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CIP : Conseiller qui, Insérer comment, et Prouver quoi ?

Dans lequel CIP12, Conseillère d’Insertion et de Probation1, a souhaité nous raconter son métier, fondamental et pourtant souvent méconnu, et toujours dépourvu de moyens réels, quand il consiste pourtant, lui aussi, à  aider, sinon sauver, des gens…
Dur boulot, vous l’allez voir, aux facettes multiples, et qui requiert selon moi un cœur solide, et une infinie patience…
Je vous laisse avec elle, c’est à  dire entre de bonnes mains -en la remerciant pour ce texte, que je parsème néanmoins de mes petites notes ironico-légendaires, quand-même, pas question de la laisser tranquillement faire sa promotion sans rien dire !
L’administration pénitentiaire comporte plusieurs corps de métier.
Les personnels de direction, les personnels administratifs, les personnels techniques, les personnels de surveillance et les personnels d’insertion et de probation.
Ce dernier corps est peu connu, y compris au sein de l’administration pénitentiaire (que les surveillants qui me lisent ne m’en tienne pas rigueur)2 .
Nous sommes un peu plus de 3000 conseillers d’insertion et de probation (C.I.P)3 .
Un CIP peut travailler en milieu ouvert ou en milieu fermé (Certains travaillent en mixte, à  savoir sur les deux terrains)4 .

Le milieu ouvert
Les CIP travaillent dans une antenne placée en dehors d’un établissement pénitentiaire.
Ils suivent des PPSMJ (Personne Placée sous Main de Justice) appelées également des probationnaires5 .
Ces PPSMJ sont suivis pour différentes mesures.
– Le SME (sursis avec une mise à  l’épreuve) : la personne est condamnée à  une peine d’emprisonnement avec du sursis à  condition qu’elle respecte certaines obligations.
Les principales obligations sont celles de soins (alcool ou stupéfiant)6, obligation de travail (ou de rechercher un travail), obligation d’indemniser les victimes. Ce sont les obligations particulières.
Pour chaque suivi, il y a aussi des obligations générales, telles répondre aux convocations, ne pas quitter le territoire français, prévenir de tout déménagement.
La personne peut aussi se voir poser des interdictions comme celles de fréquenter des débits de boissons ou d’entre en contact avec les victimes.
– Le TIG : la personne est condamnée à  un Travail d’Intérêt Général, à  charge pour le CIP de trouver un lieu habilité pour qu’elle effectue ses heures de TIG.
– Le SSJ (le Suivi Socio Judiciaire) est prononcé lors de la condamnation (donc parfois 10 ans, 20 ans avant sa mise en œuvre). Il s’agit de suivre la personne une fois sortie de prison. Les obligations sont souvent les mêmes que pour un SME.
Dans le même esprit, il y a la surveillance judiciaire. C’est la même chose que le SSJ sauf qu’il est prononcé à  la fin de la détention dans le cadre d’un débat contradictoire7 .
– La POP, permanence d’orientation pénale, appelée aussi enquête sociale rapide. Il s’agit de rencontrer parfois brièvement, la personne en garde à  vue avant son passage devant le tribunal en comparution immédiate.
Cette enquête à  pour but de faire le point sur la situation sociale et professionnelle de la personne. Elle peut également permettre au CIP d’informer le tribunal du respect ou non des obligations dans le cas d’un sursis avec mise à  l’épreuve si la personne ne comparait pas pour la première fois…8
Les CIP de milieu ouvert suivent également les personnes qui sont en libération conditionnelle. Là  encore, les obligations potentielles sont les mêmes que pour les SME.

Il existe une dernière mesure qui est le CJ, Contrôle Judiciaire. C’est une mesure prise avant le jugement, “en remplacement de la détention provisoire”.9
Dans le cadre de tous ces suivis, la personne doit se présenter régulièrement au SPIP (service pénitentiaire d’insertion et de probation) 10 et justifier du respect de ses obligations.
Le CIP fait des rapports réguliers au juge d’application des peines, et peut le cas échéant demander la révocation d’une mesure en cas de non respect des obligations.

En plus de ces suivis, le CIP de milieu ouvert effectue également des enquêtes pour les personnes incarcérées.
Le dossier d’un détenu demandant un aménagement de peine ou une permission de sortir doit, légalement, comporter différentes enquêtes.
L’enquête hébergement, afin de vérifier que la personne est bien d’accord pour accueillir le détenu, mais aussi pour vérifier s’il n’y a pas une tendance à  consommer des boissons alcoolisées ou encore la présence d’enfants au domicile…
De plus en plus l’enquête hébergement se couple à  une enquête de faisabilité PSE (Placement sous Surveillance Électronique). Il s’agit de vérifier si la personne a une ligne téléphonique compatible avec le système du PSE11 .
L’enquête employeur consiste à  vérifier la véracité de la promesse d’embauche. Elle permet aussi de constater si l’employeur n’a pas de problème avec la justice (comme une condamnation pour travail dissimulé par exemple…)12
L’enquête la plus difficile à  réaliser est sans aucun doute l’enquête victime.
Le CIP doit contacter la victime, d’une part pour savoir où elle réside (si elle habite la maison voisine du lieu d’hébergement du détenu, c’est pas forcément une bonne idée…) et, d’autre part, savoir ce qu’elle pense de la demande d’aménagement de peine de la personne.13
Je vous laisse imaginer les difficultés rencontrées dans le cadre de ces enquêtes…
Toutes ces enquêtes sont donc utiles aux CIP travaillant en milieu fermé.

