Au Guet-apens

SUITES DE L’ENQUÊTE – L’INSTRUCTION

Mais deux séries d’éléments étaient rapidement venues compliquer les choses, pour les deux hommes, pour certaines avant même l’issue de la garde à vue et leur présentation à un juge d’instruction, puis leur placement en détention provisoire, pour d’autres, obtenues dans des délais plus longs, par la suite, au cours de l’information judiciaire -l es deux mis en examen, pourtant, n’allaient par la suite jamais varier dans leurs déclarations.

Les constatations techniques, d’abord.

De l’examen du corps, on retirait d’une part, que l’autopsie et les expertises médicales subséquentes, entomologique notamment, permettaient de situer assez précisément la mort autour de deux heures du matin, à plus ou moins une demi-heure ; d’autre part, que l’examen minutieux de la plaie, de la largeur de chaque marque ayant dentelé la blessure qui avait déchiqueté la gorge de la malheureuse, rendaient compatible avec le crime l’utilisation du couteau de Roger, “ou de toute arme présentant exactement les mêmes caractéristiques de largeurs de lame et de dents”.

Par ailleurs, il était établi que le coup fatal avait été unique, porté avec force, l’entaille était très profonde, par une personne se tenant derrière la victime et lui ayant maintenu la tête d’une main en l’égorgeant de l’autre, il semblait impossible à l’expert qu’une déchirure aussi rectiligne et franche puisse avoir été causée de face ; or, ce geste ayant été effectué de droite à gauche, il était l’œuvre d’un gaucher, et d’un gaucher par ailleurs de grande taille, comme la victime : la plaie était horizontale, et les traces de sang, ainsi que les prélèvements sur les genoux du pantalon de celle-ci, excluaient qu’elle ait été à genoux ou allongée lors de l’acte fatal.

Enfin, le corps ne comportait aucune lésion de défense ou de traînage ; et la victime avait sous les ongles une minuscule croûte de sang, d’une part, et un fil de tissu bleu, d’autre part.

Ahmed était droitier, Roger gaucher. Ahmed était petit et malingre, Roger grand et costaud. La particule de sang sous un ongle de la victime s’avérait être celui d’Ahmed, mais Geneviève l’avait griffé pendant la dispute. Le fil de tissu s’avérait provenir du costume qu’Ahmed portait la veille : Ahmed supposait qu’elle le lui avait arraché dans le même geste, ou un autre ; on lui objecterait qu’il était peu plausible que ce fil soit resté tout ce temps sous l’ongle de la défunte, et on lui ferait reconnaître par ailleurs qu’il ne portait pas sa veste lors de leur altercation, et qu’il serait étonnant que ce fil provînt de son pantalon …

Le corps et les habits ne comportaient soit pas d’ADN tiers, soit pas de traces exploitables.

Les constatations matérielles, ensuite.

De l’examen du couteau, on retirait l’évidence, savoir qu’il avait été lavé dans les quelques heures précédant sa découverte, et pas seulement à l’eau, mais à l’eau et au savon ; mais aussi qu’il restait dessus, dans la fente entre le manche et la lame, un infime résidu microscopique d’une matière organique, impossible à mieux identifier ou à analyser finement, une particule de chair qui ne “parlerait” pas, et qu’il serait notamment impossible de dater ; sur le manche figurait l’ADN de Roger, uniquement.

Roger expliquerait que ce couteau avait déjà servi, par le passé, sur des volailles notamment, et, plus anciennement encore, qu’il avait “fait la guerre”, avec lui, et avait par exemple aussi servi à l’époque à se graver le “x” qui figurait sur l’un de ses avant-bras …

De l’examen des taches sur les vêtements des trois personnes concernées, on retirait qu’elles ne comportaient pas de sang, à part évidemment sur ceux de Geneviève, laquelle avait très abondamment saigné, plus que vraisemblablement, aux dires des experts, en projetant beaucoup de sang autour d’elle ; mais qu’en revanche, la boue qui maculait tant les trois paires de chaussures que les trois bas de pantalons était exactement la même, et c’était également la même que celle prélevée sur le lieu de la découverte du corps.

La même également que celle que l’on avait retrouvée sur les tapis de sol, conducteur et passager, du véhicule de Roger, dans lequel on avait par ailleurs, côté passager, retrouvé également l’ADN d’Ahmed.

