Double Je (II)

L’audience n’est ouverte que depuis une poignée de minutes, et je jurerais que les choses sont déjà  mal engagées pour Victor. Il “passe” mal, très mal. Le problème avec lui, c’est que quoi qu’il dise, il paraît mentir. Le président vient de lui demander de confirmer son état-civil, et aussi étrange que cela puisse paraître, Victor, le regard fuyant, qui se tortille dans le box en se rongeant les ongles, a l’air de mentir jusque sur sa date de naissance.

Le tirage au sort des jurés commence. Laura me laisse exercer le droit de récusation ; la constitution du jury est un peu moins importante pour elle que pour moi, sa cliente sera de toutes façons condamnée à  l’issue de ce procès, nous le savons tous. Une première jurée potentielle est appelée, je la récuse, ainsi que deux autres, peut-être par habitude des affaires de mœurs, pour lesquelles j’essaye généralement de limiter le nombre de jurées, pour éviter autant que possible tout phénomène d’identification à  la victime. L’Avocat général bondit et récuse trois hommes coup sur coup, mais le jury sera finalement à  majorité masculine.

Serment prêté, les jurés écoutent avec la Cour le greffier lire l’ordonnance de mise en accusation. Le regard d’un juré, puis de deux, s’attarde pesamment sur Victor tandis que l’on décrit la découverte de la victime, ses blessures et sa mort. J’espère avoir choisi au mieux, il n’est de toutes façons plus temps d’y réfléchir.

Les témoins de personnalité se succèdent sur cette première matinée, assez rapidement, car ils sont peu nombreux. Ce sont essentiellement les membres de la famille de Victor, sa curatrice étant seule venue témoigner pour Cécilia. Tous décrivent un couple de marginaux, alcooliques, toxicomanes, incapables d’assurer l’éducation de leurs enfants, dont le placement a fait le désespoir de la mère de Victor. Aucun ne semble comprendre comment leur famille d’honnêtes travailleurs a pu produire pareil phénomène. Malgré tout, ils ont tenu à  venir le soutenir au cours de ce procès comme durant sa détention provisoire : il est leur fils, leur frère.

C’est ensuite au tour des experts de venir évoquer les divers rapports remis au juge d’instruction, médecin légiste, psychiatres, psychologue. Je questionne particulièrement les Drs ABIDAL et TREZEGUET, qui ont mené la contre-expertise psychiatrique de Victor et n’ont pas conclu à  l’altération de son discernement et du contrôle de ses actes, contrairement au Dr HENRY. Ils expliquent leurs divergences par le fait que la médecine est un art, pas une science exacte.

Cécilia est ensuite la première à  être interrogée au fond, et sans surprise, maintient les accusations qu’elle a portées à  l’encontre de Victor dès son placement en garde à  vue. Elle lui attribue l’initiative de l’agression, le choix de la victime, la planification de la violence à  exercer. Elle lui attribue l’essentiel des coups portés, les plus violents, et l’étranglement qui a laissé les marques si visibles sur les photos. A la demande du président, elle précise qu’elle sait bien que charger Victor ne diminuera ni ses torts, ni la condamnation à  venir, et rappelle qu’elle n’accuserait pas gratuitement le père de ses enfants, alors qu’elle préfèrerait que ses fils grandissent en voyant au moins un de leurs parents, consciente qu’elle est de devoir pour sa part rester incarcérée de longues années encore.

Dans mon dos, Victor tremble de rage. Il n’arrive pas à  comprendre pourquoi elle paraît systématiquement plus crédible que lui.

Son interrogatoire à  lui tourne court : il n’a jamais mis un pied dans cet appartement, n’a jamais violenté qui que ce soit, n’a jamais volé. “Vous n’êtes pas quelqu’un de violent ?” lui demande le président. “Non.” “Comment expliquez-vous alors les multiples mains-courantes déposées par votre ex-compagne, les déclarations de vos propres parents, de vos amis, les hospitalisations de Cécilia ?…” Aucune réponse, évidemment. Quant aux aveux, il a été roué de coups par les policiers, il le répète. Les jurés prennent des notes, avec pour certains la moue sévère de celui auquel on est en train de mentir éhontément.

Je me rappelle ma première entrevue avec Victor. Laura était de permanence et avait donc été appelée par la PJ pour s’entretenir avec les deux gardés à  vue, mais soupçonnant des intérêts contraires, m’a demandé d’intervenir pour lui tandis qu’elle s’occuperait de Cécilia. Dans le réduit réservé aux entretiens des gardés à  vue avec leurs avocats, il m’a paru terrorisé, me répétant constamment qu’il n’avait rien fait, qu’elle voulait le faire tomber pour se venger. J’ai tenté de le calmer, je lui ai recommandé de ne rien dire dont il ne soit absolument sûr, ou de ne rien dire du tout s’il se sentait perdu. Lorsque par la suite, j’ai pris connaissance de la procédure lors de la première comparution de Victor devant le juge d’instruction, j’ai constaté qu’il avait fait exactement le contraire, en accusant d’abord un tiers, puis en avouant sa propre responsabilité. Difficile de savoir quand le croire, me suis-je dit.

Lorsqu’il entend Cécilia affirmer, au retour de la suspension suivante, qu’il lui a proposé 3000 euros si elle revient sur ses accusations, il explose. Le président demande aux policiers si les accusés ont pu s’entretenir sans qu’on les entende, le chef d’escorte répond qu’effectivement, Victor a murmuré quelques mots à  l’oreille de Cécilia en la croisant entre deux portes. Prié de révéler ce qu’il lui a dit, Victor ne répond pas. Deux gardes doivent désormais s’asseoir entre eux dans le box.

Le témoin suivant est l’un des deux directeurs d’enquête, celui qui s’est plus particulièrement occupé de la garde à  vue de Cécilia. Il rappelle que celle-ci est immédiatement passée aux aveux, en s’impliquant tout autant que son compagnon. Qu’elle paraissait soulagée de pouvoir tout dire. Qu’elle paraissait aussi trop bête (pardon, “limitée”) pour tout inventer.

C’est son collègue qui m’intéresse davantage, bien sûr. Le commandant qui a suivi la garde à  vue de Victor, dont celui-ci me chuchote dès qu’il le voit s’avancer vers la barre que “c’est lui qui m’a donné les coups.” Lorsqu’il a fini de retracer le déroulement de la garde à  vue, je demande à  haute voix à  Victor si cet homme est bien l’auteur des violences policières qu’il dénonce. Victor se dresse aussitôt dans le box comme un diable surgissant de sa boîte, le doigt tendu : “Ouais, enfoiré, c’est toi qui m’as tabassé, je te reconnais !” Bizarrement, cette déclaration sonne complètement faux, surjouée, je le vois dans le regard de la Cour et du Ministère public, sans même parler de ma consoeur de la partie civile, qui souffle comme une forge en levant les yeux au ciel. Le policier a beau jeu d’assurer ensuite, la main sur le coeur, vivante image de la vertu outragée, qu’il n’a jamais ne serait-ce qu’effleuré un gardé à  vue, que ce n’est “pas le genre de la maison”, qu’il tient son dossier administratif à  disposition de la Cour si quelqu’un veut y chercher trace de comportements contraires au Code de déontologie. Je l’interroge avec persistance sur les conditions de cette garde à  vue, sans pouvoir non plus faire exagérément durer ce moment sous peine de passer pour acharné, et pour tout dire de mauvaise foi. Peine perdue, il ne lâche rien.

