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Change pas d’main, j’sens qu’ça vient…

(Je prie mes lecteurs les plus prudes de bien vouloir excuser ce titre vulgaire et racoleur, je cherchais un jeu de Mô sur MAM en rapport avec ce qui suit, et je n’ai rien trouvé, on fera mieux une autre fois. Et puis, j’ai l’énervement grossier, je n’y peux rien…)

Pour se réveiller de bonne humeur, voire tout guilleret, de bon matin, soit vers 4 h 30 concernant votre serviteur1, rien de tel que l’annonce officielle de la prise en compte de l’inconstitutionnalité déclarée de la garde à  vue française, par celle, subséquente, de l’existence d’un “avant-projet de loi” réformant enfin notre garde à  vue pitoyable.

C’est donc l’œil vif, “le teint frais et la bouche vermeille”2, et trouvant mon café de la nuit particulièrement réussi, que j’ai lu tout à  l’heure ce communiqué de Madame la Gardienne des Sceaux, pleine d’entrain et d’espoir en ce 7 septembre 2010, probablement parce que du fait des grèves, elle n’aura pas été ennuyée dans son travail, pour une fois3 .

Seulement voilà , en matière de projets de loi réformant ma procédure pénale chérie, il sera dit qu’à  chaque fois qu’une amélioration pointe le bout de son nez, il existe toujours un lourd bémol idiot pour me faire tordre le mien – au moins un …

Bref, car le temps tourne, il pleut des cordes donc ça ne roulera pas, et je dois emmener Petit Mô à  la crèche avant six audiences ce matin4, voici, en avant-première française je pense, ledit communiqué, et mes pauvres commentaires d’avocaillon septentrional5, notamment sur le passage qui m’a fait bondir, mais les avocats ne sont plus guère à  ça près, ces derniers temps (le texte d’origine est en italique)…

“07 septembre 2010

La décision du Conseil constitutionnel est du 30 juillet 2010, et toutes les gardes à  vues prises depuis lors sont inconstitutionnelles, mais à  effet différé, une première en France, qui aurait dû conditionner une vague notion d’urgence : 900.000 gardes à  vues par an, ça veut dire si je compte bien 75.000 par mois en moyenne, en voilà  déjà  75.000 de faites inconstitutionnellement …

Déclaration M. Alliot-Marie : avant-projet de loi sur garde à  vue
Communiqué de presse de Michèle Alliot-Marie
Les deux textes déposés au Conseil d’État répondent à  la philosophie et aux objectifs ambitieux que j’avais fixés il y a un an, lorsque j’ai entamé le travail de réforme de la procédure pénale.

Je n’y connais rien en “droit du projet de loi”, à  ma grande honte6, mais j’avoue ne pas comprendre ce que nous faisons au Conseil d’État … Je manque de temps pour chercher, donc le premier qui sait ce qu’un avant-projet de loi réformant la garde à  vue vient fabriquer devant la Haute Juridiction Administrative, pour avis je suppose (?), peut me couvrir de fange en commentaire, je ne l’aurai pour le coup pas volé [ EDIT de 10 heures 45, le jour même : dès qu’on propose publiquement de couvrir de fange un avocat, il y a plein de volontaires, cf. les premiers commentaires : donc, d’accord, article 39 de la Constitution, c’est normal et bien pour avis. Et je repars, honteux de mon incurie.]

En matière de garde à  vue notamment, j’avais indiqué qu’il y avait trop de gardes à  vue, que les conditions de déroulement de la garde à  vue n’étaient pas satisfaisantes, et qu’il n’y avait pas assez de droits pour la défense.

Il faut reconnaître que c’était drôlement bien vu, avec toutes ces décisions européennes, puis internes, toute la presse révélant des dizaines de scandales liés à  la garde à  vue, les déclarations de tout le corps politique, Premier Ministre en tête (normal), non, c’est vrai, c’était presque, euh, visionnaire…

C’est ce qu’a réaffirmé solennellement le Conseil constitutionnel.

Oui, c’est assez vrai – peut-être un peu ténu, comme rappel, mais je reconnais que certains mots font mal : il a déclaré les textes essentiels régissant la garde à  vue inconstitutionnels. C’est effectivement une affirmation un poil solennelle.

Cet avant-projet de loi répond à  ce triple objectif.

A mon sens, triplement pas, ou pas encore, au moins, d’où mon titre grivois… Je sens qu’on en reparlera.

D’abord, il permettra qu’il y ait moins de gardes à  vue. Tout d’abord, ne pourront être placées en garde à  vue que les personnes soupçonnées d’un crime ou d’un délit puni d’une peine d’emprisonnement.

