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Dors min p’tit Quinquin…

Je m’étais juré de ne pas dire ou écrire un mot sur “notre” scandale judiciaire national récurent, Outreau.

Parce que tout le monde a tout dit sur le sujet, la plupart du temps n’importe comment, ce qui était certain puisque plus de gens que ceux qui connaissent le dossier en ont parlé -comme toujours.

Et parce que tout ce qui touche à  cette triste affaire, comme d’ailleurs au “procès” de son principal acteur, le tout aussi fameux juge Burgaud, me flanque désormais des boutons -pour différentes raisons, que j’étais décidé à  garder pour moi afin de ne pas venir grossir le troupeau des seuls vrais déçus d’Outreau, dirait-on souvent : ceux qui n’y étaient pas…

Mais voilà  que l’actualité me rattrape, et qu’on nous dit qu’un supporter du PSG que l’ancien Président de la chambre de l’Instruction, en poste à  l’époque, témoignant au “procès” du juge Burgaud, m’aurait, à  l’instar de tous les habitants du Nord, traité en substance de dégénéré alcoolique et pédophile…

Ça m’énerve !!! Mais, je vais peut-être vous décevoir, pas pour les raisons qu’on croirait…

Outreau, d’abord, devenue malgré elle et ses talentueux avocats le plus grand Café du Commerce judiciaire du siècle…

Je ne voulais pas en parler parce qu’en substance, Outreau c’est trop, et que les dégâts collatéraux, en matière de dénonciations d’enfants notamment, et de politique pénale subséquente, sont au moins aussi lamentablement dramatiques qu’ont été positives les avancées judiciaires pourtant générées par cette triste affaire.

Certes donc, à  ce titre, certains progrès notables ont été effectués à  l’instruction, vous savez, le truc qu’on veut supprimer quelques mois plus tard, par souci de cohérence…

Certains de ces progrès sont à  mon avis, puisqu’on me le demande, à  ranger dans la catégorie des “ça sert à  rien mais ça fait bien semblant d’être neuf” bien connue du peuple et affectionnée, que dis-je, choyée, par la classe politique : les aveugles devenus non-voyants, les femmes de ménage devenues techniciennes de surface; et les questions posées par le juge aux experts désormais notifiées par fax à  l’avocat avant envoi, ou la collégialité, dont de plus érudits que moi ont parlé, et qui selon moi est totalement inutile dans les deux cas possibles : si le magistrat est un homme honnête et normalement doté par la nature, pourquoi le flanquer de deux collègues peut-être plus sots; et si le magistrat est un mauvais magistrat, en quoi le flanquer de deux autres magistrats changera-t-il cet état de fait, surtout si eux-mêmes sont mauvais aussi1

En revanche, la fin de l’instruction a été intelligemment remaniée, à  mon sens : avant, le Parquet donnait son avis au juge, sans que l’avocat n’en soit informé, même s’il pouvait en demander la teneur, ce qui l’obligeait à  surveiller le dossier quotidiennement; maintenant, cet avis, les “réquisitions définitives”, lui est transmis, et l’avocat dispose d’un délai pour y répondre, avant que le juge ne prenne la décision finale : pas mal.

Évidemment, le jour où un juge lira avec autant d’attention l’avis d’un avocat que celui du Parquet est encore le plus souvent lointain, voire stratosphérique, mais enfin, c’est une avancée, on dit notre mot sur la fin de la procédure, comme avant, mais de façon officielle, chic alors.

Bien. Mais à  côté de ça, les Parquets se sont mis à  professer qu’il ne faut plus croire les enfants, jamais, sauf preuves extérieures tangibles.