Mais il avait plu la veille dans la journée, et les deux hommes s’en tiendraient à leurs premières explications, en indiquant, pour Ahmed être sorti à pied et avoir marché jusque chez lui, pour Roger peut-être avoir été uriner devant son café – et de toute façon être sorti plusieurs fois le jour même, pour des courses diverses ; ils soutiendraient que la boue retrouvée sur leurs habits ne pouvait que provenir de là.

Je demanderai sur ce point au juge d’instruction une expertise comparative de la gadoue pouvant être prélevée un jour de pluie devant le Guet-apens, ainsi qu’à différents endroits du trajet jusque chez Ahmed, avec celle des vêtements, et avec celle du fossé : l’expertise ferait ressortir des similitudes entre l’ensemble des prélèvements, et établirait en substance d’une part, que la même terre était présente à chaque fois, mais que dans le fossé et sur les vêtements, on ne trouvait pas, en plus, même si en proportions moindres, d’autres composantes, de pollution notamment, en revanche présentes sus les chaussures des mis en examen et devant chez eux …

Des analyses avaient également été effectuées sur les ongles et les mains des deux suspects, sans résultats.

Enfin, un appel à témoins avait été lancé dans la presse.

En effet, la route traversant la forêt dans laquelle on avait découvert le cadavre était très fréquentée, même de nuit, et peut-être surtout de nuit, les vendredis et samedis soirs: elle était le seul chemin entre différents villages et villes de la région et la plus grosse ville proche, siège des restaurants du coin, mais également vers la frontière toute proche, la Belgique étant pour les jeunes Français frontaliers une sorte d’Eldorado de discothèques et boîtes de nuit en tous genres.

Comme on savait par ailleurs que l’endroit précis du crime, situé à six kilomètres du centre du village, était trop éloigné pour qu’on y soit, victime comme auteurs supposés, venu sans au moins un véhicule, et que par ailleurs le crime avait été commis sur place, vu la quantité de sang retrouvée à l’endroit même et l’absence de toute trace exploitable aux alentours, impliquait deux personnes debout, grandes et fortes, dans un fossé profond seulement de soixante-dix à quatre-vingts centimètres, l’on se disait qu’une telle scène, qui s’était vraisemblablement déroulée à côté d’un véhicule garé tout à côté le long de la route et du fossé, pouvait avoir été aperçue et remarquée des automobilistes passés par là à ce moment.

Et on avait raison.

L’appel à témoins avait été lancé une dizaine de jours après les faits, et trois témoins s’étaient manifestés presque aussitôt : comme attendu, deux jeunes gens, qui effectivement pour l’un, partait rejoindre des amis “en boîte”, et pour l’autre, était la passagère avant d’une voiture roulant dans l’autre sens, revenant d’une soirée chez des amis citadins : mais également une personne plus âgée, qui revenait quant à elle d’une journée de brocante, au volant d’une camionnette.

Tous trois avaient en tout cas vu la même chose, cette nuit-là, entre une heure et deux heures trente, sans pouvoir être plus précis : un gros véhicule type 4×4, aucun ne pouvant l’identifier plus avant, de couleur probablement blanche, en tout cas claire, était garé sur le bas-côté de la route, dans le sens “village vers la ville”.

Ils étaient tous certains de la couleur et du sens de marche, car ses phares étaient allumés, c’est même ce qui avait attiré leur attention, faute de quoi ils n’auraient probablement fait qu’apercevoir une masse sombre en passant – tous avaient pensé soit à un besoin pressant du conducteur, soit à un ivrogne ayant du mal à rentrer, motifs supposés du stationnement de la voiture à cet endroit désert.

La voiture de Roger était un Range Rover crème. Tous trois, sur photos, ne pourront l’identifier formellement, mais aucun ne l’exclura non plus.

En outre, le jeune conducteur, dont l’attention était il est vrai accaparée par la conduite, indiquait n’avoir vu personne devant (dans les phares) le véhicule, ou derrière ; la passagère de la seconde voiture, elle, pensait, sans en être certaine, avoir aperçu, derrière la voiture, donc dans la nuit, deux silhouettes, penchées sur le fossé, l’une légèrement plus grande que l’autre – c’est elle qui avait pensé à un type en train de vomir ; enfin, et surtout, le chauffeur de la camionnette, lui, avait ralenti, arrivé à la hauteur du véhicule, sans but précis, juste “pour voir”, estimant être passé de ce fait en deux ou trois secondes : lui indiquait, formellement, avoir vu la même scène que la jeune fille (et il datait son passage à la même heure à quelques minutes près), à savoir deux silhouettes tournées vers le fossé et la forêt, une petite et une plus grande ; mais il était aussi certain d’avoir aperçu un troisième personnage, debout dans le fossé, un peu à côté des autres, et dont il n’avait donc vu que le haut du corps – suffisamment pour indiquer qu’il lui avait semblé plus corpulent que les deux d’en haut ; selon lui, il tendait les bras devant lui à ce moment-là, comme si les deux autres devaient l’aider à remonter ; il avait poursuivi sa route en pensant à trois fêtards dont l’un s’était soulagé à cet endroit.