Le milieu fermé
Avant d’expliquer le travail d’un CIP en milieu fermé, je me permets un petit rappel sur les différents établissements pénitentiaires.
Les MA (Maisons d’Arrêt) accueillent les personnes en détention provisoire, donc en attente d’être jugées. Bon, je suis d’accord, il y a de plus en plus de personnes condamnées, mais c’est un autre débat14 .
Les CD (Centres de Détention) et les MC (Maisons Centrales) accueillent les personnes condamnées. La différence entre les CD et les MC est surtout sécuritaire.
La longueur de la peine ne compte plus forcément, il y a en effet des condamnés à  perpétuité en CD, même si ces derniers établissements sont censés être centrés plus vers la réinsertion.
Bon maintenant que le décor est planté, je me lance dans l’explication du travail d’un CIP en milieu fermé.

En maison d’arrêt, il s’agit souvent de travailler dans l’urgence.
La personne qui est arrêtée à  la sortie de son travail, amenée en garde à  vue, puis qui suit toute la procédure (que je me garderai bien d’expliquer) avant de se voir notifier son placement en détention provisoire,arrive donc directement en prison, sans affaires, souvent déboussolée et fatiguée15 .
Le CIP la reçoit en “entretien arrivant”, lui explique comment ça va se passer, prévient sa famille et parfois essaie de lui trouver des vêtements de rechange.
Il arrive parfois aussi que le CIP doive trouver une solution pour les chiens restés seuls au domicile…16
Le CIP rencontre régulièrement le détenu pour répondre à  ses questions et pour faire le lien avec la famille qui n’a pas la possibilité d’avoir le détenu au téléphone17 .
Pour les personnes condamnées et incarcérées en maison d’arrêt, le travail du CIP de MA se rapproche du travail du CIP en CD.

En CD, le travail est plus centré sur la réinsertion.
Un CIP de milieu fermé rédige les rapports et donne son avis sur la demande d’aménagement de peine formulée par le détenu (le plus souvent une libération conditionnelle).
Il signale également parfois au juge et/ou au parquet un détenu qui serait dangereux ou qui présenterait un risque de récidive, dans le but de voir prononcer une mesure de surveillance judiciaire.
Le CIP participe à  différentes commissions.
La principale est la CAP (Commission d’Application des Peines). C’est lors de cette commission que se décident les permissions de sortir. Le CIP présente de façon objective la situation du détenu et donne son avis sur l’opportunité de la permission de sortir.
D’autres personnes donnent également leur avis avant que le juge d’application des peines ne prenne sa décision. (la direction, le gradé et le procureur)18 .
Lors de ces commissions, on examine également les remises de peine supplémentaires19. On étudie sur un an les efforts faits par la personne et on donne notre avis sur l’octroi ou non de remises de peines.
Il y a d’autres commissions comme la commission PEP (Parcours d’Exécution de Peine), où les différents services intervenants en détention se réunissent pour faire le point une fois par an sur la situation du détenu (ses activités en détention, les efforts fournis dans le cadre de la réinsertion…).
Le CIP donne aussi son avis lors des commissions de classement. Lorsque le détenu demande à  être classé à  un poste de travail, on se réunit afin de décider de l’opportunité de classer cette personne à  tel ou tel poste.
Une commission moins réjouissante, enfin, est la commission suicide. Il s’agit d’évaluer le risque suicidaire de la personne et de décider si elle est ou non placée en surveillance spéciale…

Beaucoup de réunions à  préparer, donc, et auxquelles il faut participer.
En plus de ça, nous allons rencontrer les détenus en détention pour répondre à  leurs interrogations et les orienter vers le service compétent.
Nous avons aussi parfois d’autres choses à  faire, nettement moins porteuses d’espoirs : lorsqu’une famille nous appelle pour nous annoncer le décès d’une personne, c’est à  nous que revient la triste tâche d’aller annoncer cette mauvaise nouvelle au détenu, et s’il le faut préparer une permission de sortir en urgence pour que la personne puisse se rendre aux obsèques.
Voilà  dans les grandes largeurs le travail d’un CIP.
J’espère avoir été claire.
Je réponds le premier, en vous confirmant que oui, et qu’on ne peut qu’être effaré par la lourdeur de la tâche…
Mais le mieux, c’est sans doute de donner la parole, pour finir, à  cet ancien détenu20, à  qui je me suis permis de lire votre texte, et qui l’a parfaitement intégré :