Cette preuve, dans les dossiers de délinquance sexuelle sur mineurs, est bien souvent complexe, et existe rarement de façon évidente : on s’en prend rarement à  des enfants devant témoins, par exemple…

De sorte que depuis Outreau, une multitude de ces affaires se termine par un non-lieu ou une décision de relaxe, et qu’il est très difficile maintenant pour des enfants dénonçant tel ou tel fait d’être crus, tout simplement, crus au sens judiciaire, s’entend…

J’ai connu la parole-reine de l’enfant, source des dégâts que l’on connait; elle est maintenant totalement déconsidérée, source évidente d’autres dégâts tout aussi importants.

Il suffisait pourtant de rappeler que cette matière fait partie intégrante de notre Droit Pénal positif, et que dès lors les mêmes règles de preuves, y compris celle du faisceau d’indices, en l’absence de preuve formelle, doivent y être appliquées, ni plus, ni moins… C’est comme rappeler qu’un enfant peut mentir, et que pour autant il n’est pas plus ou moins crédible par nature que n’importe qui d’autre : on a désormais l’impression, en soulignant cela, de dire des gros mots : cette façon unilatérale de faire le droit, exactement comme une plume dans le vent, autant maintenant qu’avant, est haïssable.

Ensuite, il y en a également très marre d’Outreau à  raison du fait qu’alors que n’importe quel professionnel sait parfaitement que la presse n’est jamais le reflet réel du contenu d’un dossier, et surtout pas d’un tel dossier, qui faisait des dizaines de tomes de plusieurs centaines de pages chacun, comme tout “gros” dossier d’instruction2, je n’ai jamais autant entendu tout le monde, refusant de s’en tenir aux considérations d’ordre juridique ou éthique générales qu’évidemment une telle affaire nous soumettait, parler de ce dossier comme s’il en avait été l’un des acteurs…

Vous le savez, vous, ce qu’il y avait exactement et réellement comme éléments à  charge et à  décharge, contre ce curé, cet huissier ou le Pape ? Moi non plus ! Et pourtant, je fréquentais et fréquente moult avocats qui y intervenaient, c’est vous dire : allez, fermons-la, nous ne savons même pas de ce qui précisément a été débattu pour chacun devant les deux Cours, que ce soit d’ailleurs dans le cadre du dossier principal, the Outreau’s File, ou bien dans ses incidentes : d’autres infractions éventuelles n’ayant rien à  voir avec ledit dossier principal mais découvertes à  son occasion3 … Fermons-la, j’aurais du montrer l’exemple, je me tais.

Non, c’est pour rire, je ne peux pas encore me taire : autre chose qui m’horripile, la règle immuable de “Il n’y a pas de fumée sans feu”, qui est selon moi le seul truc assez mal géré par les avocats concernés (qui n’ont pas de leçon à  recevoir de moi, mais c’est parce que je suis jaloux de n’y avoir pas été, donc j’essaye de me raccrocher aux branches…) : ils étaient, tous, totalement innocents, puisqu’ils ont tous été acquittés, avec les excuses de la République en prime, ce qui n’est tout de même pas fréquent je vous le jure bien, et que la règle veut qu’un acquittement (Assises), contrairement à  une relaxe (correctionnelle), soit une déclaration d’innocence (une relaxe n’est que la déclaration de ce que la preuve de la culpabilité n’a pas pu être rapportée, nuance).

Donc, puisque cette règle existe, on s’en contenterait, et le moindre doute concernant la réelle innocence de ces personnes se voit cloué aussi sec d’une référence à  la décision d’acquittement devenue définitive. Or, c’est une réponse légitime en droit, mais insuffisante en fait :  la rumeur s’en fout bien, des règles de droit, et trouve parfois qu’une décision d’acquittement, c’est bien joli, mais ça ne démontre pas grand’ chose, et certainement pas l’inverse de ce que, quand-même, il y avait bien quelques trucs qui clochaient, les enfants on veut bien ce qu’on veut, mais ça n’a pas tout inventé quand-même, et pati, et pata, “crache ton venin” braillait un groupe de rock français de mon temps.

