Diffam’nation

J’apprends à  l’instant (de la part de mon moteur de recherche personnel sur le Web, Rasbaille, que je nomme décidément et à  l’instant mon Grand Chercheur de Mô), que, selon un bref article du Monde, un confrère, qui plus est Bâtonnier, serait poursuivi, au pénal, pour avoir diffamé Madame Dati, Gardienne des Sceaux (laissez, laissez, c’est laid cette féminisation, mais j’y tiens…), pour avoir plaidé en audience publique, en défendant une personne poursuivie pour faux et usage :

“Un procès qui n’aura jamais lieu, c’est celui de notre grand chef à  tous, madame Rachida Dati, qui utilise un faux, un MBA.”

J’apprends à  vrai dire aussi, du même coup (toujours au sommet de l’actualité…), qu’un autre grand journal a précédemment publié une information selon laquelle Madame le Ministre de la Justice aurait un peu triché à  l’Ecole Nationale de la Magistrature, en indiquant dans son dossier être titulaire d’un MBA qu’elle n’aurait en réalité pas…
(Vous noterez tous ces emplois du conditionnel : c’est vrai, qu’est-ce que j’en sais moi après tout..? Et puis surtout, de vous à  moi, qu’elle dispose d’un MBA ou qu’elle ait fait semblant de l’avoir ou que ce soit faux, hein… Madame Dati est Ministre, Madame Dati est la Gardienne, et puis c’est tout ! Bref…)
Ce qui est plus extraordinaire, c’est donc que cet avocat, pour avoir, dans le feu d’une plaidoirie, plaidé par l’exemple, en citant donc une information déjà  publiée et je suppose largement reprise partout, se trouve être cité à  comparaître devant un tribunal correctionnel – puisque la diffamation publique est un délit, et qu’elle l’est même un peu plus encore lorsqu’elle vise “un membre du ministère” (ils avaient de ces formulations en 1881, je vous jure…), la peine encourue étant alors une amende de 45.000 €si la diffamation est commise contre le ministre “à  raison de ses fonctions ou de sa qualité”, ou de 12.000 €si elle l’est pour le reste, c’est à  dire “concernant la vie privée”, l’amende redevenant alors celle de droit commun…
(J’ignore bien sur quel est le visa exact de la plainte du Ministère Public, et ce qu’il aura considéré : doit-on admettre que mon confrère plaidait cet exemple en se basant sur l’évident scandale qu’il y a à  poursuivre un quidam quelconque pour faux, et à  ne rien faire quand des faits similaires sont commis par quelqu’un devenu ministre, ou bien qu’il citait la citoyenne Dati qui à  l’époque aurait fraudé dans son dossier d’intégration ENM, sans donc fonder sa diffamation sur cette même qualité de ministre, et, même dans cette seconde hypothèse, la diffamation n’est elle pas sournoisement cachée dans le fait qu’en plaidant ainsi, quand bien même donc il n’aurait parlé que de la femme et non point de l’organe d’état, si je puis dire, il n’en restait pas moins que son allusion signifiait qu’un ministre a tous les droits et bénéficierait d’une immunité qu’on ne retrouve que peu chez les petites gens, voire chez les gens normaux, d’où diffamation aggravée dans tous les cas, si vous me suivez bien..? Ah la la, je sens que les débats autour de cette seule question vont être splendidement acharnés, comme en témoigne la longueur de cette phrase liminaire entre parenthèses…)
C’est extraordinaire à  quatre titres selon moi (je ne parle ici que des évidences, j’ai horreur de m’immiscer dans un dossier que je ne connais pas, j’ignore même si ce Bâtonnier reconnaît avoir dit cette phrase maudite, mais j’espère que oui; suffisamment pour commenter ce dossier quand-même, pour une fois…).
D’abord, parce que, comme souvent en matière de diffamation, un avocat, un homme donc en principe, va se trouver jugé par des juges pénaux, et se tenir debout à  une barre de correctionnelle, justement souvent qualifiée de “barre d’infamie”, pour répondre d’une phrase, dite et pas même écrite, qui n’a aucune espèce d’importance intrinsèque et dont tout le monde se moque, avant, pendant et après, une phrase dont je suis certain que le public de la salle a sourit en l’entendant, et qu’il avait déjà  largement oublié (encore qu’elle a du donner lieu à  un incident d’audience mémorable, je suppose…), une phrase comme il s’en prononce cent par jour devant tous les tribunaux de France par moult avocats pénalistes, une phrase, en un mot, dont tout le monde se fout allègrement.
Ensuite, parce que le Parquet, partie poursuivante paraît-il, dispose de ce que l’on appelle “l’opportunité des poursuites”, ce qui veut dire qu’il décide de ce qui doit être poursuivi ou pas, en fonction des circonstances (et classe ainsi sans suites un nombre d’affaires considérable, estimant par exemple que votre plainte contre la voisine du cinquième qui fait faire pipi à  ses chats sur votre paillasson ne doit peut-être pas aller jusqu’à  un tribunal, en opportunité…). Or, la diffamation, et tout le droit de la presse en général, est LE domaine de l’opportunité, et que j’ai maintes fois conseillé à  des clients blessés par telle ou telle allégation litigieuse de “laisser tomber”, parce qu’outre la lourdeur de la procédure, on allait reparler en long et en large justement de ce qui les avait blessé, à  l’audience et dans la presse…