“Oui, c’est bien ça : personnellement, j’avais été présenté en CI, et placé sous CJ dans l’attente de ma compa : pour la POP, j’ai retrouvé la CIP qui m’avait précédemment suivi en tant que PPSMJ pour ma première peine, j’avais un SME avec obligation d’accomplir un TIG, pas comme là ,où j’ai pris du ferme, avec un SSJ, ça a été aménagé en PSE, mais pas quand j’étais en MA, après mon transfert en CD, quand j’ai eu touché mes RP et mes RPS, la même CIP siégeait à  la CAP, je crois que maintenant elle est souvent en PEP, en tout cas je l’ai pas revue au SPIP, qui m’a suivi après.”

Merci pour lui, et pour eux, CIP12 !

  1. Que j’ai, une autre fois, horriblement vexée en me contenant de la faire “membre des services sociaux”, honte sur moi ! []
  2. D’autant que, si tout se passe encore comme lors de mon séjour de quinze jours en prison il y a dix-sept ans, c’est le grand amour entre surveillants et “services sociaux” (pardon, CIP12 !), n’est-ce pas ? []
  3. Pour, selon le Ministère, 62.000 détenus et 160.000 personnes suivies en milieu ouvert, des ratios édifiants des immenses moyens mis à  la disposition des CIP de France… []
  4. J’adore le jargon judiciaire, qui a toujours peur de dire les mots : “milieu fermé” pour “prison”, je vous jure… Milieu de quoi, d’abord ? []
  5. Ce n’est que le début des acronymes, l’administration adore ça -je n’ai connu que l’armée qui en emploie autant, vous allez voir… []
  6. CIP12 veut bien dire qu’on les soigne dans ces deux domaines d’addictions, hein, pas qu’on leur en fournit… []
  7. C’est la “SJ”, non ? CIP12, vous fatiguiez, là  !! Bon, allez, d’accord, j’arrête. []
  8. Cette enquête est fondamentale pour nous autres, pauvres avocats plaidant en comparution immédiate, pour qui elle constitue la plupart du temps le seul élément de personnalité du dossier, à  part le casier judiciaire… []
  9. Alors là , euh, hum, non : la règle, c’est qu’on reste libre; si c’est insuffisant, on astreint la personne à  une ou plusieurs obligations, dans le cadre du dit contrôle judiciaire; et si, et seulement si, ces obligations sont insuffisantes pour garantir le respect des critères légaux limitativement énumérés, en gros risques de fuite, de pressions sur les témoins ou la victime, de récidive, alors, et alors seulement, on place en détention provisoire -le contrôle judiciaire ne la remplace pas, c’est la détention qui peut le remplacer, en dernier recours… Bon, ça, ce sont les textes, parce qu’en pratique… C’est parfois CIP12 qui a raison !!! []
  10. Quand on sait que beaucoup des délinquants qui sont suivis par le SPIP sont des délinquants sexuels, on peut se demander si le créateur de ce service a souhaité faire preuve d’un humour égrillard, ou pas du tout -et  on peut aussi se demander quelle hypothèse est la pire ! Il faut en tout cas voir la tête du gars quand on lui explique qu’il doit aller au SPIP… []
  11. C’est à  dire en général une ligne téléphonique supportant le numérique. Vous le croirez si vous voulez, mais cette vérification technique, d’une simplicité biblique, prend souvent des mois, et est source de nombreux reports d’examens des demandes d’aménagements, ça me rend régulièrement fou -vive la France et les moyens gigantesques qu’elle se donne !!! []
  12. Vous êtes vraiment d’un naturel méfiant, vous, les CIP… Moi, quand on me donne une attestation d’hébergement ou d’embauche, je ne vérifie pas… Surtout pas ! []
  13. Pas la peine : dans 99% des cas, je sais déjà  ! []
  14. Incompatible avec le devoir de réserve, hum..? []
  15. On ne dira jamais assez, effectivement, la violence extrême de ces décisions de placement en détention provisoire… []
  16. Je pourrais faire des tas de blagues formidables sur ce point, mais c’est tellement tout bêtement triste que non… []
  17. Ça va changer, paraît-il, enfin, c’est dans la Loi Pénitentiaire… []
  18. Tandis que l’avocat n’y est même pas convoqué, soit dit en passant []
  19. Sur les acronymes, vous faiblissez, CIP12, vous faiblissez : ce sont les RPS, à  ne pas confondre avec les RP, qui sont les remises de peine calculée et attribuée automatiquement… []
  20. devenu magistrat, comme beaucoup d’entre eux []