Si on tolérait, et on a fait mieux que ça on l’a souhaité, que la foule en liesse rejuge l’affaire publiquement dans tous les troquets de France, alors il fallait alimenter sa réflexion et argumenter selon moi AUSSI sur le fond de l’affaire, publiquement toujours : faute de ça, et même devant cette sorte d’interdit absolu, la “catastrophe d’Outreau” continue, en pire : pas dans le relatif huis-clos d’un procès, mais bien chez tout le monde, et tout le temps…

Autre chose encore d’insupportable (moi, quand je me tais, faut pas m’interrompre !) : les indemnisations des détentions.

Je ne suis pas (réellement) jaloux des avocats qui ont participé à  ce procès, j’aurais adoré y être, mais je suis tellement fier d’eux que ça compense, allez les gars du Nord, vive nous ! Mais alors en revanche, je suis vraiment, mais vraiment, très très jaloux des indemnisations qu’ils ont obtenues pour leurs clients, et qui je crois atteignaient le million d’euros !

Ce n’est pas vrai non plus, c’était juste une transition souriante pour vous dire que les centaines annuelles de personnes détenues à  tort et innocentées ensuite (ce n’est pas un mot : des centaines, chaque année), elles aussi, ont droit à  cette indemnisation, qui leur est allouée par une juridiction spéciale, la Commission d’Indemnisation des Détentions Abusives, il y en a une par Cour d’Appel, la loi est même ainsi conçue que cette demande est de droit… Mais pas le montant !!

Un homme qui travaillait, une année de détention “provisoire”, acquitté : 25.000 euros. Oui, en tout. Six mois, celui-là , non-lieu en fin d’instruction : dix-mille euros.

Et je vous assure que je peux toujours demander un entretien avec le Ministre pour tenter de négocier à  la hausse, ou menacer l’État d’un procès en faute lourde : je ferai certes rire mes interlocuteurs, mais je n’aurais pas un kopeck de plus !! Deux poids, deux mesures, donc, bien joué mes confrères, on vous devait bien ça, mais quid des autres, qui des petits anonymes dont la vie est tout autant massacrée, mais qui eux n’en ont aucun rachat, ni excuses ni argent, juste à  devoir la reconstruire, absolument tout seuls..?

Et puis alors, et enfin, j’en ai déjà  parlé ci-dessus, mais j’y reviens plus précisément : parmi les gens, et plus coupables encore, partant, de le faire, les avocats qui n’y étaient pas mais en parlent à  toutes les sauces dans leurs dossiers…

Je pense que les magistrats devant qui ils font cela les haïssent, et se couvrent d’exéma purulent quand on leur en parle encore : je les comprends, et veux les rassurer : pareil pour nous !

A cet égard, je ne résiste pas au plaisir de vous raconter la petite scène suivante : le Président des Assises de première instance de l’affaire d’Outreau a ensuite, un temps (et dans l’état psychologique qu’on peut imaginer) présidé une Chambre des Appels Correctionnels, toujours à  Douai. Arrive devant lui une jeune consœur, qui vient là  sans savoir qui il est, en appel d’une décision de condamnation d’un abuseur sexuel qui se dit innocent. Elle plaide donc, longuement, ladite innocence, contrant les arguments à  charge, et notamment une expertise psychologique ayant décidé que l’enfant accusant son client était “crédible”, selon l’expression consacrée…

Normal donc, sauf que là , elle décide de le faire en proclamant, en substance, que “La Cour, dans l’affaire d’Outreau, a dit que tous les experts sont nuls, que les expertises ça ne sert à  rien, qu’il ne faut jamais les croire…”, ce donc sans savoir qu’elle remue la hallebarde dans la plaie du Président de ladite Cour, lequel est au surplus un féru de psychologie, et en tout cas est particulièrement bien placé pour parler de “son” audience, où certes beaucoup de choses se sont passées, mais où ni lui ni personne n’a évidemment jamais dit ça, encore moins de cette façon là …