J’avais totalement raté quant à  moi cette histoire de mention d’un diplôme inexistant : maintenant, je la connais…
Raison pour laquelle je trouve ahurissant, “en opportunité”, que le ministère public ait engagé cette action.
Ensuite encore, comme le rappelle fort justement l’article du Monde, l’article 41 de la même loi de 1881 prévoit, pour les avocats, une immunité totale à  l’audience, corollaire évident de la liberté de parole absolue que doit avoir un défenseur, et je vois que mes confrères sont déjà  partis à  cheval sur cette disposition, effectivement fondamentale pour l’exercice de notre métier (déjà  qu’une loi stupide sur l’outrage à  magistrat nous interdit, et elle seule, de dire ce qu’on pense réellement d’eux à  nos juges, on ne va pas en plus nous interdire de dire ce qu’on pense des clients, des adversaires ou de n’importe qui ou n’importe quoi..!) : ici encore, fallait-il que le Parquet soit remonté pour poursuivre en connaissant cette disposition…
(A moins que… A moins que ce même Parquet ne se soit souvenu dès l’audience fatale lors de laquelle mon confrère a eu ces mots de ce que ce même article 41 déroge in fine à  cette immunité en indiquant que si le tribunal, lors de l’incident, a relevé l’expression diffamante et a expressément prévu qu’elle pourrait faire l’objet de poursuites, poursuites il peut y avoir… SI les faits sont “étrangers à  la cause”, et zou, on est reparti sur un débat sémantique passionnant du même ordre que celui de tout à  l’heure : d’après vous, cet exemple était-il “étranger à  la cause” ? Miam, ça va… Causer !)
Totale incompréhension de ma part ici encore : cette immunité est très solidement encadrée, et tenter de passer outre est une aberration, mais revient au surplus à  donner à  tous les avocats une tribune forte et légitime…
Enfin, et ce sera ma cerise sur le gâteau, la brève du Monde semble bien indiquer que les faits prétendument diffamatoires seraient… Réels !
Et alors là , mesurez je vous prie la portée de la chose, après que je vous aurais indiqué qu’en matière de diffamation, la personne poursuivie dispose d’un délai, d’ailleurs très court, après l’engagement des poursuites, pour effectuer ce que l’on appelle une “offre de preuve”, c’est à  dire en substance justifier de ce qu’il a dit était vrai.
Et il ne peut pas y avoir de diffamation sans mensonge, puisqu’elle est “toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à  l’honneur ou à  la considération de la personne…” (Article 29 de la même loi).
Cette exceptio veritatis permet donc à  celui qui prouvera que ce qu’il a dit est vrai de vider l’infraction de sa substance : les propos ne sont plus diffamants, et il est relaxé.
Et ce moyen me paraît, ici, largement valide, si l’on considère qu’apparemment l’information de base au terme de laquelle Madame Dati aurait inséré dans son dossier d’intégration à  l’ENM un diplôme qu’elle n’avait pas n’a pas été démentie et n’a fait l’objet, elle, d’aucunes poursuites :
“Un procès qui n’aura jamais lieu” : vrai, il n’aura pas lieu, notamment à  raison du fait que ces faits là  sont prescrits;
“c’est celui de notre grand chef à  tous, Madame Rachida Dati”: vrai; imagé et inexact (je n’ai aucun chef), mais enfin ce n’est pas l’objet des poursuites, et l’on ne peut pas dire non plus que ce soit totalement faux, malheureusement…
“qui utilise un faux, un MBA.” : vrai semble-t-il puisque dit et publié partout sans démenti de l’intéressée, le journal à  l’origine de l’information ayant très probablement eu accès au dossier de l’impétrante, qu’il doit être possible de faire verser aux débats (ce qui va la charmer n’en doutons pas… Si encore une fois cette information de base était réelle, évidemment)…
Je me résume, et termine pour ne pas en faire trop, tandis que les dossiers de diffamation des gens normaux font en général l’objet du traitement inverse (alors que l’encre qui va couler du fait de ces poursuites minuscules (“Il n’y a que les petits hommes qui redoutent les petits écrits”) me fatigue déjà  les yeux, en effet, il faut savoir qu’il est plus que fréquent que le Parquet, pour une diffamation concernant un particulier, ne fasse… Rien, se contentant, sur la plainte du dit particulier, de “s’en rapporter à  la sagesse du Tribunal” à  l’audience, pour toutes réquisitions…).
Non seulement mon confrère n’a rien fait, et au surplus a bien fait, ayant eu le droit de le faire, et comparant entre elles deux choses comparables, utilement pour la défense de son client, et dans le respect de la loi, de façon d’ailleurs parfaitement anodine, et avec humour, le style ne nuisant jamais au fond, et usant de notre outil fondamental de travail : la liberté d’expression.
Mais encore ces poursuites vont, logiquement et légitimement, je l’espère (ne serait-ce qu’au nom du ridicule, qui ne tue plus mais quand-même) permettre à  tous les journaux de France, de Navarre et des aîles Enchantées de titrer, le lendemain de l’audience à  laquelle la décision interviendra :

“Un procès n’aura jamais lieu : celui de l’avocat qui disait que le procès de Madame Rachida Dati, qui utilise un faux MBA, n’aura jamais lieu.”

