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Affaire Konhu : le livre !

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Vous savez que je déteste dire quoi que ce soit des affaires dans lesquelles j’ai eu la chance de pouvoir intervenir, je déteste ça presqu’autant que n’importe quoi qui parle de moi, surtout éventuellement en bien, ou que la violation, même minime, de mon anonymat absolu sur ce blog…

Mais là , je ne peux pas résister.

Vous me ferez peut-être le plaisir de vous souvenir de ce passionnant présumé innocent-là  (surtout si vous êtes un habitué de ces lieux enchanteurs, parce qu’avec les 867 commentaires laissés dessus pendant mon périple calédonien, on ne peut que s’en souvenir !), que pour ma part je n’oublierai jamais, comme je ne suis pas prêt d’oublier non plus le magnifique acquitté qu’il est devenu…

Eh bien, un an à  peu près pile plus tard, un livre vient de sortir sur cette affaire, qui a fait grand bruit là -bas, sur “le caillou”, et mériterait bien d’en faire au moins autant en métropole, tant elle est exemplaire de tant de choses -celles, notamment, à  ne pas faire, à  ne jamais laisser faire, en Justice.

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Alors voilà , modeste coup de pub à  l’auteur, Gérard Sarda, dont je me souviens d’autant mieux qu’il était effectivement en permanence dans la salle d’audience du procès d’appel, et que nous avions beaucoup parlé, à  l’époque -je comprends mieux maintenant toutes les notes qu’il y prenait…

Je n’ai pas lu ce livre, que je viens seulement de commander sur le site de l’éditeur (même pas offert, ça me dégoute), mais l’homme était à  la fois gentil et plein d’humour, et d’une grande finesse dans les observations qu’ils nous offraient, sur le thème de la Défense vue de la salle, et Dieu sait que c’est un point de vue précieux : je pense donc que lire cette histoire, par ailleurs très largement tragique, fera forcément du bien à  l’entendement…

Voilà  le résumé du livre par son auteur, tel qu’il m’a été adressé, je ne sais pas vous mais moi ça me fait envie -allez savoir pourquoi…

« Le procès Konhu en Nouvelle -Calédonie, une nouvelle affaire Outreau ? » (G.Sarda, L’harmattan)

Les faits

Tout d’abord, l’origine de l’affaire.

Le 2 mai 2002, une jeune touriste japonaise disparait à  l’île des pins. Elle a pris possession d’un bungalow, mais n’y revient pas en soirée. Son absence est  signalée le  lendemain par la gestionnaire qui obtiendra,  24 heures plus tard encore,  que les gendarmes retirent les affaires de la jeune femme  pour louer à  nouveau. Le 5, elle ne se présente pas à  l’avion devant la ramener à  Nouméa avant son retour au Japon, et les gendarmes qui jusque-là  cherchaient une célibataire en vacances, font d’autres hypothèses. La perspective change.

Le ratissage de l’île est entrepris le 5 mai 2002 par les gendarmes, et il englobe le « rocher de kanuméra », ce petit îlot relié à  la terre aux grandes marées basses dans la baie du même nom. En plein midi, rien d’anormal n’est observé sur le rocher. Le lendemain 6 mai, un nouveau ratissage  est entrepris, avec la population. Le rocher est inspecté à  nouveau, mais par un groupe composé surtout de membres du clan Kouathé qu’aucun gendarme n’accompagne. Vers midi, un « Kouathé » prévient: leur groupe vient de trouver sur le rocher un cadavre en état de décomposition, brûlé par endroits, en partie dévêtu : Mika Kusama.

Les gendarmes montent alors constater la présence du cadavre, puis demandent qu’on n’accède plus au rocher. Une inspection plus approfondie encore du rocher est à  nouveau entreprise, cette fois par les gendarmes, et aucun autre indice n’est relevé. Peu avant la nuit, l’enquête conduite sous la direction du  juge d’instruction, commence : le technicien de l’identification criminelle est dépêché sur place par avion militaire. Observations, prélèvements, photographie, conditionnement : le corps est emporté en pleine nuit à  Nouméa avec l’équipe spécialisée. La brigade territoriale n’assure plus aucune surveillance des lieux. Le lendemain, il sera constaté par les gendarmes que des personnes sont remontées sur le rocher. Les lieux ont été saccagés.

Le 7 mai, après qu’à  nouveau des personnes sont remontées là -haut, mais en plein jour, des « Kouathé » viennent signaler aux gendarmes qu’ils ont trouvé, à  quelques mètres de l’endroit où gisait Mika, un trou profond où ont été jetées des affaires de la jeune femme.Ambroise Konhu dit Didyme  et son frère Antoine, sont arrêtés chez eux par les hommes du capitaine Carmona. Un hélicoptère les conduit à  Nouméa. Nul ne sait comment Mika est morte ni pourquoi ou comment son cadavre s’est retrouvé sur le rocher des Konhu.

Pourquoi les Konhu sont- ils si vite suspectés et bientôt accusés de meurtre?