Le passage de Farid A. à  la barre des témoins parachèvera l’image de menteur pathologique dont je sais qu’elle colle déjà  à  Victor depuis le début de ce procès, en y ajoutant un aspect revanchard et calculateur qui cadre difficilement avec l’hypothèse de l’innocent accusé à  tort.

Je profite d’une suspension pour conseiller à  Victor d’en dire le moins possible dorénavant, jusqu’à  la clôture des débats. Il ne comprend pas trop, c’est son procès après tout, comment va-t-il convaincre les juges de son innocence s’il se tait ? Je lui demande de me faire confiance. Comment lui expliquer qu’il paraît s’enfoncer à  chaque mot ?

Je n’écoute que d’une oreille la plaidoirie de la partie civile, qui comme il est généralement d’usage épouse la thèse de l’accusation, et décrit avec un luxe de détails macabres l’interminable agonie de Johanna B., battue et laissée pour morte par les deux monstres dont la condamnation est attendue par toute une famille.

Les réquisitions sont ensuite conformes à  ce que j’en attendais, conformes au règlement1, évidemment. 25 ans pour les deux accusés, rien d’étonnant, sauf peut-être pour Laura, qui espérait un quantum requis moins élevé eu égard à  l’altération du discernement et du contrôle de ses actes relevé par le Dr HENRY chez Cécilia.

Laura prend la parole pour la défense de Cécilia, en “plaidant la personnalité”, c’est à  dire en se plaçant dans l’optique de la peine que la Cour ne va pas manquer de prononcer. Femme battue, mère privée de ses enfants, toxicomane sous curatelle : qui pourrait rester insensible en entendant l’histoire de Cécilia, cette déchéance continue que dépeint justement ma consoeur, et qui n’avait que peu de chances de finir ailleurs qu’aux Assises ?

La personnalité de Victor ne mériterait pas moins d’intérêt de la part de ses juges, mais je ne peux pas adopter le même angle que Laura, puisque je veux obtenir son acquittement. Pas de “subsidiaire” en pénal : affirmer d’une part que Victor n’a pas commis les faits qu’on lui reproche, tout en expliquant d’autre part que l’éventuelle peine  que l’on pourrait “par extraordinaire” lui infliger devrait être adaptée à  sa personnalité constituerait un grave contresens.

L’examen des faits et des preuves présentées par le Parquet devra donc suffire à  disculper Victor.

Je me lève, balaye juges et jurés du regard, et leur rappelle en préambule que mon rôle n’est pas de défendre une thèse irréaliste dès lors qu’elle est celle de mon client, mais de m’assurer que celui-ci puisse bénéficier de l’ensemble des droits qui lui sont reconnus. Qu’ils ne doivent le condamner que s’il ne subsiste pas dans leur esprit le moindre doute concernant sa culpabilité. Qu’il appartient au Ministère public d’apporter la preuve irréfutable de cette culpabilité.

Or le Parquet n’avance en définitive que deux éléments probants dans ce dossier : les accusations de Cécilia et les aveux de Victor.

Les premières peuvent facilement être combattues : la personnalité de Cécilia comporte suffisamment d’éléments de nature à  rendre discutables ses affirmations. Elle avait au moment des faits des raisons d’agresser Johanna, elle avait déjà  été condamnée à  plusieurs reprises pour vols aggravés, contrairement à  Victor, et pouvait parfaitement passer à  l’acte sans avoir besoin d’y être poussée par qui que ce soit. Son absence d’intérêt à  impliquer Victor n’est pas un dogme : elle peut parfaitement avoir décidé de ne pas “tomber” seule, elle peut lui en vouloir (il est après tout établi qu’il l’a fréquemment battue), elle peut enfin vouloir “couvrir” son co-auteur par peur, par amour ou que sais-je. Il est d’ailleurs tout à  fait possible que Cécilia ait agressé Johanna B. sans être aidée de quiconque : son saignement sur le fauteuil peut s’expliquer d’autres manières que par un coup porté par un éventuel co-auteur, à  commencer par un mouvement de défense de la victime elle-même.

J’insiste sur le fait, essentiel, que l’ADN de Victor n’a nullement été retrouvé dans l’appartement de Johanna, non plus que ses empreintes digitales, alors que Cécilia a laissé profusion de traces exploitables tout en affirmant avoir été moins violente que son compagnon à  l’égard de la victime. Il est inimaginable que dans le cadre décrit (présence de plusieurs heures dans l’appartement, multiples actes de violence, fouille minutieuse du logement), Victor ait pu agir ainsi que Cécilia le décrit sans laisser une seule trace de son passage sur les lieux ou le corps de Johanna B..

Quant aux aveux de Victor, de même que l’ensemble des mensonges et approximations qui ont pu lui être reprochés au cours de l’instruction comme du procès, ils peuvent s’expliquer autrement que par la certitude de sa culpabilité.

Victor n’est ni un surhomme, ni même un citoyen modèle, juste un paumé dont le chemin a croisé celui d’une femme aussi marginale que lui. Leur vie ensemble a été chaotique, leurs responsabilités en la matière partagées. Difficile, dans ces conditions, de se présenter serein et inébranlable devant des policiers qui lui affirment détenir la preuve de sa culpabilité, et lui laissent entrevoir qu’il s’en sortira à  meilleur compte en se montrant coopératif.

Devant les policiers, puis le juge d’instruction, jusque devant la Cour d’assises, Victor n’a tout simplement jamais eu les moyens d’apporter à  chaque question la réponse nette et précise que l’institution judiciaire attend du justiciable standard, qui peut pourtant légitimement peiner à  la lui fournir : “oui, je me souviens très bien de ce que j’ai fait au cours de la soirée du 29 novembre, il y a six semaines : tout d’abord, de 19 h 15 à  19 h 30, j’ai …”. Tel un lapin pris dans les phares d’un camion, il a essayé de donner à  chaque question posée la réponse qui lui permettrait de s’en sortir du mieux possible. Même pas besoin d’user de violence à  son égard : la menace de la prison avait largement suffi, dès les premières heures de garde à  vue, à  le plonger dans l’état de panique dans lequel je l’ai trouvé lors de notre premier entretien. Alors il a d’abord accusé Farid, en ne voyant probablement pas plus loin que les quelques minutes pendant lesquelles il allait pouvoir respirer avant qu’on ne le coince. Puis il a fini par avouer, parce que c’était finalement plus facile, conforme à  ce qu’on attendait manifestement de lui, conforme d’ailleurs au point que chaque élément de ces aveux se trouvait déjà  en possession des enquêteurs grâce aux accusations de Cécilia (hormis cette fumeuse histoire de bouteille évoquée par le Ministère public, dont j’affirme qu’elle ne démontre rien), et parce qu’il devait espérer pouvoir revenir sans mal sur ses déclarations une fois sorti du cadre de la garde à  vue, devant un juge. Et il doit être relevé que dès qu’il en a eu la possibilité, Victor a rétracté ses aveux auprès du juge d’instruction, même s’il s’est contenté de se taire lors de sa première comparution devant lui, c’est vrai.