Il la laisse faire dix minutes, puis tout de même l’interrompt gentiment : “Maître, Vous êtes sûre ?”, et ma consœur insistant de plus belle et jurant ses grands dieux que oui, bien sûr, tout le monde en a parlé, et lui s’échauffant petit à  petit “Ah je ne crois pas”, “C’est un raccourci”, le ton montant en cascade, je l’avoue, ont fini par nous faire pas mal rire, nous les lâches hommes en noir embusqués au fond de la salle ce jour-là  (pas tant que sa tête quand nous lui avons dit juste après qui était ce Président…)…

Voilà , en l’état, ce qui me tenaillait un peu, sur Outreau.

Mais ce n’est forcément pas tout à  fait tout, puisqu’un autre nom propre, si on peut encore écrire ça, a pris désormais le relai dans l’opinion publique : celui bien-sûr du juge Burgaud.

Et de ça aussi, personnellement, et avec plus de force encore, j’en ai totalement et définitivement marre.

Je me garderai bien de donner un avis sur la question cruciale de savoir s’il a commis ou pas une ou plusieurs fautes : tout le monde ayant donné le sien, déjà , à  part peut-être quelques êtres vivant en forêt et ne disposant pas du langage, je laisse ça à  l’appréciation de chacun, qui n’a pas attendu mon autorisation.

Je voudrais juste vous rappeler, sur ce point, et par allusion, l’un des meilleurs moments de la transmission télévisuelle de la commission d’enquête : un confrère répond à  un député (au président ou au vice-président de la commission, je ne sais plus) qui l’a interrogé sur le point de savoir pourquoi il n’a pas exercé tel ou tel recours, qu’il aurait bien voulu mais ne pouvait pas le faire, puisque la loi n’en avait prévu aucun… Stupeur de l’élu : “Quoi ? Mais comment est-ce possible, qui a conçu cette loi ?” Et mon confrère, qui n’est pas avocat pour rien : “Vous. Vous l’avez votée l’année dernière.”

Je ne vois pas quant à  moi ce qu’il y aurait à  dire de plus sur la faute du juge Burgaud.

Donc, vous me connaissez maintenant, je vais vous en dire un peu plus !

Par exemple, qu’il convient de rappeler encore (car ça au moins je l’ai parfois lu) que Monsieur Burgaud n’a jamais lui-même placé en détention ou maintenu en détention qui que ce soit !!!

Ah, ça va mieux, écrit comme ça tout net…

Un minuscule rappel procédural simplifié pour comprendre et au cas où : selon les dispositions procédurales en vigueur, et qui l’étaient déjà  à  l’époque, en substance, le juge d’instruction, lorsqu’il instruit une affaire, doit envisager le sort du mis en examen pendant la durée future de la procédure : libre, soumis à  des obligations de contrôle, ou détenu. Il peut, tout seul, décider de le laisser libre ou de le placer sous contrôle judiciaire. Il ne peut pas en revanche l’envoyer en prison.

S’il le pense nécessaire, il rend une ordonnance écrite contenant les motifs pour lesquels il souhaite cette détention, qui saisit le Juge des Libertés et de la Détention (JLD), qui lui y place ou pas la personne concernée, après avoir eu un avis du Parquet sur la question, et bien-sûr celui de la défense.

Si le Parquet n’est pas content, par exemple parce qu’il voulait un placement en détention et que le JLD a libéré la personne, ou à  l’inverse si le mis en examen espérait être libéré et se retrouve incarcéré, les deux peuvent interjeter appel de la décision du JLD.

Dans un délai relativement rapide, la Chambre de l’Instruction est alors saisie, et confirme ou pas la décision du JLD, ici encore après avis du Parquet (qui s’appelle Parquet Général devant la Cour) et de la défense.