Ni le procès de décembre 2007, ni même celui de 2009 n’ont permis de faire toute la lumière sur ce point mais le procès en appel, le second, a permis d’inventorier des éléments troublants, de mettre à  jour des rivalités anciennes, des animosités et tensions passées bien éloignées du drame, de suggérer des investigations jusqu’ici inexplorées, et d’évoquer des pistes  peu ou pas empruntées par le juge.

Pourquoi les gendarmes installent-ils leur QG chez  Hilaire Kouathé, le  petit chef de la tribu de Komagna dont la nomination est contestée? Pourquoi  des témoins ne sont-ils pas entendus par le juge ? Comment se fait-il que des témoignages ouvrant d’autres pistes que celle des Konhu sont ignorés, ou pas sollicités? Pourquoi l’accès au rocher reste-t-il possible après le transport du corps ?

Les Konhu ont de longue date mauvaise presse auprès de la grande chefferie. Dix ans plus tôt Didyme était un chef de bande écouté, entré en rébellion après que son père dut renoncer à  construire une structure hôtelière, faute de subventions. Plus tard, lui-même n’avait pu développer un projet de village d’artistes. Pêcheur, sculpteur de talent, il a formé des jeunes, des « adeptes » disent ceux qui en font un gourou. Dans un milieu insulaire confiné, les réputations d’excentricité passent mal.Les autorités,  inquiètes du coup porté au tourisme japonais par ce meurtre qui a déclenché une invasion de reporters nippons, ne sont-elles pas soulagées quand dans « Les Nouvelles calédoniennes » du 11 mai, l’unique quotidien, est relevé ce titre qui lève l’anonymat des suspects: « Ambroise et Antoine Konhu continuent de nier les faits » ?

A peine arrêtés, les frères Konhu sont pris dans un engrenage cauchemardesque.

Les premières expertises donnent  d’eux une image de meurtriers psychopathes, la garde à  vue fait vite place à  une interminable « prison préventive ».Didyme a d’emblée le secours d’un avocat, choisi et payé par le clan Konhu. Antoine, le troisième dans la fratrie, se contente pendant plus de deux ans d’un avocat commis d’office qui change tous les six mois. Leur père, à  qui la chefferie de la tribu a échappé, est persuadé qu’Antoine sera vite libéré, mais qu’en revanche, un complot vise à  neutraliser Didyme, l’aîné de la jeune génération, celui qui, comme ses ancêtres avant lui, devrait être le petit chef de sa tribu, Komagna.

En 2004, alors que la santé de leur père devient très préoccupante, Abo, le deuxième dans la fratrie, appelle l’attention sur la situation de ses frères emprisonnés. Il rencontre Elie Poigoune, le  président de la Ligue des droits de l’Homme et du Citoyen de Nouvelle Calédonie, qui lui conseille de prendre un avocat pour Antoine. Maître Nanty et maître Fauche assistent Didyme depuis mai 2002. Maître Deswarte va assister Antoine jusqu’au bout et au procès en appel il aura  l’appui de maître Mô,du barreau de Lille. La LDHC-NC encourage aussi la constitution d’un comité de soutien.

Le père des accusés mourra pendant l’incarcération préventive d’Antoine, de chagrin autant que des lourds problèmes de santé qui l’accablent. Humiliation suprême pour Antoine : on ne lui libérera les poignets que quelques instants devant le cercueil ouvert avant de l’enchaîner à  nouveau et de le ramener au camp-est, la célèbre prison délabrée et surpeuplée.

La défense d’Antoine à  l’œuvre.

Antoine est au plus mal. Son avocat tente de démontrer l’ampleur des lacunes et des contradictions de l’instruction. Redresser maintenant tout ce qui devrait l’être est une gageure. En 2005, le juge Mézières a été désigné pour présider la Cour d’Assises qui doit alors juger les Konhu en première instance, mais un coup de théâtre se produit : il est finalement chargé de reprendre à  zéro l’instruction de son confrère! Le procès est renvoyé aux calendes grecques.

La presse nationale va-t-elle se saisir de cette affaire et engager ses propres investigations ? Plusieurs magazines et journaux nationaux ont des correspondants sur place. En « métropole », le scandale d’Outreau s’est invité dans l’actualité quotidienne. De quoi donner des idées ! Il n’en sera rien. Pourtant,  le quotidien local, parle maintenant de contradictions et émet des doutes. Des questions pertinentes sont posées dans « Les Nouvelles» : « Pourquoi Antoine est-il maintenu en détention depuis toutes ces années? », par exemple. Des communiqués de la LDHC-NC, si souvent ignorée, sont publiés. Est évoqué ce comité de soutien qui mobilise en nombre des Kunié, et des habitants de tout l’archipel, dans les tribus de brousse ou les quartiers populaires de Nouméa. Les analyses d’ADN révèleront qu’il n’y a probablement eu aucun contact physique entre Mika et les  frères. La « reconstitution » en 2005 n’apportera  rien de probant  non plus.

Le coup de massue du verdict de décembre 2007.