Même attitude lorsqu’il a dû décrire les actes violents qu’il a dit avoir subis : peut-on vraiment attendre aujourd’hui de Victor, avec les moyens intellectuels qui sont les siens, qu’il se rappelle exactement à  quelle heure et dans quel ordre il s’est vu administrer, oh, presque rien sans doute, une tape sur l’épaule ou sur l’oreille, une bousculade, accompagnée de cris auxquels il ne s’attendait pas, par exemple ? Evidemment, de tels gestes ne laissent pas de traces susceptibles d’être constatées par examen médical. Evidemment, la tentation était grande pour Victor de forcer le trait, de transformer ces gestes en coups. Evidemment, ça n’a pu que le faire passer pour un menteur invétéré aux yeux du juge d’instruction, du Parquet et même de la Cour.

Même attitude irréfléchie enfin lorsqu’il a tenté de donner au juge d’instruction divers alibis pour la soirée du 29 novembre, et lorsqu’il a été contredit par Rafael et Ahmed (dont le témoignage, au passage, n’est pas nécessairement plus crédible que le sien). A chaque fois, tenter de s’échapper, jusqu’au prochain piège …

Alors non, ce n’est peut-être pas l’attitude rêvée de l’innocent modèle que Victor R. a adoptée, mais avait-il vraiment les moyens d’en choisir une autre ?

Il n’y a aucune preuve tangible dans ce dossier de la culpabilité de Victor. Une Cour d’assises ne peut pas emprisonner quelqu’un pour 25 ans, comme le réclame l’Avocat général, en s’appuyant sur un dossier vide, sur de simples présomptions.

Les débats sont maintenant clos, la liste des questions et l’avertissement (magnifique) aux jurés sont lus par le président, la Cour se retire pour délibérer.

Si j’ai réussi à  instiller le doute dans l’esprit de cinq juges ou jurés quant à  la culpabilité de Victor, il sera reconnu innocent.

Je sors dans la cour en compagnie de Victor (et de son escorte, bien sûr), je lui offre une cigarette, il est anxieux de savoir s’il s’est bien comporté (je le rassure vaguement), il me demande si tout s’est bien passé, si ça va aller. Je n’en sais rien, mais je lui dis que je l’espère. Il retourne ensuite attendre dans la salle des témoins, désormais vide, tandis que Laura et moi allons patienter dans les locaux de l’Ordre.

Deux heures passent, j’arpente la salle des pas perdus et vois soudain l’huissier se diriger précipitamment vers la salle des délibérés, l’Avocat général et le greffier arrivent presque aussitôt, tout le monde retourne dans la salle d’audience. “Délibéré court, c’est très bon ou très mauvais” murmure machinalement Laura.

L’audience reprend, le président rend le verdict. Je croise le regard de l’Avocat général. Je sais que nous nous retrouverons tous dans quelques mois.

[La parole est à  l’Accusation]

  1. Autre nom donné au réquisitoire définitif rédigé par le Parquet à  la fin d’une information judiciaire. []

121 Commentaires

  1. Metryll
    Par une belle nuit d'insomnie, j'en vint à voyager jusqu'à la charmante ville de Villeouvoulez, nichée au coeur du Môdepartement.

    J'en visitais les nombreux chaîs, dont certains crûs après 10 ans d'âge n'avaient qu'embellis en robe (d'avocat).


    Dans l'un deux je crû même voir passer la silhouette diaphane au visage triste d'Histoire Noir VI...(Oui je sais. C'est bas. Honte à moi)

    Puis je découvris le cépage "Double Je" dont le second crû bien qu'excellent me chatouilla les lobes frontaux à deux reprises.

    La première fois parce que le texte indiquait qu'aucune empreinte ou trace de Victor n'avait été relevée. En parcourant les commentaires je vis que le point avait été soulevé. Et la réponse de Marie provoqua le second chatouillement.

    Et le chatouillis des lobes frontaux en pleine insomnie, c'est un peu comme essayer d'éteindre un feu de forêt au kérosène...

    Voici Marie que je permet d'oser citer (en espérant éviter l'outrage à magistrat)

    "Le défaut de preuves matérielles de la présence de Victor sur les lieux n'est pas davantage un argument absolu pour l'innocenter : aussi curieux que cela puisse paraître, il arrive qu'un crime particulièrement violent ne laisse pas forcément de traces. Je me souviens par exemple d'un viol suivi de meurtre commis par un homme de niveau intellectuel extrêmement bas, sans préméditation (donc sans avoir pris aucune précaution en vue de ne pas laisser de matériel génétique sur la scène de crime) et dans des conditions "physiques" très mouvementées, le tout en quelques minutes à  peine. "

    Chatouillis : Combien de temps faut il avant que n'apparaisse la première "trace"  d'un des protagoniste dans le cadre de cette affaire où, sauf erreur de ma part, de telles traces existent ?

    Je n'ai pas la réponse mais on peut tenter d'évaluer un autre élément de l'affaire qui est également en relation avec l'existence, ou non, de "traces" :

    Question : Quelle est la probabilité que Victor ait été présent sur les lieux du crime ?

    Réponse : On ne sait pas. Mes connaissances en proba sont très basique mais intuitivement je ne pense pas que l'on puisse la calculer.

    Avant de continuer prenons le temps de poser quelques définitions :

    * On appellera Information toute donnée présente sur la scène de crime. En gros tout ce qui était présent, empreinte ADN etc qui n'aurait pas été présent si le crime n'avait pas eu lieu.

    * On appellera Contact toute Information que l'on peut rapporter de façon univoque (exclusivement) à l'un des protagoniste.

    * On appellera N, le nombre d'Informations collectées sur la scène de crime. La somme des contacts étant bien évidement inférieure ou égale à N.

    * On appellera Probabilité le quotient des cas favorables par le nombre de cas possible (C'est tout bêtement la définition d'une proba).

    Autre question : Quelle est la probabilité pour que Victor ait été présent sans qu'aucun contact le concernant n'existe ?

    Et ça pour le coup, à N donné, on peut parfaitement la calculer. Youpi.

    Pour calculer notre probabilité, nous avons donc besoin d'un numérateur et d'un dénominateur.