Oui, ben là , j’ai connu des avancées un peu plus radicales : comme ça, à  la va-vite, ne me vient à  l’esprit, comme délit puni d’autre chose qu’une peine de prison, que celui de diffamation publique – je ne sais pas trop si ça va radicalement faire baisser les stats, ça…

Par ailleurs, l’avant-projet de loi prévoit la possibilité d’entendre une personne suspectée sous un régime d’audition libre plutôt que de garde à  vue, à  partir du moment où celle-ci accepte de demeurer dans les locaux de police pendant le temps strictement nécessaire à  son audition.

Je m’étais déjà  exprimé je ne sais plus où7 au sujet de cette fameuse “audition libre”, que la jurisprudence fait effectivement déjà  exister actuellement : c’est non. La personne “acceptant de demeurer dans les locaux de police pendant le temps strictement nécessaire à  son audition”, on ne précise pas si elle y est venue spontanément et librement, dans ces somptueux locaux, ni sous quelles garanties on recueille son accord, ni enfin pourquoi, parce qu’un type est gentil et participe de bon cœur, en citoyen responsable, à  une enquête de police, on devrait lui refuser un avocat, le droit à  un médecin, etc…

Je connais des auditions qui ont duré dix heures, au fait.

La prolongation de garde à  vue ne sera plus possible pour les délits punis de moins d’un an d’emprisonnement.

Même remarque que précédemment : il y en a un peu plus, de ces délits, mais là , à  brûle-robe8, je n’ai aucun exemple à  vous fournir : avancée timorée, pour le moins…

Ensuite, l’avant-projet interdit les fouilles à  corps intégrales et il prévoit la notification du droit au silence.

Ça, c’est bien. D’autant que nous avons là , enfin, la reconnaissance explicite du fait qu’actuellement, des fouilles à  corps intégrales, il y en a – inconstitutionnellement toujours, donc.

Enfin, il affirme le droit à  la présence d’un avocat durant toute la garde à  vue, pour toutes les gardes à  vue de droit commun.

Ah-ah… Bon, nous y sommes, le projet initial s’emberlificotait encore dans des tas de conditions et d’allers-retours de l’avocat, qui demeuraient rares et “en aveugle” … Là , non, nous y serons. Bon, outre que “Synergie, t’as drôlement bien fait de la ramener comme un gros bûcheron”, la question est : nous y serons comment ? Accès au dossier ? Assistance à  toutes les auditions, avec droit d’intervention ? Non, parce qu’entre une plante en pot exposée trente minutes, comme actuellement, et la même, mais exposée vingt-quatre ou quarante-huit heures, le progrès n’est pas sensible, comprenez-vous… Confrères, j’ignore ce que cet avant-projet contient exactement, mais là -dessus, plus que jamais, vigilance totale, accès au dossier en temps réel et rôle actif de l’avocat devant absolument demeurer les deux pans de nos rabats !

Le Conseil constitutionnel a néanmoins reconnu que le droit à  la présence de l’avocat lors des auditions peut connaître des exceptions dans des circonstances particulières, pour rassembler ou conserver les preuves ou assurer la protection des personnes.

Voilà . Outre que je n’ai pas cette lecture de ladite décision, qui à  mon sens faisait à  ce propos référence aux procédures de garde à  vue particulières, autres que de droit commun (terrorisme, bande organisée, stups’, qu’elle n’a d’ailleurs pas soumises à  réforme, ce qui est désolant), ce passage m’énerve immédiatement : pouvez-vous m’indiquer en quoi la présence de l’avocat s’opposerait à  la nécessité de “rassembler ou conserver des preuves ou assurer la protection des personnes” ? Sérieusement ?

J’en ai vraiment, vraiment, ras la toque d’être constamment, par la police ou beaucoup plus gravement, par “mon” ministre et ses représentants, soupçonné d’être un complice objectif de mon client. J’ai choisi avocat, comme métier, pas délinquant, c’est pourtant simple à  comprendre, non, Madame la Gardienne ? Je crois, sous toutes réserves, que vous avez vous-même effectué le même choix, il y a longtemps, non ?

Le projet réserve donc la possibilité pour le procureur de différer cette présence, à  la demande de l’officier de police judiciaire, pendant une durée maximale de douze heures en raison des circonstances particulières tendant à  la nécessité de rassembler ou de conserver les preuves.

Je pense par exemple à  un enfant enlevé par un pédophile et pas encore retrouvé.

Et voilà , là  on ne rit plus du tout, cet exemple est extraordinaire, et une véritable déjection ! Je cherche désespérément à  le comprendre autrement qu’ainsi : “Si le pédophile avait bénéficié d’un avocat à  ses côtés en garde à  vue, on risquait de ne pas retrouver sa victime”, on est bien d’accord ?

C’est répugnant, et indigne.

Ça s’appelle, Madame, de la diffamation, pure et simple, la même que des avocats lillois sont actuellement occupés, mandatés par l’Ordre, à  poursuivre en justice à  l’encontre de Synergie…

Bon sang, ici encore, sincèrement, pouvez-vous m’expliquer, poliment ?