10 Commentaires

  1. Pingback : Diffam’nation : mais non… | Maître Mô

  2. En principe oui, mais là  je crois que la fonction crée l'organe : on dit "Madame" la/le Ministre, comme on ne dit pas "Mademoiselle" la/le juge, même à  une femme juge non mariée -et encore moins à  un homme d'ailleurs...
    En fait c'est un "Madame" majestatif, quoi...
  3. Il était temps que les magistrats fassent enfin des "études approfondies"..! M'étonnerait ceci étant que le papa soit un juge, je me suis laissé dire que leurs rapports avec "leur cheftaine à  tous" étaient un peu tendus... (ben justement, ajouterait un esprit fripon, que je ne suis pas); mais je pensais que son identité avait été révélée (encore un procès en perspective !) ?
  4. Doudougalak
    J'apprends à  l'instant que dans le cadre d'un contrôle douanier, un individu peut refuser la fouille corporelle que doit parfois pratiquer le médecin.

    Qui s'y colle alors ?????? Un magistrat !!!

    Je ne sais pas si Mme D. a eu son MBA, mais ce dont je suis presque sûre, pour avoir des infos dans le milieu c'est que ni la formation initiale, ni la formation continue de l'Ecole Nationale de la Magistrature ne prévoit cette hypothèse...

    Au fait, c'est qui le père du bébé ?

    Parce qu'il me manque peut-être certaines informations sur les méthodes pratiquées en matière de fouille à  corps...
  5. Non seulement ça marche, mais en plus il est très bien ce lien -tu vois que c'est fondamental, de pouvoir ajouter des photos aux commentaires..! Ceci étant, si je suis poursuivi pour ce même lien, que je te remercie de laisser là  où il est, car j'aime vivre dangereusement, il est clair que je t'appelle aussi sec en garantie... (J'ignore si Mademoiselle A. appréciera ce montage patient, m'en vais peut-être bien lui poster le lien sur son blog, tiens...)
  6. @ Vincent : merci et... Autant pour toi !
    @ Dric : il est véritablement scandaleux de venir ici critiquer les fonctionnalités de ce modeste blog, quant on voit l'état du tien - sur lequel je ne me permettrais jamais ce type de comportement...
    Ceci étant, à  mon sens, ce n'est pas "le même truc"(le mien est meilleur, évidemment); et puis surtout, mon éminent confrère ayant l'obligeance, comme moi-même, d'afficher l'heure à  laquelle un article est publié, tu pouvais avoir la gentillesse de constater que le mien avait une vingtaine de minutes d'avance sur le sien ! Ce dont je ne suis pas peu fier, vue ses habituelles rapidité et capacité de production, et pour une fois que je me lance sur un sujet d'actualité immédiate (J'ai grillé Eolas-eu, j'ai grillé Eolas-eu !!!! Hum, bon, calmons nous, dignité avant tout, il s'agit d'un confrère... Pouf-pouf, j'lai grillé quand-même... Stop !)...
    Pour le lien, avais-tu utilisé dans ton commentaire l'icône d'ajout de lien, qui fonctionne en principe ? Je sais que contrairement à  moi, tu n'y connais rien en informatique, mais enfin...
  7. Ayant lu juste avant un billet de Maître Eolas sur le même sujet, je me suis dit : "merde, je vais lire deux fois le même truc".
    Je demande donc officiellement que les avocats bloggueurs se consultent avant de parler d'un sujet afin d'éviter la redondance dans les flux RSS. C'est vraiment pénible.
    Et pour conclure en clin d'oeil :http://www.imagebam.com/image/9d357f1579253/ (dommage, ça ne fait qu'un lien sans s'afficher)
  8. Bonsoir Maître Mô,

    Ma déclaration ne sera guère virile, mais je t'adore, mon ami ! J'aime les potentialités de ton être, dont ce weblogue est une démonstration : tu mêles avec harmonie discussions anecdotiques et articles techniques;

    Sur cet article, je ne réagirai pas, en raison de mon ignorance... Je suivrai l'adage assurément un peu trivial et approximatif "je préfère ne rien dire et passer pour un con que de l'ouvrir et d'enlever le doute !".

    Ceci posé, je suis allé voir au cinéma cette après-midi le film "C'est dur d'être aimé par des cons" sur l'affaire des caricatures de Mahomet reproduites dans "Charlie Hebdo". J'avais noté l'affirmation de Maître Richard Malka expliquant que la parole d'un avocat était libre dans l'enceinte d'un tribunal ! Le film est partial mais, paradoxalement, j'aime assez l'humour de Francis Szpiner.

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