    Attribuons la valeur 0 (zéro) à Cécilia et 1 à Victor pour chaque type de contact et considérons N = 1.

    Une empreinte sur la porte d'entré par exemple. Quelle est la probabilité que cette information soit un contact d'un protagoniste donné ?

    On obtiens deux cas : 0 (Cécilia uniquement) et 1 (Victor uniquement). La probabilité que Victor ait laissé une empreinte est alors de 1/2. Idem pour Cécilia. 1/2 + 1/2 = 1 On retombe bien sur l'existence de l'empreinte.

    Ajoutons un cendrier, 4 cas :

    00 Cécilia uniquement

    01 Cécilia sur la porte, Victor sur le cendrier.

    10 Cécilia sur le cendrier, Victor sur la porte.

    11 Victor uniquement.

    On peut continuer en rajoutant un siège, un montant de porte etc...

    Le nombre de cas possible à N donné est alors égal à 2 puissance N (noté usuellement 2^N). C'est à dire 2 multiplié par 2, N fois.

    Nous tenons notre dénominateur : 2^N, qui est de nature exponentielle.

    Quand au numérateur il correspond aux valeurs attribuées lorsque Cécilia apparaît seule à N donné. C'est à dire zéro et c'est une valeur unique pour chaque N. Notre numérateur est donc 1.

    Ce qui nous donne la probabilité à N donné : 1 / (2^N).

    Comme le dénominateur ( D ) est quasi exponentiel, quand N croît, la probabilité tend rapidement vers 0.

    Pour N = 16, D vaut 65536.

    Pour N = 31, D vaut plus de 2 milliard.

    Mais même pour une valeur plus modeste comme 6 (D = 32) les chances que Victor est été présent sans laisser de "traces" sont aux alentours de 3% contre 97% qu'il ait laissé une "trace".

    Conclusion : le "Victor du texte" (par opposition avec le "Victor réel", celui qui purge actuellement sa peine) n'a probablement jamais été présent sur la scène de crime.

    Il se peut aussi que je me sois complètement planté dans mon raisonnement. Au quel cas j'en appelles à l'indulgence du tribunal et désigne maître Mô comme mon avocat d'office. Pardon ? Il est le plaignant ? Aïe...

    En espérant cher maître que vous pardonnerez cette abominable interminable incursion de la Science dans ce temple du Droit. Mais un chatouillis des lobes frontaux, c'est quand même quelque chose...

    (NB : Certains auront reconnu la notation binaire que nous informaticiens avons l'habitude d'utiliser assez fréquemment d'où les 16 et 31 apparemment sortis de nul part. Mais comme dans le même temps les étudiant en fac de Droit prennent rarement Binaire seconde langue, je n'ai  pas trop "poussé" dans cette direction.)
    1. Metryll
      Sincèrement désolé pour le pavé, mais mes sauts de lignes savamment placé afin de faciliter la lecture ont été dévorés avec la plus grande voracité par le logiciel à l'édition. :(
      1. Maître Mô
        - Commentaire n° 33.1.1
        C'est moi qui le suis, Metryll, en principe effectivement l'affichage devrait conserver vos sauts de paragraphes et de lignes - et soudain ne le fait plus, je ne sais pas pourquoi...

        Je replonge sous le capot et vois ça... Désolé. :oops:
    1. La réponse est cachée au sein des commentaires : 20 ans pour les deux, en première instance comme en appel, la seconde audience ayant eu lieu six mois après. En l'occurrence, c'est l'accusé qui a fait appel, mais en cas d'acquittement, c'est moi qui l'aurais fait. Nous savions donc, dès le départ, que sauf revirement fondamental au cours du premier procès, nous irions de toutes façons en appel.
      1. tribuolo
        Ah, je ne lis jamais les commentaires ou rarement. Moi je l'aurais condamné car il avait des gants. Par contre 20 ans ca ne fait que 10 ans avec les libérations conditionnelles. Les jurés sont ils informés que leur condamnation sera réduite de moitié par l'administration pénitentiaire?

        Par contre, excusez-moi de vous demander pardon mais vous êtes qui? Je croyais qu'il s'agissait du site d'un avocat lillois? C'est comme chez Eolas, d'autres personnes publient des billets? seriez-vous une substitute ou alors une avocate du même cabinet que Maître Mô qui s'est placée dans la peau d'un procureur ?
        remarquez je suis excusable, je ne viens pas souvent, je suis chez Eolas, la dernière fois que je suis venu c'était suite à  l'affaire des réunionnais avec un rocher et une fille blonde assassinée dessus.
        1. - Commentaire n° 32.1.1.1
          Les jurés suivent, au début de chaque session, une journée de formation au cours de laquelle on leur expose effectivement les principes de base de l'application des peines. Au passage, j'en profite pour vous assurer que la libération conditionnelle n'est nullement un droit (Maître Mô pourrait vous parler à  ce propos de celles que certains de ses clients se voient refuser malgré des dossiers "béton"), mais une mesure que les juridictions d'application des peines n'accordent jamais à  la légère. Quant à  mon identité, je vous confirme que je ne suis ni lilloise, ni avocate (à  Dieu ne plaise), que je ne chausse pas du 45, bref, que je ne suis pas Mô, mais juste une juge avec qui il cohabite (comme disent les grenouilles - pardon, je n'ai pas pu m'empêcher de la faire) afin
          de ne pas laisser son blog à  fond de cale lorsqu'il manque de temps pour le faire vivre. Un peu comme chez Eolas effectivement (bien qu'il ne semble jamais en panne, lui), où personne d'ailleurs ne vous reprochera d'être - nous y allons tous, nous aussi !
          1. tribuolo
            - Commentaire n° 32.1.1.1.1
            Ah parfait, merci pour ces précisions, en lisant 1 commentaire sur 10, j'avais cru comprendre entre temps que vous étiez l'épouse de Maître Mô et magistrate du Parquet.
            1. - Commentaire n° 32.1.1.1.1.1
              Elle aimerait bien !

              Mais Marie a eu la discourtoisie d'épouser un autre avocat, et j'ai moi-même eu celle d'épouser une autre magistrate : dans la mesure où les deux divorces croisés seraient donc, par essence, absolument atroces, nous avons donc décidé de nous en tenir à  cette situation !
  2. Pingback : Un petit mot sur Maître Mô et mes affaires de (future) juriste | Mademoiselle la juge

  3. Fieffégreffier
    Ouuuhh la la cher Maître, la Fiéffécommère se rebiffe ! Je vraiment n'ai pas pensé une seconde que l'avocat aurait pu produire un faux. Je me posais juste la question de savoir pourquoi avoir attendu ce laps de temps, Victor contestant les faits et expliquant qu'on lui a extorqué ses aveux (ce qui, pour le coup, me dérange énormément :twisted: ). Qu'il demande à  son avocat de ne pas donner sa note lors de la GAV craignant de s'en prendre encore une rafale, ça je le comprends. Mais dans ce cas là , l'avocat peut tout de même en parler au procureur de permanence qui est quand même responsable des conditions de GAV. Ou bien pourquoi ne pas donner cette note lors de la présentation devant le juge d'instruction.
    Voilà , c'était juste des questions que je me posais et vraiment pas une critique sur la défense de Victor.
    Et donc, je vous remercie pour vos explications. Si je comprends parfaitement les explications "1 et 2" et j'ai un peu plus de mal à  concevoir l'explication "3".