Le témoignage de la jeune fille était très imprécis, et elle ne savait notamment pas estimer l’écart de taille entre les silhouettes entraperçues, elle décrivait seulement une impression ; celui du brocanteur amateur, en revanche, était beaucoup plus affirmatif, et correspondait à merveille à la thèse de l’accusation, évidemment.

Ce témoignage a été maintenu, avec force et assurance, tout au long de la procédure ; l’homme ne pouvait reconnaître les protagonistes de la scène qu’il disait avoir vue, mais était en revanche certain de sa description, il s’agissait d’un membre de cette catégorie de témoins qui sont résolument affirmatifs, et ne se posent aucune question – notamment pas celles de savoir si, dix jours après un fait qui pour lui était parfaitement anodin, après une dure journée commencée tôt, et après surtout avoir lu, il le reconnaîtrait plus tard, les journaux locaux le lendemain du crime et les jours suivants, journaux qui décrivaient, avec moult détails, la découverte du corps, la nature du crime, et les mises en examen des deux suspects, il ne lui semblait pas étrange de n’avoir pas cru devoir appeler immédiatement les gendarmes, pour ce qui était un témoignage évidemment capital, et si par ailleurs son témoignage ne pouvait pas, inconsciemment au moins, résulter plutôt de ce qu’il avait lu, que de ce qu’il aurait effectivement vu, de nuit, en très peu de temps …

Roger et Ahmed avaient continué à nier toute participation aux faits pendant toute l’instruction, confrontation et reconstitution, à laquelle ils refusaient de participer1, incluses.

Leur personnalités respectives avaient été passées au crible, sans éléments notables, à part, tout de même, pour Roger, les éléments militaires, où figuraient certains antécédents de violences, qui avaient fini par entraîner son éviction de l’armée : saoul, Roger pouvait frapper fort, y compris un sous-officier ; ça n’en faisait évidemment pas un assassin, les deux hommes étant pour le surplus sains d’esprit, sans amoralité particulière ni traits de caractère anormaux – de toute évidence, Ahmed était plus passif et effacé, Roger plus démonstratif et colérique, c’était tout.

Ni Roger, ni Ahmed, n’avaient de mobile, en tout cas apparent – en particulier, l’avocate consultée par Ahmed avait été interrogée, et avait confirmé ce qu’il avait indiqué sur le potentiel divorce, potentiellement aisé. Aucune assurance-vie n’avait été prise pour Geneviève, sa mort ne rapportait rien à personne.

Ahmed niait avec la même constance auprès de moi, et je le croyais – il pleurait, parfois, en évoquant Geneviève, et en me disant qu’il ne lui aurait fait aucun mal, même si elle pouvait être chiante, ne serait-ce que pour une raison pour lui sacrée : lui en faire, c’était évidemment blesser ses enfants, les priver de leur mère ; et il adorait ses enfants, le fait de ne plus les voir était ce qu’il y avait de plus douloureux pour lui, sa cellule était tapissée de leurs photos … Je le croyais. Totalement.

Je ne suis pour autant pas plus crétin qu’un autre2 : on ne pouvait pas, objectivement, dire que le dossier était vide, il existait évidemment des éléments chargeant les deux hommes, mais, je l’exposais souvent à Ahmed, chargeant à mon sens en réalité beaucoup Roger, et lui-même beaucoup moins – et Ahmed jurait l’avoir laissé dans son bistrot, seul, deux heures avant le crime, sans évidemment savoir ce qu’il avait pu faire …

Dans ces cas-là, lorsque nous abordions ce sujet, sa passivité, relevée par les experts, m’exaspérait : il comprenait ce que je disais, évidemment, mais il connaissait bien Roger, il ne le voyait pas commettre le crime, encore moins sans raison, rien ne le prouvait vraiment, il refusait de l’accuser, il refusait que le moindre soupçon à son égard puisse provenir de ses déclarations ; il m’enjoignait de le soutenir et de soutenir son innocence, certes, mais m’interdisait dans le même temps de le faire en “chargeant” son ami. Je le comprenais, mais je rageais, parce que j’étais persuadé désormais que Roger avait tué son épouse, sans doute dans un brouillard éthylique de guerrier, histoire probablement de “montrer qu’il en avait” en joignant l’acte à la parole, et d’aider ainsi, avait-il dû croire, son ami passif …