Cela concernera en pratique un nombre limité de cas.

C’est donc la très grande majorité des personnes placées en garde à  vue qui pourront demander à  bénéficier de la présence d’un avocat pendant toute la durée de leur garde à  vue.

Le principe est donc celui de la présence de l’avocat tout au long de la garde à  vue.

L’exception étant la possibilité de différer cette présence de 12 heures au maximum dans des circonstances particulières.

C’est le parquet qui décidera, et j’ai vu arriver tellement d’exceptions de procédure devenues rapidement la règle, de façon couverte par la jurisprudence, que vous me permettrez d’émettre toutes réserves utiles sur cette affirmation, et de demander, au moins, à  ce qu’un juge indépendant soit saisi pour cette décision, si vraiment un justificatif de sa nécessité autre qu’insultant peut m’être fourni.

Le Conseil d’État a été saisi de cet avant-projet de loi ainsi que de la 1ère partie de la réforme de la procédure pénale.

Ah bon ? Mais, euh, ce n’était pas gelé, cette histoire, avec toute cette “concertation”, là  …? Bon, ben en voilà , un scoop, mais dites, on aurait peut-être pu être prévenu en amont, non ?

Dès qu’il les aura examinés, ils seront soumis au conseil des ministres puis au Parlement.”

Voilà , je voulais juste faire mon petit rapport d’ (première d’une longue série, je le sens) étape sur cette inéluctable réforme.

On ne peut nier qu’elle contienne, au moins en son esprit général, des avancées majeures, mais, qu’on se le dise, les avocats ne peuvent accepter que cette réforme ne soit pas totale. Et, moins encore, qu’on s’y méfie d’eux.

Je n’ai de soupçon de principe de malhonnêteté ni à  l’encontre des policiers, ni à  l’encontre des politiques, ni à  l’encontre du législateur.

Lorsque l’un des membres de ces groupes est cependant malhonnête, on le poursuit.

Je demande expressément aux mêmes de m’accorder le même crédit, sous exactement la même limite – évidemment.

Et j’ai un peu honte de devoir le faire.

Madame Alliot-Marie, vous pouvez être la “Mère” historique d’une avancée sans précédent de la procédure pénale française, votre nom peut passer à  la postérité comme celui de la Ministre qui aura définitivement rendu la garde à  vue contradictoire, décente et respectueuse des principes inaltérables du droit pénal français, et mis tous ses acteurs sur un pied d’égalité, enfin…

Faites-le, en respectant autant les avocats que les policiers. Et ce sera Justice.

  1. …Par un grand “bong” particulièrement sonore en pleine nuit, son fils de trois ans s’étant cassé la figure de son lit – je crains qu’il n’ait hérité de la nervosité de son père, ça nous fera un excellent pénaliste ! Ou bien un assesseur correct en correctionnelle, lequel lui aussi tombe parfois littéralement de sommeil, à  l’audience… []
  2. Pour les jeunes qui me suivent sur FaceBook : oui, c’est du français. Comme Molière n’a pas de compte FaceBook et n’a jamais joué au foot, je vous traduis : “p’tain, trop en forme, vas-y lui sa peau c’est l’Mont Blanc, y s’met d’la crème ou quoi ? Sa mère c’est Danette à  la vanille, hin-hin-hin…” []
  3. Contrairement à  moi, qui ai passé hier soir une heure trente dans ma voiture coincé à  un feu à  cinq cents mètres de chez moi, ayant dû finir par demander par téléphone à  la nounou de Petit Mô de bien vouloir m’apporter icelui dans ma voiture, pour qu’elle puisse repartir chez elle, opération effectuée sous les regards hilares d’abrutis revêtus de rouge que j’aurais volontiers tous frappés jusqu’à  la mort, s’ils n’avaient été plus nombreux que nous deux, et aussi plus costauds – grévistes manifestant hier à  Lille non loin de la Mairie de Madame la Future Présidente de la République, je ne vous aime pas. []
  4. Oui, les avocats peuvent être à  six endroits différents en même temps, enfin trois en l’occurrence, c’est notamment pour ça qu’ils pètent de thunes. []
  5. J’ai lu récemment ce qualificatif réservé à  Maître Mô dans un commentaire sur un petit site minable, sous la plume d’un commentateur dont j’ai soigneusement retenu le pseudonyme – il se reconnaîtra… []
  6. Le Droit Constitutionnel, puis Administratif, s’étudie pendant les trois premières années de droit, et à  l’époque, je n’allais jamais en cours, je découvrais, à  la place et dans l’ordre, les mystères et circonvolutions 1/ des boissons alcoolisées 2/ des filles … []
  7. Marie, ô Omnisciente Mémoire de ce Blog, au secours ! []
  8. Variante audacieuse et moderniste de l’expression “brûle-pourpoint”, on l’aura compris … []