    Sur ce, je retourne sur mon transat en compagnie de Marie :P

    PS : mon juge (dans une trèès grande juridiction) va régulièrement prolonger les GAV (plus spécialement dans les affaires criminelles).
  4. Fieffégreffier
    Oui, j'avoue aussi que je ne comprends pas très bien.
    Hé hé désolée pour la question qui dérange mais d'habitude je ne peux pas en poser alors j'en profite (... greffier d'instruction :!: ). Alors zou, j'en pose encore une pitite : était-ce le même avocat à  l'instruction et aux assises ?
      1. Mais c'est fini, les deux commères, là , oui, on peut bouffer son sandwich tranquille ?

        Il peut y avoir une dizaine de bonnes raisons, toutes plus valables les unes que les autres... Et le fait que je n'en trouve pas, là , à  l'instant, ne veut pas dire qu'elles n'existent pas !

        Non, plus sérieusement, quand-même :

        - d'une part, une instruction formelle du client, dans notre métier, ça se respecte ; on essaye de convaincre si on est certain qu'elle est mauvaise, mais si elle est maintenue, soit on l'accepte, soit on cesse d'être l'avocat du monsieur...

        - mais à  mon idée, ce qui a pu se passer est que l'avocat, peut-être, a attendu sciemment, parce qu'il pensait que les déclarations de son client allaient peut-être évoluer -et que produire ce document, si par exemple des aveux tombaient finalement, serait tarte, soulignant la duplicité du bonhomme plutôt que l'aidant...

        - il est enfin (pour l'instant) possible qu'il s'agisse d'une négligence, pure et simple : l'avocat a rangé les observations dans un coin de son dossier, voire de son bureau, et pour lui elles sont hors débats, puisqu'il n'a pas eu le droit de les utiliser. Puis les mois passants, il s'en souvient, par exemple parce que son client les lui rappelle...

        Parce qu'enfin, penser à  un faux pur et simple, si je suis bien vos non-dits scandaleux, me semble un peu énorme : l'intérêt est minime, puisqu'on sait que les observations d'avocat, et encore moins les "non enregistrées", ne font guère foi, ne faisant que reprendre les doléances de la personne, sauf constat personnel ; et le risque en revanche paraît majeur -sans parler bien sûr du fait que c'est un avocat, c'est à  dire un homme qui, contrairement aux greffiers ou aux magistrats, ne ment ni ne truque jamais. :P

        Et alors, Marie, le juge d'instruction qui débarque à  l'improviste chez les policiers, lesquels ne l'aperçoivent pas car il est maigre comme une barreau de cellule, et continuent à  porter les coups dénoncés devant lui... Non, mais, franchement ?

        Déjà , faudrait qu'il ait crû l'avocat, et plus encore ce que le client de l'avocat lui aurait dit, ensuite qu'il se déplace, et enfin que l'avocat accepte de considérer qu'agir ainsi dans ce but ne revenait pas purement et simplement à  trahir le client...

        Bon, là  dessus, je reconnais tout à  fait que le procédé est étrange, mais, surtout, ne jugeons pas trop vite, n'est-ce pas... Au cas où on se tromperait !

        C'est ce que je m'en vais suggérer de ce pas au tribunal correctionnel, tiens.
        1. - Commentaire n° 29.1.1.1
          Désolée d'avoir tardé à  te répondre, mon cher Maître, j'étais retenue sur mon transat ...

          Bon, sur le fond, tout ce que tu avances me paraît pouvoir être combattu :
          - le respect de l'instruction formelle, d'accord, mais pourquoi alors cesser de la respecter neuf mois plus tard, soit, à  la louche d'après mes souvenirs, à  peu près huit mois après que son client a commencé d'évoquer les violences policières ? Ou alors, il ne se souvenait plus de l'endroit où il l'avait rangé (dans un dossier criminel, perpète encourue, très crédible). Tu imagines la scène : "Dites, Maître, vous vous rappelez quand je vous avais dit que les policiers me giflaient ? Vous n'auriez pas encore le papier dans un coin, par hasard ? - Bien sûr, cher client, je vais chercher ça tout de suite. Euh, étant quelque peu bordélique néanmoins, je ne vous promets pas de vous le ressortir tout de suite, mais d'ici six à  huit mois, je devrais l'avoir retrouvé ..."
          - attendre sciemment en cas d'évolution des déclarations du client : même remarque, le délai entre l'évolution en question (qui s'est produite dans le mois de son interpellation) et la communication de la chose au dossier ne s'explique pas.
          - la négligence : Dossier Criminel. Normalement, de ce que je sais des cabinets d'avocats bordéliques, ces dossiers-là  au moins sont plutôt bien tenus. Et puisque les instructions étaient hors débats, pourquoi avoir conservé le papier si l'idée générale était qu'il n'avait pas le droit de s'en servir ?
          D'ailleurs, maintenant que j'y pense, c'est crédible, la version selon laquelle au cours de l'entretien, le gardé à  vue explique être battu, regarde son avocat rédiger soigneusement ses observations, puis se ravise au moment de la signature du papier par ledit avocat ?...

          D'accord avec toi sur la probabilité réduite du faux pur et simple, ça n'a pas d'intérêt. C'est bien pourquoi, cher petit avocaillon suspicieux, je n'affirme pas que ton confrère en ait effectivement commis un (je ne me le permettrais jamais, j'adore les avocats, leur beauté naturelle, leur intelligence, leur droiture, leur éloquence, leur statut libéral, encore merci pour le cadeau d'hier, mon cher époux - message personnel en passant). Je ne m'explique absolument pas son procédé, voilà  tout.

          J'attends en tout état de cause avec une certaine impatience les sept autres bonnes raisons de l'expliquer que tu promettais de trouver ...

          Dernière précision enfin : je ne sais pas si les conditions d'exercice de mes collègues dans les grosses juridictions que tu fréquentes le leur permettent, mais à  titre personnel, il m'est arrivé (une seule fois, mais quand même) de débarquer à  l'improviste (hors prolongation de GAV, j'entends) dans le commissariat où précisément Victor a été gardé à  vue, parce que l'avocate d'un mis en cause l'avait trouvé en mauvais état et était venue m'en parler, craignant des interrogatoires un peu ... appuyés. Bien sûr, je n'ai pas bondi dans leur bureau à  travers la fenêtre pour les surprendre, et étant un peu plus charnue qu'un barreau de cellule, je crois qu'ils m'ont repérée assez rapidement (ce sont des limiers, après tout), mais j'ai pu m'entretenir avec lui en privé, et tenter de voir de quoi il retournait. La taille de mon tribunal et la proximité des services enquêteurs me le permettaient, et l'auraient permis à  mon collègue juge d'instruction, s'il avait été alerté.