J’étais d’autant plus frustré et mécontent de ne pas pouvoir avancer dans cette voie que Roger, lui, avec l’aide de son conseil, ne se gênait désormais absolument plus à la fin de l’instruction, aidé il est vrai par une détention provisoire à laquelle plusieurs demandes de libération n’avaient pas réussi à mettre fin, pour mettre expressément en cause son “ami” Ahmed, sentant bien je suppose que les éléments de l’enquête l’impliquaient, et présumant qu’il fallait un autre coupable à tout prix – et après tout, lui aussi avait perdu Ahmed de vue pendant toute la fin de la soirée, sans que personne ne puisse dire ce qu’il avait fait …

Il le faisait lourdement, par ses déclarations et par des lettres au magistrat instructeur, en balayant par exemple la ressemblance de la voiture vue par les témoins avec la sienne d’un revers de phrase : la nuit, les voitures se ressemblent toutes, et les témoins pouvaient se tromper, évoquant le break possédé par Ahmed, lui aussi de couleur claire ; quant au couteau, il était facile de s’en procurer un n’importe où, et même de faire exprès d’en acheter un qui présente les mêmes caractéristiques que le sien, histoire de mieux le faire accuser si l’occasion se présentait un jour …

Je fulminais, et ce genre d’accusations (que pourtant il me brûlait d’inverser … On voit toujours le dossier par les yeux de son client), lors d’une dernière confrontation sur des points de divergence mineurs, avait donné lieu à une passe d’armes assez rugueuse entre l’avocat de Roger et moi-même – sous l’œil je suppose amusé du juge, qui nous avait largement laissés déverser nos biles respectives avant d’intervenir …

Restait un écueil, de taille à mes yeux : si réellement l’un des deux hommes, avec un complice tiers, ou les deux hommes, avai(en)t pris part au crime, comment avai(en)t-il(s) fait, en pleine nuit, pour trouver la victime, d’une part, et l’emmener, apparemment sans violences, jusqu’à l’endroit où elle devait trouver la mort, d’autre part ?

L’on répondait à cette question par le témoignage des aînés des enfants d’Ahmed, confirmé par certains témoignages des voisins et d’autres de l’enquête de personnalité : Geneviève, en cas de dispute, partait souvent s’asseoir sur un banc, sur la place du village, où même il était arrivé qu’on la trouve endormie, en été ; tous les habitants le savaient, et si c’est bien ce qu’elle avait fait la nuit du drame, ce que tout semblait indiquer (les enfants n’avaient pas entendu la voiture démarrer, les voisins l’avaient vue partir à pied, sa sœur, évidemment interrogée, ne l’avait pas vue arriver chez elle ce soir-là), alors chacun des deux hommes savait où la trouver – l’enquête avait permis d’interroger aussi les riverains de la place, qui n’avaient rien vu, ni Geneviève ni aucun des deux hommes, mais ça ne faisait que prouver qu’ils n’avaient rien vu, bien sûr …

Je ne parvenais pas, pas plus que l’avocat de Roger, à obtenir la libération d’Ahmed, et je ne parvins pas plus à obtenir qu’un non-lieu soit prononcé à son encontre, au bénéfice du doute, c’est à dire plus juridiquement à ce stade de l’absence de charges suffisantes le concernant ; j’avais interjeté appel de l’ordonnance de mise en accusation rendue par le magistrat instructeur3 mais la Chambre de l’Instruction avait, sans réelle surprise même si je m’y étais battu, rendu un arrêt confirmant le renvoi d’Ahmed et Roger devant les juges criminels.

Et puis, coup de théâtre pour moi, alors que nous attendions, désormais, l’audiencement de notre affaire devant la Cour d’Assises, Ahmed m’apprit, lors d’une visite, que Roger était mort, en cellule – les deux hommes n’étaient pas détenus dans la même maison d’arrêt, mais radio-prison fonctionne à la vitesse de l’éclair entre tous les lieux de détention d’une même région4 . Il ne serait donc jamais jugé, et Ahmed se retrouvait le seul accusé de l’assassinat de Geneviève …