C’est finalement en décembre 2007 que le procès initial se tient. L’avocat de la partie civile a présenté un scénario plausible. La thèse de l’avocat général est assez voisine, mais sa fonction lui donne plus de crédibilité: dans une plaidoirie brillante, il pose des questions, récuse des arguments, avance ses hypothèses. Les enquêteurs sont peu sollicités à  la barre et le procès va, avant le délibéré, accoucher d’un coup de théâtre. Pour l’avocat des Kusama, un « tee-shirt » accable Antoine : un tee-shirt ramassé par les gendarmes dans la chambre de Mika, est-il indiqué, ce que personne n’a vérifié, lui aurait appartenu ! Pas un « pull-over rouge », cette « supposée pièce à  conviction » qui conduisit Christian Ranucci à  l’échafaud, en 1969: un  tee-shirt blanc à  la gloire du football ! Interrogés en 2009, les gendarmes, assureront, du plus gradé au plus modeste, qu’ils n’auraient jamais pu mettre sous scellés un objet qu’ils n’avaient pas !

Après le procès en première instance.

Le comité et les avocats, la LDHC-NC et la société civile vont s’organiser. Les doutes sur la culpabilité d’un condamné victime d’une possible erreur croissent dans l’opinion. Son avocat parvient, par suite d’un vice de forme, à  faire sortir Antoine de prison. Hors de sa prison où il aura croupi plus de quatre ans (plus de trois pour son frère), pour l’essentiel avant sa condamnation, Antoine constate qu’un formidable combat  pour la justice et la vérité est en cours. Il y prend part avec ces citoyens et personnalités qui n’écoutent que leur conscience.

Une leçon, deux objectifs, quatre intérêts pour un seul livre :

Une leçon :

Sans la possibilité d’interjeter appel en matière criminelle introduite en 2OOO dans la procédure pénale, la condamnation d’Antoine serait sûrement tombée en « cassation », mais la suspicion serait restée. Elle serait aussi restée s’il avait été « acquitté au bénéfice du doute » en appel. Antoine Konhu a définitivement été jugé INNOCENT du meurtre de Mika Kusama.

Deux objectifs :

Le livre mise sur un effet (médiatique ?) afin que le Parquet, la Garde des Sceaux réagissent enfin, décident de reprendre l’instruction et le fassent savoir. Les parents de la victime, les Konhu, et les Kunié doivent savoir « qui a tué Mika », comme les citoyens français au nom desquels la justice est rendue, comme le peuple japonais. Et ce plaidoyer respectueux pour une justice digne, responsable et équitable, doit  éclairer l’opinion d’une  affaire aussi grave que celle d’Outreau.

Quatre autres intérêts :

Cet ouvrage souvent poignant et documenté contribuera au travail de mémoire relatif aux engagements et activités de la LDHC-NC, cette organisation discrète mais irremplaçable en Nouvelle Calédonie, en rendant hommage à  ces personnalités courageuses dont l’auteur fait aussi connaître leurs écrits puissants, significatifs d’un  combat exemplaire. Ce témoignage pourra aider les descendants des deux frères, petits enfants, petits neveux,  petites nièces, à  se construire et vivre en paix après cette abominable affaire,  perturbante et propice au « non-dit » destructeur. Enfin, une réflexion susceptible d’enrichir la typologie des facteurs et circonstances favorisant l’apparition de « l’erreur judiciaire » est aussi espérée dans le corps social, voire la magistrature.

Le 17 mars 2010

Alors, ça pète, non ?

Bon, une fois n’étant pas coutume, je parachève ce coup de publicité exceptionnel, mais l’aventure judiciaire, et humaine, l’était tout autant : je pense qu’on doit commencer à  trouver le bouquin un peu partout, mais comme les voies de la distribution en librairies sont parfois aussi impénétrables que l’hermine d’un avocat général, vous pouvez aussi le commander directement sur le site de l’éditeur, l’Harmattan.

Je vais même plus loin, pas du genre à  faire les choses à  moitié le Mô1, si comme moi-même vous êtes totalement ruiné et qu’on vous coupe votre accès Internet avant d’avoir le temps de balancer votre numéro de carte bleue périmée sur le site, hop-là , pas d’excuses, un bon de commande papier pour faire bonne mesure :

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Je n’ai aucun droit sur l’ouvrage, ça va sans dire mais mieux en le disant. Simplement, et au-delà  évidemment de ce que ça représente pour moi, Gérard Sarda est un homme bien2, et l’effarement que ne peut que susciter la narration du déroulement judiciaire de cette affaire, qui avait été le mien en la découvrant, mérite largement qu’on s’y plonge…

Gérard, si tu me lis, j’aurais fait ce que je pouvais pour qu’un maximum de personnes sache..!

Et, bien-sûr… Bravo, et merci pour ce travail3 !

  1. “A mi-Mô”, je sais, je sais… []
  2. J’espère juste qu’il n’y dit pas que le grand flandrin arrivé en renfort en appel a été totalement nul, ça m’ennuierait ! []
  3. J’aurais dû le faire, tiens, Gérard m’a devancé… []