Pour nous résumer, donc : le Parquet de Boulogne, le Juge Burgaud et le Parquet Général, dans l’ordre chronologique d’interventions, à  chaque fois, ont souhaité les mises en détention (exactement comme les avocats ont eux souhaité qu’elles n’aient pas lieu); mais seuls le JLD de Boulogne, et en appel les trois magistrats de la Chambre de l’Instruction, les ont ordonnées !

Dès lors, comment ne pas considérer que si procès à  magistrat(s) il devait absolument y avoir, celui en cours est lacunaire, voire carrément mal dirigé ???

C’est prequ’incident, et je ne veux surtout faire le procès de personne, y en a marre des procès; mais il est tout de même savoureux, même si le mot est mal choisi, de noter que le Président de la chambre de l’Instruction de l’époque (celui qui vient de tenir des propos qui m’ont finalement fait sortir de ma réserve sur le sujet et dont je reparlerai donc plus bas), qui présidait, donc, la Chambre qui en appel a maintenu les personnes concernées en prison, a je ne sais combien de reprises qui plus est (on peut demander sa liberté aussi souvent qu’on le souhaite, et aller en appel du refus itou), est ensuite… Devenu Conseiller à  la cour de Cassation, Chambre Criminelle.

Et que l’une des Conseillères qui siégeaient habituellement à  ses côtés, devant cette même juridiction, est quant à  elle… Devenue membre du Conseil Supérieur de la Magistrature -le même qui juge le juge Burgaud ? Oui, le même, pourquoi ?

Que le juge Burgaud soit un lampiste absolu est non seulement une évidence, mais encore parfaitement injuste, quoi que chacun ait fait et quoi qu’on en pense et quelle que soit la façon dont on souhaite le qualifier.

Enfin, la Chancellerie, heureusement, autre anecdote qui serait souriante en d’autres lieux, avait immédiatement pris la mesure du problème numéro un unanimement dénoncé y compris par l’impétrant lui-même : il était un jeune juge inexpérimenté… Ce doit être pour ça que dès l’année suivante, les deux postes de juges d’instruction à  Boulogne sur Mer était attribués par ladite Chancellerie… A deux jeunes magistrats sortant de l’ENM et dont c’étaient les premiers postes !

C’est qu’on finirait par ricaner carrément… Si on ne devait pas autant de respect aux victimes de tout ceci, bien-sûr. Toutes les victimes : les innocents adultes. Les innocents enfants. Et sans doute d’autres, désolé de le dire.

Et puis alors, l’évidence maintenant, pour que j’en termine aussi avec ce qui m’étouffe à  propos du juge Burgaud : disons-le, et quoi qu’on en pense ici encore, je trouve miraculeux qu’il ne se soit pas pendu.

Je n’ai pas envie de commenter ça autrement. Je pensais juste qu’il avait été suffisamment laminé, la première fois, et je ne parle pas de “à  juste titre ou pas”, ce n’est pas mon propos, c’est juste que bon sang, ça suffisait, non ?

Et voilà  que cet homme qui ne peut plus porter son nom, qui est à  jamais synonyme de désastre judiciaire, que l’on a filmé en train de -mal- tenter de défendre quelque chose de parfaitement indéfendable dans le contexte et à  l’époque, revient sur le devant de la scène médiatique, une seconde louche pour un nouveau procès dans l’opinion, à  l’occasion du seul véritable, qui est aussi artificiel qu’inique…

Écœurement, non simulé.

J’entendais la personne acquittée que l’on a vue le plus depuis, huissier de justice, dire à  France Info qu’il ne comprenait pas la peine de suspension requise, qu’elle aurait dû être une radiation à  vie, “et sans solde” … Soit. Lui, contrairement au reste de l’opinion, a le droit de le dire, le droit de souhaiter du mal à  ce juge là , le droit de souhaiter une vengeance ou une revanche -que je le rassure cependant avec humilité et d’où je suis : la vengeance est passée, j’en suis bien sûr. Elle est sur son nom, celui de sa femme et de ses éventuels gosses, elle est dans le regard de tous les gens autour de lui, et plus encore de ses pairs, elle est sur toute sa famille et dans chacun de ses pas, et il porte au fer rouge l’empreinte indélébile des condamnations par définition sans appel, elles : un salaud incompétent, ainsi l’opinion publique a-t-elle tranché.