          Des observations en réplique, cher Maître ?... :P
          En attendant, je retourne sur mon transat.
  5. Fieffégreffier
    Oh la la, quel bel exercice de style Marie, bravo !!

    Une question me taraude ... L'avocat de Victor produit au bout de 9 mois sa note rédigée en GAV indiquant que Victor a été giflé et menacé pour qu'il reconnaisse les faits (ça c'est pas bien du tout :x ). Mais pourquoi donner cette note si tard (même si Victor le lui avait expressément demandé), a-t-il donné plus de précisions au juge d'instruction lorsqu'il transmet ce document ? Il me semble que c'est quand même dans l'intérêt de son client. Cette note a-t-elle été évoquée aux assises ? (oui je sais, ça fait deux questions en fait :D )
    1. Excellente question, dont j'espérais que personne ne la poserait à  mon "moi" avocat ( :? ), pour la bonne raison que je n'en ai pas la réponse ...
      C'était un gros point d'interrogation pour moi lors du procès (ce qui explique que je n'aie pas tenté de l'expliquer dans mon texte ci-dessus - mon imagination ayant des limites) : quel intérêt peut-il bien y avoir à  rester plusieurs mois assis sur sa note d'observations avant de la communiquer au juge d'instruction ? Pourquoi, surtout, ne pas renoncer à  ce que le papier soit joint à  la procédure au stade de la GAV puisque le client s'y oppose, mais en allant alerter immédiatement le juge du tabassage supposé avoir lieu sous son contrôle ? Lequel juge aurait dès lors parfaitement pu débarquer à  l'improviste dans les locaux de la PJ, histoire de se faire une idée des conditions de la GAV.
      Mystère ... :?:
      La réponse donnée lors du procès a été le simple rappel du refus de Victor de voir joindre la feuille à  la procédure. Peu convaincant, n'est-ce pas ?
  6. Si je tiens bien les comptes, se prononceraient pour la condamnation de Victor : Dan, Emmanuel, Maître Mô, Maître Ti (qui ne l'a pas écrit, mais me l'a dit), Hydra, Perdapen, Tinotino, Lucas et Axel.
    Laura G, Lambertine et Delio pencheraient pour l'acquittement de Victor.
    A 9 "jurés" sur 12, vous l'auriez donc condamné.

    Ce qui est conforme à  la décision réelle : 20 ans pour les deux accusés, en première instance puis en appel.
    1. Emmanuel
      Merci Marie pour ce petit exercice. Ce fut très intéressant et ça a demandé, en tout cas pour moi, de bien rentrer dans le "jeu" et de relire les articles avec attention.
  7. Nepenthes
    Je ne comprends pas comment on peut requérir deux peines strictement identiques pour deux personnes dont l'une a vu son discernement altéré.
    Je me dis que les Parquetiers, tout comme beaucoup de juges du siège d'ailleurs, donnent souvent l'impression de ne pas voir ce qui se passe devant eux, de ne pas comprendre, ni même d'essayer de comprendre les gens qui comparaissent devant eux.
    Pourquoi la même peine pour deux personnes dans une situation psychiatriquement différente ?
    1. Bien sûr que nous essayons de comprendre non seulement les faits, mais également les personnes qui passent en jugement. Autant les parquetiers d'ailleurs que les juges. Faute de quoi, il n'y aurait nul besoin de confier les fonctions judiciaires à  des êtres humains, n'est-ce pas ?

      Sur cette affaire en particulier, je me suis longuement posé la question de la peine à  requérir, et j'avais envisagé des réquisitions moindres pour Cécilia. Cependant, en analysant les faits, et en particulier l'étalement sur la durée de ceux qui lui étaient reprochés (plusieurs heures dans l'appartement, comme Victor, mais encore deux visites ultérieures lui ayant permis de constater la dégradation de l'état de santé de Johanna, l'imitation de sa voix à  travers la porte qui l'a privée d'une chance supplémentaire de survie, ainsi que son abstention de prévenir qui que ce soit - un appel anonyme était envisageable, après tout, voire tout simplement l'abandon du logement en laissant la porte ouverte, ce qui n'aurait pas manqué d'attirer un voisin, puis les secours) par opposition à  ceux qui avaient été commis par Victor de façon plus "instantanée", j'ai estimé que des réquisitions identiques étaient justifiées.
      1. walken
        > Cependant, en analysant les faits, et en particulier l’étalement sur la durée de ceux qui lui étaient reprochés ... par opposition à  ceux qui avaient été commis par Victor de façon plus "instantanée", j’ai estimé que des réquisitions identiques étaient justifiées.

        Ah, c'est interessant. L'avez vous explique lors de vos requisitions ? Je trouvais surprenant que la meme peine soit requise pour elle et lui.
          1. Javi
            - Commentaire n° 26.1.1.1.1
            J'allais dire que je ne comprenais pas pourquoi une peine identique pour des faits qui me paraissaient plus grave (le retour sur les lieux, la ruse pour éviter la découverte...)
  8. Delio
    Je ne sais pas si mon prononcé est légal, mais, pour ce qui est des faits reprochés, acquittement pour Victor, 20 ans pour Cécilia.
    Et pour tous deux obligations de soins pour leurs addictions à  l'alcool et aux stupéfiants. Pour Cécilia (si l'Administration Pénitentiaire avait des moyens) en prison, pour Victor dans la vie civile avec une menace d'internement administratif en milieu psychiatrique pour qu'il suive cette thérapie s'il refuse de s'y soumettre volontairement.
    1. Qsmb
      Je ne crois pas qu'une injonction de soins soit possible pour Victor si vous l'acquittez. Quant à  une hospitalisation d'office, elle suppose un trouble mental, ce qui n'est a priori pas le cas ici. Ceci dit, peut-être qu'un vrai pro peut corriger mes élucubrations... :lol:
    2. tinotino
      Si Victor est acquittté, il est alors déclaré innocent par la justice. Qu'est-ce qui justifierait dès lors une injonction de soins d'un point de vue légal? Rien... Soit il est coupable et à  ce titre, il est condamné à  une peine incluant certaines mesures voire même à  un suivi postérieur à  celle-ci, soit il est innocent et la justice ne peut rien prononcer à  son encontre. Quand bien même l'enquête aura démontré qu'il serait judicieux qu'il soit suivi médicalement en raison de ses addictions, cela n'est alors plus du ressort de la justice mais du domaine médical tout en sachant que pour ce genre de pathologies, si la personne n'est pas impliquée dans sa thérapie, autant ne rien faire car c'est peine perdue. La volonté de s'en sortir, c'est à  mon sens 70 % du travail. Et cela ne justifie aucunement une hospitalisation d'office, sauf à  ce que ce dernier mette gravement en péril son intégrité physique ou celle de tiers, ce qui ne semble pas être le cas. De plus, il ne souffre apparemment pas de pathologie mentale.

