier le statut du parquet pour assurer son indépendance et sans augmenter les droits et les moyens de la défense en est la dernière illustration.

Enfin, nous dénonçons la volonté de faire de la Justice un bras armé contre les populations les plus fragiles, comme l’ont encore récemment mis en évidence les orientations prises et annoncées en matière de justice des mineurs (cf. notamment le rapport Varinard).

Au final, c’est une Justice au rabais, axée sur le tout répressif et profondément inégalitaire que le gouvernement met en place. Face à  un tel constat, les organisations syndicales signataires appellent à  la résistance contre cette entreprise de démolition du service public de la Justice. Ils rappellent leur détermination en faveur d’un service public de proximité et de qualité pour répondre aux besoins sociaux de solidarité d’autant plus importants en cette période où la crise économique fragilise la cohésion sociale.

En conséquence, les organisations syndicales du ministère de la Justice et le Syndicat des Avocats de France appellent l’ensemble des services, des établissements et des juridictions du ministère à  se joindre massivement à  la journée interprofessionnelle d’action et de grève du 29 janvier.

A ces derniers propos sur la Justice des mineurs, j’apprends de source très sûre qu’une pétition est en cours d’élaboration et va tout prochainement être mise en ligne… Par, notamment, des Juges des Enfants excédés aux aussi -je placerai le lien ici dès qu’il m’aura été communiqué… Ajout du 23 janvier 2009 : voici ce lien, non pas vers une simple pétition, mais vers un site complet sur la question : Quel futur pour les jeunes délinquants ?2

De jeunes magistrats, également en colère, ont eux-même mis en ligne, ici, une pétition contre la suppression du Juge d’Instruction, en tout cas en l’état de ce qu’on en sait :

Le Président de la République a annoncé sa volonté de supprimer le Juge d’instruction, sans même attendre les conclusions du comité Léger.

Les inquiétudes quant à  cette suppression dépassent très largement les murs des cabinets d’Instruction et sont partagées par les auxiliaires et partenaires de la Justice.

La commission d’enquête parlementaire dite d’Outreau a clairement affirmé le principe du maintien du Juge d’instruction en proposant l’organisation d’un collège de l’instruction. A la suite de la loi du 5 mars 2007, les pôles de l’instruction ont été créés en mars 2008 et au 1er janvier 2010, la collégialité de l’instruction devait être mise en œuvre.

Nous déplorons que le Président de la République, plutôt que de donner les moyens nécessaires à  cette réforme votée récemment par le Parlement, se borne à  reprendre le vieux serpent de mer de la suppression du juge d’instruction, sans envisager l’indépendance du parquet et les moyens d’une défense efficace.

Nous refusons la concentration des pouvoirs d’enquête et de direction de la police judiciaire dans les seules mains du Procureur de la République, actuellement hiérarchiquement soumis au pouvoir exécutif, et que chaque citoyen soit ainsi privé d’une voie de droit lui permettant de saisir un magistrat indépendant, à  l’abri des pressions et contingences politiques ou médiatiques.

Nous, magistrats, fonctionnaires de Justice, avocats, partenaires de la Justice et citoyens, rappelons notre attachement au principe d’investigations contrôlées et exercées par un juge indépendant, garant d’un réel contradictoire, mettant les moyens de la puissance publique au service de la recherche de la vérité, quels que soient les statuts et la position sociale des mis en cause et des plaignants. Il s’agit là  d’une fonction essentielle à  la démocratie et l’œuvre de justice.

Je ne sais pas si vous mesurez ce que ces initiatives témoignent de ras-le-bol général et de montée en puissance du grondement de la révolte, mais, dans un milieu qui plus est traditionnellement (et paradoxalement selon moi) plutôt silencieux et particulièrement docile, oui oui, même les avocats, (qui font des grèves dont tout le monde se cogne…)3 une telle unanimité, y compris dans le choix d’une expression collective et publique, est plutôt rare…

Pour essayer de faire un tour joyeux de ce qui ne va pas, mais aucune exhaustivité n’est malheureusement possible dans ce domaine, voici encore un petit lien vers la Une du site de l’Observatoire International des Prisons, où chacun sait que tout se passe bien aussi…

Ce qu’avait récemment confirmé le rapport de Monsieur Delarue, Contrôleur général des lieux de privation de liberté…4

Voilà , j’en oublie probablement, n’hésitez pas à  me livrer ce que vous trouveriez par vous-mêmes.