Alors, ça suffit comme ça, et pour une seule raison s’il n’en fallait qu’une : on le traite exactement comme on lui a reproché de traiter les malheureux acteurs de son dossier.

S’il l’a fait, c’est une bonne raison de plus pour ne pas le lui rendre.

Foutons-lui la paix, et la presse la première : si vous voulez mon avis (trop tard, le voilà  ), la sanction du CSM est la cadette de ses soucis.

Tâchons plutôt de cesser le massacre, et, en travaillant de façon intelligente à  de véritables réformes de ce qui a pu amener à  tout ça, souhaitons à  tous les acquittés de se reconstruire, aux enfants pris dans cette horreur de se construire tout court, cette fois en dehors… Et à  Fabrice Burgaud d’avoir un jour une vie d’homme normal, lui aussi, je n’éprouve aucune honte à  la lui souhaiter.

Voilà , j’ai totalement dérapé, je ne voulais ni parler d’Outreau, ni parler de son juge : pardonnez-moi.

Mais ce qui m’amenait procède tellement de la même hystérie et des mêmes amalgames à  deux centimes d’euro que cette très longue mise au point préalable s’imposait.

Voilà  donc que, ayant témoigné, j’ignore à  la demande de qui, au procès du Juge Burgaud, Monsieur Beauvais, puisque c’est lui, Président donc de la Chambre de l’Instruction de l’époque, aurait tenu des propos aux limites de l’injure sur les gens du Nord…

Ce qui, la nouvelle aussitôt parvenue à  mon cerveau (imbibé d’alcool, week-end dans le Nord oblige), m’a surpris : d’abord, pour l’avoir fréquenté de longues années à  la Chambre de l’Instruction, et à  force on finit tout de même par connaître un peu “ses” juges; ensuite parce qu’il y vit, dans le Nord; et enfin, parce que je ne vois pas trop l’intérêt d’une telle caricature de défense : si la thèse était de dire en substance que son collègue (et les autres, dont lui-même ?) n’avait commis aucune faute parce que dans le Nord c’est truffé de pédophiles alcooliques, heuh, comment dire, je trouverais l’argument, hum… Un poil spécieux. Un tantinet con. Un soupçon énormément con. Ce qui fait, pour tout dire, que je n’y crois pas un instant.

Reprenons, vite, très vite, avant que tous les bien-pensants du Nord, puis de France, ne bien-pensent à  notre place définitivement ! (C’est déjà  un peu tard, deux députés ont sauté au plafond, et sur leur plume, pour vite dénoncer ça au Président…)

Un premier article, très remonté, du quotidien régional  La Voix du Nord révèle le scandale, l’affaire dans l’affaire dans l’affaire, si on suit bien, vendredi dernier 6 février : on parle de “propos stupéfiants”, que voili que voilà , corpus delicti : à  l’occasion donc de son témoignage, Monsieur le Conseiller Beauvais aurait dit au CSM :

“Nous connaissons ces soirées habituelles, à  Boulogne ou à  Avesnes-sur-Helpe. Des soirées-bières où on invite les voisins, on boit beaucoup, on joue aux cartes ou au jeu de l’oie, et où le gagnant peut choisir une petite fille, avec l’accord des parents […] Là -bas, ce ne sont pas des psychologues qu’il faut envoyer, mais des sociologues ou des ethnologues.”