      Prenez l'exemple d'un alcoolique.... A force de consommation excessive, on peut considérer que sa santé trinque, qu'à  long terme sa vie sera en danger, mais jamais vous ne pourrez le forcer à  se faire soigner. Une personne atteinte d'une grave maladie telle que le cancer peut tout à  fait refuser de suivre un traitement, c'est son droit si tant est qu'elle possède toutes ses facultés mentales et qu'elle est en mesure de l'exprimer. Il incombe alors au médecin de tout faire pour la convaincre de l'intérêt du traitement en l'informant des conséquences qui découleraient d'une absence de soins médicaux.

      Dans le cadre judiciaire, une personne peut être soumise à  une injonction de soins dans le cadre d'un suivi socio-judiciaire après la peine ou à  l'occasion d'un sursis mise à  l'épreuve mais en aucun cas un médecin ne pourra la forcer à  suivre un traitement, ou à  se faire soigner, sous réserve, bien sûr, de son état mental. Elle doit consentir obligatoirement et c'est d'ailleurs ce qui pose problème certaines fois avec certains condamnés qui refusent toute prise en charge médicale pendant leur peine. Ils ont droit de refuser mais il en est forcément tenu compte dans le déroulé de la peine, les remises de peine; de plus, le non-respect du suivi socio-judiciaire ou des conditions du sursis mise à  l'épreuve sont sanctionnés. Il y a aussi le problème de moyens disponibles pour ceux souhaitant suivre une thérapie car il y a d'énormes carences dans ce domaine. Les moyens sont réduits comme peau de chagrin alors que de plus en plus de personnes incarcérées présentent des troubles psychiatriques ou psychologiques, soit antérieurs à  leur incarcération, soit se développant durant leur incarcération.
      1. Qsmb
        Je crois qu'il n'est plus possible de prévoir une injonction de soins dans le cadre d'un sursis mis à  l'épreuve. Mais c'est toujours possible dans le cadre d'un contrôle judiciaire (trop tard pour Victor), d'une surveillance judiciaire, d'un SSJ, d'une surveillance ou d'une rétention de sureté, mais ces peines ou mesures de sureté supposent une condamnation (ce qui n'est pas le cas de Victor dans notre hypothèse).
          1. Qsmb
            - Commentaire n° 25.2.1.1.1
            Très juste. C'est la suppression du suivant qui m'a enduit d'erreur. Merci pour l'info, mais, sinon, vous prenez quoi pour être toujours sur le coup comme ça ?!? :idea:
    3. D'accord avec QSMB et Tinotino : l'acquittement implique que l'accusé sorte "libre de droits" de son procès. Aucune mesure, quelle qu'elle soit, ne peut être prononcée à  son encontre.
      Par ailleurs, l'hospitalisation d'office est assujettie à  des conditions spécifiques indépendantes de la commission d'une infraction et dépend exclusivement de l'autorité administrative.
      Je prends note en tout cas de votre vote sur le fond du dossier, Delio.
      1. Qsmb
        Si on voulait même être un intégriste de la précision (ce qui n'est pas franchement mon cas) ou faire preuve d'un tout petit peu d'esprit de contradiction (ok, déjà  beaucoup plus :P ), on pourrait compléter en précisant qu'une hospitalisation d'office peut aussi être ordonnée par une juridiction (quand elle rend un jugement de déclaration d'irresponsabilite pénale).
        1. - Commentaire n° 25.3.1.1
          Si je peux : une injonction de soins est totalement inutile si le malade n'a pas conscience de l'être, et s'il y va "contraint et forcé". Le jour de sa sortie de cure, c'est le plongeon assuré.
          (Non, je ne crois pas un instant à  l'utilité sociale des injonctions de soins. Peut-être parce que je les ai vécues "de l'intérieur", même si je n'y étais pas soumise. Un type en désintox a déjà  terriblement dur de s'en sortir s'il vit cette épreuve de façon consciente et volontaire. S'il ne le fait pas, il n'a aucune chance.)
          1. tinotino
            - Commentaire n° 25.3.1.1.1
            Je partage entièrement votre avis mais le fait qu'elle soit prononcée peut parfois aider à  cette prise de conscience, enfin dans une certaine mesure. Maintenant, il est certain que les soins, autant pour un alcoolique que pour un toxicomane, ne peuvent réellement aboutir que si cela part d'une démarche volontaire et participative. C'est souvent difficile, par exemple, pour un alcoolique de reconnaître son alcoolisme, et de se considérer comme malade. Combien de fois peut-on entendre : "Mais non, je ne suis pas alcoolique. Je ne suis pas dépendant. Je n'ai aucun problème avec l'alcool ! " Partant de là , il devient ardu de soigner cette personne qui considère qu'elle ne souffre d'aucun mal, ou qui simplement cherche à  se cacher, se voiler la face, fuir ses faiblesses... Mais il faut bien proposer après tout, ça ne coûte rien. Il faut essayer...
        2. - Commentaire n° 25.3.1.2
          C'est exact, mais le prononcé d'une HO par la Cour d'assises impliquerait qu'il existe au dossier une expertise psychiatrique déterminant que les troubles mentaux de l'accusé nécessitent des soins et menacent la sûreté des personnes ou l'ordre public, ce qui n'est pas le cas ici.
  9. walken
    15 ou 20 ans pour elle, 25 pour lui.

    La defense de Victor ne tient pas car il aurait falu au moins presenter une ou plusieurs alternatives plausibles a sa culpabilite.
    1. Pourquoi "présenter une alternative" ? L'alternative, c'est qu'il est innocent "épiçétou", non ? Que l'accusation (pardon, Marie...) n'a pas pu démontrer sa culpabilité. Pour moi, elle ne l'a pas démontré. J'ai vu un type sans beaucoup de cervelle (pardon, Victor...) pris au piège et qui raconte un peu (et même beaucoup) n'importe quoi, tout en ne laissant aucune trace sur le lieu du crime (d'accord, ça peut arriver, mais...), c'est tout, et accusé par une personne qui s'est, elle, rendue dans l'appartement à  de nombreuses reprises pendant l'agonie d'une victime qu'elle n'aimait pas. Personne, soi dit en passant, que Victor avait battue à  plusieurs reprises, et qui est très (trop ?) claire dans ses déclarations (c'est un défaut chez moi, j'avoue. J'ai la fâcheuse tendance à  ne pas croire les histoires trop bien ficelées).

