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Ceci est ma robe…

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… Ceci est mon habit professionnel, ceci est mon armure, et je tiens à  cette chose ici négligemment posée sur le parquet de mon bureau, en une pose volontairement un tantinet négligée et alanguie, plus qu’à  toute autre composante de ma vie professionnelle.

Ce n’est pourtant que la deuxième, la première, exsangue, en lambeaux, trônant néanmoins toujours fièrement dans mon cabinet – ne serait-ce que pour me rappeler constamment les efforts fournis, les batailles livrées (les nombreuses portes accrochées involontairement avec les manches aussi, il faut bien le dire…), et aussi pour sourire, parfois, au souvenir des larmes de ma grand-mère paternelle, le jour de ma prestation de serment, assise dans la grande salle du Parlement des Flandres de la Cour d’Appel de Douai : c’est elle qui me l’avait offerte, et je crois bien qu’elle était fière, même si bien souvent par la suite, à  l’occasion de tel ou tel article dans la presse mentionnant son petit-fils, elle avait un peu tendance à  me confondre avec le procureur (” Tu n’as pas demandé une grosse peine pour ce voleur, tss, tss…”).

Mais c’est MA robe.

Qui s’est avec le temps un peu voùtée parce que je me tiens mal à  l’audience, qui pue bien souvent au sortir de celle-ci, remplie de ma sueur et ointe de l’effort, dont on ne racontera jamais assez l’ampleur, que représente toujours une plaidoirie, quelle qu’elle soit, que je porte constamment dès que je suis dans mes fonctions (c’est forcément vieillot, mais je déteste que la pratique ait parfois autorisé son absence, et par exemple que les juges d’instruction ne la revêtent pas lorsqu’ils sont “en acte”), et qui se souvient de chaque personne qu’elle a eu la chance d’approcher aussi bien que moi-même.

Je ne l’ai jamais dénaturée, et n’y épingle aucune médaille (“Ne pas les demander, ne pas les porter“), autre pratique qui ne me convient pas, n’en trousse jamais les grandes manches, quand bien même il fait quarante degrés dans la salle d’audience (ce qui à  LILLE survient assez peu tout de même, c’est vrai), et je déteste plus encore que les confrères la laissent parfois ouverte jusqu’au col, pendouillante et liquide, le rabat à  l’envers tombant sur le côté; et par dessus tout, qu’un sac à  main ne la bariole tout à  coup, tout ce noir soudain défiguré de façon saugrenue (ma veste à  moi, qui me sert de contenant-à -portefeuille, demeure posée sur un banc ou un pupitre quand je plaide, on peut concevoir que les sacs des consoeurs fassent de même, non ?)…

L’hermine, en peau de lapin, probablement synthétique, me sert à  distraire les petits enfants que j’assiste parfois, le rabat (la sorte de bavette pendant au col, que par superstition et oubli je lave le moins souvent possible, il est immonde de crasse, mais c’est MON rabat) cache le stylo que j’épingle dessous, sur l’ouverture, et tout ce noir étrange (attention, la mienne est en microfibre quand même, il y a rire et rire…) me protège, fait de moi un confrère parmi les confrères, un enrobé devant d’autres enrobés dont rapidement j’oublie le pan de soie qui figure sur la leur, signalant par là  un juge plutôt qu’un avocat ou un greffier, et est à  mes yeux le rappel constant de la noblesse de mon métier.

Le serment, méconnu, prêté par l’avocat est :

” Je jure, comme avocat, d’exercer mes fonctions

avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité. ”
Sacré morceau de phrase, non ?

Voilà , c’était, dans une journée de travail un peu folle et très dense, mon moment d’intensité avocaturale – petit hommage à  Saint Yves, aussi, notre grand Patron, dont c’était la fête hier…

Lorsqu’il n’y a plus rien à  plaider, ou qu’il n’y a rien à  plaider tout court, il nous reste la robe, et tout ce qu’elle symbolise – et les mots viennent, le coeur gonfle, et l’on plaide !