J’ai tout un tas de conclusions très temporaires, je vous en livre quelques unes.

D’abord, c’est absolument méchant de balancer tout ça à  Madame notre Gardienne des Sceaux, à  ce moment précis de sa vie, et je souhaite l’assurer ici de mon indéfectible soutien -pour peu qu’on se mette à  nous demander notre avis bien sur, on n’a rien sans rien.

Ensuite, tout ceci, cette masse grondante de hurlements, va peut-être progressivement amener les médias à  s’intéresser plus à  ce qu’est devenue et ce que risque de devenir la Justice en France, plutôt qu’au timing de sa responsable principale en matière de couches et de congé mat’.

Encore, vous remarquerez que ces mouvements font tous plus ou moins référence à  des Commissions, d’ailleurs parfois encore en train de siéger, sensées d’une part, regrouper des spécialistes, d’autre part, travailler (avec la tête, attention, pas comme vous ni moi), et enfin rendre des rapports regroupant toutes les sensibilités et dégageant des solutions valides dans l’intérêt général.

Je vais vous dire un secret déjà  éventé mais tant pis ça m’étouffe : vous voulez modifier quelque chose d’important, vous avez le pouvoir mais vous savez que vous allez vous heurter aux principaux concernés, les pauvres abrutis qui travaillent tous les jours justement avec l’outil que vous voulez modifier, comme s’ils s’y connaissaient mieux que vous ces crétins.

Alors, vous créez une Commission, si possible avec des gens qui ont été connus à  un moment il y a cent quarante ans dans leur domaine enfin connus, mais sinon même avec des gens pas connus du tout mais vieux sages, et en tout cas pas trop loin de vous, mais plus difficilement contestables que vous; vous y mettez d’ailleurs du monde, pour qu’en plus l’avis soit pluriel, donc encore moins contestable.

Et ?

Ben non, c’est tout : soit vous attendez l’avis, que vous ne lisez pas, et vous ordonnez la modification que vous souhaitiez; soit vous n’attendez même pas l’avis, et vous ordonnez la modification que vous souhaitiez. Qu’ils vous disent, après ça, que vous n’avez pas agi dans la concertation, que vous n’avez pas recueilli les avis des praticiens, en un mot, que votre modification n’est pas exactement souhaitée par tous pour le bien de tous..!

Il y en a pour tout : actuellement, il y en a une qui se penche sur mon métier et sa fusion avec celui de notaire, par exemple… Son existence même est extraordinaire : je n’ai jamais entendu ce souhait dans la bouche de personne, c’est dégringolé d’un coup, vous vous souvenez, quand la suppression à  l’avocat du divorce par consentement mutuel était envisagée… Mais je m’égare -enfin je crois… Il y en a une autre sur une vaste réforme de toute la procédure pénale, c’est bien ça ? C’est celle qui réfléchit à  la dépénalisation des affaires ou une autre ..? Ah je suis perdu, je l’avoue…

Une autre conclusion, enfin, l’avant-dernière pour aujourd’hui : si on arrêtait tout ce cirque, si on prenait enfin en compte les demandes de TOUS les professionnels du droit, et notamment du droit pénal, et si on mettait à  profit toute l’énergie dépensée dans ces contestations forcées pour les mettre dans de vastes Assises du Droit Pénal, sorte de forum permanent où tout praticien pourrait exprimer ses idées, tous bords confondus et avec la représentation la plus directe possible, le moins d’intermédiaires possibles, et le moins du moins du moins possible de théoriciens de cette matière qui n’ont pas la moindre idée de son fonctionnement concret, si ce Forum amenait à  une totale réécriture de nos règles dans un langage compréhensible, humain, équilibré, et basé sur la pratique et la réalité des vraies nécessités, enfin ??

