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2010 : Alliot-MAM en bobos !

(Désolé pour ce titre, je me l’étais promis, comme ça c’est fait.)

Ça vient de tomber, dans la mesure où je pense que la Garde a tenu ces propos pas plus tard que tout à  l’heure : une pause entre deux rendez-vous de rentrée, l’idée saugrenue d’aller jeter un œil aux actualités du Ouaibe, petite idée derrière la bavette en cherchant un peu autour du doux nom d’Alliot-Marie et de la sacro-sainte réforme programmée de la procédure pénale en général et de l’instruction judiciaire en particulier, je me disais bien que ça n’allait pas traîner, et je ne suis pas déçu : voilà , dépêche parue sur Le Monde.fr, pour le moins gothique, effectivement, et qui me laisse momentanément sans voix -pas encore tout à  fait sans mots, mais à  ce rythme ça viendra vite…

Je n’ai en effet -presque- pas de commentaires à  faire, une fois n’est pas coutume, et n’importe quel lecteur, profane ou non, se les fera bien tout seul -ce peut même être un petit jeu de rentrée : à  combien d’inepties ou de situations incohérentes et ingérables pensez-vous que ces propos renvoient directement ?

On y lit :

– qu’“aucune affaire ne pourra être étouffée, à  aucun stade de la procédure”, et quelques mots plus loin que “les pouvoirs d’enquête du juge d’instruction doivent être confiés à  un procureur, magistrat du parquet hiérarchiquement subordonné à  la Chancellerie”

– que, “s’il n’y a pas de victime directe, par exemple en cas d’infraction au préjudice de la collectivité publique, tout citoyen pourra se constituer “partie citoyenne” dans la procédure” !

– que “le garde des Sceaux ne pourrait empêcher le parquet d’ouvrir une enquête: “je confirme l’interdiction faite au garde des Sceaux d’ordonner le classement sans suite d’une affaire”

– mais qu’en plus, si un ministre de la Justice demande néanmoins au parquet de classer l’affaire, “le procureur sera tenu de désobéir à  cet ordre manifestement illégal” ” !

– que, “s’il n’y a pas de parties pour contester la décision du procureur, par exemple dans le cas d’infractions touchant une collectivité publique dont les responsables seraient mis en cause, “je souhaite que tout citoyen puisse contester la décision de classement du procureur et que le juge puisse ainsi ordonner une enquête” “.

– que “si au cours de l’enquête le procureur refuse d’effectuer certains actes demandés par une partie (expertises, auditions de témoins, confrontations), “la partie concernée pourra saisir le juge de l’enquête et des libertés, magistrat du siège”, qui pourra “le cas échéant ordonner au procureur de les effectuer”., bon, ça, d’accord, mais lisez bien la suite :

– que si le procureur continue de refuser, la partie pourra saisir la chambre de l’enquête et des libertés pour que le JEL mène lui-même “les actes nécessaires à  l’enquête”. ” !

Quoi ? Oh, non, rien, j’en ai des tremblements, mais c’est le froid.

Juste, quand-même, rapidement, j’ai des dossiers à  boucler avant la réforme :

– d’abord, je tiens à  dire que je suis d’avance à  la disposition de “tout citoyen” pour me constituer “partie citoyenne” à  ses côtés dans n’importe quelle procédure qui ne lui plaira pas, les affaires reprennent et vont même exploser en 2010, je vous le dis, frères avocats -et c’est à  ce genre d’innovation que l’on voit que Madame Alliot-Marie n’a que le diplôme d’avocat, pas la pratique : si vous saviez, ô ma Garde, le nombre de dingues qui prennent rendez-vous, déjà  maintenant, pour déposer n’importe quelle plainte contre n’importe qui, vous n’auriez pas même un instant envisagé cette, euh, chose…

– ensuite, je constate que Madame Alliot-Marie intègre, publiquement, l’idée qu’une interdiction peut être faite à  un Ministre d’Etat, et que celui-ci puisse la violer1 : dont acte !

– enfin, de même, Procureurs, mes frères2, je vous plains -moins que nous, avocats, mais je vous plains quand-même : vous devrez désobéir, si, elle l’a dit, si un ministre vous demande de classer ! Elle n’a pas précisé si cet ordre face auquel on vous appelle à  la désobéissance civique3 devra avoir été direct, ou bien seulement, comme c’est à  peu près toujours le cas je pense actuellement, émaner de votre hiérarchie, dommage… Mais quels futurs passionnants cas de conscience, en toute hypothèse !

Bon, en compensation, vous noterez que vous êtes d’ores et déjà … Dispensés d’obéir aux ordres du JEL : vous me refusez une audition de témoin, je saisis le JEL, il vous ordonne de l’effectuer… Eh ben : vous refusez encore ! C’est permis, puisque le cas est prévu, et que je dois alors aller à  la CEL4 … En clair, le JEL, vous vous en foutez -c’est lui qui va être content, je sens qu’on va se bousculer pour demander ce poste, chez les magistrats !

Ah, mes amis, que voilà  prémices alléchantes, qu’auspices jolis nous sont ainsi délivrés.

Au fait, vous vous souvenez ? Le rapport Léger prétendait œuvrer notamment pour une simplification de la procédure pénale…

Je vous parie que ce n’est qu’un début, et vous dis, partant, avec une grossièreté certaine, mais elle sied à  la rapidité du propos : bonne année ? Mon cul !

  1. pas elle, l’interdiction, je veux dire []
  2. c’est une image, uniquement liée à  l’émotion []
  3. Non mais c’est pas le pied absolu, cette situation ??? Le Ministre de la Justice en exercice qui demande à  ses subordonnés hiérarchiques, d’avance, qui plus est eux-mêmes Procureurs de la République, de désobéir a un ordre qu’elle-même donnerait sans en avoir le droit  : je suis en transes, j’adore, vive la République, vive la France ! []
  4. Oui, cette tournure de phrase est volontaire, et ce n’est qu’un commencement : par exemple, on peut résumer cette phase procédurale ainsi : tu sors du JEL, tu vas à  la CEL, et tu rentre au cabinet -grandiose… []