Évidemment, dit comme ça et tout seul, c’est un peu brutal -Ce serait très, très moyen…

L’article ne dit rien de plus, si ce n’est une certaine véhémence, bien compréhensible de la part de “la voix du Nord”4 et d’avoir aussitôt enquêté auprès d’autres magistrats pour savoir si de telles soirées existent à  leur connaissance, pour en conclure que non, puis que personne n’a réagi pendant un temps à  ces propos scandaleux, bande de nuls, avant finalement d’enfin les dénoncer, par la voix de deux députés locaux, donc.

Effectivement, ceux-ci, sur les bases probables de cette citation, ont écrit au Président de la République. Madame Françoise Hostalier, citée par le très bon papier du Point, lui dit ainsi avoir été “blessée, humiliée, révoltée. Aussi je vous demande d’exiger de Monsieur Beauvais des excuses publiques par l’intermédiaire de la presse locale et nationale […] Je souhaite également que des mesures disciplinaires soient prises à  son égard car à  travers de tels propos, non seulement il insulte les habitants de toute une région, mais il discrédite le corps des magistrats et l’ensemble des professions de la Justice”

Je ne comprends pas la modération de ces demandes : personnellement, en tant que nordiste né dans le Nord pur jus, je souhaite également qu’il soit écartelé publiquement.

J’allais juste vous dire que connaissant l’homme et au vu du contexte5, je croyais à  une présentation tendancieuse faite par La Voix, sous le coup d’une colère ou pas; que j’étais certain qu’il avait parlé d’autres dossiers dans lesquels il avait pu voir telles ou telles horreurs, et tenté ainsi, simplement, d’expliquer que les faits d’Outreau étaient possibles, qu’en tout cas ils n’étaient pas apparus nimbés d’invraisemblances comme on voudrait parfois le dire aujourd’hui, que dans le Nord, et peut-être ailleurs mais dans le Nord en tout cas, comme moi, il savait que certains milieux étaient dans une extrême déshérence morale, qui avait pu favoriser de telles scènes; que c’était nécessairement le sens à  donner à  son témoignage, qui dès lors ne me choquait pas en lui-même; qu’en tout cas il fallait se garder de la présentation qui en était effectuée, hors contexte et par bouts de citations, dont au surplus rien en l’état ne démontrait qu’elles fussent vraies; et qu’en tout état de cause et de plus fort, la mode du lynchage automatique avant toute vérification et tout jugement devenait le propre de cette affaire et de ses affaires collatérales, et commençait réellement à  devenir odieuse… J’allais vous dire qu’ici, elle était au surplus simplement bête, et que croire qu’un désormais haut magistrat ait balancé de telles énormités de cette façon là  et à  l’occasion qui plus est d’un témoignage forcément sensible est une insulte à  l’intelligence…

Mais c’est déjà  trop tard. C’est désormais politique, donc c’est foutu.

Il y a bien le papier plus calme du Parisien, qui évidemment explique un peu mieux les choses, et leur restitue un contexte à  plus d’un titre, en rappelant que tout ne repose pour l’instant que sur le seul écrit de La Voix du Nord, et d’une; que cette déposition aurait été effectuée mardi, soit des propos tellement scandaleux qu’ils ne sont “sortis” que quatre jours plus tard, et de deux; et surtout, et de trois, qu’il avait, en 2006 déjà , devant l’Inspection des Services judiciaires, évoqué ce qui n’était selon lui que deux exemples d’une “dégradation du tissu social et un nombre d’affaires de mœurs nombreuses et très graves, souvent sordides”, parlant de deux affaires définitivement jugées qu’il connaissait pour illustrer son propos…

Et là  on comprend un peu mieux ce qu’il a voulu exprimer, et on le comprend d’autant mieux si l’on est un praticien du droit pénal du Nord, étant donné que… C’est vrai. Je vous en ai souvent parlé moi-même sur ce blog, et le Nord est effectivement classé parmi les départements les plus criminogènes dans ce domaine…

Bon sang, se rend-on compte qu’il n’a probablement fait que citer deux affaires similaires pour souligner que les faits de celle-là  étaient plausibles, à  l’époque et au départ, au pire maladroitement, et… C’est tout ???