Si NOUS la faisions maintenant, la Révolution Pénale, et la bonne ??

Ma dernière conclusion5 sera vaguement littéraire, histoire de cadrer avec le titre, qui je vous le rappelle était une référence à  l’Illiade, en toute modestie évidemment : dans cette splendide histoire, Achille n’est pas content, parce qu’il estime qu’on l’a spolié, et part donc de la guerre de Troie, il n’est pas du genre à  rigoler, croyez-moi; mais son meilleur ami/amant, Patrocle, s’y fait tuer, alors il est fou de douleur, et revient se battre comme un démon, et tue tout le monde, notamment Hector, dont il traîne le cadavre derrière son char autour de la ville assiégée en guise de déshonneur ultime. Priam, le roi de Troie, le supplie de lui rendre le corps du héros pour lui restituer sa dignité, et Achille accepte finalement.

Remplacez, dans le grossier résumé6 ci-dessus, “Achille” par “praticiens du droit”, “Troie” par “Ministère de la Justice”, “Patrocle” par “Justice”, “Hector” par “Législateur” (au sens large et inexact de “décideur du droit”), et “Priam” par “Président de la République Française qui a nous dit-on été avocat en plus dans une première vie” …

Moi, je vous le dis, dignité et honneur ou pas, si je pars à  la guerre, faudra pas me demander de rendre le corps.

PS : Un gendarme voulant rester anonyme m’écrit en substance que c’est pareil partout, mais qu’eux ne peuvent que la fermer, pour l’instant, en me permettant donc juste de publier cette image (il n’appartient pas à  l’unité concernée, je le dis au cas où), effectivement très parlante…

Gendarmerie à  vendre -il n'y a pas qu'elle...

PS 2 : Le génial Fleuryval présente une solution, une vraie, pour les mineurs, qui ne peut que rendre enthousiaste et admiratif (lire les commentaires ci-dessous pour comprendre comment il a pu avoir l’idée, toujours géniale, de nous la présenter ici, son idée !) : dégustez ça ici, et si vous avez notamment le moindre pouvoir décisionnel dans ce domaine, sautez dessus !!

  1. Je remercie mon géniteur, ancien professeur de grec ancien apparemment pas trop décati, pour l’instantanéité de cette traduction, ainsi que m’avoir éclairé sur Thémis, en réalité non pas déesse de la Justice, contrairement à  ce qui est communément admis, mais déesse de… La Loi, ce qui évidemment change tout !! []
  2. Ce site est sobre mais efficace… Evidemment, au lieu de s’adresser à  votre serviteur, qui y aurait mis des tas de gadgets et des jolies couleurs attractives, on a demandé à  un informaticien de le construire, pfff… Enfin, ce que j’en dis ! []
  3. J’avais une fois préconisé que nous allions nous coucher en robe devant les trains sur les voies ou sur les pistes d’envol des avions, histoire au moins que nos grèves gênent les salariés de la SNCF et d’Air France, pour une fois et contrairement à  l’habituel inverse : ma motion a été rejetée par le Conseil de l’Ordre… []
  4. J’avoue que le titre officiel de son auteur, qui sentait le langage ministériel, donc totalement vain, à  plein nez, ne m’avait pas laissé entrevoir l’extrême franchise, l’impartialité et le réalisme de ce travail… []
  5. les précédentes ne pouvant donc pas en être, des conclusions, par définition, je sais, mais je fais ce que je veux ! []
  6. Issu de mes souvenir d’enfant et de collégien, hum, et d’un rafraîchissement rapide de mémoire effectué téléphoniquement par mon géniteur, dont j’ai pu louper un ou deux épisodes, j’espère qu’il ne vient pas de se mettre à  pleurer en constatant mon éventuelle incurie : Papa, pardon, si oui..! []