Il est forcément de mauvais ton de se réjouir de la mort d’un homme, et pourtant, tout à la passion avec laquelle je me battais pour l’innocence d’Ahmed, je crois bien que c’est ce que je fis, en convainquant Ahmed que, désormais, rien ne s’opposait plus à ce que les soupçons que je concevais à l’égard de feu son ami soient exprimés, largement exprimés … Je ne crus pas mes oreilles en l’entendant refuser encore, dans un premier temps, au nom de sa mémoire, au nom du respect dû à Monique. Cette fois, j’explosai, en lui hurlant que Roger, là où il était, non seulement ne pouvait plus rien dire, mais encore n’en souffrirait pas trop, et que Monique ne serait peut-être pas d’accord, mais qu’un moment de honte passe plus vite qu’une peine de réclusion criminelle, et qu’elle-même d’ailleurs ne savait rien de la culpabilité de son mari … Je sommai Ahmed d’oublier ses pudeurs et sa noblesse, et de me laisser dire ce que j’aurais à dire sur ce point – et, enfin, il finit par être d’accord.

Je tentai une chose inédite, en vue de l’audience qui désormais approchait : j’écrivis à l’avocat adverse, en lui demandant avec la plus grande solennité, si jamais il avait pu recueillir, dans le secret de leurs échanges, des aveux de Roger, de m’autoriser à solliciter de nos Bâtonniers respectifs la levée du secret professionnel qui scellait en principe sa bouche, et de me permettre dans ce cas de le faire citer à comparaître à l’audience, pour qu’il en témoigne, et vu l’enjeu, ni plus ni moins que la vie d’un autre homme …

Il me répondit par une lettre d’injures, en m’y affirmant que jamais Roger ne lui avait avoué quoi que ce soit, ayant toujours au contraire protesté de sa totale innocence, mais que même dans le cas contraire, jamais il n’aurait accepté d’en témoigner, pour l’honneur de l’épouse de son client, et pour le sien : imaginais-je un instant sans déraisonner qu’il aurait soutenu son client pendant deux ans dans ses dénégations, pour ensuite se couvrir de ridicule en avouant à la fois sa culpabilité et, partant, sa parfaite connaissance de ces mensonges ..?

J’ignore si réellement Roger ne lui avait jamais rien dit. Si c’est le cas, je ne lui demandais évidemment pas d’inventer des aveux, même pour sauver mon client, je suis avocat, pas délinquant ou complice de délinquant. Simplement, il aurait dans ce cas pu me le dire gentiment.

Et j’espère que ce que je crois, à savoir que Roger-la-grande-gueule, c’est une expression ici non injurieuse, avait très bien pu se confier, est faux ; parce que si j’ai raison, mon confrère a eu à mes yeux très, très lourdement tort, et qu’à sa place, je n’aurais moi pas hésité un quart de seconde. Qu’on le juge et qu’on me juge, chacun en pensera ce qu’il voudra.

  1. Et je salue le gendarme de forte corpulence qui ce jour-là, sous des trombes d’eau m’ayant coûté un costume, a “joué” le rôle de la victime, en restant allongé un bon quart d’heure dans le fossé détrempé et plein de boue … Pour s’apercevoir ensuite, au milieu d’un fou-rire général, qu’un animal, manifestement de forte taille, avait aussi laissé autre chose à l’endroit du crime, dont son uniforme était désormais couvert, et dont l’odeur était insoutenable : dur métier … []
  2. Ce point est actuellement l’objet de féroces discussions entre moi-même et moi-même… []
  3. C’est l’acte final de la procédure d’instruction, celui, établi par le juge d’instruction, après réquisitions du parquet et, désormais, observations de la défense, qui vise la totalité des éléments à charge, toujours, et à décharge, plus rarement bien qu’en principe obligatoirement, suffisant pour permettre qu’un homme soit jugé par une cour d’assises ; c’est un acte extrêmement important, d’autant plus que c’est le premier qu’on lira aux jurés, en tout début d’audience, celui qui leur fera découvrir l’affaire qu’ils vont juger ; ce devrait être, légalement, un historique de l’affaire et un listing des éléments à charge et à décharge, présentés comme tels ; c’est le plus souvent un récit rédigé comme un jugement de condamnation – je ne jette pas la pierre aux magistrats, l’exercice est très délicat, et la frontière entre “preuves de culpabilité” et “charges suffisantes” pour envoyer l’homme se faire juger très ténue ; en tout cas, on ne peut pas à la fois clamer son innocence et ne pas faire appel de cet acte, même si l’évidence dit que des charges, il en existe, même si elles sont discutables … Ce qui sera l’objet du procès, mais du procès seulement, qui aura donc bien lieu … Il arrive souvent qu’un homme se dise innocent, mais n’ait pourtant pas fait appel de la décision du juge, se privant d’une possibilité, si infime soit-elle, de ne pas être jugé : ces situations sont souvent accablantes pour lui, pour la thèse de l’innocence : les avocats doivent faire extrêmement attention à ne pas l’y placer … []
  4. Il n’y a qu’un magistrat pour croire qu’il suffit de séparer physiquement deux détenus pour qu’ils ne communiquent pas entre eux ; l’information circule mieux et plus vite entre deux maisons d’arrêt qu’à l’air libre, par le biais des transferts de détenus, et, maintenant, des portables, notamment … Oui, et des échanges entre avocats, aussi, parfois. []