Notons quand-même que, selon la même source, et enfin, après trois jours pleins de battage immédiat, et sans qu’apparemment les élus locaux ne se soient embarrassés de la même prudence pourtant évidente, la Chancellerie a tout de même demandé à  obtenir un compte-rendu fidèle des propos tenus -ce n’est pas toujours le cas, ça mérite d’être dit…

Voilà , je ne connais pas plus que ça Monsieur le Conseiller Beauvais, il a statué dans plein de mes dossiers avec à  mes yeux parfois des erreurs et parfois pas, rapports magistrat/avocat normaux, somme toute, et nous n’en entretenons strictement aucune autre, ça va sans dire…

Mais j’ai su tout de suite que ça allait repartir, que le Grand N’importe Quoi était déjà  en marche, avant même qu’on ne sache, non, pardon, avant même qu’on ne cherche seulement à  savoir, si ces propos étaient réels, s’ils n’avaient pas été tronqués, et puis dans quel contexte, et pour dire quoi, ils avaient été prononcés, s’ils l’ont été…

Lettres de députés, Chancellerie au taquet, Président alerté…

C’est fichu, déjà  : pendant que fleurissent les réactions sur le Ouaibe (j’ai vu un truc intitulé “Gros porc de nanti excuse-toi” ou approchant…), les scandalisés professionnels de tous poils vont sauter sur l’occasion, et tiens paf : voici que Monsieur Lang entre en scène (tiens, avec un temps de retard sur ses collègues, attention attention, c’est comme ça qu’on saute !), à  présent, et demande (j’ai survolé) qu’on brûle ce magistrat après l’avoir oint de bouse de vache, et qu’on empale le cadavre Place Vendôme pour y servir d’exemple…

J’ai été trop long, c’est idiot et inutile.

Notamment parce que ce que je voulais vous dire, simplement, c’est que le véritable drame de l’affaire d’Outreau, c’est qu’elle n’a manifestement rien réellement appris, à  personne.

Je savais que ce billet allait être sinistre, j’ai essayé de m’éviter ça par un habile subterfuge pour parler un tout petit peu, si besoin en était, de la douceur des gens du Nord, pour leurs enfants notamment, je trouvais au départ que tout ça valait bien ça :  ce stratagème est dans le titre. C’est celui d’une comptine d’ici, plus exactement une berceuse, précisément la “canchon dormoire” que tous les gens du Nord connaissent, et avec laquelle des générations de gamins se sont endormis -je vous la recommande, elle fonctionne merveilleusement…

Ca commence par :”Dors mon petit Quinquin, mon petit poussin, mon beau raisin / Tu me feras du chagrin si tu ne dors pas jusqu’à  demain”. Elle est d’ailleurs très souvent chantée par un homme, et c’est toute la tendresse des gens du Nord -si, si, je le dis quand-même, au cas où…

Chantée ici par Raoul de Godewaersvelde : superbe et douce pause dans ce monde de brutes.

  1. C’est évidemment un cas d’école, il faudrait qu’il existe en France trois mauvais magistrats pour que mon raisonnement tienne… []
  2. C’est ça l’instruction : mettre de la chair sur un squelette ! A conserver impérativement, j’aurais du mal, lors du jugement, à  tenter d’humaniser un squelette… []
  3. Vous ne le saviez pas ? Si, si, il y en a eu… Personne n’en a parlé ? Non, je ne crois pas : banales et peu médiatiques. []
  4. presque aussi véhémente que lorsqu’au tout début de l’affaire d’Outreau, elle dénonçait les horreurs commises dans la Tour du Renard !! []
  5. et je ne suis pas son avocat il ne doit pas en avoir besoin, non plus que son ami []