      Je crois donc qu'il n'y a qu'un seul coupable : Cécilia. Sa blessure ? Johanna a pu tenter de se défendre. L'ADN masculin ? Rien ne dit que les cigarettes n'étaient pas là  avant le crime (Johanna devait bien connaître des hommes, puisqu'elle était enceinte). maintenant, je peux me tromper, hein...
      1. walken
        > Pourquoi "présenter une alternative" ?

        Parce que sans cela la these de l'accusation me parait extremement convaincante, et que je n'arrive pas a imaginer une alternative ou Victor ne serait pas implique, donc pour moi l'accusation a bien apporte une preuve convaincante de la responsabilite de Victor.


        Mettons de cote les contradictions de Victor, et imaginons a la place qu'il n'aie rien dit du tout pour sa defense.

        Si l'accusation avait presente une these peu convaincante, Victor serait declare non coupable, puisque c'est a l'accusation de prouver sa culpabilite.

        Si l'accusation avait presente une these ou tout se tient & colle aux faits connus par l'enquete, mais que les jures aient pu imaginer d'autres alternatives, Victor devrait etre declare non coupable car la encore c'est a l'accusation de prouver sa culpabilite.

        Mais si l'accusation avait presente une these ou tout se tient ET que les jures ne parviennent pas a imaginer d'autres alternatives, ils estimeront probablement que l'accusation a apporte suffisemment de preuves. C'est en tout cas ma position dans cette affaire. Je trouve que la position de la defense ne tient pas, il n'y a effectivement aucune preuve absolue qui a elle seule suffirait a impliquer Victor, mais il y a suffisemment de preuves pour suivre ce qui a pu se passer et il n'y a, pour moi, pas d'hypothese valable ou Victor ne serait pas implique. Il n'y a pas de preuve absolue (genre une photo de Victor tabassant sa victime) mais il y a suffisemment de preuves pour que je sois intimement convaincu de sa responsabilite.

        Les inconsistences de Victor ne font que me renforcer dans cette position, je crois que je serais abouti a la meme conclusion s'il avait simplement garde le silence. Cependant, la peine aurait pu etre differente suivant le comportement de Victor.
        1. - Commentaire n° 24.1.1.1
          Assez bizarrement, s'il n'avait rien dit, plutôt que de se contredire, ou si Cécilia s'était un tant soit peu contredite elle-même, j'aurais eu beaucoup plus facile à  envisager la culpabilité de Victor. Mais là , j'ai la sensation bizarre d'un type en train de se débattre assez bêtement, comme quelqu'un qui se noie et qui panique, et d'une femme qui se tient "trop bien" à  son histoire. Et je sais que c'est irrationnel. C'est peut-être dû à  mon passé d'alcoolique et à  ma fréquentation de toxicomanes : si je crois Victor innocent, c'est avant tout parce que, pas une seconde, je ne crois Cécilia. Victor ressemble aux tox qui disent la vérité. Cécilia ressemble aux tox qui mentent.
  10. Laura G
    Très bel exercice de style en effet !

    J'ai cru moi aussi que l'avocat vous avait prêté main forte pour la rédaction de la partie défense ; apprendre que vous seule avez exposé ces deux points de vue, je suis admirative.

    Mon verdict à  moi : Innocent. Je penche intérieurement (c'est à  dire plus par instinct qu'autre chose) pour sa culpabilité mais le trop peu d'éléments véritablement probants me pousse à  me prononcer par l'acquitement. Je n'arriverai pas à  condamner un homme à  une peine si lourde sur de telles présomptions.

    D'ailleurs je ne pense pas que je ferai un très bon juré pour le Parquet. Il m'a toujours semblé que prouver la culpabilité d'un prévenu devant les assises était très difficile. A mon avis le doute peut toujours s'insinuer même en présence de certains éléments matériels probants. Je ne parle évidemment que des cas où le prévenu clame son innocence.

    Je me suis toujours demandée à  ce propos quelle était la part des affaires qui passent en assises où le prévenu clame son innocence par rapport aux affaires où le prévenu reconnait les faits qui lui sont reprochés et où le jury ne statue plus que sur la peine.
    1. Je suis incapable de vous donner une réponse exacte, et doute d'ailleurs que des statistiques aient été établies sur ce point.
      De mon point de vue personnel, la proportion d'acquittements plaidés n'a pas été énorme. Ou alors, la contestation portait sur une partie seulement des faits reprochés (par exemple, l'absence de préméditation pour un assassinat, l'absence d'intention de donner la mort pour un meurtre).
      1. Oui, d'accord avec toi ; je dirais une à  deux affaire sur dix.

        Maintenant, Laura G, une difficulté dans ces statistiques serait d'intégrer les personnes qui nient et se disent innocents contre vents et marées, alors que leur acquittement n'est tout simplement pas possible - à  mon avis une part importante des protestations d'innocence dans les crimes sexuels (ce qui évidemment ne veut pas dire a contrario qu'elles sont toutes infondées, loin s'en faut) : j'ai en tête cet homme, père de l'enfant de sa fille mineure, les trois ADN respectifs établissant formellement ce fait, qui a nié jusqu'au bout, et doit être actuellement devant la Cour Européenne ou en Révision...

        A l'inverse, à  intégrer aussi des faits "reconnus", et pourtant faux...

        Ceci étant, et vu le nombre de filtres existant avant l'audience criminelle, il demeure parfaitement ahurissant qu'un dixième, ou même soyons larges un vingtième, des dossiers criminels de France concernent des innocents.

        De mon point de vue, c'est principalement dû au prisme déformant de la justice pénale, dont j'ai souvent parlé ici, qui veut que toute chose ait une explication, la plus rationnelle possible, et qu'on se contente parfois de peu...
        1. Javi
          - Commentaire n° 23.1.1.1
          Ce qui me gêne moi, c'est l'impression dans vos descriptions que l'on demande une décisions sur des impressions (des déclarations, des aveux, des historiques de personnes), alors que mon tempérament et ma formation (en sciences) me feraient préférer une plus grande quantité de preuves techniques, avec exposé des erreurs possibles. Je me sentirais mieux si on me présentait une reconstitution, vu-ce sur un schéma papier, avec les indices retrouvés, les barres d'erreur des mesures... ce que l'avocat présente ici en rappelant l'absence d'ADN. Mais est-on sûr que tous les relevés ont été faits? Est-ce que cette absence est un hasard (pas assez d'échantillons pris sur place) ou une réalité? Bref a-t-on bien pris du temps pour relever les indices potentiels?
  11. Juste ... Waou ..
    Superbe billet, vraiment.
    Le fait que vous puissiez écrire sur une dualité de positions est tout simplement génial !

    Du haut de ma chtite licence de droit récemment acquise, je pense que Victor aura entre 18 et 20 ans, et Cecilia entre 12 et 14 ..
    Mais bon, j'accorde peu de crédit a mes estimations, je sais que je suis plutôt sévère, et en plus je suis publiciste donc bon ... :P

    En tout cas, merci pour ce blog vraiment top, c'est toujours un plaisir de vous lire !

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