302 Commentaires

  1. Pingback : Quelques grains de droit | Quelques Grains

  2. Fatiha
    J'ai lu tout votre récit d'une traite et je suis absolument scotchée. Je m'attendais à une fin toute différente; l'aveu d'Ahmed, si inattendu, m'a totalement stupéfiée. Etonnamment, et en dépit de la noirceur du personnage, il semble qu'il vous ait fait cet aveu pour alléger le poids de votre désarroi, alors que vous seriez resté sans doute longtemps terriblement marqué par le poids de ce que vous auriez tenu pour une affreuse injustice, et votre impuissance à n'avoir pu l'empêcher. Etonnant criminel incestueux qui a pris son avocat en affection!
    Votre récit, écrit avec une verve remarquable et un ton d'une sincérité touchante, met le doigt sur l'extrême complexité de l'humain. Cet petit homme frêle a commis un crime horrible qu'on eût imaginé plus facilement perpétré par l'alcoolique ancien légionnaire, au passé violent. Cet homme capable d'actes terribles sur ses propres enfants n'a pas eu le coeur à dénoncer son ami décédé, alors même qu'il avait tout à y gagner.
    Drôle d'humanité, si pétri de contradictions.
    A propos, je sais que votre récit date un peu, et je ne sais si la personne qui a posé la question lit toujours ces commentaires, mais je pense savoir comment Ahmed a tué: se tenant au dessus du fossé, il a pu dominer la pauvre Geneviève et l'exécuter.
    D'ailleurs, si Roger a tenu les propos rapportés par sa femme, il n'a pas seulement assisté au crime, il s'en est fait complice. Malgré tout, Ahmed s'est senti seul coupable, ou peut être a t-il pensé qu'il devait être loyal envers celui qui l'avait soutenu contre sa femme.
    Les jurés eux, si le récit de celle qui s'est confiée à vous est à peu près vrai, auront accepté, par lâcheté et peur d'accuser un homme qu'ils pensaient innocent, pour ne pas affronter des magistrates, rompues à l'exercice de la pression psychologique. Et ces magistrates alors, si ce récit est juste, sont elles coutumières du fait ? Combien d'autres accusés (peut être innocents, eux) ont elles peut être injustement brisé l'existence?
    J'ai ressenti votre angoisse et l'extrême violence de ces moments que vous avez vécus.
    Quel avocat vous faîtes! Je suis admirative.
    Un moment fort d'humanité que vous rapportez là. Votre récit me touche, il donne à réflechir; je ne suis pas prête de l'oublier.
  3. Isabeau
    J'ai lu votre récit dans le magazine trimestriel XXI (que je conseille à tous : des reportages indépendants, sans aucune pub) ; et je découvre le blog seulement maintenant - auquel je me suis immédiatement abonnée. Du coup, j'ai commandé le livre chez mon libraire du coin ; il me faudra une semaine d'attente (toute petite ville). Et bien sûr, je suis désormais inscrite sur la page Facebook. Tout cela signifie-t-il que je suis en lice pour la présidence de votre fan-club ? Je suis néanmoins heureuse de constater que, même si c'est source de grosse frustration pour tous vos lecteurs - vous ne sacrifiez pas votre serment aux trompettes de la gloire, et les longs silences du blog ne sont que les témoins de votre temps passé à défendre les gens dans la vraie vie. C'est rassurant, finalement.
  4. Cha Boubou
    J´ai découvert votre site il y a maintenant trois semaines par ce récit (merci Rue89) et j´en suis devenue définitivement accro. Votre plume est géniale, dès que je commence une histoire je ne peux m´arrêter sans l´avoir fini ! C´est un réel plaisir de vous lire,
    Alors Un GRAND merci :)

    P.S : A quand la suite d´histoire noire ? :D

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